« Qu’est-ce
que l’homme dans la nature ?
Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant,
un milieu entre rien et tout. »
Blaise Pascal
Pourquoi
ce livre ?
« Il
voyait trop, et voir est un aveuglement. »
Tristan Corbière
On
ne savait pas...
Lorsqu’en 1992, j’ai prospecté pour la première fois le
Maroc, je n’en possédais qu’une version d’image d’Épinal
divulguée par les catalogues : la splendeur des villes
impériales, les muezzins appelant à la prière, les souks
aux enivrants parfums d’épices, les fascinants (et très
contestables) charmeurs de Serpents de Marrakech, Tanger
« tourterelle sur l’épaule de l’Afrique »,
Essaouira l’ancienne Mogador, le charme langoureux des
palmeraies, la spiritualité du désert, la touchante
hospitalité des populations, le monde berbère et ses
traditions vivantes, les légendes interlopes du Rif, les
faux Touaregs et les faux guides... A ces stéréotypes du
marketing, venaient s’ajouter les données du naturaliste,
de l’entomologiste en particulier, avec une approche toute
livresque des milieux et de leurs biocénoses, du Rif, des
Atlas, du Sahara, de la cédraie, de l’arganeraie, des
univers steppiques..., tout un imaginaire exaltant. Ces
notions étaient certes teintées de quelques connotations
relatives à la dégradation d’écosystèmes et à l’extinction
déjà consommée de quelques espèces, comme il en est
désormais tous azimuts. Mais de là à imaginer ce que
j’allais découvrir, il y avait plus qu’un hiatus de
désinformation ! Autant pour ce qui concerne la
fabuleuse biodiversité de ce magnifique pays que pour ce
qui se rapporte à la présente destruction galopante dont il
est victime. Je ne savais pas...
Chercher l’erreur...
Le printemps marocain, correspondant au milieu de l’hiver
français, offre au visiteur superficiel une apparente
richesse de végétation d'autant plus plaisante qu'elle se
traduit par des floraisons massives et une remarquable
palette de couleurs qui drapent le sol et fait illusion,
notamment à la faveur d’hivers bien arrosés. C’est ainsi
que ma première traversée, précoce en saison, fut
éblouissante mais trompeuse sous l’effet de ce regain
féerique. Il me fallait attendre la fin du printemps pour
trouver l’erreur... C’est quand l’insolation commence à se
faire implacable, que la nature se déshabille de sa livrée
d’apparat, que les troupeaux s’apprêtent à monter du Sud et
à tondre les montagnes que le naturaliste reste pantois
devant l’hécatombe chaque fois recommencée, un coup de
grâce chaque fois mieux accompli et avec moins de restes.
Le cycle d'une première année a suffi pour me convaincre
des caractéristiques essentielles des pâturages
marocains : fragilité, fugacité, pauvreté. Et la règle
s’applique à la globalité des paysages naturels puisque,
autre singularité, voire aberration, tout et absolument
tout est pâturé dans les Pays du Maghreb.
On peut aisément lire la grande pauvreté des sols, souvent
même squelettiques et laissant apparaître la roche
sous-jacente. La végétation y est clairsemée et les
multiples sentes tracées sans répit par le piétinement des
troupeaux s'inscrivent sur la terre comme un réseau
irréversiblement stérile et sans cicatrisation possible.
Tout le bled revêt ce faciès en « peau de
panthère », avec une plus forte acuité en adret des
collines. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cet
aspect n’est pas celui d’une dotation écoclimatique mais il
correspond à un grave dysfonctionnement résultant d’un
usage exacerbé de l’activité pastorale. Le simple passage
du Col du Zad (Moyen Atlas) et la vision des montagnes
pelées qui servent d’écrin au Lac de Sidi-Ali, le spectacle
de ces ossatures de cédraies et de chênaies partout vidées
de leurs sous-bois, la découverte de l’arganeraie au sol
croûté, la contemplation avec commisération de la plus
grande formation à Chêne-liège qu’est la Maâmora,
architecture creuse et sans régénération, etc., ont pour
l’écologue un effet comparable à celui d’un électrochoc. Et
quand on parle un peu aux habitants, que l’on se documente
sur le passé, on apprend qu’il n’y a pas si longtemps,
quelques dizaines d’années, la plupart de ces sites étaient
encore verts et couverts.
Il y avait une erreur dans le beau dépliant d’exotisme de
proximité. Le cynisme aigu d’une telle réalité laisse
songeur tant la destruction est froidement consommée, avec
à l’horizon un avenir bien incertain, tant pour les
précieux écosystèmes sur le déclin que pour les Hommes dont
la vie quotidienne en est toute dépendante. Mais ceux-ci ne
peuvent s’offrir le luxe d’analyser et de pleurer misère,
tant il y a urgence à survivre au quotidien. Car le fossé
social se creuse, la disparité entre la ville et la
campagne devient impitoyable.
Ici comme ailleurs, Homo
sapiens
n’est pas toujours une espèce « protégée »...
L’objectif de l'écologie, c'est de comprendre le
fonctionnement des écosystèmes. Le devoir d’un écologue est
subséquemment de tenter d’informer le plus grand nombre de
colocataires de la Maison du Quaternaire des
dysfonctionnements et des pressions dont les formations
naturelles peuvent être victimes. La démarche s’inscrit
dans l’incontournable besoin d’inventaire du naturaliste,
un devoir de mémoire du citoyen du monde, avec à l’horizon
l’illusion un peu pathétique qu’un tel constat puisse
servir à recoller les morceaux.
Témoigner pour que l’on ne puisse plus dire :
« On ne savait
pas... »
A toutes fins utiles...
« Il est vrai
que l’homme peut être tenu pour responsable des atteintes
portées à l’environnement, des violations de ses lois et de
la dilapidation de ses richesses, du fait d’un comportement
excessif.
Il n’en reste pas moins que, mu par une volonté de
redressement et conscient de l’acuité du problème, l’homme
détient les clés du Salut entre les
mains. »
Feu S. M. Hassan II, colloque Environnement et
Développement, 1999.
« Pour nous,
croyants, l’Environnement est un problème de civilisation
et de foi, et la Nature, une création divine confiée à la
garde de l’homme, doué de conscience et de raison. La
Nature est le produit de plusieurs milliards d’années
d’évolution que l’inconscience de l’homme
dégrade. »
S. M. Mohammed VI, Rio de Janeiro, 1992
Sur une illustration savamment conçue par mon ami Jean
Delacre, essentiellement à partir de notre photothèque
commune mais aussi complétée par les clichés d’amis
naturalistes, je propose au lecteur écotouriste, écologue
ou écologiste, amis des paysages naturels, des plantes et
des animaux, aux esprits curieux ou épris des beautés du
Maghreb, une visite naturaliste que je crois originale, en
tous cas descriptive et critique des grands écosystèmes
terrestres marocains. Ils sont présentés dans le cadre de
paysages naturels, avec parfois des points de vue
protectionnistes partisans. La banalisation de ces
écosystèmes est analysée et les facteurs des dramatiques
éradications sont ouvertement dévoilés. Découvertes,
anecdotes, bioindication et problématiques du pays le plus
favorisé et contrasté du zonobiome méditerranéen émaillent
le chapitre de chacune des régions naturelles. C’est une
tentative d’un état des lieux du Maroc naturel. Les
écosystèmes marins ne sont pas pris en compte.
Chaque écorégion est le plus souvent abordée en deux
parties.
La première partie consiste en une découverte géographique,
écologique (phytocénose, zoocénose) et parfois sociale
(traditions usagères), précédée d’une étude de l’arbre et
de son histoire lorsqu’il s’agit d’un écosystème forestier.
La bioindication est largement développée au moyen des
Papillons diurnes comme grille de lecture et fil d’Ariane.
Solidaires à chaque écosystème, ils s’en avèrent être les
meilleurs marqueurs synécologiques.
La seconde partie est consacrée à exposer les polémiques
dorénavant liées à ces paysages : surexploitation
agropastorale (dont le surpâturage est la plus récurrente
des menaces), pression des activités touristiques, gestion
en général, inquiétudes en tous genres vis à vis des
risques majeurs que sont les agressions, les éradications,
les destructions irréversibles, le processus irrémédiable
de désertification et autres phénomènes propres aux Pays du
Maghreb, impliquant des milieux et des gens à l’avenir déjà
très hypothéqué. Le texte prétend faire le point sur les
aspects essentiels du sujet, avec un essai de mise à jour
documenté et assez exhaustif. En dehors de ma
spécialisation éco-entomologique, je n’ai fait qu’accomplir
un travail de journaliste, dans le bon sens du terme je
l’espère.
Si « tout » est abordé par le texte, le bon et le
mauvais, seulement quelques pans encore épargnés de la
nature sont présentés en image. Sauf exceptions. Montrer
l’insupportable serait de mauvais goût.
Je me suis permis ce réquisitoire sans concession sur les
causes de perdition du riche biopatrimoine marocain,
imaginant qu’un diagnostic pour une fois sans langue de
bois dans les commentaires servirait peut-être à réveiller
les consciences et les bonnes volontés. C’est aussi
pourquoi, quand la gestion d’un paysage en crise m’a paru
un tantinet démagogique, j’ai cru bon recourir à
l’hyperbole en guise de « réveil matin » !
Critique de nos critiques
« Un bon
écologiste, c'est un type qui voit loin
et qui a peu de foi dans le progrès, la science et la
technique. »
Jacques-Yves Cousteau
« Les idées ne
sont pas faites pour être pensées mais pour être
vécues. »
André Malraux
« Nous
en avons assez d’être les partisans
de causes plus petites que celle de l’Univers. »
Henry Grouès,
dit l’Abbé Pierre
« La pauvreté
est le plus redoutable des agents de
pollution. »
Indira Gandhi
« Depuis une
quinzaine d'années, l'ethnologue prend davantage conscience
que les problèmes posés par les préjugés raciaux reflètent
à l'échelle humaine un problème beaucoup plus vaste et dont
la solution est encore plus urgente : celui des rapports
entre l'homme et les autres espèces vivantes ; et il ne
servirait à rien de prétendre le résoudre sur le premier
plan si on ne s'attaquait pas aussi à lui sur l'autre, tant
il est vrai que le respect que nous souhaitons obtenir de
l'homme envers ses pareils n'est qu'un cas particulier du
respect qu'il devrait ressentir pour toutes les formes de
la vie. »
Claude Levi-Strauss
La présente perte planétaire de biodiversité par le saccage
des habitats et l’érosion des espèces qui en sont
tributaires, revêt le scénario d'un
épisode d'extinction massive. Certains
analystes fondés comparent le phénomène à une glaciation ou
à une catastrophe égale à celle de la fin du Crétacé (65
millions d’années). Rappelons qu’il s'est produit entre le
Crétacé et le Tertiaire, période où la vie proliférait, un
phénomène d'origine cosmique (la collision planétaire d’un
astéroïde étant l’hypothèse la plus souvent avancée) ayant
rendu le milieu totalement anoxique. La rupture de
nombreuses chaînes alimentaires engendra alors une
apocalypse écologique qui fut fatale à un très grand nombre
d’espèces, parmi lesquelles les Dinosaures. Un tel scénario
à solution finale se produirait présentement, mais cette
fois sous forme d’un écocide lent provoqué par les
égarements d’une fourmilière humaine rendue maîtresse
tyrannique de la planète à force
d’ « intelligence ». Ce n’est peut-être pas
un postulat trop osé... Bien des preuves irréfutables sont
engrangées pour étayer cette théorie extrême. Vivre en
catastrophe n’empêche pourtant pas certains de continuer
impassiblement à vaquer à leurs occupations, à consommer, à
stocker. Fatalisme suicidaire ? Incrédulité face à
l’énormité d’une prophétie jugée affabulatrice ?
Égoïsme d’une extrême inconscience ? Réponse presque
unanime par un « Seul je ne
peux de toute façon rien
changer... ! »
D’autres s’en inquiètent, un peu, beaucoup, passionnément.
L’écoconscience est-elle un écocentrisme ? Les verts
sont-ils les écofascistes d’un nouveau type ?
L’écologisme est-il un romantisme aux tendances
autoritaires et contradictoires ? Les écolos sont-ils
en proie à une exaltation et à une fétichisation
naturaliste ? Les protectionnistes sont-ils des
prophètes de la panique, de l’alarmisme, du
catastrophisme ? Le développement durable est-il une
imposture, une démagogie verte ? Etc. Autant de
questions qui surgissent des critiques de certains, du
principe de défiance de quelques autres, voire de
railleries communes. Ces objections à nos critiques et au
salutaire combat pour le respect du vivant proviennent
généralement d’un tissu social dont l’univers de proximité
n’est pas encore menacé par la politique de la terre brûlée
et qui dans le plus total cynisme cherche à protéger
quelques privilèges bientôt au bord du gouffre. Il est donc
intéressant de noter que les blâmes trouvent toutes leurs
résonances dans la classe la plus responsable du cynisme
ambiant et de la disparité sociale, que les diatribes sont
le fait de détracteurs n’opposant pas la moindre objection
aux exactions des compagnies qui tendent à scalper
l’Amazonie, à trouer l’Alaska ou à dénaturer le Maghreb.
Plutôt que de répondre à ces questions, à ces doutes, à ces
critiques, par « la bonne
parole de l’Homme de bonne
volonté », les
écologistes ont la manifeste tendance à former des cercles,
à se replier en clans, à se réunir en chapelles, à recourir
à un code ésotérique, à une rhétorique amphigourique dont
l’usage se résume à ne convaincre que des convaincus.
L’humanisme naturaliste devient alors force politique à
effet nul, avec le risque sectaire de se mentir à lui-même
pour la seule autosatisfaction, quand ce n’est pas de
l’autoflagellation. C’est une dérive.
Qu’il soit taxé de naïf ou d’extrémiste, d’idéaliste ou
d’intolérant, d’exalté ou de réactionnaire, ce qu’on
reproche finalement à l’écologiste serait une ingratitude
aveugle. On lui fait le procès d’intention d’être
insensible aux problèmes de grande pauvreté et de
s’émouvoir sur l’éradication d’un végétal, d’évaluer le
degré de naturalité bien au-delà de la valeur humanitaire.
Il n’a pourtant jamais été du propos d’aucun
écolo-conservationniste d’extraire l’Homme de la biosphère,
de tomber en pâmoison devant une espèce rare dont un dictat
conservatoire engendrerait une famine. C’est prétendre à
une perverse esthétique qui confinerait au romantisme nazi
de quelques « khmers verts ». Que l’on prenne garde,
il peut en exister en ces temps de djihads bellicistes à
trois cent soixante degrés ! Mais jeter l’anathème sur
l’écologiste ordinaire en estimant que sa préoccupation
serait doublée du dédain pour la misère humaine est
d’autant un mauvais procès que cette pauvreté est
étroitement corrélée à la détérioration de l’environnement.
Ce sont les plus démunis qui subissent de plein fouet les
effets de la dégradation du capital naturel, de
l’épuisement des ressources et bientôt d’une mondialisation
dont ils sont la cinquième roue de la charrette. Pas plus
que le quart-monde n’a le moindre contrôle de ce que les
transnationales mettent dans son assiette occidentale
(autre débat...), le tiers-monde n’a pas toujours les
moyens de s’abstenir d’une moindre prédation pour sa survie
journalière.
Pauvreté et dégradation de l'environnement sont des
phénomènes à rétroaction positive, à savoir que les
conséquences de l'une rendent l'autre inévitable. Quand on
parle de sauvegarder le biopatrimoine, le souci humanitaire
est toujours en contrepoint. Aucune
déontologie verte ne peut nous faire négliger l'éthique
envers notre propre espèce, particulièrement envers ceux
qui n’ont voix au chapitre. Il n’est nulle question de
soustraire cette dernière pousse comestible que coupe la
mère s’il s’agit de nourrir son enfant. Même si nous
faisons l’éloge de la Nature et condamnons la civilisation,
même si nous mettons une majuscule à « Nature »
et une minuscule à « humain » parce que le second
est champion dans l’art de décevoir mais que la première
tient toujours ses promesses et ses floraisons... La
précarité sans cesse plus nombreuse, sans cesse
marginalisée davantage et rejetée en périphérie des
métropoles exerce une pression sans commun rapport avec la
capacité du support naturel. Ce dont les classes
privilégiées peuvent le plus souvent s’épargner, ayant
d’ailleurs pour la plupart de leurs représentants perdus
tout contact avec le moindre écosystème puisque
« survivant luxueusement bunkérisés » en système
calfeutré. On court l’inévitable risque de voir détruire
des milieux fragiles parce qu'on n'a pas su assurer le
nécessaire à des populations démunies, comme par exemple au
sein de l’arganeraie marocaine ou d’une Maâmora jouxtant la
capitale.
Non, l’écologisme – même maladroit – n’est pas un démon à
exorciser. L’accusation de se détourner de l’humanité en
cherchant à sauvegarder une biocénose ou à ralentir le
dépérissement d’une forêt est ainsi fallacieuse. Si elle
s’avérait exacte, ce serait un reproche fait à l’endroit
d’une idéologie, d’un dogmatisme.
Mais l’écologisme est un humanisme naturaliste, non une
révélation ! Et l’écologie
qui ne se préoccupe que de comprendre les écosystèmes est
une science. Point.
L’effet placebo
« Le mépris
des hommes est fréquent chez les politiques, mais
confidentiel. »
André Malraux
« Summum jus,
summa injuria. »
(« Comble du
droit, comble de l’injustice. »)
Cicéron
Les protecteurs de la nature savent que la réalité ne se
pliera pas aux constructions intellectuelles de leur
modèle, si légitime soit-il, car la réalité est tout en
nuances et c'est ce que la science écologique leur apprend.
En prétendant à
une connivence entre équipement et
environnement, les défenseurs
de cet environnement souhaitent seulement contrecarrer les
abus incompatibles pour contribuer à conserver le milieu le
plus indemne possible comme cadre de vie, et le maintien
d’un niveau de ressources conciliable avec le futur. Tels
sont les vœux du développement durable et autres louables
suggestions de gestion viable.
Protéger la nature est un noble idéal et cet idéal passe
par la colère. Colère
initiale de s’affronter en amont à une hostilité souvent
étatique à l’endroit de principes légitimes, colère de
constater que l’on pouvait aisément faire autrement et sans
dégât, mais qu’on ne l’a pas fait, ou pire - parce que pas
très malins - on a fait semblant de faire pour ménager la
Chèvre et le Chou. Et que quand c’est fini ça recommence.
Déconvenue, désanchantement de s’apercevoir que tous les
thèmes débattus et rebattus lors d’infinis discours et
conférences ne soient jamais mis en oeuvre, qu’ils ne sont
que de vaines promesses, des effets de manches et
d’annonces, et que les partisans d’un profit extorqué au
détriment des valeurs pérennes et de l’avenir du genre
humain y répondent par une glaciale indifférence. Face à
d’éternelles priorités, l’application des mesures et leur
efficacité restent l’exception. Les écoconscients se
fâchent lorsque le politique fourbe fait de ce thème
essentiel une poule aux oeufs démagogiques et roule une
fois de plus les citoyens dans la farine. Il y aurait donc
encore assez de Couleuvres pour nous en faire avaler ?
Il n’est de cesse de surprendre les détournements et les
récupérations éhontées du souhait de gestion supportable, à
des fins strictement vénales ou électorales : conservation
trompe-l’œil dont les mesures « ne mangent pas de
pain », législations cosmétiques, ersatz de réserves
naturelles, et autres poudres aux yeux et effets placebo.
Le citoyen qui va en payer très cher les préjudices
comprend parfaitement que l’on puisse se préoccuper du
devenir de la forêt, des Rapaces, du sol, de l’eau, de
l’air, notamment la jeunesse, et plus qu’il n’y parait en
zone rurale. Mais bien des décideurs s’acharnent à semer le
trouble en arguant des sempiternels impératifs de progrès
trompeur, de droit à la modernité, de production et de
quotas incontournables, le tout générateur de créations
d’emplois. Ces alibis président toujours à un saccage
obligé dont la finalité non avouée reste l’attrait du gain
sans souci des conséquences. Et puis les commis d’état ne
sont pas innocemment choisis par un certain pouvoir, ils ne
sont pas sélectionnés pour leur esprit militant et sont mis
en place pour la galerie. Leur stoïcisme, leur cynisme,
leur immobilisme ont été évalués comme à toute épreuve par
le manipulateur politique. On peut compter sur eux pour que
rien ne bouge et on leur remet la clé de la conservation de
la biosphère. Un jour, l’écrivain Moshé Lewin posa la
question : « Si
quelqu’un, en présence d’un Hippopotame, déclare qu’il
s’agit d’une Girafe, va-t-on lui confier une chaire de
zoologie ? On peut lui
répondre affirmativement. C’est plus ou moins ainsi qu’agit
le système. A cette dérive hallucinante, s’ajoute celle
bien identifiée du fameux Principe de Peter où, dans la
sombre concurrence bureaucratique, les acteurs ont à
atteindre leur respectif niveau d’incompétence.
En fait et dans son domaine,
l’écologisme est une rébellion de l’esprit critique contre
toute forme d’abus de pouvoir.
L’énergie du désespoir
« L’homme est
désespéré de faire partie d’un monde infini,
où il compte pour zéro. »
Ernest Renan
« Nous
n’habitons plus la même planète que nos aïeux :
la leur était immense, la nôtre est
petite. »
Bertrand de Jouvenel
Sommes-nous atteints du complexe de Noé (sauvetage
irrationnel et intrinsèque des espèces), voire de sa phase
secondaire, le dilemme de Noé (savoir qui sera
mangé ) ? Si oui, c’est la contre-réaction aux
attitudes induites par l’ « après moi le
déluge » du laisser-aller ordinaire. Nous devrons plus
que jamais gérer la biosphère avec prudence et
circonspection, parce que nous y sommes condamnés, et
chaque fois en plus grand nombre de colocataires d’une
maison commune. Et les politiques devraient désormais agir
en connaissance des implications écologiques. Tout
simplement. Trop petite la planète ?
Certainement ! Il pourrait rester une dernière chance
pour la nature : 80 % de l'humanité sera citadine en
2025. Le tout est que ces 80 % des 8 milliards prévus en
2025 puissent laisser les lieux naturels aussi propres en
sortant (2025 !) qu’ils les trouvèrent en entrant.
Pour que les 20 % alors lâchés dans cette nature soldée
soient aptes à garder la clé des champs. Si nous nous
portons ce jour de 2004 au chevet des espèces menacées,
nous constatons que près de 16.000 taxons animaux et
végétaux sont en situation de précarité, essentiellement en
raison du comportement destructeur de l’Homme. Quant aux
taux d’extinctions actuels, ils sont entre cent et mille
fois supérieurs à ce qu’ils seraient en posture de
naturalité. 784 espèces emblématiques ont été portées
disparues depuis l’an 1500 (Source : IUCN, 2004).
Des mots...
« Je ne
comprends pas comment on peut qualifier de pédanterie
la connaissance des objets naturels ou le vocabulaire de la
nature. »
Vladimir Nabokov
Pourquoi « des mots » ? Les métiers, les
milieux sociaux, les régions ont leurs mots. Leurs mots à
dire... Il en est des récalcitrants (le langage
juridique...) ; il en est des incontournables car
imposés par le dictat, vis-à-vis desquels toute résistance
semble un vœu pieu (la web, ses anglicismes et son langage
abscons...) ; il en est des doux, emplis de bonheur,
des mots du pur savoir, d’autres « qui montent de la
terre ». Nous avons décidé d’en faire partager le
lecteur qui conviendra de leur pouvoir évocateur, voire
descriptif, de leur concision qui fait que les éviter
serait un manquement à toute bonne définition, de leur
esthétique sémantique, de leur science et parfois aussi,
avouons-le, de leur pédanterie inévitable. Quelques moments
de grâce dans un monde amer... Pourquoi donc appliquer
l’obscurantisme, ne pas les divulguer, ne pas sortir ces
vocables de l’encyclopédie à l’usage du naturaliste, de
l’écologiste (car l’écologue les connaît déjà...), de
l’écotouriste ? Les TTM (termes techniques multiples)
apparaissent comme essentiels dans la transmission des
connaissances. Ils ne sont pas simplement des raccourcis
mais ils véhiculent des concepts (gradient, phénomène)
susceptibles de modification. La langue doit évoluer en
fonction des sensibilités, des informations et de la
complexité des connaissances à transmettre. Et les TTM ne
manquent pas de poésie.
Choisir ses mots, c’est déjà choisir son monde. En
conséquence, pas de panique...,
il y a un lexique en fin d’ouvrage !
Note à propos des noms vernaculaires cités
Les quelques noms vernaculaires marocains, surtout de
plantes et parfois d’animaux, qui sont donnés tant en arabe
qu’en dialectes berbères régionaux (tarifit, tamazight,
tachelhit) nous sont connus du terrain ou ont été repris
d’après divers manuels. Ils n’ont pas fait l’objet
d’enquête ethnobotanique. Au Maghreb, les traditions et
usages de nos jours encore bien vivants, ont tissé des
liens très forts entre les Hommes et les plantes. Il en
résulte une grande culture populaire pour la flore,
laquelle est évidemment très décalée de celle du botaniste
académique et de la rigoureuse systématique
linnéenne ; elle est de plus inhérente à chaque
région. Multiples et parfois phonétiquement proches, les
noms populaires sont ainsi très difficiles à assembler, à
ordonner et à attribuer. Ils ne sont donc signalés qu’à
titre indicatif et couvrent le plus souvent plusieurs
espèces affines. Le lecteur découvrant quelques
imperfections ou attributions discutables devra faire
preuve de compréhension.