« Qu’est-ce que l’homme dans la nature ?
Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant,
un milieu entre rien et tout.
 »
Blaise Pascal

Pourquoi ce livre ?

« Il voyait trop, et voir est un aveuglement. »
Tristan Corbière

On ne savait pas...

Lorsqu’en 1992, j’ai prospecté pour la première fois le Maroc, je n’en possédais qu’une version d’image d’Épinal divulguée par les catalogues : la splendeur des villes impériales, les muezzins appelant à la prière, les souks aux enivrants parfums d’épices, les fascinants (et très contestables) charmeurs de Serpents de Marrakech, Tanger « tourterelle sur l’épaule de l’Afrique », Essaouira l’ancienne Mogador, le charme langoureux des palmeraies, la spiritualité du désert, la touchante hospitalité des populations, le monde berbère et ses traditions vivantes, les légendes interlopes du Rif, les faux Touaregs et les faux guides... A ces stéréotypes du marketing, venaient s’ajouter les données du naturaliste, de l’entomologiste en particulier, avec une approche toute livresque des milieux et de leurs biocénoses, du Rif, des Atlas, du Sahara, de la cédraie, de l’arganeraie, des univers steppiques..., tout un imaginaire exaltant. Ces notions étaient certes teintées de quelques connotations relatives à la dégradation d’écosystèmes et à l’extinction déjà consommée de quelques espèces, comme il en est désormais tous azimuts. Mais de là à imaginer ce que j’allais découvrir, il y avait plus qu’un hiatus de désinformation ! Autant pour ce qui concerne la fabuleuse biodiversité de ce magnifique pays que pour ce qui se rapporte à la présente destruction galopante dont il est victime. Je ne savais pas...


Chercher l’erreur...

Le printemps marocain, correspondant au milieu de l’hiver français, offre au visiteur superficiel une apparente richesse de végétation d'autant plus plaisante qu'elle se traduit par des floraisons massives et une remarquable palette de couleurs qui drapent le sol et fait illusion, notamment à la faveur d’hivers bien arrosés. C’est ainsi que ma première traversée, précoce en saison, fut éblouissante mais trompeuse sous l’effet de ce regain féerique. Il me fallait attendre la fin du printemps pour trouver l’erreur... C’est quand l’insolation commence à se faire implacable, que la nature se déshabille de sa livrée d’apparat, que les troupeaux s’apprêtent à monter du Sud et à tondre les montagnes que le naturaliste reste pantois devant l’hécatombe chaque fois recommencée, un coup de grâce chaque fois mieux accompli et avec moins de restes. Le cycle d'une première année a suffi pour me convaincre des caractéristiques essentielles des pâturages marocains : fragilité, fugacité, pauvreté. Et la règle s’applique à la globalité des paysages naturels puisque, autre singularité, voire aberration, tout et absolument tout est pâturé dans les Pays du Maghreb.

On peut aisément lire la grande pauvreté des sols, souvent même squelettiques et laissant apparaître la roche sous-jacente. La végétation y est clairsemée et les multiples sentes tracées sans répit par le piétinement des troupeaux s'inscrivent sur la terre comme un réseau irréversiblement stérile et sans cicatrisation possible. Tout le bled revêt ce faciès en « peau de panthère », avec une plus forte acuité en adret des collines. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cet aspect n’est pas celui d’une dotation écoclimatique mais il correspond à un grave dysfonctionnement résultant d’un usage exacerbé de l’activité pastorale. Le simple passage du Col du Zad (Moyen Atlas) et la vision des montagnes pelées qui servent d’écrin au Lac de Sidi-Ali, le spectacle de ces ossatures de cédraies et de chênaies partout vidées de leurs sous-bois, la découverte de l’arganeraie au sol croûté, la contemplation avec commisération de la plus grande formation à Chêne-liège qu’est la Maâmora, architecture creuse et sans régénération, etc., ont pour l’écologue un effet comparable à celui d’un électrochoc. Et quand on parle un peu aux habitants, que l’on se documente sur le passé, on apprend qu’il n’y a pas si longtemps, quelques dizaines d’années, la plupart de ces sites étaient encore verts et couverts.

Il y avait une erreur dans le beau dépliant d’exotisme de proximité. Le cynisme aigu d’une telle réalité laisse songeur tant la destruction est froidement consommée, avec à l’horizon un avenir bien incertain, tant pour les précieux écosystèmes sur le déclin que pour les Hommes dont la vie quotidienne en est toute dépendante. Mais ceux-ci ne peuvent s’offrir le luxe d’analyser et de pleurer misère, tant il y a urgence à survivre au quotidien. Car le fossé social se creuse, la disparité entre la ville et la campagne devient impitoyable.
Ici comme ailleurs, Homo sapiens n’est pas toujours une espèce « protégée »...

L’objectif de l'écologie, c'est de comprendre le fonctionnement des écosystèmes. Le devoir d’un écologue est subséquemment de tenter d’informer le plus grand nombre de colocataires de la Maison du Quaternaire des dysfonctionnements et des pressions dont les formations naturelles peuvent être victimes. La démarche s’inscrit dans l’incontournable besoin d’inventaire du naturaliste, un devoir de mémoire du citoyen du monde, avec à l’horizon l’illusion un peu pathétique qu’un tel constat puisse servir à recoller les morceaux.
Témoigner pour que l’on ne puisse plus dire : « On ne savait pas... »


A toutes fins utiles...

« 
Il est vrai que l’homme peut être tenu pour responsable des atteintes portées à l’environnement, des violations de ses lois et de la dilapidation de ses richesses, du fait d’un comportement excessif.
Il n’en reste pas moins que, mu par une volonté de redressement et conscient de l’acuité du problème, l’homme détient les clés du Salut entre les mains.
 »
Feu S. M. Hassan II, colloque Environnement et Développement, 1999.

« 
Pour nous, croyants, l’Environnement est un problème de civilisation et de foi, et la Nature, une création divine confiée à la garde de l’homme, doué de conscience et de raison. La Nature est le produit de plusieurs milliards d’années d’évolution que l’inconscience de l’homme dégrade. »
S. M. Mohammed VI, Rio de Janeiro, 1992

Sur une illustration savamment conçue par mon ami Jean Delacre, essentiellement à partir de notre photothèque commune mais aussi complétée par les clichés d’amis naturalistes, je propose au lecteur écotouriste, écologue ou écologiste, amis des paysages naturels, des plantes et des animaux, aux esprits curieux ou épris des beautés du Maghreb, une visite naturaliste que je crois originale, en tous cas descriptive et critique des grands écosystèmes terrestres marocains. Ils sont présentés dans le cadre de paysages naturels, avec parfois des points de vue protectionnistes partisans. La banalisation de ces écosystèmes est analysée et les facteurs des dramatiques éradications sont ouvertement dévoilés. Découvertes, anecdotes, bioindication et problématiques du pays le plus favorisé et contrasté du zonobiome méditerranéen émaillent le chapitre de chacune des régions naturelles. C’est une tentative d’un état des lieux du Maroc naturel. Les écosystèmes marins ne sont pas pris en compte.

Chaque écorégion est le plus souvent abordée en deux parties.
La première partie consiste en une découverte géographique, écologique (phytocénose, zoocénose) et parfois sociale (traditions usagères), précédée d’une étude de l’arbre et de son histoire lorsqu’il s’agit d’un écosystème forestier. La bioindication est largement développée au moyen des Papillons diurnes comme grille de lecture et fil d’Ariane. Solidaires à chaque écosystème, ils s’en avèrent être les meilleurs marqueurs synécologiques.
La seconde partie est consacrée à exposer les polémiques dorénavant liées à ces paysages : surexploitation agropastorale (dont le surpâturage est la plus récurrente des menaces), pression des activités touristiques, gestion en général, inquiétudes en tous genres vis à vis des risques majeurs que sont les agressions, les éradications, les destructions irréversibles, le processus irrémédiable de désertification et autres phénomènes propres aux Pays du Maghreb, impliquant des milieux et des gens à l’avenir déjà très hypothéqué. Le texte prétend faire le point sur les aspects essentiels du sujet, avec un essai de mise à jour documenté et assez exhaustif. En dehors de ma spécialisation éco-entomologique, je n’ai fait qu’accomplir un travail de journaliste, dans le bon sens du terme je l’espère.

Si « tout » est abordé par le texte, le bon et le mauvais, seulement quelques pans encore épargnés de la nature sont présentés en image. Sauf exceptions. Montrer l’insupportable serait de mauvais goût.

Je me suis permis ce réquisitoire sans concession sur les causes de perdition du riche biopatrimoine marocain, imaginant qu’un diagnostic pour une fois sans langue de bois dans les commentaires servirait peut-être à réveiller les consciences et les bonnes volontés. C’est aussi pourquoi, quand la gestion d’un paysage en crise m’a paru un tantinet démagogique, j’ai cru bon recourir à l’hyperbole en guise de « réveil matin » !


Critique de nos critiques

« 
Un bon écologiste, c'est un type qui voit loin
et qui a peu de foi dans le progrès, la science et la technique.
 »
Jacques-Yves Cousteau

« 
Les idées ne sont pas faites pour être pensées mais pour être vécues. »
André Malraux

« Nous en avons assez d’être les partisans
de causes plus petites que celle de l’Univers. »
Henry Grouès, dit l’Abbé Pierre

« 
La pauvreté est le plus redoutable des agents de pollution. »
Indira Gandhi

« 
Depuis une quinzaine d'années, l'ethnologue prend davantage conscience que les problèmes posés par les préjugés raciaux reflètent à l'échelle humaine un problème beaucoup plus vaste et dont la solution est encore plus urgente : celui des rapports entre l'homme et les autres espèces vivantes ; et il ne servirait à rien de prétendre le résoudre sur le premier plan si on ne s'attaquait pas aussi à lui sur l'autre, tant il est vrai que le respect que nous souhaitons obtenir de l'homme envers ses pareils n'est qu'un cas particulier du respect qu'il devrait ressentir pour toutes les formes de la vie. »
Claude Levi-Strauss


La présente perte planétaire de biodiversité par le saccage des habitats et l’érosion des espèces qui en sont tributaires, revêt le scénario d'un
épisode d'extinction massive. Certains analystes fondés comparent le phénomène à une glaciation ou à une catastrophe égale à celle de la fin du Crétacé (65 millions d’années). Rappelons qu’il s'est produit entre le Crétacé et le Tertiaire, période où la vie proliférait, un phénomène d'origine cosmique (la collision planétaire d’un astéroïde étant l’hypothèse la plus souvent avancée) ayant rendu le milieu totalement anoxique. La rupture de nombreuses chaînes alimentaires engendra alors une apocalypse écologique qui fut fatale à un très grand nombre d’espèces, parmi lesquelles les Dinosaures. Un tel scénario à solution finale se produirait présentement, mais cette fois sous forme d’un écocide lent provoqué par les égarements d’une fourmilière humaine rendue maîtresse tyrannique de la planète à force d’ « intelligence ». Ce n’est peut-être pas un postulat trop osé... Bien des preuves irréfutables sont engrangées pour étayer cette théorie extrême. Vivre en catastrophe n’empêche pourtant pas certains de continuer impassiblement à vaquer à leurs occupations, à consommer, à stocker. Fatalisme suicidaire ? Incrédulité face à l’énormité d’une prophétie jugée affabulatrice ? Égoïsme d’une extrême inconscience ? Réponse presque unanime par un « Seul je ne peux de toute façon rien changer... ! » D’autres s’en inquiètent, un peu, beaucoup, passionnément.

L’écoconscience est-elle un écocentrisme ? Les verts sont-ils les écofascistes d’un nouveau type ? L’écologisme est-il un romantisme aux tendances autoritaires et contradictoires ? Les écolos sont-ils en proie à une exaltation et à une fétichisation naturaliste ? Les protectionnistes sont-ils des prophètes de la panique, de l’alarmisme, du catastrophisme ? Le développement durable est-il une imposture, une démagogie verte ? Etc. Autant de questions qui surgissent des critiques de certains, du principe de défiance de quelques autres, voire de railleries communes. Ces objections à nos critiques et au salutaire combat pour le respect du vivant proviennent généralement d’un tissu social dont l’univers de proximité n’est pas encore menacé par la politique de la terre brûlée et qui dans le plus total cynisme cherche à protéger quelques privilèges bientôt au bord du gouffre. Il est donc intéressant de noter que les blâmes trouvent toutes leurs résonances dans la classe la plus responsable du cynisme ambiant et de la disparité sociale, que les diatribes sont le fait de détracteurs n’opposant pas la moindre objection aux exactions des compagnies qui tendent à scalper l’Amazonie, à trouer l’Alaska ou à dénaturer le Maghreb.

Plutôt que de répondre à ces questions, à ces doutes, à ces critiques, par « 
la bonne parole de l’Homme de bonne volonté », les écologistes ont la manifeste tendance à former des cercles, à se replier en clans, à se réunir en chapelles, à recourir à un code ésotérique, à une rhétorique amphigourique dont l’usage se résume à ne convaincre que des convaincus. L’humanisme naturaliste devient alors force politique à effet nul, avec le risque sectaire de se mentir à lui-même pour la seule autosatisfaction, quand ce n’est pas de l’autoflagellation. C’est une dérive.

Qu’il soit taxé de naïf ou d’extrémiste, d’idéaliste ou d’intolérant, d’exalté ou de réactionnaire, ce qu’on reproche finalement à l’écologiste serait une ingratitude aveugle. On lui fait le procès d’intention d’être insensible aux problèmes de grande pauvreté et de s’émouvoir sur l’éradication d’un végétal, d’évaluer le degré de naturalité bien au-delà de la valeur humanitaire.

Il n’a pourtant jamais été du propos d’aucun écolo-conservationniste d’extraire l’Homme de la biosphère, de tomber en pâmoison devant une espèce rare dont un dictat conservatoire engendrerait une famine. C’est prétendre à une perverse esthétique qui confinerait au romantisme nazi de quelques « khmers verts ». Que l’on prenne garde, il peut en exister en ces temps de djihads bellicistes à trois cent soixante degrés ! Mais jeter l’anathème sur l’écologiste ordinaire en estimant que sa préoccupation serait doublée du dédain pour la misère humaine est d’autant un mauvais procès que cette pauvreté est étroitement corrélée à la détérioration de l’environnement. Ce sont les plus démunis qui subissent de plein fouet les effets de la dégradation du capital naturel, de l’épuisement des ressources et bientôt d’une mondialisation dont ils sont la cinquième roue de la charrette. Pas plus que le quart-monde n’a le moindre contrôle de ce que les transnationales mettent dans son assiette occidentale (autre débat...), le tiers-monde n’a pas toujours les moyens de s’abstenir d’une moindre prédation pour sa survie journalière.
Pauvreté et dégradation de l'environnement sont des phénomènes à rétroaction positive, à savoir que les conséquences de l'une rendent l'autre inévitable. Quand on parle de sauvegarder le biopatrimoine, le souci humanitaire est toujours en contrepoint. Aucune déontologie verte ne peut nous faire négliger l'éthique envers notre propre espèce, particulièrement envers ceux qui n’ont voix au chapitre. Il n’est nulle question de soustraire cette dernière pousse comestible que coupe la mère s’il s’agit de nourrir son enfant. Même si nous faisons l’éloge de la Nature et condamnons la civilisation, même si nous mettons une majuscule à « Nature » et une minuscule à « humain » parce que le second est champion dans l’art de décevoir mais que la première tient toujours ses promesses et ses floraisons... La précarité sans cesse plus nombreuse, sans cesse marginalisée davantage et rejetée en périphérie des métropoles exerce une pression sans commun rapport avec la capacité du support naturel. Ce dont les classes privilégiées peuvent le plus souvent s’épargner, ayant d’ailleurs pour la plupart de leurs représentants perdus tout contact avec le moindre écosystème puisque « survivant luxueusement bunkérisés » en système calfeutré. On court l’inévitable risque de voir détruire des milieux fragiles parce qu'on n'a pas su assurer le nécessaire à des populations démunies, comme par exemple au sein de l’arganeraie marocaine ou d’une Maâmora jouxtant la capitale.

Non, l’écologisme – même maladroit – n’est pas un démon à exorciser. L’accusation de se détourner de l’humanité en cherchant à sauvegarder une biocénose ou à ralentir le dépérissement d’une forêt est ainsi fallacieuse. Si elle s’avérait exacte, ce serait un reproche fait à l’endroit d’une idéologie, d’un dogmatisme.
Mais l’écologisme est un humanisme naturaliste, non une révélation ! Et l’écologie qui ne se préoccupe que de comprendre les écosystèmes est une science. Point.


L’effet placebo

« 
Le mépris des hommes est fréquent chez les politiques, mais confidentiel. »
André Malraux

« 
Summum jus, summa injuria. »
(« 
Comble du droit, comble de l’injustice. »)
Cicéron

Les protecteurs de la nature savent que la réalité ne se pliera pas aux constructions intellectuelles de leur modèle, si légitime soit-il, car la réalité est tout en nuances et c'est ce que la science écologique leur apprend. En prétendant à
une connivence entre équipement et environnement, les défenseurs de cet environnement souhaitent seulement contrecarrer les abus incompatibles pour contribuer à conserver le milieu le plus indemne possible comme cadre de vie, et le maintien d’un niveau de ressources conciliable avec le futur. Tels sont les vœux du développement durable et autres louables suggestions de gestion viable. Protéger la nature est un noble idéal et cet idéal passe par la colère. Colère initiale de s’affronter en amont à une hostilité souvent étatique à l’endroit de principes légitimes, colère de constater que l’on pouvait aisément faire autrement et sans dégât, mais qu’on ne l’a pas fait, ou pire - parce que pas très malins - on a fait semblant de faire pour ménager la Chèvre et le Chou. Et que quand c’est fini ça recommence. Déconvenue, désanchantement de s’apercevoir que tous les thèmes débattus et rebattus lors d’infinis discours et conférences ne soient jamais mis en oeuvre, qu’ils ne sont que de vaines promesses, des effets de manches et d’annonces, et que les partisans d’un profit extorqué au détriment des valeurs pérennes et de l’avenir du genre humain y répondent par une glaciale indifférence. Face à d’éternelles priorités, l’application des mesures et leur efficacité restent l’exception. Les écoconscients se fâchent lorsque le politique fourbe fait de ce thème essentiel une poule aux oeufs démagogiques et roule une fois de plus les citoyens dans la farine. Il y aurait donc encore assez de Couleuvres pour nous en faire avaler ? Il n’est de cesse de surprendre les détournements et les récupérations éhontées du souhait de gestion supportable, à des fins strictement vénales ou électorales : conservation trompe-l’œil dont les mesures « ne mangent pas de pain », législations cosmétiques, ersatz de réserves naturelles, et autres poudres aux yeux et effets placebo.

Le citoyen qui va en payer très cher les préjudices comprend parfaitement que l’on puisse se préoccuper du devenir de la forêt, des Rapaces, du sol, de l’eau, de l’air, notamment la jeunesse, et plus qu’il n’y parait en zone rurale. Mais bien des décideurs s’acharnent à semer le trouble en arguant des sempiternels impératifs de progrès trompeur, de droit à la modernité, de production et de quotas incontournables, le tout générateur de créations d’emplois. Ces alibis président toujours à un saccage obligé dont la finalité non avouée reste l’attrait du gain sans souci des conséquences. Et puis les commis d’état ne sont pas innocemment choisis par un certain pouvoir, ils ne sont pas sélectionnés pour leur esprit militant et sont mis en place pour la galerie. Leur stoïcisme, leur cynisme, leur immobilisme ont été évalués comme à toute épreuve par le manipulateur politique. On peut compter sur eux pour que rien ne bouge et on leur remet la clé de la conservation de la biosphère. Un jour, l’écrivain Moshé Lewin posa la question : « 
Si quelqu’un, en présence d’un Hippopotame, déclare qu’il s’agit d’une Girafe, va-t-on lui confier une chaire de zoologie ? On peut lui répondre affirmativement. C’est plus ou moins ainsi qu’agit le système. A cette dérive hallucinante, s’ajoute celle bien identifiée du fameux Principe de Peter où, dans la sombre concurrence bureaucratique, les acteurs ont à atteindre leur respectif niveau d’incompétence.

En fait et dans son domaine,
l’écologisme est une rébellion de l’esprit critique contre toute forme d’abus de pouvoir.


L’énergie du désespoir

« 
L’homme est désespéré de faire partie d’un monde infini,
où il compte pour zéro.
 »
Ernest Renan

« 
Nous n’habitons plus la même planète que nos aïeux :
la leur était immense, la nôtre est petite.
 »
Bertrand de Jouvenel

Sommes-nous atteints du complexe de Noé (sauvetage irrationnel et intrinsèque des espèces), voire de sa phase secondaire, le dilemme de Noé (savoir qui sera mangé ) ? Si oui, c’est la contre-réaction aux attitudes induites par l’ « après moi le déluge » du laisser-aller ordinaire. Nous devrons plus que jamais gérer la biosphère avec prudence et circonspection, parce que nous y sommes condamnés, et chaque fois en plus grand nombre de colocataires d’une maison commune. Et les politiques devraient désormais agir en connaissance des implications écologiques. Tout simplement. Trop petite la planète ? Certainement ! Il pourrait rester une dernière chance pour la nature : 80 % de l'humanité sera citadine en 2025. Le tout est que ces 80 % des 8 milliards prévus en 2025 puissent laisser les lieux naturels aussi propres en sortant (2025 !) qu’ils les trouvèrent en entrant. Pour que les 20 % alors lâchés dans cette nature soldée soient aptes à garder la clé des champs. Si nous nous portons ce jour de 2004 au chevet des espèces menacées, nous constatons que près de 16.000 taxons animaux et végétaux sont en situation de précarité, essentiellement en raison du comportement destructeur de l’Homme. Quant aux taux d’extinctions actuels, ils sont entre cent et mille fois supérieurs à ce qu’ils seraient en posture de naturalité. 784 espèces emblématiques ont été portées disparues depuis l’an 1500 (Source : IUCN, 2004).


Des mots...

« 
Je ne comprends pas comment on peut qualifier de pédanterie
la connaissance des objets naturels ou le vocabulaire de la nature. 
»
Vladimir Nabokov

Pourquoi « des mots » ? Les métiers, les milieux sociaux, les régions ont leurs mots. Leurs mots à dire... Il en est des récalcitrants (le langage juridique...) ; il en est des incontournables car imposés par le dictat, vis-à-vis desquels toute résistance semble un vœu pieu (la web, ses anglicismes et son langage abscons...) ; il en est des doux, emplis de bonheur, des mots du pur savoir, d’autres « qui montent de la terre ». Nous avons décidé d’en faire partager le lecteur qui conviendra de leur pouvoir évocateur, voire descriptif, de leur concision qui fait que les éviter serait un manquement à toute bonne définition, de leur esthétique sémantique, de leur science et parfois aussi, avouons-le, de leur pédanterie inévitable. Quelques moments de grâce dans un monde amer... Pourquoi donc appliquer l’obscurantisme, ne pas les divulguer, ne pas sortir ces vocables de l’encyclopédie à l’usage du naturaliste, de l’écologiste (car l’écologue les connaît déjà...), de l’écotouriste ? Les TTM (termes techniques multiples) apparaissent comme essentiels dans la transmission des connaissances. Ils ne sont pas simplement des raccourcis mais ils véhiculent des concepts (gradient, phénomène) susceptibles de modification. La langue doit évoluer en fonction des sensibilités, des informations et de la complexité des connaissances à transmettre. Et les TTM ne manquent pas de poésie.

Choisir ses mots, c’est déjà choisir son monde. En conséquence, pas de panique...,
il y a un lexique en fin d’ouvrage !


Note à propos des noms vernaculaires cités

Les quelques noms vernaculaires marocains, surtout de plantes et parfois d’animaux, qui sont donnés tant en arabe qu’en dialectes berbères régionaux (tarifit, tamazight, tachelhit) nous sont connus du terrain ou ont été repris d’après divers manuels. Ils n’ont pas fait l’objet d’enquête ethnobotanique. Au Maghreb, les traditions et usages de nos jours encore bien vivants, ont tissé des liens très forts entre les Hommes et les plantes. Il en résulte une grande culture populaire pour la flore, laquelle est évidemment très décalée de celle du botaniste académique et de la rigoureuse systématique linnéenne ; elle est de plus inhérente à chaque région. Multiples et parfois phonétiquement proches, les noms populaires sont ainsi très difficiles à assembler, à ordonner et à attribuer. Ils ne sont donc signalés qu’à titre indicatif et couvrent le plus souvent plusieurs espèces affines. Le lecteur découvrant quelques imperfections ou attributions discutables devra faire preuve de compréhension.