Le Maroc « grandeur nature »
« J’aime ce Pays parce que
les frontières y sont des fleurs. »
Colette
Nature et découvertes
Terre de
contact, montagneuse, méditerranéenne à influences
océanique et saharienne, véritable interface entre l’Europe
et l’Afrique, le Maroc est le plus favorisé des pays de la
Méditerranée occidentale. Avantageusement îloté entre
l’Océan atlantique, le Sahara, les hauts plateaux orientaux
et la Méditerranée, ce Maghreb extrême offre une très
grande variété d’écoclimats, accentuée par les barrières
élevées de ses reliefs. Des hautes masses forestières
humides aux ergs sahariens brûlants, de la frange océanique
avec ses résonances macaronésiennes aux hautes terres
arides de l’Oriental couvertes de nappes alfatières, en
passant par le Djebel Toubkal, toit de l’Afrique du Nord
conservant encore des refuges boréo-alpins, c’est une
fabuleuse mosaïque de diversité bioécologique, avec
certains écosystèmes uniques au seul Maroc. Vieux théâtre
de brassage des faunes européenne et éthiopienne durant le
Tertiaire, l’histoire paléontologique atteste de sa grande
variété spécifique de végétaux et d’animaux.
Une flore de 7000 espèces végétales (incluant les Algues,
les Champignons supérieurs, les Lichens, les mousses et les
Fougères), dont 4500 espèces de plantes vasculaires
phanérogames et un millier d’endémiques et subendémiques,
106 espèces de Mammifères, 335 d’Oiseaux, plus d’une
centaine de Reptiles et d’Amphibiens dont un quart sont
endémiques, un nombre évidemment considérable d’Invertébrés
comportant une forte représentation indigène, toutes
espèces aux origines biogéographiques variées et installées
au fil d’un long calendrier géologique, ont pris place dans
l’ample capacité d’accueil d’un dédale d’habitats
diversifiés. Mais parler de biodiversité en se contentant
d’exprimer les palettes spécifiques, plus ou moins
complètement connues, des mondes végétal et animal serait
réducteur. Parler de biodiversité, c’est manifestement
aussi mettre en exergue l’aspect génétique qui se
concrétise par les différences entre les individus et les
évolutions intraspécifiques entre les populations. C’est le
domaine de la taxonomie évolutive décrivant les phénomènes
de la spéciation à partir de la hiérarchie subjective des
formes intermédiaires (infraspécifiques, subspécifiques et
infrasubspécifiques). Traiter de biodiversité, c’est
essentiellement chercher à catégoriser toutes les figures
écosystémiques formées par le milieu que sont les niches,
les biotopes, les habitats et les biocénoses (communautés
végétales et animales). C’est enfin apercevoir les
écorégions ou écocomplexes comme entités globales,
c’est-à-dire comme des mosaïques paysagères enveloppant
maints écosystèmes qui s’emboîtent. Et c’est ne pas oublier
la biodiversité culturelle dont les traditions et la
gestion des ressources ont contribué à façonner l’ensemble.
Vaste programme !
Face aux menaces de risques majeurs dont les effets
drastiques sont hélas parfaitement documentés, l’une des
obsessions contemporaines doit être la préservation et la
valorisation coûte que coûte de cette inestimable
biodiversité toutes catégories comprises et héritées du
passé. Comme elle représente la plus fiable assurance de
pérennisation et de stabilité vis-à-vis des aléas de
changements globaux dont l’aspect chaotique n’échappe à
personne, cette politique verte devrait être élevée au rang
de mission impérative :
plus la nature témoignera de potentialité et de résilience,
moins les agressions d’où qu’elles viennent auront
d’emprise sur les besoins. Ce postulat volontariste demande
de réviser des notions qui opposent erronément et depuis
trop longtemps culture et nature, comme s’il fallait mettre
à bas le biopatrimoine pour s’affranchir du progrès. Pure
folie !
Mémoire des écosystèmes du Maroc
« Nous devons apprendre à
respecter la vie sous toutes ses formes :
il ne faut détruire sans raison aucune de ces herbes,
aucune de ces fleurs,
aucun de ces animaux qui sont tous, eux aussi, des
créatures de Dieu. »
Théodore Monod
Un
modèle écosystémique inclus les relations trophiques,
l’influence des facteurs abiotiques et biotiques, dans un
tissu dynamique de dépendance. Strictement appréciés sur
leurs valeurs végétales, les écosystèmes ici énumérés le
sont sans mention ni évocation de la zoocénose
correspondante. Elle est par contre bien exposée au cœur de
l’ouvrage, dans les dix chapitres des écorégions amplement
analysées.
Les écosystèmes forestiers et présteppiques
Les écosystèmes les plus notables sont souvent identifiés
par une phytocénose organisée par les essences
arborescentes, ce sont les écosystèmes forestiers, parfois
très intriqués les uns aux autres.
Le domaine forestier marocain est l’élément fondateur de la
richesse écologique du pays. Abritant les deux tiers des
plantes et un bon tiers des espèces animales, les
différents types de forêts représentent les écosystèmes
insignes puisqu’en leurs seins s’élaborent les grands
cycles de l’eau, ressource parmi les plus précieuses de
toutes. La forêt marocaine sensu lato
s’étend sur une
superficie d’environ 9 millions d’hectares dont 4,5
millions d’hectares de forêts et de matorrals, 3 millions
d’hectares de nappes alfatières, 1 million d’hectares
d’Acacias sahariens et 0,5 million d’hectares de
reboisement. Le taux du reboisement est au Maroc de l’ordre
de 9 %, soit un taux inférieur à l’optimum qui se situe
entre 15 et 20 %.
L’importance du couvert forestier distingue le Maroc des
autres pays de l’Afrique du Nord et les phases de
l’histoire marocaine ont été agrémentées d’une large
exploitation de sa masse forestière. Essentiellement
identifiée par des xérophytes de lumière, la biodiversité
forestière montre une très grande hétérogénéité d’essences,
de structures et d’étagements, toutes combinaisons
résultant tant du milieu physique que de l’action humaine.
L’économie rurale et spécialement montagnarde, reste
fortement tributaire des revenus liés à la forêt (parcours
pastoraux, dendroénergie) et c’est là une inquiétude
nationale quand on sait que ce bien nécessaire est
désormais en grave déséquilibre par un manque de
régénération et l’épuisement des sols. Le caractère insigne
de cette potentialité forestière n’apparaît pas uniquement
au niveau des agrégats macroéconomiques classiques mais de
pair au niveau de l’équilibre environnemental par la
protection des ressources essentielles et du réservoir
génétique, la sauvegarde des activités agricoles, la lutte
contre l’envasement des barrages et les efforts pour
ralentir la désertification (ceinture verte), etc.
La sapinière est agencée par le Sapin du Maroc et
représente moins de 4000 ha très localisés sur les sommets
et les hauts versants du Rif occidental. C’est un
écosystème encore dynamique et dont la conservation est
estimée bonne.
La cédraie, façonnée par le Cèdre de l’Atlas, se développe
dans les variantes fraîches à extrêmement froides des
bioclimats subhumide, humide et perhumide du Maroc
septentrional (Rif, Moyen Atlas et Haut Atlas oriental) et
couvre 130.000 ha. Quand elle est bien conservée, elle
représente les plus beaux paysages forestiers du Maroc.
La tétraclinaie est individualisée par le Thuya de Barbarie
qui se manifeste surtout dans le Sud-Ouest, sur le Plateau
central et dans certains secteurs de l’Oriental. C’est l’un
des écosystèmes les plus étendus puisqu’il couvre, de façon
très éparse, quelques 600.000 ha liés aux variantes chaudes
et tempérées du domaine semi-aride. Sa conservation est
très variable selon les régions, de moyenne à très
dégradée.
La cupressaie est une formation présteppique de montagne,
dont le Cyprès de l’Atlas est un endémique marocain, unique
représentant naturel du genre. Elle est confinée dans un
seul secteur du Haut Atlas occidental dont l’étendue
n’excède pas 5000 ha, assez dégradée et infiltrée de
Genévrier rouge, de Genévrier oxycèdre, de Thuya de
Berbérie ou de Chêne vert.
La thuriféraie est l’écosystème forestier marocain de plus
grande rudesse. Le Genévrier thurifère qui l’organise se
manifeste avec robustesse en perspective sommitale du Moyen
Atlas plissé et de la portion centro-orientale du Haut
Atlas. Sauf spécimens isolés, cet arbre majestueux, partout
en dépérissement ou éteint, ne forme plus que des forêts
mortes.
La juniperaie rouge continentale, composée par le Génévrier
rouge (ou de Phénicie), colonise les adrets présteppiques
des trois Atlas et se développe dans des conditions
écologiques très ouvertes. Elle est généralement dégradée,
voire éteinte.
L’oxycédraie occupe, notamment dans le Haut Atlas, des
chênaies vertes dégradées et le Genévrier oxycèdre ne forme
qu’une ébauche d’écosystème préforestier mal défini. Il en
est de même du Genévrier commun, quant à lui très rare au
Maroc.
Les pineraies (ou pinèdes), quand elles sont spontanées,
sont ordonnées par le Pin d’Alep, les Pins maritimes de
montagne du Maroc et celui ibérique, plus rarement par le
Pin noir d’Afrique du Nord, les deux dernières essences ne
se manifestant qu’à l’ouest du Rif. A ces populations
naturelles s’ajoutent des superficies de boisements
artificiels. Ces pineraies sont généralement assez bien
conservées, localement dégradées.
La chênaie verte qui, avec 1.400.000 ha, occupe un bon
quart de la masse forestière marocaine, est mise en place
par une espèce de Chêne sclérophylle très plastique et
propre à la Méditerranée occidentale (Quercus
rotundifolia), dans les plaines et les
montagnes calcaires et siliceuses. Ce Chêne établit des
écosystèmes forestiers, préforestiers et présteppiques à
presque tous les étages depuis le thermoméditerranéen en
association avec des espèces thermophiles, jusqu’au sévère
montagnard méditerranéen, voire l’oroméditerranéen où la
chênaie verte se rencontre alors en immixtion avec le
Thurifère. Attestant rarement une bonne conservation, elle
apparaît surtout sous son aspect arbustif, en taillis
pluristratifiés et rares sont les vétérans de 20 ou 25 m de
haut. Sa concurrence est grande avec les autres Chênes, les
Pins, le Cèdre et le Thuya.
La suberaie qui, sauf quelques exceptions, se cantonne au
nord-ouest du pays, est agencée par le Chêne-liège et
s’étend sur 350.000 ha de plaines et de basses montagnes
siliceuses. Cette forêt à visage humain est rarement bien
conservée car trop exploitée, le plus souvent fortement
dégradée, voire fossilisée et exempte de régénération.
La zénaie est le peuplement d’un Chêne caducifolié, le
Chêne zène, qui se développe depuis le niveau de la mer
jusqu’à 1800 m sur des sols frais et profonds du Rif et du
Moyen Atlas. La zénaie est généralement intriquée à
d’autres formations forestières.
La tauzaie est l’écosystème de l’autre Chêne à feuilles
caduques du Maroc, le Chêne tauzin, lequel n’élabore sa
formation que dans les montagnes centro-occidentales du
Rif, sur sol siliceux des zones humides et perhumides. La
tauzaie contacte très souvent la zénaie, voir la suberaie
ou la chênaie verte, se fourvoie parfois aux limites de la
cédraie. Elle peut aussi se manifester sous une strate
arbustive composée de drageons de moins d’un mètre,
excluant alors toute concurrence végétale. La tauzaie jouit
d’une assez bonne conservation.
La cocciféraie, très résiduelle au Maroc et limitée à
quelques zones septentrionales, est conceptualisée par le
Chêne kermès et se manifeste en garrigue ou se trouve
subordonnée à d’autres essences. Sauf quelques rares îlots
ou figures maraboutiques, la cocciféraie marocaine est
quasiment éteinte.
L’arganeraie, forêt claire affine à la steppe arborée, est
la formation à Arganier qui structure la physionomie et
organise l’économie de l’essentiel du Sud-Ouest marocain du
secteur du Souss, sur le littoral et en montagne, cultivée
ou non, généralement en liaison avec l’inframéditerranéen.
Avec bien des espèces compagnes, l’Arganier contribue à la
définition du secteur macaronésien, désignant sur la façade
atlantique du Souss et de l’Anti-Atlas occidental des
affinités singulières avec les Iles Canaries. Cet
écosystème multi-usage, aussi remarquable qu’endémique, est
en crise et le plus souvent dénaturé. De 1.500.000 ha il y
a un siècle, la surface de l’arganeraie s’est effondrée à
800.000 ha.
La pistaciaie à Pistachier de l’Atlas (forêt claire
de betoum)
et la cératoniaie à Caroubier connaissent des destins
variables, la première n’ayant franchi les temps récents
qu’à la faveur de refuges maraboutiques mais semblant
dorénavant bénéficier d’une réinstallation naturelle
potentielle en vertu d’un programme de mises en défends.
L’oléastraie est conçue par l’Olivier sauvage et participe
à des écosystèmes secondaires auxquels peuvent se mêler le
Lentisque, le Tizra, les Phillaires, le Palmier nain, etc.
L’Olivier sauvage se manifeste également dans les
tétraclinaies et les chênaies sclérophylles.
La rétamaie à Retama
dasycarpa et l’adénocarpaie à
Adenocarpus
anagyrifolius, deux Légumineuses arbustives
endémiques, interviennent surtout dans les vallées
intérieures du Haut Atlas.
Le matorral est une haute formation ligneuse du type maquis
et dérivant de la forêt. Il peut se présenter dense et en
brosse, troué ou clair, élevé ou moyen, dans les étages
semi-aride, subhumide ou humide, sous les formes
suivantes : l’arbouseraie à Arbousier, la cistaie à
Cistes variés, la chaméropaie à doum
(Palmier nain), la
lavandaie, la rosmarinaie, le matorral à Lentisque, à
Phillaires, à Myrte, à Bruyères diverses, à Genets, à
Adénocarpe, etc.
La garrigue procède par dégradation du matorral et sa
configuration est celle de ligneux de moindre hauteur comme
les Thyms.
Souvent sylvatique ou illustrant un stade de dégradation
des formations arborées, résultat du modelage de la forêt
par l’Homme, la prairie dont le stade optimal dépasse le
mètre est d’une présence discrète dans le nord du Maroc.
Elle ne peut évidemment se développer qu’en vertu d’une
charge très légère du bétail. Il est donc plus judicieux de
parler, sur cette rive du zonobiome méditerranéen, de
pelouse qui est une formation herbacée rase. Sa place est
importante car les espèces annuelles s’y illustrent
majoritairement et le taux d’endémisme y est élevé. Il en
existe de nombreuses variantes selon les bioclimats :
pelouses à Andropogonées vivaces, pelouses graminéennes,
pelouses à Légumineuses, pelouses silicoles, pelouses à
thérophytes pionnières, etc.
Les écosystèmes steppiques (montagnards et sahariens)
La steppe est une formation ligneuse non issue de la forêt.
La steppe à Alfa est structurée en nappes et les touffes de
cette grande Graminée vivace et emblématique de l’aride
s’étendent le plus souvent à perte de vue. Elle se
développe sur des sols bien drainés et le plus souvent sous
une forme climacique. Son occupation est de l’ordre de 3
millions d’ha, majoritairement dans l’Oriental. Très
variable, son état est sous la plus totale dépendance du
pastoralisme qui en use et en abuse.
La steppe à Armoises (plusieurs espèces), pareillement
organisée en nappes sur les hauts plateaux, se localise aux
confins de celle à Alfa. L’appétence du cheptel pour cette
plante rend les peuplements encore plus vulnérables que
ceux à Alfa.
La xérophytaie est une steppe froide du niveau altimontain
qui est agencée par des xérophytes épineux en coussins
relevant de plusieurs familles. Cet écosystème des
« zones de combat » coiffe souvent la
thuriféraie.
D’autres formations écosystémiques plus discrètes
interviennent, notamment des groupements rupicoles au
niveau des canyons, des ravins, des glacis, des éboulis
mouvants ou culminaux et autres facies de la haute
montagne, sans omettre les pelouses rases sur colluvions
argileuses, suintantes et écorchées, somme toute assez
rares dans les Atlas.
Les acaciaies sont ordonnées : par le Gommier du Maroc
dans l’aride et le semi-aride chaud et tempéré de l’univers
de l’arganeraie et jusqu’à l’intérieur dans la région de
Marrakech ; dans le Maroc saharien par
Acacia
raddiana en savanes désertiques et
par A.
ehrenbergiana en figures plus localisées. Si
le Gommier du Maroc est au bord de l’extinction, la
situation des acaciaies franchement sahariennes est jugée
acceptable.
La formation à Jujubier est une figure assez constante,
parfois présteppique et même préforestière, dans certains
paysages du Sud marocain mais aussi en cordon des espaces
culturaux du Nord. Sa classification est difficile mais son
importance écologique est réelle.
La steppe à Séneçons et/ou Euphorbes cactoïdes est une
formation arborée macaronésienne de l’inframéditerranéen
aride et du désert océanique.
D’autres écosystèmes à structures arborées peuvent
coloniser la steppe désertique : la balanitaie à
Balanite, la rhussaie à Sumac à trois feuilles, la maeruaie
à Maerua
crassifolia, la steppe à
tawarza
(Calotropis
procera), celle à Anabase, etc.
Les immensités caillouteuses des regs recèlent des
écosystèmes rudimentaires et subtils, à recouvrement plus
ou moins lâches, organisés par des chaméphytes qui dans les
dépressions s’interpénètrent avec les formations
sahariennes arborées.
Les écosystèmes spécialisés
Les dunes maritimes reçoivent : la juniperaie rouge
côtière ; des formations vestigiales à Lentisque
et Phillyrea
latifolia ; l’ammophilaie à
Ammophile des sables (Roseau des sables ou Jonc des dunes),
Graminée vivace en cordon littoral parallèle au
rivage ; le groupement buissonneux à
Traganum
moquini de l’inframéditerranéen du
littoral atlantique (depuis Essaouira jusqu’à Tan-Tan).
Les dunes continentales sahariennes peuvent être investies
par un tapis de recouvrement variable où
Calligonum
comosum, arbuste jonciforme, et
Aristida
pungens (drinn), grande Graminée
rigide, sont prééminents, en association avec quelques
autres espèces déserticoles.
Les zones humides continentales conservent enfin leurs
propres écosystèmes, agrémentés d’une forte biodiversité
floristique et faunistique. Il s’agit des ripisylves
arborescentes (forêts riveraines) à Frêne oxyphylle, à
Peupliers blanc et noir, à Saules divers, à Noyer
(d’origine anthropique), à Laurier-rose, à Alisier
torminal, à Gattilier (Arbre au poivre), etc. ; plus
exceptionnellement à Aulne, à Bouleau verruqueux et à
Laurier du Portugal ; dans le Sud à Tamaris divers et
à Palmier dattier. Les zones humides douces ou saumâtres
engendrent aussi une variété d’écosystèmes à herbacées
spécialisées et des phytocénoses dominées par de grandes
herbes, les embouchures et les lagunes, avec les roselières
à Phragmites, les tourbières et les pozzines d’altitude,
les mares éphémères, les lacs, ainsi que des types de
végétation submergée. Il s’y manifeste une forte production
d’Algues et de plancton constituant le premier échelon de
la pyramide trophique en eau douce. Les cours d’eau froids
de haute montagne hébergent aussi une intéressante
biocénose. Liées aux salins, les sansouires à Salicornes
buissonnantes et d’autres écosystèmes à halophytes sont
très particuliers.
Les écosystèmes agraires (agro-écosystèmes)
L’oasis est un écosystème spontané par une irrigation
résultant d’un aménagement anthropogène, généralement garni
de palmiers dattiers et de cultures vivrières.
L’erme cultivée est une formation herbacée basse à rythme
saisonnier marqué. En déprise, elle devient buissonneuse ou
arborée.
D’autres systèmes d’agriculture traditionnelle sont
développés au Maroc depuis toujours, notamment dans les
collines rifaines et les hautes vallées du Grand
Atlas : cultures vivrières et notamment céréalières,
Légumineuses alimentaires et fourragères, arboriculture,
plantes aromatiques, etc. Ces modes culturaux n’utilisant
que peu d’intrants et encore moins de biocides, ils ne
répercutent aucun effet nocif sur l’environnement et
participent au maintien de plantes autochtones en tolérant
les mauvaises herbes pour l’affouragement du bétail. Ils
servent d’habitat à toute une faunule rudérale de petits
Mammifères, d’Oiseaux, d’Amphibiens, de Reptiles et un
microcosme entomologique du plus haut intérêt, que vient
dynamiser le système traditionnel d’irrigation. Cette
agriculture protège enfin une précieuse pédofaune dont
l’incroyable taux d’organismes représente 80 % de la
biodiversité animale et se subdivise en microfaune
(Protozoaires, Métazoaires vermiformes, Nématopodes et
autres groupes évoluant dans l’eau interstitielle du sol),
en mésofaune (Invertébrés Acariens, Collemboles,
Pseudoscorpions, Protoures, Diploures, modestes Myriapodes,
etc.) et en macrofaune (animaux entre 4 et 80 mm,
essentiellement Invertébrés, Hyménoptères formicidés,
Orthoptères, Coléoptères et autres Insectes avec leurs
stades larvaires, Arthropodes Arachnides et Crustacés tels
les Cloportes, Myriapodes, Chilopodes, Diplopodes,
Mollusques Gastéropodes comme les Limaces et les Escargots,
et les Lombrics qui oeuvrent au-delà de la litière.) La
mégafaune comprend les espèces plus importantes de Rongeurs
(très amplement représentés au Maroc), le Lapin, la Taupe
(en Europe), de Reptiles et de Batraciens. Ces figures
agraires peuvent être catégorisées au sein des écosystèmes.
Morceaux choisis de biohistoire marocaine
« Ce qui va contre la nature
est injuste, mauvais,
et ne résiste pas au temps. »
Alexander von Humboldt
« Le
fait incontournable que le déclin de la faune soit lié à la
destinée
des êtres humains est rapporté de plus en plus souvent
partout dans le pays.
La faune, fait-on remarquer, régresse parce que sa maison
est détruite.
Mais la maison de la faune est aussi notre
maison. »
Rachel Carson
« Si l’Homme a un devoir de
mémoire envers la biosphère,
alors où sont les biohistoriens ? »
Christian Perrein
L’hécatombe non exhaustive en quelques dates
Paléolithique Moyen (il y a environ 150.000 ans)
Cueilleurs et chasseurs circulent facilement de l’Atlas au
Niger, dans le Sahara qui constituait alors une vaste
savane habitée d’éléphants, de grand fauves, d’Hippopotames
et de myriades… de Papillons.
3000
ans av. J.-C.
Assèchement progressif du Sahara converti en steppe
désertique. Le « Maroc », sa flore, sa faune et
sa population humaine sont isolés. Ses premiers habitants,
les Berbères, se tournent alors vers les civilisations plus
avancées de la Méditerranée.
Antiquité
La forêt climacique couvrait 30 % du territoire (moins de 8
% aujourd’hui).
Fin
du second siècle après J.-C.
Importé d’Arabie, le Dromadaire, acclimaté par les
Berbères, permet de traverser le Sahara.
Ve
siècle
Disparition au Maroc de l’Éléphant dont Pline l'Ancien (Ie
siècle) relatait la présence dans les jardins de Salé.
VIe
siècle
Premiers reculs des formations à Cèdre et à Genévriers dus
au défrichement agricole et à leurs exploitations
(constructions navales).
Xe
siècle
Disparition des forêts du Gharb, des régions de Rabat et
Casablanca (production de charbon, extraction du tan,
écorçage sur pied, élevage).
1905
Le probable dernier Lion de l’Atlas est abattu. Des rumeurs
autorisées en rapportent d'autres trophées jusque dans les
années 30. Il faut aussi savoir qu'encore en 1846, un Lion
aurait été tué au Cap Spartel, aux portes de Tanger et donc
de l'Europe. Plus la moindre observation de l'Érismature à
tête blanche. Fin des bosquets de Genévriers qui couvraient
les Gorges du Ziz, aujourd'hui désertifiées.
Années
30
Ultime signalement du Crocodile de l’Afrique de l’Ouest.
L'espèce était présente dans le Drâa, anciennement un
fleuve permanent et le plus long du Maroc. Aujourd'hui, ses
eaux se perdent dans les sables. Les derniers Crocodiles
auraient été observés dans des gueltas au sud d’Akka et
d’Assa jusqu’aux années 50, période où ces gueltas ont vu
leur surface se réduire considérablement. Les derniers
Bubales de l'Oriental (région de Missour) serviront
d'ultimes trophées à la plus grande Antilope marocaine.
Années
50
L'Oryx algazelle, l'Addax, la Gazelle leptocère, l'Autruche
rejoignent la liste nécrologique, pareil
in
memoriam pour le Vautour oricou, le
Vautour moine, l'Aigle impérial ibérique, la Pintade
sauvage, jusqu’à l’élégante Grue demoiselle. La Truite de
Pallary, espèce endémique de l'Aguelmame de Sidi-Ali (Moyen
Atlas) est portée éteinte.
2000, etc. (« Dies ad quem
» ou le début de la
fin...)
La Panthère tachetée s'éteint (moins de dix spécimens
génétiquement isolés) et le sort du Guépard (quelques
individus dans le bas Drâa) n'est guère plus enviable. La
moitié des espèces des derniers grands Mammifères sauvages
est menacée. Les observations de l’Hyène rayée, du Lynx
caracal, du Chat des sables, du Chat ganté, de la Gazelle
dorcas, de la Gazelle de Cuvier, de la Gazelle dama, du
Mouflon à manchettes, du Ratel, de la Loutre et même de la
Zorille, du Fennec et du Chacal deviennent aléatoires.
L’Ibis chauve, tout un symbole, voit chroniquement son
futur hypothéqué par des exactions très regrettables
dirigées contre ses ultimes sites. Plus aucune observation
de nombreux Papillons de jour endémiques ou subendémiques
dont les habitats et les plantes-hôtes sont ravagés sans
merci, tels : Pieris napi atlantis,
Pieris mannii haroldi, Polyommatus escheri
ahmar, Zygaena
persephone, etc., et extrême raréfaction
de nombreux autres dorénavant peu repérables. Selon un
bilan de 1998, les taxons floristiques marocains éteints
s’élèvent à 145, ceux devenus ou soupçonnés très rares à
364. La suberaie (forêt de Chênes-liège) de la Maâmora
(120.000 ha en 1920 descendus à 55.000 ha), sans indice de
régénération, est fossilisée. Agonie du Cèdre de l’Atlas
qui se voit biffé des paysages du Moyen Atlas méridional et
du Haut Atlas oriental. Extinction du Genévrier thurifère
dont les formations se transforment en forêts mortes. Lors
du dernier siècle, la perte documentée de l'arganeraie
marocaine (impliquant dans le Sud-Ouest deux millions
d'habitants sur trois millions d'hectares) correspond à la
moitié de sa superficie et ne sera bientôt plus qu'une
« forêt sans arbres. » La pluie se fait de plus
en plus infidèle. Déforestation, mauvaises techniques
sylvicoles, parcours du cheptel en forêt, pression
pastorale partout démesurée, divers processus de
dégradation (matorralisation, steppisation,
thérophytisation, etc.), érosion, désertification, le drame
de la terre dénudée devient crucial.
Mais on parvient paradoxalement à cumuler un troupeau
national de plus de 20 millions de têtes…
Face
à cet holocauste écologique, au Maroc comme ailleurs et
dans un ultime élan stigmatisé par de grands discours, la
société humaine cherche à organiser, sans y parvenir, la
protection de plantes emblématiques vestiges, des plus
insignes Papillons subfossiles et autres survivants d'une
biodiversité quasiment défunte. C'est au moins faire amende
honorable… L'inéluctable n'est plus ici lié au grand destin
des âges, mais seulement à l'assujettissement de la nature
à l'homo
economicus
post moderne et à la misérable conduite de ce
dernier.
Dans l’aboulie générale d’une société mondiale dont
l’intérêt pour la nature n’est souvent qu’un faux-semblant,
quelques naturalistes d’inspiration idéaliste se rendent
« coupables » de la découvertes de nouvelles
espèces ou de nouvelles présences. Entre des colonnes
occupées à donner à la une tous les détails sur la vie la
plus intime d’un coureur cycliste drogué, de l’amante d’un
footballeur analphabète ou du petit copain d’une chanteuse
de quatorze ans, ces exploits ne font pas une ligne dans
les journaux. Qui sait, par exemple, que sur le territoire
marocain et dans la dernière décennie on a découvert
l’existence du Dragonnier des Canaries et du Laurier des
Açores, de nouvelles espèces de Gerbille, de Couleuvre, de
Vipère, de Lépidoptères, de Coléoptères, de
Scorpions ? Et encore moins, quel citoyen pourrait
nommer les auteurs de telles découvertes ? La
vulgarisation et son corollaire la désinformation résultant
du réductionnisme médiatique d’une part, le manque de
connaissances scientifiques généralisé des décideurs
d’autre part, n’arrangent rien.