Le Toit du Maghreb
« Lorsque
tu as atteint le sommet, continue à
monter. »Koan zen
bouddhiste
« La
montagne est école et
cathédrale. »Jean Giono
Perspective
sommitale des Atlas
C’est au Ve siècle que l’historien grec Hérodote
d’Halicarnasse fait mention aux limites alors connues de la
géographie « d’une
montagne si haute que son sommet demeure invisible, les
gens de là-bas disent qu’elle est la colonne du
ciel. » Il lui conféra
le nom du géant mythologique Atlas, l’un des Titans que
Zeus avait contraint à supporter la voûte du ciel en guise
de punition et qui fut ensuite changé en pierre quand
Persée lui offrit la tête de la Gorgone. Atlas a aussi
donné lieu à atlantique, pour l’Océan de ce nom. Dans
l’Antiquité, on distinguait déjà l’Atlas major de l’Atlas
minor et le Haut Atlas jouissait d’une autre
appellation : les Monts de Carène. Dyris
Mons désignait aussi
l’Atlas, d’où dérive l’adjectif dyris
que
l’on retrouve dans un taxon d’orchidée :
Ophrys
dyris. Le relief
atlasique dans son ensemble s’étend de la pointe nord de la
Tunisie jusqu’à l’exutoire de la vallée du Souss
Au Maroc, le domaine altimontain (supérieur à 2000 m)
couvre une étendue de l’ordre de cent mille kilomètres
carrés et compte quatre cents sommets correspondant à
l’univers culminal et atteignant ou dépassant 3000 m.
Interface entre les zones instables et la plate-forme
africaine, le Maghreb occidental fut modelé selon trois
phases principales de plissement et avec un matériel
sédimentaire déposé par la Méditerranée sur le rebord du
bouclier saharien. Lors de chaque mouvement tectonique, le
bord de l’Afrique se comporte telle une masse résistante
contre laquelle se plisse le matériel plastique
méditerranéen.
Furent ainsi successivement créés le domaine précambrien de
l’Anti-Atlas, celui hercynien des chaînes atlasiques, puis
celui alpin de la cordillère rifaine. Chaque poussée
fait réagir l’édifice antérieur par un rehaussement, des
failles, des plis de couverture et des crises volcaniques,
faisant chaque fois gagner l’Afrique vers le nord. Au
quaternaire se forment les secteurs des vieux lacs et des
petits glaciers qui burinent les sommets du Haut Atlas.
Le Haut Atlas, ou Grand Atlas, est une immense cordillère
qui ne dépasse pas 80 km dans sa plus grande largeur, mais
développe ses reliefs en longueur sur presque 800 km entre
les falaises atlantiques et les Hauts Plateaux de
l’Oriental, véritable épine dorsale de l’Afrique
berbérique.
Plus de dix sommets dépassent 4000 m et quelques quatre
cents atteignent 3000 m. A ces niveaux
extrêmes et sur les versants nord, s’y manifestent les
bioclimats subhumide et humide très froid et extrêmement
froid, et l’étage oroméditerranéen de végétation accompli
jusqu’à son plafond. A l’ouest de la portion
centrale,
la muraille hercynienne élevée du Toubkal, toit de toute
l’Afrique nord-saharienne à 4167 m, rehaussée par
des plis de fond tertiaire, est fragmentée par des gradins
et des failles en séries, et incisée de profondes vallées,
véritable labyrinthe écoclimatique. Les crêts sont parfois
aigus quand les séries sont redressées et des auges
glaciaires sont puissamment sculptées. C’est un imposant
massif de roches anciennes couronnant la dorsale et dans
cette lourde masse entamée par une vigoureuse
érosion,
le géologue relève les seules traces de glaciation
quaternaire de l’Afrique du Nord. C’est aussi là
que le botaniste et le zoologiste observent
l’exceptionnelle présence de nombreuses espèces vestiges
des périodes glaciaires, témoins orophiles et vicariants
fidèles de lignées paléarctiques septentrionales qui n’ont
pas leurs pareils ailleurs au Maghreb. Le Djebel Toubkal
est aussi nommé Adrar n’Dern, la montagne des montagnes.
Les Européens pionniers à avoir « conquis » le
Toubkal furent les Anglais Hooker, Ball, Maw et Thomson, en
1871. Le marquis de Segonzac ne suivit leurs traces qu’en
1923, après plusieurs vaines tentatives. L’ascension est
accessible à tout un chacun par la voie classique,
notamment depuis le village d’Imlil où toute assistance est
disponible, y compris celle des meilleurs guides. Une
petite journée suffit pour se hisser au sommet où le
panorama est vraiment époustouflant : le regard y
embrasse l’immense plaine de Marrakech, le Pays Glaoua
d’une part, le Pays Goundafa de l’autre, le Djebel Siroua
au sud. Un peu plus à l’est, d’autres hauts sommets
témoignent encore d’une similaire identité glaciaire,
notamment le M’Goun (4071 m) et l’Ayachi (3747 m), offrant
aux formations à Genévrier thurifère et à xérophytes en
coussins épineux le rude univers de la steppe froide qui
est la leur. La roche-mère
cristalline imperméable fait du Haut Atlas une zone de
ruissellement de surface, caractérisée par
de nombreux cours d’eau, la plupart nés de sources
vauclusiennes, certains de régime torrentiel et
pérenne. De ces fleuves,
seuls les oueds sahariens montrent un cours instable et
connaissent un sévère étiage. Sous l’effet pluvial,
l’érosion est considérable et la dénudation parfois totale.
Par exemple, les apports sédimentaires de l’Oued Tensift
qui se jette dans l’Atlantique entre Safi et Essaouira
après avoir hérité des cours d’eaux dévalant du versant
nord du Haut Atlas, sont estimés à 373 tonnes annuelles par
km2 arrachées à la haute chaîne.
Ce sont aussi des prairies qui s’en vont en mer.
Cette
gigantesque barrière atlasique, seulement franchissable par
de hauts cols, domine les dépressions du Souss et du Dadès
au sud, au-delà desquelles s’élèvent les massifs
appartenant à l’Anti-Atlas. Au nord, ce sont les plaines du
Haouz et de la haute Moulouya qui séparent le Haut Atlas du
Moyen Atlas.
Dans une même orientation générale que le Haut Atlas, soit
du sud-ouest au nord-est, le Moyen Atlas s’étend des
synclinaux de l’Oued El-Abid (région située entre
Beni-Mellal et Aghbala) jusqu’à la trouée de Taza. Il est
géomorphologiquement composé de deux entités structurales
bien distinctes. Au sud-ouest (causse du Moyen Atlas),
c’est une suite de couches calcaires tabulaires et peu
épaisses, datant du jurassique inférieur, agrémentée de
séries karstiques et parsemée d’appareils volcaniques du
récent quaternaire qui surplombent les plaines et les
plateaux. On y dénombre une centaine de ces cônes
volcaniques, encore aisément repérables, et leurs coulées
effusives, sombres et porphyriques de basalte et de
basanite nappent çà et là le calcaire du causse.
On ne peut vraiment parler ici de haute montagne, les
points culminants n’atteignant pas 2500 m. Au nord-est
(Moyen Atlas plissé), on retrouve une morphologie ondulée,
affine à celle du Haut Atlas oriental, constituée d’un
enchaînement de cuvettes et de crêtes, de plis-failles, de
nombreuses cluses et de vallées monoclinales. Plusieurs
hauts sommets s’en détachent et le Bou-Naceur (3340 m)
domine très à l’est la trouée de Taza. C’est la phase
culminale de la chaîne où, entre les Djebels Bou-Iblane et
Moussa-ou-Salah, se développent notamment une thuriféraie
de belle conservation et une xérophytaie de grande
diversité.
Cet univers correspond à l’étage de végétation montagnard
méditerranéen, surmonté au niveau sommital par
l’oroméditerrannén. Les bioclimats y sont généralement le
subhumide, plus rarement l’humide. Les précipitations
annuelles sont de l’ordre de 600 à 800 mm pour le Haut
Atlas, 800 à 1400 mm pour quelques secteurs du Moyen Atlas.
Les valeurs supérieures (1400 à 2000 mm) ne concernent pas
ces milieux et sont propres aux écosystèmes du Cèdre et du
Sapin des plus hauts sommets rifains. Les sols de l’étage
supérieur des Haut et Moyen Atlas sont très majoritairement
bruns fersialitiques, mais le type peu évolué apparaît sur
certaines zones sommitales.
Les quatre saisons vues d’en haut
« Tout
est vanité, sauf la laine et le
blé. »
Proverbe de l’Atlas
Si « le Maroc d’en bas » ne connaît guère que
deux saisons : six mois à l’européenne avec des pluies
entrecoupées de périodes de beau temps ; six mois à la
saharienne sans la moindre goutte, parfois
« brûlés » par le sirocco, avec aggravation de la
température par des phénomènes de fœhn, « le Maroc
d’en haut » s’approche davantage d’un cycle à quatre
saisons.
L’été, la haute montagne est austère, souvent ensevelie par
les brumes de chaleur et de poussière en provenance du
Sahara qui, d’en bas, estompent les crêtes et, d’en haut,
masquent l’horizon et la vision de la mosaïque en camaïeu
de verts et de jaunes des cultures vivrières si joliment
jardinées en terrasses, « ces
encoches sur la paroi
dévalante » (J. Berque).
Les pentes arides, leurs rocs patinés et leurs infinis
pierriers apparaissent d’un aspect sévère. Les hauts plans,
les vastes combes et les plateaux de plein ciel, sont
animés par l’horlogerie pastorale des bruyants troupeaux et
du quotidien des campements semi-nomades. Il ne pleut guère
mais d’impressionnants orages surviennent en quelques fins
de journées, redonnant à l’atmosphère une nouvelle
limpidité. C’est aussi l’époque des moissons et des fêtes
de nuit. Mais la nature fait profil bas : tout est
dérangement et il n’y a de salut pour le Rapace ou le
Mouflon que sur les plus hautes falaises, pour le
Coléoptère ou l’Araignée sous une dalle ou au bénéfice du
manteau épineux d’un Buplèvre ou d’un Alysson. Et
l’émergence du moindre Papillon au printemps prochain
tiendra alors du miracle ou de l’opportunité des cycles, le
stade nymphal bien occulté étant dans la plupart des cas
accompli dès la fin du printemps. Alors tant pis pour les
montagnes trop précocement investies par les troupeaux ou
pour les Papillons aux chenilles retardataires. Reste aussi
au bénéfice d’une biodiversité relictuelle les aléas du
relief et quelques plantes dédaignées, non appétables car
vénéneuses. Le rapport de force est très inégal entre le
« rouleau compresseur pastoral » et le fin
Lycène, protégé ou non par les grands principes de mille et
une conventions. C’est l’été, lorsque la montagne n’est
plus qu’une bergerie, qu’on peut ressentir face au
« spectacle » ovin la salutaire vocation
végétarienne !
La présence continue de l’anticyclone des Açores au large
de l’Océan détermine l’installation d’alizés qui tempèrent
grandement les ardeurs solaires estivales sur tout le Maroc
d’influence atlantique. Quand il s’efface et qu’arrivent
enfin les dépressions atlantiques chargées d’humidité,
apportant du nord-ouest les décharges d’air polaire, c’en
est fini de l’été. L’automne est alors annoncé par les
premières pluies d’octobre qui viennent ragaillardir un
panorama jaunâtre de bromes calcinés par les longs mois
caniculaires, quand ce n’est pas un substrat rendu
pulvérulent par des mois de parcours intensifs. Les timides
neiges culminales de novembre apportent les premiers froids
et voient l’exode des transhumants vers l’étage inférieur
ou vers le Grand Sud. La montagne finit par se couvrir d’un
manteau nival qui s’effrange entre chaque séquence de
chute, jusqu’à persister jusqu’en avril ou mai entre 2000
et 3500 m selon les versants, voire plus tardivement au
fond des combes et dans les talwegs abrités. C’est l’hiver,
la nature est en profonde léthargie. Le monde rural se
calfeutre pour se réchauffer autour du fourneau qui brûle
nuit et jour. Les femmes s’ingénient à la couture et à la
tapisserie. On ne sort plus que pour aller couper le
feuillage que réclame un troupeau affamé quand les stocks
fourragers (Orge et paille) s’épuisent, ou durant les
périodes d’embellie au ciel limpide. A la merci d’une
patience tout autant sédentaire que séculaire, au-delà des
tourmentes que retient chaque ligne de faîte et des nuits à
– 10 º ou – 20 º, la vie reprend. Le printemps amène alors
son regain d’inflorescences, de couleurs, et de travaux des
champs pour les familles qui cultivent les hautes terres.
Si l’enneigement a été suffisant, le printemps est
prometteur et les jardins produiront au maximum. Sinon, il
faudra rivaliser d’ingéniosité pour assurer l’irrigation
des parcelles, travail pugnace réglé comme du papier à
musique depuis la nuit des temps. Au nom du droit
coutumier, chaque famille peut dériver le cours des
torrents durant un jour de la semaine et inonder ainsi sa
parcelle.
On tente de vivre en adéquation avec le milieu pour en
soutirer sa maigre pitance. Les Noyers et
les Figuiers ne sont pas là que pour faire de l’ombre...
Des Oiseaux chantent. De moins en moins. Quelques Papillons
éclosent. De moins en moins. Le miracle se fait chaque fois
plus réducteur, comme si les printemps étaient déjà
comptés. Une dernière Panthère sentant monter les ardeurs
printanières regrette de n’être pas parthénogénique... Dans
un nuage de poussière, un rallye tout-terrain sponsorisé
par une marque de nicotine traverse la vallée, distribue
des autocollants et renverse un enfant. Sont-ce les
nouveaux touristes annoncés, plus solidaires et plus
« verts » qu’avant... ? « Ils »
l’ont dit à la télévision dont la parabole est plantée sur
le toit d’argile des si belles maisons des Aït-Bouguemez,
celles que l’on construisait avant d’être
« complètement émigré, presque riche, voire
diplômé ».
Mais où sont les neiges d’antan ?
Il n’existe pas de glaciers au Maroc, mais dans bien des
écrits antérieurs aux années 60, il est fait référence à
quelques névés perdurant toute l’année dans les couloirs
abrités. Voilà bientôt quinze ans que nos séjours dans le
Haut Atlas ne nous ont guère montré de manteau nival
pouvant revêtir les cimes au-delà de mai-juin, selon les
altitudes et les versants, voire début juillet sur le
Toubkal. Le splendide enneigement du flanc nord du Djebel
Ayachi (Haut Atlas oriental) n’atteint cette période qu’au
profit d’une tardive chute de neige de mai et il connaît
bien des reculs tout au long de l’hiver. Lorsque l’on
enquête sur le sujet, par exemple à Midelt ou dans les
villages du Pays des Aït-Ayache comme à Tounfite, on
apprend par les « vieux » qu’au-delà qu’ils s’en
souviennent et jusqu’aux années 50, la ligne de faîte à son
plus haut étage (soit ici plus de 3500 m) ne se découvrait
quasiment jamais de son blanc manteau. La neige y
persistait presque à l’année, même sous forme ténue durant
août-septembre. Dans les vallées, il n’était pas
exceptionnel de devoir supporter un mètre de neige au cœur
de la période hivernale, ce qui n’est plus à l’ordre du
jour depuis plusieurs décennies. En témoignent encore les
vieilles portes à ouverture intérieure des fermes et des
douars. En ces temps, le Col de la Chamelle
(Tizi-Talhremt), qui au-dessus de Midelt ouvre la voie au
Grand Sud, était une forêt absolue et non pas le chétif
reboisement qui s’y trouve. Et si l’on poursuit la descente
vers le Tafilalt, les Gorges du Ziz, aujourd’hui totalement
écorchées, bénéficiaient d’un boisement de Genévriers.
C’était au temps de la profonde cédraie qui ceinturait plus
au nord l’Aguelmame de Sidi-Ali, vaste secteur désormais
dégarni. Disparition des formations forestières de toutes
essences, fugacité des neiges et tant d’autres symptômes
sont des faits documentés, observables au cours d’une seule
et même génération de la mémoire berbère de ces hautes
montagnes. Il n’en va pas différemment ailleurs car partout
les effets du réchauffement global s’additionnent à ceux de
l’excessive pression anthropique locale, pour donner lieu
au drastique bilan qui chaque fois revient comme un
leitmotiv. Ces évènements sont par exemple durement vécus
sur le Plateau des Lacs, dans la région d’Imilchil, où
depuis deux décennies l’agoudal (prairie) diminue
drastiquement. Le manteau neigeux qui perdurait au cours
des longs mois hivernaux et protégeait le sol des
agressions climatiques est dorénavant inexistant ou trop
fugace. Dès les premiers beaux jours, les animaux ne font
qu’une bouchée de l’herbe aussi tendre qu’éparse et les
bergers doivent sans cesse s’enquérir d’hypothétiques
herbages.
La berbérité et la vie immuable des tribus montagnardes
« Les
Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable,
brave et nombreux ; un vrai peuple comme tant d’autres
dans ce monde, tels les Arabes, les Persans, les Grecs et
les Romains... »
Ibn Khaldoun,
XIVè siècle
L’Homme, qui plus est celui montagnard, a toujours tenté de
vivre en adéquation avec son environnement, notamment
végétal, né du climat et de la terre, auquel il imprime
avec le temps certains traits de son génie, de son héritage
culturel, mais aussi de ses errances et de ses abus.
Parler des gens dans le contexte du biopatrimoine n’est pas
faire digression. Les gens sont fonctions du milieu naturel
qui est le leur parce qu’ils y sont intimement liés. Pour
s’en convaincre, il n’est que de juger de la valeur
socio-économique de l’Arganier, de l’écosystème
« humain » qui est celui de l’espace oasien, du
support pastoral que représentent les nappes alfatières et
pour la haute montage de la valeur prééminente des parcours
et des pâturages. Sur les hautes terres atlasiques, les
Berbères vécurent en interaction osmotique avec leur
environnement durant des temps séculaires et si le binôme
Homme-Nature y est désormais en grave disjonction, c’est à
l’analyste éthno-écologique de se prononcer. La biohistoire
est à ce sujet aussi un outil de réflexion.
Aborder en quelques lignes le sujet d’une civilisation dans
la rubrique des relictes glaciaires (!) d’un ouvrage
consacré au bioparimoine pourrait conférer à l’irrespect ou
traduire l’abjecte nostalgie coloniale propre au « zoo
humain ». C’est pourtant ainsi qu’en tous les guides,
qu’en tous les catalogues de voyages, se retrouve le plus
souvent folklorisée la berbérité. Une telle manière n’a pas
son pareil quand il s’agit de faire référence à la Corse et
aux Corses, à la Bretagne et aux Bretons, à la Catalogne et
aux Catalans, etc. Cette berbérité et son particularisme
ont ainsi leur place dans l’esprit « marketing »
des opérateurs de voyages, dans le concept de la vie
traditionnelle du village, de la montagne ou du désert.
Bien des maghrébins vivant en Europe sont aussi Berbères,
notamment du Maroc ou d’Algérie. Mais dépourvus du
« cadre », ils ne font plus recette !
Revenons donc, avec la meilleure déférence possible, sur le
sujet berbère. Pour souligner que l’on désigne sous le nom
de Berbères les populations qui, sur un territoire
s'encartant de la Méditerranée au Sud Niger, et du Nil aux
Iles Canaries, parlent ou ont parlé des dialectes induits
par la langue mère berbère. D'une signification très
controversée, ce vocable exogène était déjà employé par les
Grecs (les Barbaroi) et les Romains (les Berberus), puis
particulièrement par les Arabes (le terme égyptien barbari
désigne les Nubiens...) pour nommer la civilisation
autochtone et non romanisée de l'Afrique du Nord. Quant aux
Berbères eux-mêmes, ils se nomment imazighen, (Hommes
libres, francs ou nobles) et inversent la méthode quand ils
nomment roumi celui venu d’ailleurs.
Trente mille ans av. J.-C., un Cro-Magnon mechtoïde du
paléolithique, Homo sapiens
sapiens nommé Homme de
Mechta et Arbi, fréquente la côte méditerranéenne
africaine. Il est rejoint quelques vingt mille ans plus
tard par des explorateurs venus du Levant : les
Protoméditerranéens de civilisation caspienne et
originaires de la haute vallée du Nil. Ainsi naquirent, tel
que nous l’enseignent la préhistoire, l’archéologie et
l’anthropologie, les ancêtres de la lignée autochtone
berbère et leur pays la Berbérie, Maghreb d’aujourd’hui.
Les Berbères fondèrent de puissants royaumes, composés de
tribus confédérées. Ils vécurent l’occupation romaine, la
christianisation, la domination vandale avant d’être
rapidement convertis à la religion islamique par les
« Cavaliers d’Allah ». Lors de l’assèchement du
Sahara, un type négroïde assimilable aux Éthiopiens et
encore en place au sud du Haut Atlas aurait été importé par
les pasteurs en exil vers le nord. Des bergers berbères,
artistes du Néolithique, gravèrent sur des grès du Haut
Atlas de nombreuses et remarquables peintures rupestres qui
sont autant de témoignages des populations
protohistoriques, censément chassées du proche Sahara par
l’assèchement des pâturages. Ces expressions artistiques
sont dues à des pasteurs à bovidés et représentent des
scènes de la vie pastorale quotidienne, de la chasse au
lion, à l’éléphant et au rhinocéros. Les meilleurs
itinéraires pour découvrir ces chef-d’œuvres se situent
dans les Djebels Yagour et Oukaïmeden. Ces témoignages de
la mémoire collective sont hélas laissés à l’abandon et
subissent la dégradation du vandalisme, quand ils ne font
pas l’objet d’une pure piraterie par leur enlèvement au
profit de collectionneurs étrangers.
Lors de la conquête musulmane et selon l’avis des
historiens, les conquérants arabes furent peu nombreux et
la très grande majorité des Marocains possède ainsi du sang
berbère. Ce qui ne signifie pas nécessairement qu'ils
soient berbérophones, de nombreuses tribus ayant été
arabisées très tôt, en particulier le long des côtes de
l'Atlantique. L’ifriqiya fut facilement séduite par l’Islam
et sa proclamation de foi spontanée (chahada) reçue comme
un rituel particulièrement adapté au désert.
Le Maroc présente donc une société composite, une
remarquable mosaïque où presque la moitié de la population
parle l’un des dialectes berbères : tarifit dans le Rif,
tamazight notamment dans le Moyen Atlas et le Haut Atlas
oriental et tachelhit dans le reste du Haut Atlas, le Souss
et l’Anti-Atlas. Ce dernier
groupe, fait d’un mélange de tribus d’origines diverses,
est le mieux défini. La langue berbère appartient à la
famille linguistique chamito-sémitique.
L'organisation sociale berbère est de type segmentaire et
très hiérarchisée. Le couple (les Berbères ont toujours été
monogames) et la famille représentent la plus petite unité
sociale, c’est le foyer (takat). Dans l’agrégat de la vaste
maison patriarcale, où peuvent coexister deux ou trois
générations de parentèle directe et de collatéraux,
l’autorité est marquée par le plus ancien de la maison. Le
fonds reste indivis tant que vit le père, chaque récolte
est scrupuleusement partagée (la femme comptant à part
entière) et seul le troupeau est commun. L’initiative
individuelle laissée aux jeunes gens (et non aux jeunes
filles !) est grande et leurs accordailles sont
libres. Au-dessus de la cellule conjugale et du foyer, se
situe le lignage (ikhs), cellule sociale, synthèse de
réalités parentale, politique et religieuse, résultant du
groupement de plusieurs foyers liés par une ascendance
commune et établi en village, ou en douar pour les nomades.
C’est le grand dispensateur de l’ordre agraire. Il est
désormais caduc par places et alors remplacé par une sorte
de canton dans l’ordre territorial (taqbilt), lequel n’est
plus une fédération familiale et peut correspondre à
l’ancienne fraction (ensemble de clans et de villages). Le
niveau supérieur est celui de la tribu (qbil) qui n’est
qu’un groupement de fractions, qui porte un nom et veille à
quelques traditions. Il existe enfin et occasionnellement
la confédération, une alliance occasionnelle de tribus. A
l'intérieur de tous ces segments, les liens du sang – réels
au niveau des petites unités, fictifs dans les grandes –
constituent le fondement de la cohésion sociale et
entretiennent chez les membres du groupe un fort esprit de
solidarité (corvées communes, usage de greniers collectifs,
etc.) La vie sociale est régie par un droit coutumier qui
veille à la défense du groupe. Le trait le plus saillant
des mœurs berbères est peut-être la primauté qu’elles
confèrent à la personne individuelle.
La haute montagne est par excellence l’univers des
populations berbères restées les plus attachées à une
tradition parfois ancestrale, fortement cramponnées dans
leurs vallées et statistiquement peu arabisés. Sur les
hautes terres très rigoureuses du Moyen Atlas oriental
(massif du Bou-Iblane), l’occupation est le fait des
Aït-Warayne, entité tribale originaire des confins de la
Mauritanie. Ils construisent en moyennes vallées des
villages aux maisons étagées et très fonctionnelles, en
pierres et en pisé. Dans le cadre des mouvements de
transhumances entre l’hivernage dans le bas pays (azarhar)
et l’estivage dans le djebel, ils ont un fréquent recours à
la tente. Le Moyen Atlas central est surtout investi par
les Beni-M’Guild, autres pasteurs possesseurs de deux
finages. Le Haut Atlas oriental est faiblement peuplé par
des Berbères de dialecte tamazight. Ce sont des pasteurs
semi-nomades, dont l’installation a été relativement
tardive, vivant surtout d’élevage de Chèvres et de Moutons,
passant de nombreux mois, voire l’année entière sous la
tente. A peine plus à l’ouest, sur le plateau des lacs,
dans les hautes vallées du Ziz, du Toddra et du Dadès, les
Aït-Hadiddou, les Aït-Yazza, les Aït-Morghad, les Aït-Atta
et quelques autres, sont des paysans plus nettement
sédentaires, utilisant au mieux les pacages, les terres
cultivables et l’eau. Ils sont à la fois agriculteurs,
arboriculteurs et éleveurs. Leurs admirables petits champs
irrigués en terrasse produisent de l’Orge, du Maïs, des
légumes, des olives, des amandes, des noix. Le célèbre
moussem (agdoud en berbère) d'Imilchil, « foire aux
fiancés » en vue de mariages spontanés, est né d'une
légende du Pays des Aït-Hadiddou. Isli (le marié) aimait
profondément Tislit (la mariée), mais leurs familles
respectives étaient opposées à leur mariage. Ils pleurèrent
tant et si bien que deux lacs se formèrent : ils portent
aujourd'hui leurs noms. Le mythe a vite rejoint
l’imaginaire touristique. Il est alors rapporté qu'au cours
de cette fête tout musulman peut épouser sur le champ une
femme de la tribu, celle-ci ayant une entière autonomie
quant au choix de son conjoint. Cette apparente liberté
pose nécessairement problème d’une singulière disparité
locale du statut de la femme à l’intérieur des coutumes
globales de la société arabo-musulmane. Une observation
rapprochée enseigne qu’il n’en est pas ainsi et qu’il ne
s’agit que d’une cérémonie de mariages collectifs,
désormais grande mascarade soutenue par l’engouement
touristique et qui a perdu tout son sens authentique. Il
n’en demeure pas moins que les femmes de cette tribu
possèdent une réputation de grande indépendance. Dès le
Haut Atlas central et jusqu’à l’Anti-Atlas et à
l’Atlantique, ce sont les Chleuhs et leur parler tachelhit
qui prennent très progressivement le relais, mais on y
constate l’immixtion de vocables et d’expressions du
dialecte tamazight comme chez les Aït-Bouguemez du massif
du M’Goun, voire au-delà jusqu’aux confins du
Tizi-n-Tichka. Ils vivent dans des petits villages
parsemés, aux maisons étagées sur la pente du terrain, avec
leurs toitures plates en palier sur plusieurs niveaux. En
pierres ou en pisé, elles forment un ensemble compact de
petits blocs soudés les uns aux autres. Les familles sont
sédentaires, cultivent des céréales, des légumes et des
fruits, mais cette agriculture traditionnelle serait
insuffisante si elle n’était pas associée à l’élevage. Les
Hommes sont donc le plus souvent occupés tant par la
transhumance hivernale dans les vallées, que par la montée
estivale jusqu’aux hauts pâturages (igoudlan ou tichkou).
Il est toujours hasardeux de faire la distinction, dans les
Atlas, du monde cultivateur de celui pastoral, car le
premier ne manque pas de posséder un modeste troupeau et le
second de cultiver quelques parcelles. La priorité du
troupeau conduit souvent les bergers sédentaires à partir
seuls quelques jours, voire plusieurs semaines, munis d’un
matériel minimum (une tente ou un simple burnous si une
cavité fournit l’abri, un sac de farine pour faire soi-même
le pain, du thé et du sucre...) Tel est dans toute sa
rudesse l’harmonie qu’impose à l’Homme le milieu
environnant.
De quelques seize millions d’individus contemporains
pouvant encore, en Afrique du Nord, revendiquer une origine
berbère, moins de dix millions sont Marocains.
Plus de trois millions d’entre-eux s’accrochent à la
montagne. Descendants des antiques peuplades ou héritiers
de réfugiés ou de proscrits venus du Nord comme du Sud,
certains de sang wisigoth, vandale, byzantin ou celtibère,
d’autres d’ascendance juive, cette constellation dédaigne
la ville, refuse souvent le pouvoir, ne se soumettant qu’à
Dieu, invoquant les marabouts et les génies des hauteurs
sacrées, dans une unique ambition de liberté.
Voilà un survol on ne peut plus superficiel d’un thème
complexe tant est remarquable la diversité du peuplement de
l’Afrique berbérique, de ses origines à nos jours,
peuplement dont la conception lignagère ne semble
finalement reposer sur aucune base territoriale. Pour une
meilleure connaissance préhistorique, historique,
religieuse, ethnographique, de l’habitat, des costumes, des
traditions et des légendes du monde berbère, il est
conseillé de se reporter aux ouvrages spécialisés.
Une
vraie gestion durable qui nous vient de la nuit des temps
L’agdal ou l’agoudal (pluriel igoudlan) :
ce mot désigne, en berbère tachelhit, une aire de pâturage
collectif dont l’ouverture et la fermeture sont gérées à
des dates pré-établies par la communauté des usagers. A
l’opposé, almou désigne le pâturage ouvert sans
restriction, ni réglementation. Cette réglementation
traditionnelle présente l’avantage d’interdire la pâture
durant la période la plus sensible pour les plantes et
renforce ainsi la vigueur de la végétation, avec report sur
pied de la biomasse disponible en fin de saison. Dans ces
régions notamment, la judicieuse coutume concerne la petite
transhumance estivale utilisant des bergeries de haute
montagne (Haut Atlas occidental), tout comme la grande
transhumance estivale (ou transhumance double
estivale-hivernale) du semi-nomadisme montagnard, vivant
sous la tente (tarhamt ou rhaima) ou dans des grottes (Haut
Atlas central), ainsi que dans des azibs qui sont des
villages-bergeries d’été (Haut Atlas Central, Anti-Atlas du
Djebel Siroua).
Alors qu’elles régressent dans les autres pays du Maghreb,
les transhumances verticales de type simple (estivale) ou
double (sur un transect nord-sud hiver-été) restent très
actives dans la montagne marocaine. Elles sont ici fondées
sur
un jeu de droits croisés. L’utilisation
des ressources collectives et leurs conditions d’usage sont
ainsi contrôlées par les collectivités. Issu de la période
préislamique et s’appliquant aux terres dites tribales, le
plus ancien est
le droit coutumier. Il gère un
modèle territorial collectif et dénué de propriétés.
Relevant le plus souvent d’une tradition orale cautionnée
par l’usage séculaire, il intègre de multiples pratiques
liées à l’exploitation des ressources et à la conduite des
troupeaux. Quant au
droit foncier musulman, qui énonce que
« la terre
appartient à Dieu donc à son représentant le
Sultan », la pratique
de la libre utilisation des ressources naturelles permet
une jouissance très étendue de l’espace et ce sont les
rapports de force qui président à la conquête de nouveaux
territoires puisque selon les règles de la vivification
(ihyaa), la terre revient à celui qui l’a mise en valeur
soit en y cultivant un champ ou un verger, soit en y
creusant un puits, voire en y construisant une habitation.
Depuis l’empire colonial français, le
droit moderne de l’état (chrâ) s’est
imposé en troisième rang avec à l’origine l’installation
foncière des colons. Son entrée en vigueur eut pour
conséquence l'immatriculation des terres, une
domanialisation des forêts et des steppes, le partage de
certains espaces collectifs et l’établissement de limites
aux territoires tribaux. Mais l’intrusion du droit moderne
et ses formalisations n’auront nullement la capacité
d’esquiver des oppositions souvent irréductibles. Il en
résulte une superposition souvent anachronique de ces
différents droits pour la gestion d’un même espace. Cette
faiblesse juridique génère abus et conflits et n’est
nullement bénéfique à la gestion des ressources. C’est
pourquoi l’installation de l’agdal (mise en défends
saisonnière) sur certaines montagnes parmi les plus
reculées du Haut Atlas, détient le privilège d’évincer ces
abus directement liés au jeu croisé de tous ces droits en
vigueur. Cet usage permet aussi de mieux sauvegarder les
conditions d’un usage optimum des parcours, par des dates
d’ouverture et de fermeture des pâturages dépendant d’une
instance de notables (jamat). Un système de gardiennage et
de sanctions y est adjoint, ainsi qu’une zone tampon
d’attente pour les estives de printemps. Il existe parfois
des franchissements discutables mais assez résiduels. Il
est par contre navrant d’en constater la suppression en
année de stress hydrique, même si les conditions qui y
président sont d’essence humanitaire. Car il s’agit alors
pour les ressources naturelles déjà affaiblies d’un très
dommageable saccage.
Si l’État se montre inapte à freiner l’érosion du capital
génétique des forêts et des montagnes,
une telle pratique communautaire originale (l’agdal),
héritée des rapports à la nature et au temps d’une culture
montagnarde, s’avère idéalement responsable de la
sauvegarde de la biodiversité et des ressources
corollaires. Un ambitieux et
valeureux programme consisterait à encourager et à étendre
le principe aux massifs d’autres régions, à d’autres
écosystèmes à valeur pastorale, à le conjuguer à une charge
plus compatible du nombre de têtes, à diminuer parfois les
temps de pâture en proscrivant toute présence durant la
reprise biologique.
Dans cette vision, un capital de confiance mutuelle entre
les entités étatiques et les populations locales gagnerait
grandement à être instauré. Il est actuellement défaillant.
Il ne s’agissait pas ici de présenter un dossier exhaustif
de cette pratique opportune, mais de montrer simplement
comment elle s’intègre à la bioéthique contemporaine et
idéaliste de la gestion durable, de témoigner de ses atouts
en faveur du milieu naturel montagnard. Partout où l’agdal
est en vigueur, où les pâturages sont délaissés de la fin
de l’automne jusqu’aux prémices du printemps, avec tous les
gradients selon l’altitude et l’exposition, nous avons été
témoins de la relative bonne santé des biocénoses. C’est le
cas par exemple dans le Djebel Siroua (ouverture des
pâturages début juillet), dans l’essentiel du Massif du
Toubkal et notamment à l’Oukaïmeden (ouverture habituelle
le 10 août), dans le Djebel Azourki et autres montagnes au
nord du M’Goun, sur certains cols entre le Plateau des lacs
d’Imilchil et le Djebel Aderdouz (accès mi-juin), etc.
L’arrivée des troupeaux anéantit alors en quelques jours ce
qui fut un éden depuis la fonte des neiges. Mais à ces
dates qui tiennent chacune compte des facteurs latitude,
altitude, exposition, et sauf rares exceptions, la nature a
déjà correctement repris ses droits depuis plus de six mois
puisque le paysage est nouvellement paré de beaux espaces
florifères, de riches rives d’asifs, d’une végétation
partout vigoureuse pour peu que l’hiver ait été
correctement arrosé. Le potentiel des Invertébrés et
particulièrement des Papillons ne semble pas spécialement
amoindri, ni dans son effectif, ni dans sa diversité, car
par exemple, le cycle ponte-stade larvaire-nymphose des
derniers cités a pu être bouclé sans dommage avant le
retour du cheptel dont l’appétit est tout autant ravageur
que l’impact du piétinement. Ce témoignage est bien
documenté au fil de suivis sur une dizaine d’années
d’observations et de prélèvements publiés dans des revues
spécialisées, au moins pour ce qui concerne les
Lépidoptères Rhopalocères et les Zygènes, éléments
indicateurs éminemment sensibles aux bouleversements du
milieu. Même remarque pour la flore et tout
particulièrement le cortège des plantes-hôtes souvent très
sensibles, qui sont liés à la survie de ces Papillons. Hors
ce cas de figure d’une bonne entente entre l’élevage et la
biocénose, l’existence des parcours intensifs est toujours
vécu comme un drame pour la végétation, la faunule et le
sol.
Une anecdote de poids : le Dinosaure du supercontinent
En 1998, un cultivateur d’une montagne de la région du
M’Goun recueille un os fossile sur une pente rocheuse
dominant son village de Tazouda. Nombreux sont les
étrangers qui sillonnent les pistes marocaines tant à la
recherche de minéraux que de
« trésors » archéologiques ou
paléontologiques, et les font sortir clandestinement du
pays. Le brave paysan cherche ainsi à vendre son os mais
les trafiquants tombent sur un autre type
d’« os » en se faisant intercepter par la
gendarmerie royale du secteur. Les autorités locales se
mettent alors en contact avec le Ministère de l’Énergie et
des Mines. D’éminents paléontologues européens viennent
ensuite épauler les chercheurs marocains sur ce site
fossilifère du « musée du Haut Atlas », déjà bien
connu pour avoir livrer, de Midelt à Ouarzazate, d’autres
merveilles du genre. 400 os sont sortis du nouveau gisement
de Tazouda, venant compléter l’innocente découverte
initiale. Ainsi naît, 180 millions d’années après sa
mort, Tazoudasaurus
naimi, un Dinosaure
sauropode dont le gabarit n’est estimé qu’à neuf mètres de
long pour un poids de cinq tonnes, sorte de sympathique
Rhinocéros à long cou et à queue démesurée. C’est un
« nain » par rapport aux autres Dinosaures
Herbivores quadrupèdes descendants. Il est de 20 millions
d’années l’aîné de l’Atlasaurus
du
Jurassique moyen (160 millions d’années) préalablement
découvert dans cette même région. L’évènement apporte aux
paléontologues de précieuses données sur les prémices de
l’histoire des grands Dinosaures. Le monstre de Tazouda
serait l’ancêtre des Dinosaures Brachiosauridés du
Jurassique supérieur d’Amérique du Nord, seulement
« vieux » quant à eux de 140 millions d’années. A
l’ère secondaire, l’Atlantique n’existait pas. L’Afrique du
Nord et l’Amérique se trouvaient alors soudées en un
supercontinent. Il y a quelques 180 millions d’années,
l’Atlas était une zone basse, humide et verdoyante. Le
gisement fossilifère se situe dans des couches
continentales du Jurassique inférieur (Lias) datées de cet
âge. C’est une période dont on connaît mal les faunes
terrestres en raison de l’importance des transgressions
marines. Le Haut Atlas constitue un cas exceptionnel
d’accès à des niveaux continentaux qui n’existent
pratiquement pas ailleurs dans le monde. Parce qu’à la
suite d’un violent orage, une coulée de boue emporta dans
un chenal un troupeau de Sauropaudes et quelques-uns de
leurs prédateurs carnivores, le M’Goun est un peu le
cimetière des Dinosaures.
Parler des Dinosaures et citer les années par centaines de
millions, voilà bien de quoi remettre un peu à l’heure nos
horloges braquées sur l’urgence du quotidien. La genèse
géologique accorde parcimonieusement à l’Homme quelques
quatre ou cinq « pauvres » millions d’années
d’existence. Il n’y a pas de quoi pavoiser et si après 160
ou 180 millions d’années les Dinosaures ont fini par
s’éteindre, nous pouvons attendre notre tour qui ne sera
probablement pas si lointain. Les temps géologiques ont
disloqué et déplacé les continents, érigé des montagnes,
fait fondre des banquises pour créer des océans, généré,
modelé puis biffé des espèces... Toutes ces notions sont
impalpables mais au Maroc particulièrement, des horizons
nus de décors minéraux seulement façonnés par le vent et la
pluie, encore peu masqués par l’empreinte des activités
humaines si ce n’est celles érodantes, ressemblent à un
grand livre qui nous appelle au déchiffrement. Les amateurs
de géologie, de minéralogie, de paléontologie ne se privent
pas d’y faire un voyage à travers les temps et, par le
biais d’une simple observation, de remonter quelques
centaines de millions d’années. Des presque cinq milliards
d’années d’ancienneté que nous voulons bien prêter au
tourbillon interstellaire qui fit notre planète, puis à la
bouillie originelle qui pris forme de vivant, du moins
depuis les 550 millions de petites années que nous
appréhendons assez bien depuis le Cambrien jusqu’à notre
Holocène, pourquoi se gêner pour rêver ? Mais parfois,
le touriste n’a pas « une minute à
perdre ! »
Le Genévrier thurifère : l’arbre de l’extrême
« Assieds-toi
au pied d'un arbre
et avec le temps tu verras l'Univers défiler devant
toi. »
Proverbe bantou
Le Genévrier thurifère (Juniperus
thurifera) est un arbre
atlanto-méditerranéen dont la diffusion restreinte et
parcellaire se limite à l’Italie (très récemment découvert
dans deux vallées alpines), la France (Alpes, Pyrénées,
Corse), l’Espagne (surtout Système central et Sub-bétique),
l’Algérie (limité au seul Djebel Chelia où le peuplement
millénaire et vestige est démuni de régénération) et le
Maroc (sous-espèce africana).
Faute de la réalisation d’une cartographie actualisée, la
thuriféraie marocaine est d’une évaluation difficile. Les
chiffres généralement à disposition (244.000 ou 326.000 ha
selon les auteurs et les rapports) concernent la couverture
en Genévriers, toutes espèces confondues. Compte tenu du
vaste saupoudrage de la géographie marocaine par
l’Oxycèdre, il semble oiseux de pouvoir en extraire une
surface propre au Thurifère. L’estimation raisonnable se
situe entre 20.000 et 30.000 ha, assez équitablement
répartis entre Moyen Atlas plissé et le Haut Atlas, depuis
1700 jusqu’à 3000 m d’altitude, hélas partout dégradé, en
dépérissement ou éteint. Il est indifférent au type de
substrat, investissant tous les sols et s’avère être d’une
grande capacité à exploiter la moindre faille de la roche
mère. Ses peuplements sont le plus souvent lâches et
d’amplitudes très variables, ceux d’un seul tenant étant
toujours très restreints.
Les appellations populaires de Juniperus
thurifera sont en France
très nombreuses selon l’époque et la région :
Genévrier thurifère, Savinier, Sabine en arbre, Cèdre
d’Espagne, Genévrier espagnol, Genévrier à encens ou
porte-encens, chaï,
loù
savin,
mourenc,
etc. Au Maroc, il est généralement connu des Berbères sous
les noms d’andromane
ou
andkrhomane
(Aït-Bouguemez,
région du Tizi-n-Tichka), d'awal
ou
encore de tawalt
(Haut Toddra),
d’adroumane
(Haut Atlas
occidental), d’ârâar
ailleurs.
Cet arbre remarquable peut présenter des dimensions très
impressionnantes, atteignant 20 m de haut et 16 m de
circonférence. La taille moyenne des sujets est
habituellement de 5 à 10 m, de port le plus souvent conique
avec une cime élancée. Son tronc est courtaud et toujours
très tourmenté. Les individus abroutis ou ayant subi un
mauvais traitement ont l’apparence d’un Champignon. Les
feuilles adultes sont en écailles opposées en croix, avec
une glande dorsale résinifère oblongue. Le cône, d’un
diamètre d’une dizaine de mm, présente l’aspect d’une baie
à pulpe charnue de couleur verte ou brune et contient des
graines jaunes.
C’est
à la fois le plus alticole, le plus longévif, le plus
robuste et le plus dégradé des arbres du Maroc.
Des
mutilations parfois impressionnantes témoignent pour cette
robustesse. Essence à résilience exceptionnelle, le
Thurifère est apte à subir des contraintes climatiques
extrêmes : hivers très rudes, étés chauds et très secs. Il
se mélange au Cèdre dans le Moyen Atlas et au Chêne vert
dans le Haut Atlas. Mais à l’étage oroméditerranéen, sous
bioclimats semi-aride et subhumide extrêmement froids,
aucun autre arbre n’est apte à concurrence. Seule la steppe
froide à coussinets épineux partage cet habitat sans appel,
puis relaie le Genévrier thurifère au-delà de la limite
supérieure de la forêt. De très vieux vétérans puissamment
charpentés trônent souvent, solitaires, sur les pentes
érodées de ces grandes altitudes. Leur présence impose le
respect au petit Homme-parasite qui les contemple. Ainsi
isolés, ils font office de refuge sciaphile universel pour
toute une faunule qui s’y replie les jours d’été car dans
les Atlas, même à cet étage, l’insolation est cuisante les
jours caniculaires. Assis à leur pied, outre leur ombre
bienfaisante, on y ressent parfaitement la ventilation
naturelle qu’ils procurent à tout un microcosme.
Une pression usagère outrancière datant déjà de plusieurs
décennies hypothèque gravement l’avenir des formations à
Thurifère. Squelette sur un sol squelettique car victime du
tassement et de la solifluxion causée par le parcours
intensif, l’arbre a tout donné : bois de chauffage,
bois de service (charpentes, linteaux, portes), charbon de
bois, goudron végétal et feuillage pour le bétail. Il est
aussi très prisé en médecine traditionnelle. Comptant un
nombre impressionnant de chandelles, les peuplements les
plus dégradés apparaissent véritablement comme des
« natures mortes ». Il ne subsiste sur les arbres
en sursis que quelques rares rameaux feuillés.
Ce sont les derniers signes de vie d’une forêt fossile,
d’un écosystème majeur en voie de disparition, d’une
essence en phase finale.
La thuriféraie : nature morte d’une forêt « sans
arbres »
« La montagne
marocaine, si l'on y prend garde, court vers sa ruine
définitive.
La destruction de la végétation engendre la ruine
économique, et celle-ci provoque la
dépopulation. »
Louis Emberger (1938 !)
Le Thurifère organise des groupements au sein de l’ordre
des Ephedro-Juniperetalia
à
formations arborées présteppiques de faible recouvrement,
s’encartant dans l’alliance d’altitude Junipero
thuriferae-Quercion rotundifoliae, réunissant un
panel d’associations caractérisées, outre
Juniperus
thurifera,
par : Ribes
atlanticum,
Berberis
hispanica,
Cotoneaster
nummularia,
Buxus
balearica,
Crataegus
laciniata,
Fraxinus
dimorpha,
Quercus
rotundifolia,
Lonicera
arborera,
Rosa
sicula (Benabid, 2000).
Apparaissant dans les Atlas sous variante bioclimatique du
type très froid des étages forestiers culminaux, le
Genévrier thurifère participe à la définition de deux
séries phytodynamiques (Benabid, 2000) : la série
montagnarde méditerranéenne présteppique de
Juniperus
thurifera-Quercus rotundifolia
et
celle oroméditerranéenne de Juniperus
thurifera.
La thuriféraie de meilleure conservation est sans doute
celle qui s'étend sur la rive gauche de la portion nord des
gorges de l'Asif du M'Goun, dans le Haut Atlas
central, laquelle se régénère en harmonie avec le pâturage
local (A. Benabid, comm. pers.). La petite formation à
Thurifères en ressaut du versant nord du Djebel
Moussa-ou-Salah, dans le Moyen Atlas oriental, non loin de
la cédraie de Tafferte accueille aussi une flore encore
variée et riche d’endémiques, ainsi qu’une remarquable
zoocénose, spécialement entomologique, mais elle était, il
y a encore quelques années, interdite au cheptel. A
l’opposé, les écosystèmes à Juniperus
thurifera dont le grade de
mortalité est le plus prononcé sont ceux des montagnes au
nord-est du Massif du M’Goun (Aït-Bouguemez), et
spécialement les grand lambeaux dantesques accrochés au
Djebel Azourki ou dépérissant dans la haute vallée de
l’Oued Ahanesal, relevant de l’association
Ormenido
scariosae-Quercetum rotundifoliae sur calcaires
compacts. Dans cette fameuse forêt morte d’Ahanesal, les
puissants sujets cadavériques ou moribonds sont
particulièrement impressionnants. Partout ailleurs et hors
niches maraboutiques, on observe tous les stades de
dégradation et il n’est une thuriféraie qui ne soit
malmenée par l’Homme. Plusieurs peuplements bénéficient
d’une position toute théorique de protection à l’intérieur
d’une figure de conservation, c’est le cas dans le Moyen
Atlas des thuriféraies du Parc naturel d’Ifrane et du SIBE
du Bou-Iblane, dans le Haut Atlas du Parc national du
Toubkal, du Parc national du Haut Atlas oriental et du SIBE
de la vallée de l’Oued Wabzaza (l’un des ultimes refuges de
la Panthère). Le Bois des Fiancés, immense thuriféraie qui
à l’ouest de l’Oukaïmeden (Haut Atlas central) domine les
villages alentours de Sidi-Fares, se résume à des
Thurifères très fragilisés, sur un substrat uniformément
désertifié, à l’exclusion de toute autre composante
floristique, où la dent du bétail n’a de cesse de
persécuter la moindre plantule, où, comme dans
l’arganeraie, les Chèvres inventives ont recours au
pâturage aérien sur la ramée des vieux arbres. D’autres
peuplements perçoivent temporairement les bienfaits d’un
périmètre en défends motivé par un programme de
reboisement, comme c’est le cas entre Timahdite et le Col
du Zad, ou dans le Bou-Iblane, près de Tafferte (Moyen
Atlas). Quelques vieux sujets, symboles de puissance et de
sagesse et « abritant les esprits protecteurs et
éloignant les maladies », peuvent être ainsi tenus
pour d’intouchables marabouts (agouram androman,
« marabout-thurifère ») et bénéficient d’une
protection traditionnelle.
Un déshéritement certain
« Quand
le dernier arbre sera abattu, La dernière
rivière empoisonnée, Le dernier
poisson pêché, Alors vous
découvrirez Que l'argent
ne se mange pas. »
Proverbes des
Indiens Crees (Canada)
La thuriféraie
est au Maroc l’écosystème forestier ayant le plus régressé,
avec un recul estimé par les spécialistes de l’ordre de 90
% par rapport à son aire potentielle de répartition. Les
atteintes à cet arbre alticole ont comme causes majeures la
hache, le feu et la pression pastorale. Dans les villages
d’altitude, la forte démographie sociale se conjugue à
l’appauvrissement des ressources forestières et renoncer à
l’amputation, certes interdite, de l’arbre engendre une
distance considérable à parcourir pour tout autre ramassage
à l’usage du chauffage et de la cuisine. Les mutilations
sont donc partout omniprésentes dans les Atlas et la grande
vitalité de l’arbre ne lui permet pas toujours de survivre
à ces vicissitudes. Les vétérans calcinés ne sont pas
rares : le froid régnant à cette altitude conduit très
souvent les bergers à allumer un feu et par négligence, le
tronc continue à se consumer toute la nuit. L’incessant
parcours des Ovins et des Caprins a fait perdre au sol
l’essentiel de ses qualités physico-chimiques et hors les
coussins épineux susceptibles de protéger encore quelques
plantes fines, la pâture est maigre sur ce sol décapé, de
plus en plus lessivé par les précipitations, victime de la
forte évaporation des vents et brûlé aux ardeurs solaires.
Ainsi, le feuillage du thurifère est le fourrage à portée
de serpe des bergers et pour ce qui concerne les Chèvres,
il devient une pâture aérienne à l’instar de l’Arganier du
Souss. Le feuillage constitue aussi un aliment d’appoint
indispensable l’hiver en bergerie et il est donc coupé pour
être consommé sec. Enfin, un échafaudage de branches
entremêlées est un décor habituel sur les murs des
azibs dans l’objectif
de protéger le troupeau des chacals, des renards et des
chiens errants. En l’absence de médecin et de vétérinaire
sur place, ce sont les principes actifs du thurifère qui
sont sollicités, comme par exemple l’obtention d’un goudron
cicatrisant et antiseptique par distillation du bois. C’est
donc un arbre à tout faire et il en paie les conséquences.
Unique essence multi-usages à disposition, le Thurifère
revêt un rôle social capital. Depuis les temps les plus
reculés, c’est un lien de survie qui l’unit aux tribus
berbères des villages de la haute montagne.
Mais une trop longue exploitation intensive a eu raison de
l’arbre dont la disparition laisse maintenant un vide
drastique qui préside à l’exode des populations qui y
étaient intimement liées. Les marocains du XXIe siècle ne
transmettront pas le Genévrier thurifère à leurs enfants.
On le disait pourtant l’arbre le plus robuste du
Maroc.
La cupressaie
Tout le monde connaît les Cyprès de diverses origines dont
l’aire a bénéficié d’une considérable extension de la main
de l’Homme par des plantations artificielles au service du
reboisement, de l’ornementation et notamment à l’usage de
haies brise-vent. De nombreuses formes horticoles ont ainsi
été sélectionnées. Avec le Buis, il est aussi un funèbre
symbole puisque le monde chrétien de la Méditerranée les a
choisis tous deux pour veiller les morts de ses cimetières.
Au Maroc, les Cyprès allochtones habituellement utilisés
sont Cupressus
arizona (originaire
d’Arizona et du Nouveau Mexique), partout présents en
reboisement, C.
macrocarpa (de Californie
littorale), notamment planté en haies vives avec
irrigation, Biota
orientalis (asiatique)
surtout cultivé pour l’ornement. Il existe par ailleurs une
espèce saharo-arabique endémique au désert du Tassili, dont
il ne resterait que deux centaines de sujets sur le Plateau
des Ajjer : Cupressus
dupreziana. Des formations
subspécifiques à Cupressus
sempervivens poussent
spontanément sous formes de modestes indigénats à Chypre,
en Syrie, en Tunisie, en Algérie, sous diverses
sous-espèces locales aux aires toujours exiguës.
Au Maroc, le Cyprès de l’Atlas (C.
atlantica)
(azel,
arella)
est une essence endémique, estimée affine à
C.
dupreziana du Tassili
n-Ajjer. Ses formations couvrent une surface qui n’excède
pas 4000 à 5000 ha sur un territoire confiné au Pays des
Goundafi, dans la haute Vallée du N’fiss et ses alentours,
là où commence le Haut Atlas dit occidental. Il s’agit des
montagnes du versant nord du célèbre Tizi-n-Test, dans la
montée depuis Marrakech et Asni, en suivant initialement
l’Asif Reraya. C’est un paysage parfois lunaire de collines
d’argile rouge du permien et du trias, saupoudrées de Pins
d’Alep et de Thuyas, dont les ripisylves à Lauriers-roses
sont d’un splendide effet lors de la floraison. Le passage
de ce col fut contrôlé jusqu’au XIXe siècle par la
puissante tribu Gundafa et il reste encore les traces de
solides casbahs. Près du village d’Ijoukak, montant la
garde sur la vallée, l’austère mosquée de Tin-Mal qui fut
construite par les Almohades est un fleuron de
l’architecture religieuse de l’Occident musulman. Le Cyprès
de l’Atlas se développe dans certaines belles petites
vallées des affluents de l’Oued N’fiss, comme celle de
l’Asif Ogdemt qui descend du Djebel Ogdet. Sur ses fortes
pentes de grés argileux, la Forêt de Laghbar en abrite le
plus grand nombre, souvent en association avec des
Éphèdres, au sein d’une biocénose intéressante qui conserve
la Loutre, le Lynx caracal, de très nombreux Rapaces (parmi
lesquels ont été signalés : l’Aigle royal, l’Aigle de
Bonelli, le Percoptère d’Égypte, le Gypaète barbu). Ce
n’est pas une essence caractéristique de l’étage sommitale
puisqu’elle n’individualise ses formations préforestières
ou présteppiques qu’entre 1000 et 1400 m dans les ambiances
bioclimatiques allant du plafond du thermoméditerranéen
semi-aride frais au mésoméditerranéen subhumide froid. Mais
nous avons choisi de présenter cet endémique marocain dans
le cadre de la très haute montagne qui lui sert d’écrin. Le
Chêne vert, le Genévrier oxycèdre et le Genévrier de
Phénicie participent à ses groupements. En son plancher
inférieur, c’est le Thuya de Barbarie qui le relaye
souvent. Le Cyprès se remarque de loin avec une hauteur de
25 à 40 m, son port pyramidal régulièrement érigé, son
feuillage pleureur vert glauque. Avec un faciès qui lui est
propre, sa futaie et son écosystème sont remarquables et
bien reconnaissables. Contrairement à bien d’autres
espèces, le Cyprès de l’Atlas n’est guère utilisé dans le
reboisement.
La xérophytaie
Au-delà de la ceinture verte formée par les boisements
clairs de Thurifères, parfois associés soit à
Quercus
rotundifera, soit à
Cedrus
atlantica, mais aussi
ourlés de Buis (Buxus
balearica et
B.
sempervivens) et des
Chèvrefeuilles arborescent et des Pyrénées
(Lonicera
arborea et
L.
pyrenaica), c’est
au-dessus de 2500-3000 m le règne exclusif de la steppe à
xérophytes épineux à port hémisphérique et au système
racinaire excessivement développé. Cette formation sur
rocailles et pâturages pierreux des « zones de
combat » au climat très inhospitalier, majoritairement
constituée par des Buplèvres et des Alyssons,
réunit : Bupleurum
spinosum (Apiaceae),
Alyssum
spinosum et
Vella
mairei (Brassicaceae),
Arenaria
pungens (Caryophyllaceae),
Erinacea
anthyllis,
Cytisus
balansae,
Ononis
atlantica et quelques
espèces épineuses d’Astragales (Fabaceae).
Catalogue botanique du Djebel Oukaïmeden
(Source :
D. Filer, Université d’Oxford)
« L'odeur est
l'intelligence des fleurs. »
Henry de Montherlant
L’Oukaïmeden est une montagne contiguë au Toubkal et à son
Parc national. A l’intérieur même du périmètre
conservatoire du Parc du Toubkal, plus de 400 taxons de
plantes vasculaires ont été dénombrés, 500 y sont estimés,
dont un grand nombre d’endémiques, de rares et
d’exceptionnels (relictes boréales). 23 taxons sont
exclusifs au Massif du Toubkal. L’endémisme maximum est
enregistré à très haute altitude où les rochers suintants
et les pozzines assurent un rôle de refuge au bénéfice
d’une flore orophile européenne ou circum-boréale. C’est
l’unique site de ce type de tout le Maghreb.
AMARYLLIDACEAE :
Narcissus
bulbocodium obesus,
Narcissus
watieri
APIACEAE :
Apium
nodiflorum,
A.
repens ,
Bunium
alpinum,
B.
bulbocastanum peucedanoides,
Bupleurum
benoistii,
B.
oligactis,
B.
lateriflorum,
B.
spinosum,
B.
subspinosum,
Conium
maculatum,
Eryngium
bourgatii,
E.
variifolium,
Heracleum
sphondylium suaveolens,
Seseli
libanotis atlanticum,
Torilis
elongata
AQUIFOLIACEAE :
Ilex
aquifolium
ASTERACEAE :
Achillea
ligustica,
Aliella
helichrysoides,
A.
platyphylla,
Anacyclus
homogamus,
A.
pyrethrum depressus,
A.
valentinus,
Andryala
integrifolia,
Anthemis
pedunculata pedunculata,
Bellis
caerulescens,
Carduncellus
rhaponticoides,
Carduus
macrocephalus,
C.
maroccanus,
C.
pycnocephalus,
Catananche
caerulea f. caerulea,
C. caerulea
f. albiflora,
C.
caespitosa,
Centaurea
pubescens,
Chamaemelum
scariosum,
Cirsium
chrysacanthum,
C.
dyris,
Cladanthus
arabicus,
Crepis
hookeriana,
C.
pulchra,
C.
vesicaria,
Crupina
vulgaris,
Echinops
spinosus,
Erigeron
mairei,
Hieracium
amplexicaule,
Hypochaeris
arachnoidea,
H.
leontodontoides,
Inula
montana,
Jurinea
humilis,
Lactuca
reviersii,
L.
tenerrima,
L.
viminea,
L.
virosa,
Leontodon
atlanticus,
Mantisalca
salmantica,
Onopordum
acaulon,
Picris
hispanica,
Ptilostemon
dyricola,
Reichardia
tingitana,
Rhodanthemum
atlanticum,
R.
catananche,
Scolymus
hispanicus,
Scorzonera
laciniata,
Sc.
pseudopygmaea,
Senecio
giganteus,
S.
maroccanus,
Sonchus
asper,
S. maritimus
aquatilis,
Taraxacum
obovatum,
Tolpis
barbata,
Tragopogon
crocifolius,
T.
porrifolius,
Xeranthemum
inapertum
BORAGINACEAE :
Asperugo
procumbens,
Buglossoides
arvensis gasparrinii,
Cerinthe
major,
Cynoglossum
watieri,
Echium
flavum,
E.
plantagineum,
Myosotis
atlantica
BRASSICACEAE :
Alyssum
atlanticum,
A.
simplex,
A.
spinosum,
Arabis
alpina caucasica,
A.
auriculata,
A.
erubescens,
A.
conrigioides,
Biscutella
baetica,
Capsella
bursa-pastoris,
Descurainia
sophia,
Diplotaxis
muralis,
Draba
hispanica,
D. oredum
oreadum,
Erucastrum
elatum,
Erysimum
incanum,
E.
gramineum,
Graellsia
hederifolia,
Hirschfeldia
incana geniculata,
Isatis
tinctoria,
Lepidium
draba,
L.
heterophyllum atlanticum,
L. hirtum
dhayense,
Nasturtium
officinale,
Neslia
paniculata,
Thlaspi
perfoliatum
CALLITRICHACEAE :
Callitriche
sp.
CARYOPHYLLACEAE :
Herniaria
glabra,
H.
regnieri,
Paronychia
argentea,
P
capitata,
P.
polygonifolia,
P.
velata
CHENOPODIACEAE :
Chenopodium
album,
Ch.
exsuccum,
Ch.
vulvaria
CISTACEAE :
Helianthemum
croceum,
H.
helianthemoides
CONVOLVULACEAE :
Cuscuta
nivea,
C.
planiflora,
C.
triumvirati
CRASSULACEAE :
Crassula
vaillantii,
Sedum acre
neglectum,
S.
album,
S.
caespitosum,
S.
dasyphyllum,
S.
modestum,
S.
surculosum,
Sempervivum
atlanticum,
Umbilicus
horizontalis,
U.
rupestris
CUPRESSACEAE :
Juniperus
thurifera
CYPERACEAE :
Carex
distans,
C.
divisa,
C.
intricata,
C.
nevadensis,
C.
ovalis,
Eleocharis
palustris,
E.
quinquefolia,
Isolepis
cernua
DIPSACACEAE :
Scabiosa
atropurpurea,
Sc.
columbaria
EUPHORBIACEAE :
Euphorbia
villosa,
Mercurialis
elliptica
FABACEAE :
Anthyllis
vulneraria maura,
Astragalus
ibrahimianus,
Cytisus
grandiflorus,
C.
valdesii,
Erinacea
anthyllis,
Hippocrepis
unisiliquosa,
Lotus
corniculatus,
Medicago
suffruticosa maroccana,
Ononis
cristata,
O.
spinosa,
Trifolium
arvense,
T.
campestre,
T.
dubium,
T.
gemellum,
T.
humile,
T.
ochroleucon,
T.
repens,
T.
strictum,
Vicia
benghalensis,
Vicia
onobrychiodes,
Vicia
tenuifolia villosa
GENTIANACEAE :
Blackstonia
grandiflora,
Centaurium
erythraea suffruticosum
GERANIACEAE :
Erodium
cicutarium,
Geranium
pyrenaicum
GLOBULARIACEAE :
Globularia
liouvillei
HYPERICACEAE :
Hypericum
pubescens
IRIDACEAE :
Gladiolus
communis byzantinus
JUNCACEAE :
Juncus
bufonius,
J.
fontanesii brachyanthus,
J.
inflexus
LAMIACEAE :
Hyssopus
officinalis pilifer,
Lamium
amplexicaule,
L.
flexuosum,
Marrubium
vulgare,
Mentha
suaveolens timija,
Nepeta
atlantica,
Salvia
verbenaca,
Satureja
alpina meridionalis,
S.
atlantica, S. baetica,
Sideritis
villosa,
Teucrium
rotundifolium,
Thymus
dreatensis
LILIACEAE :
Allium
pallens,
A.
paniculatum,
A.
sphaerocephalon,
Anthericum
liliago algeriense,
Colchicum
lusitanum,
Fritillaria
messanensis,
Hyacinthoides
hispanica,
Muscari
comosum,
Ornithogalum
algeriense,
Urginea
maritima maura
LINACEAE :
Linum
bienne
LYTHRACEAE :
Lythrum
portula
MALVACEAE :
Malva
neglecta,
M.
sylvestris,
M.
tournefortiana
MORACEAE :
Ficus
carica
ONAGRACEAE :
Epilobium
alsinifolium,
E.
obscurum
ORCHIDACEAE :
Dactylorhiza
elata
PAPAVERACEAE :
Fumaria
parviflora,
Glaucium
corniculatum,
Papaver
atlanticum,
P.
dubium
PARNASSIACEAE :
Parnassia
palustris
PLANTAGINACEAE :
Plantago
coronopus cupanii
PLUMBAGINACEAE :
Armeria
atlantica
POACEAE :
Aegilops
geniculata,
A.
triuncialis,
Agrostis
castellana,
Alopecurus
aequalis,
A.
arundinaceus,
A.
geniculatus,
Anthoxanthum
odoratum,
Arrhenatherum
album,
A. elatius
bulbosum,
Avenula
bromoides,
Brachypodium
phoenicoides,
Bromus
hordeaceus,
B.
rigidus,
B.
squarrosus,
B.
sterilis,
B.
tectorum,
Dactylis
glomerata hispanica,
Dasypyrum
breviaristatum,
Festuca
atlantica oxyphylla,
F.
arundinacea atlantigena,
F.
baetica,
F.
geniculata,
F. indigesta
aragonensia,
F.
ovina,
Glyceria
notata,
Holcus
lanatus,
Hordeum
geniculatum,
H.
glaucum,
Koeleria
crassipes,
Lolium
multiflorum,
L.
rigidum,
Melica
cupanii,
M.
minuta,
Oryzopsis
caerulescens,
Phleum
bertolonii,
Poa
alpina,
P. bulbosa
vivipara,
P.
nemoralis,
P.
pratensis,
P.
supina,
P.
trivialis,
Polypogon
monspeliensis,
Stipa
nitens,
Trisetum
flavescens,
Vulpia
geniculata
POLYGONACEAE :
Polygonum
aviculare, P. bistorta,
Rumex
acetosa atlantis,
R.
acetosella pyrenaicus,
R.
intermedius,
R.
patientia,
R. scutatus
induratus
POLYPODIACEAE :
Asplenium
adiantum-nigrum,
A.
ceterach,
A.
onopteris,
A.
scolopendrium,
A.
septentrionale,
A.
trichomanes quadrivalens,
A.
viride,
Cystopteris
dickieana,
C.
filix-fragilis,
Dryopteris
acculeata,
D.
lonchitis,
Polypodium
cambricum
PORTULACACEAE :
Montia
fontana amporitana
POTAMOGETONACEAE :
Potamogeton
natans
PRIMULACEAE :
Androsace
maxima
RANUNCULACEAE :
Aconitum
lycoctonum neapolitanum,
Delphinium
balansae,
Myosurus
minimus,
Ranunculus
bulbosus aleae,
R.
dyris,
R.
granatensis,
R.
lateriflorus,
R.
penicillatus,
R.
trichophyllus
RESEDACEAE :
Reseda
alba,
R.
luteola
RHAMNACEAE :
Rhamnus
alpinus
ROSACEAE :
Alchemilla
atlantica,
Amelanchier
ovalis,
Cotoneaster
granatensis,
Potentilla
pennsylvanica hispanica,
P. recta
afra,
P.
pennsylvanica x
P. recta
afra,
Prunus
prostrata,
Rosa
canina,
R.
sicula,
Rubus
ulmifolius,
Sanguisorba
minor,
Sorbus aria
meridionalis
RUBIACEAE :
Asperula
aristata,
Galium
aparine,
G.
lucidum,
G.
mollugo,
G.
parisiense
SALICACEAE :
Populus
nigra
SAXIFRAGACEAE :
Ribes
uva-crispa,
Saxifraga
carpetana,
S.
granulata
SCROPHULARIACEAE :
Euphrasia
willkommii,
Linaria
micrantha,
L.
multicaulis,
L. tristis
livida,
Orobanche
loricata,
O.
lutea,
O.
minor,
O.
ramosa,
O.
rapum-genistae,
Parentucellia
viscosa,
Scrophularia
laevigata,
Verbascum
calycinum,
Veronica
anagallis-aquatica,
V.
beccabunga,
V.
hederifolia maura,
V. repens
cyanea,
V.
rosea
THYMELAEACEAE :
Daphne
laureola
VALERIANACEAE :
Centranthus
lecoqii maroccana,
Valeriana
tuberosa
VIOLACEAE :
Viola
odorata,
V.
tezzensis.
Autres plantes vasculaires des étages sommitaux
La végétation des hautes montagnes marocaines est
remarquable par son taux d’endémismes et l’on dénombre
quelques 800 espèces endémiques réparties aux étages
supérieurs des Haut et Moyen Atlas, et du Rif.
Cet
horizon culminal est riche en éléments de souche
oroméditerranéenne tertiaire, dont pas mal d’endémiques
diploïdes différenciés sur place et l’origine de bien des
taxons anciens semble orientale et antérieure à la crise
messinienne. Ceux-ci sont des indices d’une relative
stabilité écologique des montagnes marocaines, à l’écart de
trop grands bouleversements glaciaires comme ceux vécus
dans le Centre et le Nord de l’Europe. D’autres entités
offrent une diffusion strictement occidentale
(atlanto-méditerranéens, ibéro-maghrébins ou seulement
bético-atlasiques), consécutive aux échanges Nord-Sud
qu’ont permis la crise messinienne. Au sein des relictes
boréo-montagnardes dorénavant exposées par l’assèchement
des mouillères et l’hyper exploitation pastorale, il en est
un bon nombre introduit dans ces Atlas au bénéfice de cette
même crise messinienne plutôt qu’à la faveur des
glaciations quaternaires.
A l’herbier ponctuel du Djebel Oukaïmeden, on peut citer
quelques autres végétaux orophiles des hauteurs médio et
haut atlasiques, de leurs vallées, ruisseaux, clairières,
pâturages, rocailles, parois et cimes. Cette liste -
nullement exhaustive - ne reprend pas plusieurs espèces de
Saules qui se constituent en ripisylves parfois jusqu’a
plus de 2200 m. Ne sont pas citées non plus les Fougères
(Cystopteris,
Dryopteris,
Asplenium,
etc.) dont de nombreuses espèces, certaines rares et
endémiques, tapissent les parois, les murs de bergeries ou
de villages montagnards, les fentes humides, les rochers
suintants, les berges des torrents et des ruisselets.
APIACEAE :
Eryngium
variifolium
ASTERACEAE :
Artemisia
mesatlantica,
Cirsium
chrysacanthum,
Hertia
maroccana,
Phagnalon
sp.,
Scorzonera
pygmaea,
Senecio
doria,
Tragopogon
porrifolius
BORAGINACEAE :
Cynoglossum
dioscoridis
BRASSICACEAE :
Alyssum
embergeri,
A.
flahaultianum,
Draba
hederaefolia,
D.
tomentosa
BUXACEAE
Buxus
sempervirens
CAMPALUNACEAE :
Campanula
filicaulis
CAPRIFOLIACEAE :
Lonicera
pyrenaica
CARYOPHYLLACEAE :
Arenaria
armerina,
Paronychia
argentea,
P.
kapela,
Sagina
saginoides,
Silene
ayachica
EPHEDRACEAE :
Ephedra
major
EUPHORBIACEAE :
Euphorbia
nicaeensis
FABACEAE :
Astragalus
turolensis,
Cicer
atlanticum,
Cytisus
purgans,
Ononis
cenisia,
Trifolium
humile,
Vicia glauca
rerayensis
GENTIANACEAE :
Gentiana
atlantica,
G.
ciliata (*),
G.
penetii,
G.
torneziana,
Gentianella
tenella
(*) La limite
géonémique méridionale de la Gentiane ciliée ou Gentiane
effrangée se situe dans le M’Goun (1900-3000 m) d’où elle
fut signalée pour la première fois en 1951 par une
expédition britannique et rarement recueillie depuis.
GERANIACEAE :
Erodium
atlanticum
JUNCACEAE :
Luzula
atlantica,
L.
spicata
LILIACEAE :
Asphodelus
acaulis
PAPAVERACEAE
Papaver
ruprifragum,
Platycapnos
saxicola
POACEAE :
Nombreuses espèces de Festuca
(F.
hystrix,
F.
maroccana,
F.
yvesiana...),
Nardus
stricta, etc.
POLYGONACEAE :
Rumex
atlanticum
PORTULACACEAE :
Montia
fontana
PRIMULACEAE :
Androsace
villosa
RHAMNACEAE :
Rhamnus
pumilla
SAXIFRAGACEAE :
Ribes
alpinum
SCROPHULARIACEAE :
Linaria
lurida,
Scrophularia
macrorhyncha,
Veronica
chartoni
VALERIANACEAE :
Centranthus
longiflorus atlanticus,
Valeriana
globulariifolia
VIOLACEAE :
Viola
dyris,
V.
saxifraga.
Une grande faune aux aguets
Dans ces hautes régions où la pression humaine est tout de
même assez limitée, où l’activité pastorale est
saisonnière, où le tourisme reste sporadique et feutré, des
prospections récentes montrent cependant un grave recul des
Mammifères. La moindre perturbation y est-elle reçu comme
amplifiée par une faune aux aguets dans l’immobilité de cet
univers voué à la sérénité ? Le moindre écho de la
plus modeste manifestation anthropique y est effectivement
perçu avec acuité et une discrétion exemplaire est donc de
rigueur. Comme dans l’histoire de l’éternuement qui
déclenche l’avalanche... Pour attirer l’attention sur les
risques menaçant l’avenir de la haute montagne, il est
ainsi de bon aloi d’adopter une attitude volontairement
pessimiste, même si les conditions d’évaluation sont à cet
étage souvent difficiles et qu’une carence d’observations
puisse bienheureusement réserver quelques bonnes surprises.
L’Hyène rayée fait l’objet de plusieurs observations
directes, de relèvement d’indices ou de notation de cris,
notamment dans le M’Goun (une population d’une dizaine
d’animaux y avait été recensée dans les années 90), même
une fois près d’Oukaïmeden (1994). La Panthère était encore
présente çà et là sur les versants nord du Haut Atlas
oriental et central jusqu’en 1985, dans le haut Djebel
Bou-Iblane (Moyen Atlas) jusqu’en 1994. Plus tard, diverses
présences du discret félin sont documentées par quelques
spécialistes dans le Haut Atlas central : Bou-Tferda
près d’Iddis, Tilouguite et Gorges du Wabzaza. Il ne s’agit
plus que d’exemplaires errants et l’animal est voué à une
extinction imminente. Le Lynx est rarissime : il a été
découvert en 1996 dans le Haut Atlas central (Mscuir) et
oriental (Tounfite) mais il n’est qu’à peine concerné par
l’étage montagnard. Le Renard roux est un constant du
paysage, mais le Chacal doré décline et devient si
vulnérable que faute d’attaques, les bergers ont désormais
relâché la surveillance de leurs troupeaux. Des petits
groupes de la Gazelle de Cuvier sont souvent aperçus sur le
versant sud du Haut Atlas central et oriental, depuis la
région d’Ouarzazate jusqu’à celle de Rich. Elle monte
jusqu’à 2600 m en été et se repli plus bas l’hiver. Le
Mouflon à manchettes constitue pour les amateurs de la
faune sauvage l’espèce emblématique du Haut Atlas, tant
dans le Parc du Haut Atlas oriental (49.000 ha entre le
Djebel Aderdouz et le Plateau des lacs d’Imilchil), avec
une approximation de 200 sujets, que dans celui du Toubkal
où la réserve de Takherkort a été créée afin d’assurer la
protection de quelques 400 individus. A l’extérieur des
parcs, les petites populations se maintiennent sur quelques
hautes montagnes mais sont très menacées (Bou-Iblane dans
le Moyen Atlas plissé, Djebel Ayachi dans le Haut Atlas
oriental). Loin des villages, la Loutre se montre près des
eaux vives, comme dans les reliefs plissés du Moyen Atlas
septentrional (Bou-Iblane) ou dans le M’Goun, mais n’a
jamais été contactée à très haute altitude. Le Magot, plus
spécifique à la cédraie, est bien connu des Hauts Atlas
oriental (région de Tounfite) et central (Oued Lakhdar,
Oued Ourika, versant occidental du Djebel Yagour), mais ne
fréquente nullement les grandes altitudes. Le Chat sauvage,
le Porc-épic, la Genette, la Mangouste et d’autres espèces
concernent les formations forestières, notamment à Chêne
vert, du plancher inférieur. Il faut ajouter le Lièvre,
quelques petits Rongeurs et des chiroptères dont quelques
représentants dépassent 2000 m. Une mention anecdotique
concerne le sympathique Écureuil de Barbarie : il
atteint 4000 m sur le Mont Toubkal.
Le Mouflon à manchettes.
par Jean Delacre
Les
mouflons ne sont pas de Panurge...
Juin 2004, Haut Atlas occidental, versant nord du
Tizi-n-Test, vallée de l’Oued N’fiss, commune de
Ouirgane...
Je suis attendu à la Réserve de Takherkort (Parc national
du Toubkal) par Mohamed Dikkelah, chef du secteur, dont
Monsieur l’ingénieur Benhiba, directeur régional des Eaux
et Forêts du Haut Atlas de Marrakech, avait bien voulu
mettre les compétences à ma disposition pour tenter de
photographier l’un des derniers grands Mammifères
climaciques de l’Atlas : le Mouflon à manchettes. Je
les en remercie encore.
Mohamed Aït-Alhaj, l’un des gardiens du Parc, était déjà
sur place à mon arrivée. Le gardien, le chef de secteur,
mon assistant, ma femme et moi, nous voici donc réunis en
un groupuscule, certains « discrètement » vêtus
de couleurs attractives et bien peu
« cryptiques »... Ainsi accompagné et dans un
silence très relatif, tel un Tartarin de l’Atlas, je pars
donc traquer et photographier l’un des Mammifères les plus
farouches du Maroc ! Évidemment, nous avons rapidement
vu les Mouflons, mais les Mouflons nous ont aussi repérés,
et bien avant nous. Rompu à la photo animalière, je compris
immédiatement qu’en ces conditions très aléatoires,
l’objectif ne serait pas atteint. Je pris donc mon mal en
patience, me disant bon gré, mal gré, qu’en dépit du peu de
temps qui m’était imparti pour ce reportage, cette première
approche ferait office de repérage préliminaire. Il faut
savoir se faire une raison !
M’arrangeant pour revenir le lendemain avec pour seul
accompagnateur Mohamed le gardien, dont j’avais pressenti
la veille les dons de pisteur, me voici de
facto confronté à un
nouveau problème, d’ordre identitaire cette fois.
L’approche des Mouflons n’est rien comparée à celle des
Humains... Deux gardiens se partagent la surveillance de
cette aire à Mouflons, en rotation toutes les 24 heures.
Malgré mon autorisation ministérielle signée par Monsieur
Abdelaadim Lhafi, Haut Commissaire aux Eaux & Forêts et
à la Lutte contre la Désertification, le second gardien,
imperturbable, n’entendait pas nous laisser passer.
« Pas prévenu » disait-il ! Papier officiel
ou pas, c’était « sa » journée et pas question
d’entrer, son prestige était en cause. Après
d’interminables palabres mi-tachelhit des gardiens et
mi-tamazight de Saïd, mon aide de camp, je me mis à penser
un instant (en wallon !) que c’était gagné ! Et
bardé de mes appareils photos, nous voici donc repartis
vers 14 h à la recherche d’Ammotragus
lervi.
Enfin
discrètement à deux ? Non, à quatre car l’autre
gardien décidément très coriace, ne voulait pas lâcher
prise et restait à nos basques. J’ai donc chargé Saïd
d’user de tous les artifices diplomatiques pour retenir
l’empêcheur de photographier. Dont acte et nous voici enfin
tranquilles et opérationnels, Mohamed et moi. En Homme de
terrain de tout premier ordre, vrai Mouflon parmi les
Mouflons, et cette fois dans un silence rigoureux, il me
conduit droit sur les animaux, qui à cette heure font la
sieste, tapis dans des petits ravins touffus et ombragés.
L’approche des premiers grands mâles est difficile car,
abrités dans ces dénivellations qui par ailleurs rendent la
marche périlleuse, les animaux ne sont jamais bien
visibles. En fin limier et parfait connaisseur, Mohamed
s’applique à casser délicatement des branches et à imiter
le bruit du frottement des cornes sur les écorces, histoire
d’attirer leur attention et… parfois me dévoiler leur
présence. Très méfiants, nous ne les apercevons que
furtivement, se défilant toujours derrière un écran de
végétation contrariant toute prise de vue. Mais Mohamed
connaît intimement leurs habitudes. Il les retrouvera dans
une heure, dans deux heures, ou dans trois, mais il me
reconduira coûte que coûte dans leur sillage, optant sans
équivoque pour le bon ravin parmi cent autres où, dérangés,
les Mouflons avaient de nouveau élu domicile pour digérer
leurs repas de la nuit et du matin. Les femelles, plus
curieuses de nature et accompagnées de leurs jeunes, se
prêtent à quelques bonnes prises de vue, me laissant à
chaque rencontre trois ou quatre secondes pour mettre au
point et déclencher. Pas plus, juste suffisant, et encore
pas à chaque contact. Et ces grands mâles aux cornes
impressionnantes ? Quelques photos furent possibles
grâce à la connaissance du terrain de mon accompagnateur,
mais jamais de près.
Quelle leçon d’humilité que ces animaux aux sens aiguisés,
qui jamais ne se laissent surprendre ! Le surpris,
c’était toujours moi ! Et quand, nous avions approché
un sujet à moins de cinq mètres sans le savoir, quelle
émotion devant le démarrage turbo de l’animal ! Moi
qui connais bien les Sangliers pour les côtoyer souvent, je
n’avais jamais vu un animal d’un tel poids détaler avec la
vivacité de cet énorme Mouflon qui, dans un fracas de
branches brisées, disparaît instantanément, me laissant
pantois et désolé de n’avoir pu même lever mon
téléobjectif. Le terrain est difficile, très accidenté et
d’ascension assez dangereuse. Mohamed, lui, sautait
alertement d’un rocher à l’autre comme un vrai Mouflon,
mais moi, sur ces sols pentus, écorchés et au substrat
instable, je suivais tant bien que mal, plutôt mal et non
sans peur. Quelques chutes sans gravité me rappelaient à
l’ordre de la prudence en ressaut de ces falaises et en
surplomb des profondes ravines. Exténué et assoiffé, après
plusieurs heures d’escalade et de poursuite, me voici de
nouveau au contact de ces trois mâles majestueux que
j’éternise sur ma pellicule dans des conditions pas
vraiment optimales. Mission accomplie ! J’avais
consacré l’une des journées antérieures au Dragonnier du
Haut Massa et bien que l’accès n’avait déjà rien d’une
partie de rigolade, j’en arrivais à regretter ces plantes
qui m’attendaient imperturbablement enracinées à vie sur
les vires de leur haute falaise !
Retour fourbu à la Land-Rover où j’allais enfin pouvoir me
réhydrater. Mais point de Saïd, pas de second gardien et
pour le comble les clefs de ma voiture dans la poche du
premier ! Une heure interminable d’attente la gorge
sèche, j’envisageais vraiment de balancer un bloc de pierre
pour briser une vitre et pouvoir accéder à l’élément
liquide. Saïd revint enfin... Il avait dû ruser pour
empêcher l’autre gardien de m’importuner en me suivant
comme un mouton de Panurge, pour comme la veille menacer le
succès de mon approche photographique. J’en ris maintenant
mais sur place, il valait mieux ne pas me parler.
Dans son français approximatif, et avec des gestes
explicites, au fil des heures passées en sa compagnie,
Mohamed m’a fait profiter de son immense connaissance du
terrain. Les traces, les salines naturelles, les effluves
et les senteurs envoûtantes de la montagne, les pierres,
les plantes, et les magnifiques Circaètes-Jean-le-Blanc
nourrissant leurs jeunes avec des Serpents nombreux dans la
réserve, rien n’était ignoré, dans le plus grand plaisir
d’un silence partagé.
Mouflons en tous genres, Chèvres et Moutons... :
faisons le point !
Le Mouflon à
manchettes (Ammotragus
lervia) peuple
l’Égypte, la Libye, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le
Soudan, le Tchad, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Cette
espèce classée vulnérable qui voit ses effectifs en baisse
en raison des modifications de son environnement et d’une
chasse abusive, a été introduite dans les Iles Canaries,
dans le sud-ouest des États-Unis et au Mexique. Sa robe est
fauve clair, son poil est demi-long et épais sur le corps,
extrêmement long sur les pattes antérieures et sur toute la
longueur du dessous du cou, le mâle mesure un mètre au
garrot pour un poids de 115 kg. Comme chez tous les bovidés
et contrairement aux Cervidés, ses cornes sont permanentes.
Elles sont remarquablement développées chez le sexe
masculin. Durant la saison des amours, les mâles se
montrent agressifs et leurs combats sont très
spectaculaires. Après une gestation de 170 jours, la
femelle met un ou deux petits au monde. La durée de vie de
l’animal est d’une quinzaine d’années. Également connu sous
le nom d'aoudad,
le Mouflon à manchettes est un excellent grimpeur des zones
escarpées, notamment subsahariennes. Son régime est très
frugal, se nourrissant de plantes herbacées et de
broussailles. Il peut vivre sans boire, se contentant de la
rosée. Il évolue plutôt en petits groupes familiaux,
composés d'un mâle adulte et de deux à cinq femelles,
chacune accompagnée de sa progéniture. C’est un Bovidé du
genre Ammotragus
qui
n'est représenté que par cette seule espèce, intermédiaire
entre le Mouton et la Chèvre. C’est pourquoi il appartient
à la sous-famille des Caprinés (comme le Chamois ou le
Bouquetin du genre Capra).
Au Maroc, l’effectif du Mouflon à manchette est estimé à
plus d’un millier d’animaux, la plupart au sein de figures
de protection. En dehors des réserves, survivent des
petites populations très menacées. Quasiment éteint du
Moyen Atlas (quelques sujets subsistent peut-être dans la
région d’Outat-Oulad-El-Haj...), en recul dans l’Anti-Atlas
et les Atlas sahariens, l’effectif le plus fourni reste
celui des populations du Haut Atlas.
Parlons donc un peu origines... L’ancêtre de la Chèvre
domestique (Capra
hircus) est la Chèvre
à bézoard d’Arménie (Capra
aegagrus). Le bézoard
est cette concrétion de l’estomac et des intestins des
Herbivores à laquelle on attribuait autrefois des vertus
médicinales (la pierre de bézoard était une antidote).
Quant à notre cher Mouton domestique (Ovis
aries), l’analyse
cytogénétique confirme qu’il descend du
Mouflon d’Asie
mineure (Ovis
orientalis), la plus
petites espèce du genre Ovis
et
qui possède aussi 54 chromosomes, avec une influence
possible de l’Urial d’Arménie (Ovis
vignei). Selon les
naturalistes-historiens et les découvertes archéologiques,
la date de sa domestication oscillerait autour du VIIIe
millénaire avant J.-C., juste après celle du Chien et de la
Chèvre. Depuis la Mésopotamie et le croissant fertile, la
pratique de son élevage se serait étendue vers la Perse
puis au bassin méditerranéen. Plusieurs vagues envahirent
l’Europe : l’Urial jusqu’en Suisse via les Balkans, le
Mouflon d’Asie Mineure jusqu’en Grande Bretagne via
l’Allemagne et le Danemark, enfin le Mouton mésopotamien
sur la côte méditerranéenne via l’Égypte. Sachant aussi que
des Mouflons subsistèrent à l’état sauvage dans l’Europe du
Moyen Âge, il serait bien hasardeux de construire la
généalogie des races actuelles et la thèse d’une origine
multicentrique, provenant tout autant d’échanges culturels
que de convergence d’idées, est celle retenue. Cependant il
est acquis que le Mouflon corso-sarde (ovis
orientalis musimon) ne mérite pas
d’être qualifié ainsi : il s’agit d’un scénario de
« marronnage », soit d’un Mouton ensauvagé après
son abandon sur ces îles. A la fin de l’âge de bronze, le
Mouton de l’île de Soay connut un sort identique ! Ces
races possèdent en effet une toison laineuse qui trahit
leur domestication antérieure, car chez le Mouflon sauvage
seule la sous-couche du pelage est laineuse. Les Hommes ont
progressivement sélectionné les animaux afin de réduire le
grossier poil de jarre au profit du fin duvet laineux. On
dénombre environ 450 races de Moutons domestiques, avec les
sélections respectives aux types de pâturages, de climats
et d’altitudes, selon une polymorphie très riche (taille,
couleur, nombre de cornes, forme des oreilles, type de
toison..) puisqu’il existe même (non pas un mouton à cinq
pattes...), mais un Mouton sans laine ! Fournissant
lait, viande et laine, grégaire et dépourvu d’agressivité
mais ayant hérité du Mouflon une sensibilité développée
(vue aiguisée, ouïe fine, excellent odorat), le Mouton ne
pouvait que séduire l’Homme. Il faut savoir qu’il existe le
rapport assez constant d’un Mouton pour trois Humains...
Approcher le
Mouflon à manchettes m’a bel et bien permis d’acquérir la
preuve éthologique qu’il est le moins « mouton »
de tous les Mouflons...
Les Oiseaux des cimes
« Un
oiseau s'est posé sur le sommet de la montagne. Puis il
s'est envolé.Qu'est-ce
que la montagne a perdu ?Qu'est-ce
que la montagne a gagné ? »Mawlânâ (maître
soufi)
Dans les thuriféraies et oxycédraies, se rencontrent assez
facilement plusieurs espèces aviaires, qui ne sont
cependant pas toutes nécessairement caractéristiques de ces
milieux : c'est le cas pour le Pic de
Levaillant (Picus
vaillantii), l'Alouette
lulu (Lullula
arborea), la Grive
draine (Turdus
viscivorus), le Merle noir
(Turdus
merula), le
Rouge-queue de Moussier (Phoenicurus
moussieri), la Mésange
noire (Parus
ater) et le Roitelet
triple-bandeau (Regulus
ignicapillus), tous
sédentaires à ces hautes altitudes.
Bien plus spécialisé est le Merle à plastron
(Turdus
torquatus), visiteur
exclusivement hivernal, surtout dans le Haut Atlas,
originaire des hautes montagnes d'Europe Occidentale, de
Scandinavie et d'Écosse, qui se nourrit presque
exclusivement à cette saison des graines de Genévriers,
dont il participe d'ailleurs à la dissémination et, dans
une certaine mesure, à la régénération. Deux espèces
de Grives, également hivernantes venues d'Europe, sont
souvent visibles dans les mêmes milieux : il s'agit de
la Grive musicienne (Turdus
philomelos) et de la Grive
mauvis (Turdus
iliacus). Typique
aussi de ces zones montagneuses du Haut Atlas, la Fauvette
de l'Atlas (Sylvia
deserticola), endémique
nord-africaine, surtout visiteuse d'été, qui se
répand durant l'hiver vers le sud du pays, atteignant
les confins sahariens, notamment la région du Tafilalt (Erg
Chebbi par exemple).
Lorsque des éboulis rocheux apparaissent, dans ces étages
supérieurs de la végétation, et même encore plus hauts en
altitude, on peut rencontrer le Bruant fou
(Emberiza
cia) et le
Merle bleu (Monticola
solitarius), tous deux
sédentaires ou plus ou moins erratiques durant l'hiver
suivant les conditions d'enneigement de leur habitat. Les
falaises de la même zone sont habitées par d'autres espèces
sédentaires ou erratiques, qui y nidifient également, et
qui peuvent aussi étendre plus haut leur zone de
répartition : la Buse féroce (Buteo
rufinus), le Faucon
pèlerin (Falco
peregrinus), le Pigeon
biset (Columba
livia), le Traquet
rieur (Oenanthe
leucura) et le Crave à
bec rouge (Pyrrhocorax
pyrrhocorax.)
Dans les oxycédraies présteppiques les plus méridionales se
rencontre un mélange curieux d'espèces paléarctiques et
paléotropicales. Ainsi, aux côtés d'espèces endémiques
nord-africaines, comme la Perdix gambra
(Alectoris
barbara), le
Rouge-queue de Moussier (Phoenicurus
moussieri) et la Fauvette
de l'Atlas (Sylvia
deserticola),
nidifient aussi
d'autres espèces méditerranéennes plutôt européennes, comme
la Fauvette à tête noire (Sylvia
atricapilla), la Fauvette
mélanocéphale (Sylvia
melanocephala) et le Traquet
oreillard (Oenanthe
hispanica), ainsi que
d'autres espèces plus propres aux zones sahariennes, comme
le Traquet du désert (Oenanthe
deserti) et le Traquet
à tête blanche (Oenanthe
leucopyga).
C’est dans les xérophytaies que quelques espèces atteignent
leur limite altitudinale supérieure de distribution,
comme : la Perdrix gambra (Alectoris
barbara), l'Engoulevent
d'Europe (Caprimulgus
europaeus), le Pipit
rousseline (Anthus
campestris), la Fauvette à
lunettes (Sylvia
conspicillata), le
Rouge-queue de Moussier (Phoenicurus
moussieri), la Linotte
mélodieuse (Acanthis
cannabina) et le Bruant
fou (Emberiza
cia). Mais les
espèces vraiment caractéristiques de ces formations
végétales sont surtout l'Alouette hausse-col
(Eremophila
alpestris atlas), relicte
européenne qui a trouvé refuge ici après le retrait de la
dernière glaciation, le Traquet de
Seebohm (Oenanthe oenanthe
seebohmi) et
le Roselin à ailes roses (Rhodopechys
sanguinea).
A la faveur des torrents ou asifs de haute montagne,
remontent également à très haute altitude : le
Troglodyte mignon (Troglodytes
troglodytes), le Cincle
plongeur (Cinclus
cinclus minor) et la
Bergeronnette des ruisseaux (Motacilla
cinerea). En hiver ou
de passage, ou peut encore y rencontrer la
Bergeronnette grise (Motacilla
alba), le Pipit
farlouse (Anthus
pratensis) et même le
Chevalier guignette (Actitis
hypoleucos).
Dans les plus hauts éboulis rocheux, nidifient encore
localement : le Monticole de roches
(Monticola
saxatilis), exclusivement
visiteur d'été, le Rouge-queue noir (Phoenicurus
ochruros gibraltariensis) et une autre
relicte glaciaire européenne à l'instar de l'Alouette
hausse-col, à savoir l'Accenteur alpin (Prunella
modularis), que l'on peut
rencontrer notamment à la station de sports d'hiver de
l'Oukaïmeden. Dans cette même station, ainsi qu'à proximité
ou même dans les autres douars de haute montagne,
se reproduisent également : le Faucon crécerelle
(Falco
tinnunculus), la Chouette
chevêche (Athene
noctua), le Moineau
soulcie (Petronia
petronia), l'Hirondelle
de fenêtre (Delichon
urbica),
et probablement l'Hirondelle rousseline
(Hirundo
daurica).
Autour des cimes élevées, notamment celles du Toubkal,
volent souvent : le Martinet alpin
(Tachymarptis
melba), l'Hirondelle
de rochers (Ptyonoprogne
rupestris), le Crave à
bec rouge (Pyrrhocorax
pyrrhocorax), le Chocard à
bec jaune (Pyrrhocorax
graculus) et, bien plus
rares, le Martinet de Cafrerie (Apus
caffer), visiteur
d'été très localisé nichant dans les vieux nids
d'Hirondelles rousselines, ainsi que l'Aigle royal
(Aquila
chrysaetos) et le Gypaète
barbu (Gypaetus
barbatus), pratiquement
disparu du Maroc et pour lequel un programme spécial de
sauvegarde a été mis sur pied par le Club Alpin Français de
Casablanca.
Marcher sous les eaux
Le Cincle plongeur (Cinclus
cinclus) est un Oiseau
qui rappelle le Merle, moins grand mais d’une silhouette
plus massive, un bec court et mince, une queue brève, tel
un gros Troglodyte. Son plumage est marron-noir avec une
gorge et une poitrine d'un blanc lumineux. On le repère à
son chant mélodieux. D’une présence discrète puisque
solitaire, il n’est jamais loin dans l’Atlas lorsque coule
un asif rapide, fougueux et peu profond, aux rives
caillouteuses.
Son menu est à base d'Insectes, de larves aquatiques, de
petits Crustacés, de Mollusques et il possède une technique
de pêche qu'il est le seul Oiseau à utiliser. Plongeant
sous l'eau vive, il y déploie ses ailes de façon à ce que
le courant le plaque au fond de l’onde et marche alors
totalement immergé en récoltant ses proies dans le lit du
ruisseau. Il plonge même en hiver quand la rive gelée. Dans
l’Asif-n-Aït-Iren qui longe la petite route qui grimpe à
l’Oukaïmeden, c’est l’étrange Oiseau que l’on voit, perché
sur une pierre derrière les petites cascades, en train
d’exécuter d'incessantes révérences. Dérangé, il file d’un
vol droit et bas pour se poser un peu plus loin en
balançant son corps en avant. Le Cincle plongeur est le
seul Oiseau chanteur capable de nager et de plonger.
L’herpétofaune montagnarde
Le cortège ci-après concerne spécialement les hautes
montagnes (1800 à plus de 3500 m) attenantes au Toubkal,
voire partiellement le M’Goun. Il n’inclut aucune
observation herpétologique se rapportant aux étages
montagnard méditerranéen et oroméditerranén du Moyen Atlas,
bien que certaines espèces soient évidemment communes aux
hauteurs deux systèmes.
Amphibia
Anura
Discoglossidae
Le Discoglosse peint.
Bufonidae
Le Crapaud
commun ; le Crapaud de Maurétanie (ou Crapaud
panthérin), le Crapaud vert.
Hylidae
La Rainette
méridionale.
Ranidae
La Grenouille
verte d’Afrique du Nord (présente dans tous les cours
d’eau, lacs et flaques, même de qualité dégradée).
Reptilia
Gekkonidae
Le Gecko à
paupière épineuse (ou Gecko diurne du Grand Atlas)
(Quedenfeldtia
trachyblepharus est d’une
présence très soutenue dans toutes les zones rocheuses du
Toubkal où se rencontre jusqu’à 4000 m. C’est le seul
représentant orophile de la vingtaine d’espèces marocaines
de Tarentes, Geckos, Saurodactyles, etc., la grande
majorité étant inféodée à des écosystèmes d’étages
inférieurs et généralement à tendance aride, d’origines
saharienne ou sahélienne.
Lacertidae
Le Lézard ocellé
d’Afrique du Nord ; le Lézard d’Andreanszky (ou Lézard
du Haut Atlas) (Endémique des plus hauts sommets qu’il
fréquente jusqu’à plus de 3500 m, depuis la plupart des
cimes du Haut Atlas jusqu’au Bou-Iblane du Moyen Atlas
plissé) ; le Lézard à lunettes (ssp.
chabanaudi) ;
le Lézard hispanique d’Afrique du Nord (Podarcis
(hispanicus) vaucheri)(jusqu’à 3000
m) ; le Psammodrome algire (a également été contacté
aux alentours de 3000 m) ; l’Érémias d’Olivier ;
l’Acanthodactyle commun (Acanthodactylus
erythrurus atlanticus).
Scincidae
La seule espèce
ici présente est le Seps montagnard, les autres Eumécès,
Seps, Sphénops et Scinques (23 espèces vivent au Maroc)
étant plus nordiques, littoraux ou steppiques, notamment
psammophiles.
Colubridae
La Couleuvre fer
à cheval ; la Couleuvre girondine (ou Coronelle
bordelaise) ; la Couleuvre à capuchon ; la
Couleuvre vipérine ; la Couleuvre de Montpellier (des
sujets âgés survivent dans le boisement parsemé d’énormes
blocs chaotiques de l’Adar-Tizerag).
Viperidae
La Vipère naine
de l’Atlas (très fréquente, notamment sur le Plateau de
l’Oukaïmeden) ; la Vipère de Maurétanie.
De ce cortège, quatre espèces sont strictement tributaires
des étages bioclimatiques de la haute montagne à hiver
froid : Quedenfeldtia
trachyblepharus,
Lacerta
andreanszkyi,
Chalcides
montanus et
Vipera
monticola, les deux
premières qui plus est restreintes au Haut Atlas. Il s’agit
d’endémiques marocains.
Les Papillons garants de l’étage sommital
Dès le plancher supérieur de la forêt franchi, quand les
derniers pans de chênaie verte ou de cédraie cèdent la
place à l’horizon plus ou moins dénudé de la formation à
coussinets épineux, ponctué de Genévriers thurifères, le
plus alticole des arbres, le cortège des Lépidoptères subit
de pair une franche mutation. Déjà, les espèces des étages
montagnard méditerranéen et oroméditerranéen ne présentent
plus, dans leur grande majorité, qu’une seule et unique
génération. C’est la conséquence des particularités
climatiques plutôt inhospitalières : période hivernale
rigoureuse et prorogée, induisant une brève phase estivale,
fortes oscillations de température entre le jour et la
nuit. Les Papillons n’ont qu’un laps de temps limité pour
éclore, pondre, voir se développer leur larve jusqu’à la
nymphose de celle-ci. Certains ne parvenant pas à boucler
cette boucle durant une même saison se sont super-adaptés
par un stade larvaire plus étalé sur au moins deux saisons,
et entrecoupé de longues diapauses larvaires. Ce qui fait
alors que le lépidoptériste, ou « chasseur de
Papillons », constate des bons et des mauvais
millésimes selon la densité irrégulière des imagos qui
éclosent. A cette fugacité de la belle saison il faut
joindre, pour les montagnes atlasiques, le paramètre de la
grande insolation et de la grande sécheresse qui font que
peu d’espèces sont « équipées » pour voler après
juillet. Ce n’est donc que durant les huit à dix semaines
de regain vernal, sommairement entre la fonte des neiges et
l’arrivée des troupeaux, que le djebel est un
paradis,
le dernier éden pour les Papillons. Car si
l’altitude entraîne des conditions environnementales plus
rudes, elle génère aussi une plus grande diversité
botanique. Et qui dit flore, dit Papillons. Une autre
adaptation porte sur le chromatisme et les Lépidoptères de
la haute montagne présentent souvent des couleurs sombres,
grâce auxquelles ils absorbent davantage de lumière, et
donc d’énergie solaire. C’est une règle générale aux
nombreuses exceptions et chacune peut se discuter... Bien
d’autres adaptations permettent aux Papillons d’évoluer
jusqu’à plus de 3000 m dans les cordillères des Atlas,
comme dans toutes les montagnes du monde.
Dès 2000 m et chaque fois qu’une Graminée du type Sparte
occupe abondamment une pente, l’espace est animé durant
toute la courte saison par le vol grégaire du Grand Nègre
de l’Atlas (Berberia
lambessanus), proche cousin
plus montagnard du Grand Nègre berbère (Berberia
abdelkader) des mondes
mésétien et collinéen de la nappe alfatière (région
naturelle de l’Oriental). C’est une
espèce-ombrelle très importante pour traduire le
maintien de la biocénose de l’écosystème, car ce Papillon
s’éclipse à la moindre dégradation de son espace de vol et
au premier recul de son herbe nourricière. Son effectif est
très variable, d’une présence tenace certaines
« bonnes » années jusqu’à peu repérable certaines
autres. Les afforestations en ressaut de l’Oukaïmeden ont
eu la capacité de fixer l’espèce en renforçant
temporairement sa densité, grâce à une incidence de
développement accrue en clairières d’une de ses
Graminées-hôtes locale. Mais le Berberia
n’étant en aucun
cas sylvicole, il en sera biffé quand se refermera la
formation forestière. Certains grands Genêts qui
envahissent les trouées sont déjà contre-indiqués aux
conditions favorables de son aire de vol. Quelques autres
Papillons mésothermophiles se manifestent dans le sillage
des plus basses stations à Berberia
lambessanus, mais il s’agit
d’espèces caractéristiques de l’étage supraméditerranéen et
qui trouvent là leurs limites altitudinales.
B.
lambessanus vole notamment
dans le Massif du Toubkal, en certains secteurs du versant
nord du M’Goun (région du Djebel Azourki, Tizi-n-Tamda,
etc.), puis ça et là, très rare, sur le Plateau d’Imilchil.
Lorsque l’on veut « grimper » vers les sommets de
l’Atlas, la voie la plus logique est celle des hautes
vallées au pittoresque toujours remarquable,
particulièrement dans le Haut Atlas. Là, dans la vive
incision de la roche, s’écoulent des torrents d’eau
cristalline aux berges richement ourlées de plantes
hygrophiles, souvent bordés de prairies florifères, ou
seulement agrémentés plus haut de petites mouillères du
type pozzine. Dans ce décor enchanteur, dès l’altitude
approximative de 2500 m et selon le faciès écologique en
place, l’entomologiste énumère de nombreux Lycènes
comme le Grand Cuivré flamboyant (Heodes
alciphron) à la livrée du
mâle revêtue d’un glacis violacé et qui mérite quelques
commentaires. Il est réparti depuis l’Europe jusqu’en
l’Iran, le Sud de la Sibérie, de l’Oural et la Mongolie.
Son indigénat africain est exclusif au domaine hercynien
intra-atlasique de quelques très hautes vallées du Massif
du Toubkal et du Djebel Siroua. Son existence sur le toit
du Maghreb atteste du rôle de ces montagnes dans la
conservation jusqu’à nos jours de véritables subfossiles
que représentent de telles espèces d’origines
eurosibériennes. La chenille de ce sublime Lycène se
nourrit des Oseilles sauvages ripicoles
(Rumex
acetosa,
R.
scutatus, etc.), très
abondantes le long des rives des asifs. La sous-espèce
marocaine heracleanus
est
de plus grande taille que la forme européenne et la
suffusion violette du mâle nettement plus éteinte. Tandis
que la femelle ne quitte guère les mégaphorbiées
d’oseilles, déposant un à un ses oeufs sur les tiges, les
mâles se réunissent en congrès sur certains éperons rocheux
en aplomb. A la pâle image de notre société humaine, ils
ont probablement des prérogatives qui ne regardent pas
leurs femelles, plus sagement préoccupées par la continuité
de l’espèce... Si Heodes
alciphron heracleanus est parvenu à
voler jusqu’à nos jours en ces quelques étroites
localisations, nous le devons assurément aux entractes
annuels de l’agdal qui par un sage calendrier de repos des
pâtures permet à toute la biocénose « exténuée »
de « souffler un peu ». La Piéride de Segonzac
(Pieris
segonzaci) vole dans les
mêmes parages, parfois à foison et sous la forme de nuages
blancs d’imagos fraîchement éclos, apparitions pléthoriques
devenues exclusives à ce secteur du Toubkal. En bonne
indicatrice hygrophile, cet endémique des hauteurs atteste
d’une lente agonie dans la plupart des autres djebels de la
cordillère où la désertification fait ses ravages en
desséchant les niches détrempées qui représentaient son
aire de vol préférentiel. C’est encore une espèce aux
affinités boréo-alpines puisque sur les hautes montagnes
maghrébines, elle est l’homologue de Pieris
bryoniae qui, des
Pyrénées au Tian-Shan, remplace en altitude la banale
Piéride du Navet. Fidèle aux Crucifères, elle dépend au
Maroc de l’Alysson épineux.
Poursuivant l’ascension et quittant les longs couloirs
arrosés et les versants pouvant dominer la plaine, on entre
alors dans la profondeur des massifs. Des espaces
tabulaires d’amplitude variable que dominent les plus
grandes cimes, offrent un nouveau type d’habitat nettement
plus maigre. C’est la steppe froide à végétation prostrée
ou rampante, le plus souvent en lutte avec les assauts du
vent et où règne essentiellement la xérophytaie, sans la
moindre ponctuation arbustive. De modestes pelouses,
d’immenses pierriers sommitaux et des couloirs d’avalanche
sont les seules niches mitoyennes. Partout on y observe la
présence de plantes sténoèces, la plupart
endémiques. Argynnis
auresiana astrifera, une Nymphale
alticole très localisée, y vole impétueusement. Il n’est
guère un replat lapilleux ou une série de dalles qui ne
serve d’habitat aux espèces rupicoles caractéristiques de
la haute montagne marocaine. C’est ainsi qu’où règne le
minéral infiltré de quelques Graminées spécialisées, soit
l’habitat prééminent des hauteurs atlasiques, on observe
plusieurs espèces qui, au contraire des plus agitées,
semblent ne voler que lorsqu’on les dérange. Il s’agit par
exemple du Fadet marocain (Coenonympha
vaucheri) et de l’Ocellé
de l’Atlas (Pseudochazara
atlantis), deux purs
endémiques du haut pays. Le registre chromatique de leur
revers, en homotypie avec la terre ou la pierre, et que
vient seulement égayer quelques ocelles faisant de l’œil
aux Lézards et aux Passereaux prédateurs, fait office d’un
efficace camouflage. De mœurs assez proches, mais avec une
connotation nettement anémophile, le Némusien du Grand
Atlas (Lasiommata
meadewaldoi) évolue dans
les corridors très aérés des falaises rocheuses les plus
inaccessibles, ne descendant butiner qu’exceptionnellement.
Cette espèce, très récemment distinguée, n’est connue que
des alentours du Toubkal. Un peu plus tardivement, un
délicat Papillon aux ailes de velours noir profond semble
ne jamais se poser, n’ayant de cesse de descendre et de
remonter les crêts : c’est Satyrus
atlantea, un parent de
la Grande Coronide. C’est encore un endémovicariant de
présence africaine unique au Maroc où il définit bien la
xérophytaie des Haut et Moyen Atlas, et dont tous les
cousins sont distribués de l’Europe à la Sibérie et à
l’Ouest de la Chine. Il ne faut pas une grande imagination
pour comprendre que, si près du Sahara, la survie d’une
telle relicte boréale est toute dépendante de son
adaptation orophile aux reliefs les mieux arrosés. Fin
juillet, la saison des Papillons de l’horizon culminal
s’achève et c’est le Mercure des Almoravides
(Arethusana
aksouali) qui se charge
de cette fermeture. Il fut découvert dans les années 50 sur
le Mont Aksoual, mitoyen du Toubkal. Nous en avons depuis
cerné la cartographie, ne dénombrant que quelques colonies
toutes encartées dans ce même secteur du toit de l’Afrique
du Nord. On appréciera encore à sa juste valeur cette
présence, sachant que l’aire propre au genre
Arethusana
s’étale depuis
la péninsule Ibérique jusqu’à l’Asie Mineure.
Bien d’autres Papillons montagnards pourraient être cités.
C’est le cas, par exemple, du Faux-Cuivré du Sainfoin
(Tomares
mauretanicus) qui, depuis le
niveau de la mer jusqu’à 3000 m, peuple tout le Maroc,
l’Algérie et la Tunisie. Sauf qu’il ne pullule qu’en très
haute montagne, très tôt dès la fonte des neiges, ce qui
lui confère une nette prédilection alticole. Il faudrait
aussi citer la guilde des Zygènes montigènes, excellentes
gardiennes des écosystèmes, la plupart très sensibles et
fortement localisées. Plusieurs races de la Zygène dorée
(Zygaena
aurata)(sur des
Panicauts comme Eryngium
bourgatii), de la Zygène
de Johanna (Z.
johannae), très
caractéristique de la xénophytaie du Toubkal, d’Imilchil et
du Bou-Iblane (sur Astragalus
ibrahimianus, un Astragale
épineux), de Z.
felix (sur diverses
Fabacées), de Z.
alluaudi (surtout
sur Coronilla
minima), de
Z.
trifolii presque
exclusive aux mouillères (sur le Lotier et quelques autres
Fabacées), sans omettre Z.
persephone, la perle du
Haut Atlas, remarquable espèce indigène exclusive au
Tizi-n-Tacheddirt (Massif du Toubkal), entité
xéromontagnarde qui présente l’originalité de ne pas voler
en dessous de 3000 m et... dont on a perdu la trace depuis
une trentaine d’années.
L’énumération de cette richesse lépidoptérique et sa forte
proportion en relictes d’origine glaciaire, c’est-à-dire
des ancêtres ayant trouvé là refuge après le retrait des
dernières glaciations, ne comporte quasiment que des
Papillons dont
c’est ici leur seule et ultime résidence
mondiale, que l’on ne
retrouve donc nul part ailleurs ni sur le Continent
africain, ni en Afrique du Nord. Hors ils ne sont à l’abri
d’aucun égarement humain, d’aucune nuisance de notre
civilisation. Ils peuvent disparaître, victimes de la
compaction du sol, de l’éradication de leurs plantes, de
toute cette érosion qui ronge la montagne par l’existence
d’un pâturage mal contrôlé. Ils peuvent être éliminés par
des équipements futiles tels un excès de pistes de ski et
autres télésièges balafrant les pentes, par le mitage des
constructions de loisirs comme c’est le cas dans les Alpes
ou les Pyrénées et comme on en rêve aussi non loin de Fez
ou de Marrakech.
Cette disparition serait imparable et contre toute éthique,
mais elle indiquerait aussi que le glas vient de sonner à
3000 m et que la production de viande s’en ressentira
gravement. Plus de Papillon parce que plus de couche
végétale sur un sol squelettique, c’est aussi le signe d’un
grand vide dans notre assiette, donc d’une importation
coûteuse et d’un exode rural à nul autre pareil. Utiliser
l’indice présence-absence d’un Invertébré correspond à lire
dans le futur proche et à prendre déjà quelques mesures
pour éviter dans la hâte une politique du
« sauve-qui-peut ». Le Papillon devrait être la
mascotte d’un ministère de l’avenir. Pour l’instant,
c’est l’agdal qui par places se porte garant de cette
pérennité au service du futur. Mais l’agdal n’est que
d’usage parcellaire et les immensités montagnardes
agressées, démunies de la moindre retenue et déjà victimes
de la désertification sont l’objet d’interminables
inventaires. L’agdal est séculaire et ne saura probablement
pas résister aux exigences empiriques du XXIe siècle.
Alors, les plus hautes instances feront ce dont elles sont
partout aptes à faire, de la « sauvegarde
cosmétique » : « protéger » l’animal à
la pièce, sans s’assurer de la conservation de
l’irremplaçable habitat auquel il est intimement
lié.
Protéger le fruit en laissant couper l’arbre, c’est
peut-être « politiquement correct », mais en tout cas
écologiquent bien faux.
Le Maroc peut s’enorgueillir d’une capacité d’accueil très
contrastée par des espèces tant paléarctiques
qu’afro-érémiennes, rehaussée par ces précieux Papillons
« qui nous viennent du froid ». Ces joyaux des
hauteurs mitoyennes au désert soulignent ainsi l’immense
intérêt de la flore et de la faune marocaines. Une telle
réalité devrait entraîner subséquemment les indispensables
et ambitieuses mesures conservatoires au niveau de telles
richesses, et non pas le « je-m’en-foutisme »
ambiant.
Mais une question récurrente ne se fait pas attendre :
quel est le sens d’une intervention dirigée pour conserver
les espèces menacées ? Et plus prosaïquement : à
quoi bon déployer de tels efforts pour une modeste bestiole
que la plupart des gens ne connaissent pas et ne
rencontreront même jamais ? La première réponse concerne
une morale de nature bioéthique, un devoir vis à vis de la
biosphère. Cela n’intéresse personne et encore moins ceux
qui survivent dans le besoin. La seconde, nettement plus
pragmatique puisque « directement liée au bifteck ou
au tagine », consiste à souligner le fait que ces
actions orientées vers une espèce donnée comporte une
incidence à tiroirs, en cascade. Dans le Haut Atlas, un
Rhopalocère tel Berberia
lambessanus est une espèce
dite « clé de voûte », c’est-à-dire qu’elle en
indique une série d’autres aux mêmes exigences écologiques
et qu’elle est extrapolée de tout un cortège flore-faune
auquel appartient aussi le Mouflon à manchettes ou tel
Rapace. Cet ensemble biocénotique est l’expression d’un
écosystème procurant à l’Homme une gamme de ressources dont
on comprend, quand on les a perdues, qu’il s’agissait d’une
aubaine, d’une providence dont le sol et l’eau sont
les plus essentiels. Si tel bioindicateur nous enseigne par
son recul ou sa disparition un mauvais état des lieux, il
faut interpréter à terme moyen une accélération des
facteurs d’érosion, la perte des qualités physico-chimiques
du sol qui va de pair avec le saccage de la strate
végétale, la non rétention de l’eau lors des lessivages et
la baisse de potentialité du château d’eau naturel et des
nappes phréatiques, une crise pour la petite agriculture et
une ruine pour l’élevage, et un large etc. Cette atteinte à
la naturalité du milieu passe aussi par des inondations
aussi catastrophiques qu’en connaît de plus en plus le
Bassin méditerranéen, le Maghreb en particulier et la
Vallée de l’Ourika entre-autres. Il y a quelques années, il
y eut des centaines de morts et des hameaux emportés par un
« mur d’eau » dévalant les versants et qu’un
lointain orage ne pouvait laisser prévoir.
Si l’on abîme les montagnes, il faut alors en accepter les
douloureuses conséquences.
Des Papillons sur la neige !
Les
Faux-Cuivrés sont les Lycènes qui appartiennent au
genre Tomares.
Partout où ils se manifestent, ils s’illustrent comme des
espèces très précoces, leurs corps offrant d’ailleurs
« l’équipement » adéquat : graisse extrême
du tissu chitineux, épaisse pilosité, véritable parka
polaire pour affronter les oscillations, telles les espèces
sibériennes. Ainsi, au Maroc et notamment dans les
montagnes, les duettistes Tomares
ballus (atlanto-méditerranéen)
et T.
mauretanicus (endémique
maghrébin) figurent parmi les pionniers du calendrier, des
émergences ayant lieu dès la fin décembre en certaines
localités bien exposées, même à haute altitude. Lors de
certains beaux jours inopinés du plein hiver, aux ardeurs
solaires du zénith, on en voit virevolter des familles
entières sur les affleurements chichement garnis et les
pelouses écorchées des Atlas, souvent entre les plaques de
neige.
Des Papillons sur la neige ! Si les redoux
sont fréquents dès la fin de l’hiver, des descentes
vertigineuses du thermomètre peuvent avoir lieu jusqu’en
avril-mai sur les hautes terres marocaines. C’est ainsi que
l’adulte peut être ensuite pénalisé par une baisse de la
température qui s’illustre par un gel nocturne. Si les
rigueurs sont extrêmes, certains sujets n’y survivent pas,
mais bien d’autres écloront ensuite... De nombreuses
observations matinales ont montré ces Tomares
engourdis et
littéralement « couchés », ailes closes, contre
le sol. Réchauffés, ils sortent lentement de cette
léthargie, reprenant l’usage des pattes, se redressant et
ajustant leurs ailes à l’angle le plus judicieux du soleil.
Puis subrepticement, ils quittent leur dortoir d’un vol sec
pour une nouvelle journée de papillonnage.
C’est l’histoire des Papillons d’un pays froid où le soleil
est chaud.
N’habite plus à l’adresse indiquée...
Quand on séjourne à l’Oukaïmeden (Haut Atlas du Toubkal),
il suffit de « sauter » le Tizi-n-Ouadi pour se
retrouver en deux heures de marche au village montagnard de
Tacheddirt, point de départ de tout un menu d’excursions
pédestres. A deux nouvelles heures de marche, on se hisse
ensuite au Tizi-n-Tacheddirt. C’est le biotope de survie de
l’un des endémiques les plus remarquables d’Afrique du Nord
: Zygaena
persephone,
découvert et nommé de cette même localité par Zerny en
1934. C’est une Zygène au registre noir violacé ponctué de
rouge, dont la renommée mythique est due au fait qu’elle
n’existe que là (du moins c’est ce que nous croyons...),
confinée à 3200 m, mais aussi qu’elle en aurait disparu. Le
pèlerinage au Tacheddirt était accompli avec un relatif
succès par les entomologistes allemands et français dans
les années 50 et jusqu’aux années 70. Avec un peu de
chance, le pèlerin-naturaliste était récompensé de ses deux
journées de marche aller et retour par l’observation et
quelques captures de « la bête ». Le pâturage a
toujours été assez tenace en ce secteur où la salutaire
pratique de l’agdal ne semble guère être respectée. Dommage
pour la belle persephone !
La femelle pond sur une fine
Fabacée endémique : Vicia glauca
rerayensis, laquelle
présente parfois l’avantage de pousser au sein des Alyssons
récalcitrants et d’être partiellement hors d’atteinte de la
dent du bétail. Cette planche de salut a toujours permis au
monde des spécialistes de l’entomologie montagnarde d’en
espérer la possible conservation. Mais voilà que depuis
plus de trente ans, il n’est plus fait allusion à la
moindre présence de cette perle fine et qu’il nous fallut
un acharnement peu commun pour pouvoir en déceler quelques
rarissimes spécimens il y a plus de dix ans. Sa phénologie
est assez immuable et son éclosion intervient peu avant la
mi-juillet. Les Zygènes connaissent toujours de grandes
fluctuations de densité. Elles peuvent ainsi se faire rares
certaines années car la chenille achève sa vie lors du
printemps suivant et le stade larvaire étant plus fragile
que l’œuf ou la chrysalide, des enneigements ou coups de
froid tardifs peuvent décimer temporairement l’effectif.
Mais le bilan de sa disparition porte sur suffisamment
d’années pour évincer les aléas et autoriser désormais un
avis fort pessimiste quant au maintien de cet Insecte
unique à tous points de vue.
Nous avions tant pris l’habitude de prospecter chaque
juillet la légendaire station que la dangereuse
banalisation qui résulte de l’habitude nous fit prendre,
lors d’un retour d’excursion mémorable, des risques
extrêmes. Pour éviter le long sentier qui descend du
Tizi-n-Tacheddirt au village avant de remonter au
Tizi-n-Ouadi pour encore redescendre jusqu’à la station de
l’Oukaïmeden où nous habitions au Club Alpin français, nous
avons écouté les conseils de Lahrsen, un berger habitué des
lieux : « Passez donc
directement par l’Angour ! » L’Angour
est le djebel que le chemin traditionnel contourne. Nous
sommes donc passés par l’Angour et jusqu’à la nuit
tombante, nous sommes restés « accrochés » dans
un précipice, incapables ni de descendre, ni de remonter.
Le supplice était d’autant plus cruel que depuis notre
couloir d’éboulis, nous pouvions voir briller très loin les
lumières du chalet du Club Alpin ! C’est en
abandonnant tout notre matériel sur place que nous avons
finalement réussi à sortir du piège, non sans risques, sans
peur et sans égratignures.
Zygaena
persephone n’a jamais fait
l’objet d’autre notation dans la région du Toubkal que de
ce col qui entre l’Angour et l’Aksoual, domine la vallée de
l’Ourika de la tribu Haoura. Une ancienne observation
rapporte la présence de Zygaena
persephone du Massif du
M’Goun, moins occidental, d’où elle fut décrite sous le nom
de mgouna
par
Charles Rungs en 1967. Il conviendrait donc de s’assurer
que cette race est encore en place avant de sonner
l’hallali quant à l’extinction de cette espèce. Il n’est
pas dans l’esprit scientifique de prouver l’inexistence
d’une chose et on peut évidemment prétendre à la présence
potentielle d’autres colonies au sein de l’immensité du
Haut Atlas, d’autant plus qu’un nombre incalculable de
sites sont d’une accessibilité peu aisée. Mais ne nous
engageons pas sur les prouesses de notre époque où même les
naturalistes prétendent se déplacer en véhicules
tout-terrain. Entre 1937, date de description de la forme
nominative, et 1967, date de celle de mgouna,
les entomologistes n’étaient pas pressés et les longues
randonnées faisaient partie du programme. Et seules deux
localités ont pu être découvertes en ces temps où d’autre
part le cheptel était encore extensif et ne précédait pas
aussi violemment le naturaliste que de nos jours. Donc...
Sur les traces du carabe relicte
« Là
où il y a une volonté, il y a un
chemin. »Gaston Rébuffat
En mai 1982, deux coléoptéristes parisiens soulèvent les
pierres dans une localité du Haut Atlas qu’ils tiennent
secret et font la découverte du cadavre partiel d’un Carabe
inconnu et qu’ils conservent avec précaution. Le Coléoptère
est de taille modeste (20 mm) et d’un non moins modeste
chromatisme bleu-noir. L’animal est immédiatement jugé
extravagant par les spécialistes car en raison de son type
de costulation (nervures des élytres), il appartient à un
genre inédit, un chaînon manquant de la souche primitive
entre les Carabiques inférieurs et les Carabus
vrais. Il est
décrit sous le nom de Relictocarabus
meurguesianus, le type en
pièces est déposé au Muséum National d’Histoire Naturelle
de Paris. Les auteurs retournent à plusieurs reprises sur
les lieux de leur fortunée découverte, mais en vain. Aucun
nouveau Relictocarabus
n’est vu, ni
vif, ni mort. On suppose qu’il s’agit donc d’une espèce
hypogée et de rencontre très aléatoire. Les duettistes
découvreurs publient leur trouvaille mais maintiennent
l’impasse sur la localisation. Naît très rapidement une
véritable fièvre dans le petit monde entomologique pour
tenter de renouveler la capture du même carabe, vivant
cette fois, et c’est une ruée vers tous les sites possibles
du Haut Atlas.
Le Haut Atlas se développe sur une longueur de 800
km ! Y retrouver une bestiole de 20 mm, qui plus est
discrète en superficie puisque évoluant dans les failles et
les éboulis, est un défi inouï. Mais où peuvent bien se
rendre des entomologistes parisiens plus ou moins
« frileux » quand ils se dirigent vers cette
cordillère et ne disposent – comme toujours – que de
quelques journées ? L’inventaire des destinations
possibles n’est pas très fastidieux à dresser quand on
devine la sainte dépendance des « bons » hôtels,
le recours inévitable aux routes ou aux pistes pas trop
cassantes, et les lieux sacro-saints où retourne tout un
chacun en ces temps où les pionniers brillent par leur
absence. Pour « récolter » les Carabes autrement
qu’à vue, qui est une méthode peu efficace, on dispose
quelques batteries de pièges qui ne sont rien d’autre que
de discrets petits pots appâtés avec un sirop alcoolisé
quelconque car ces Insectes carnivores sont en proie à
quelques dérives gourmandes qui peuvent ainsi leur être
fatales ! Fort de mon analyse éthologique du pur
entomologiste parisien lâché dans l’Atlas et d’une
vingtaine d’anciennes années consacrées à la carabologie,
j’ai donc disposé dès la fonte des neiges de tels pièges
dans les niches favorables aux Carabes alticoles des trois
ou quatre secteurs susceptibles, selon mes déductions,
d’avoir accueilli les « profanateurs » du
cadavre. Le tout premier fut le bon : le versant nord
d’un adrar tout proche du Mont Oukaïmeden, destination
marocaine de prédilection de tous les chasseurs d’Insectes.
Quelques Relictocarabus
y
étaient tombés dans mes pots, avec un nombre plus
conséquent d’une autre espèce connue des lieux depuis des
lustres : Carabus
favieri atlantis. Incroyable
mais vrai, la seconde localité pressentie ne fut pas moins
féconde puisque le même Relictocarabus
se
trouva aussi dans un piège du Djebel-Bou-Ourioul, tout
proche de l’incontournable Tizi-n-Tichka ! J’en suis
resté là, pas mécontent de mes intuitions. Mais j’appris
par la suite qu’un autre carabologue parisien avait aussi
repris vivant le Relictocarabus,
mais avec moins de mérite puisque informé par quelques
confidences privilégiées des auteurs initiaux.
Quand je circule dans le Haut Atlas, il m’arrive parfois
d’apercevoir quelques coléoptéristes carabologues pas très
anonymes et identifiables par leur frénétique manie de
retourner avec leur piochon des quantités infernales de
pierres (les Carabes, de mœurs nocturnes, s’y cachent tout
le jour), ceinturés de leurs flacons et cernés
d’intuitions. Je m’interroge chaque fois s’ils ont ou non
repris l’Insecte mythique, sans néanmoins jamais le leur
demander. Il faut éviter de poser des questions taboues aux
gens qui ont des jardins secrets...
Les Carabiques pour témoigner de l’entomocénose
Comme
l’indique le chapitre ci-avant décrivant quelques-uns des
Papillons de jour parmi les plus caractéristiques,
l’entomocénose montagnarde des Atlas mériterait à
elle-seule un ouvrage tant sont riches et émaillés
d’endémiques les cortèges des Coléoptères, des Orthoptères,
des Hémiptères, des Hyménoptères, etc. S’y appesantir ne
serait pas de mise dans le cadre de ce livre d’intérêt
général et de divulgation pluridisciplinaire. Au sein des
Coléoptères, ce sont peut-être les coprophages et les
Carabiques qui se font le plus remarquer. Notre quête
du Relictocarabus
meurguesianus et les
prospections d’altitude qu’elle a motivées, nous a permis
un prélèvement de quelques Coléoptères Carabidae
(Carabiques) spécifiques du plancher supérieur de la forêt,
de la zone à coussinets épineux, de rives d’eaux courantes,
de quelques éboulis et pelouses sommitales. Les espèces
ci-après ont été déterminées, toutes d’origine du Haut
Atlas (notamment des massifs de l’Ayachi, d’Imilchil, du
M’Goun et du Toubkal). Y sont adjointes quelques citations
de Carabiques cavernicoles (failles et grottes), entités
essentielles de ces reliefs, reprises des auteurs les plus
récents. Ce très bref inventaire figure pour attester,
depuis l’échantillonnage d’un seul et unique groupe
d’Insectes, de la biodiversité entomologique régnante.
Nebria
atlantica,
N.
boiteli,
N.
kocheri,
N.
peyerimhoffi,
N.
quezeli,
N.
rubicunda,
N.
sitiens,
Perileptus
areolatus,
Trechus
idriss,
T.
kocheri,
T.
lepineyi,
T.
obtusus,
T.
rufulus,
Subilsia
sementi,
Tachyura
pallidicornis,
T. parvula
atlantica,
Philochtus
gazella,
Ph.
guttula,
Ph.
hustachei,
Ocydromus
coeruleus scelio,
O. cruciatus
atlantis,
O.
decorus,
O.
dudichi,
O.
ripicola,
O. siculus
certans,
O.
tetracolum,
Nepha
alluaudi,
Synechostictus
frederici ictis,
Ocys
peyerimhoffi,
Deltomerus
corax corax,
D. corax
antoinei,
Melanius
nigrita,
Agonum
atlantis,
A.
nigrum,
A.
viridicupreum fulgidicolle ,
Paranchus
albipes,
Cardiomera
genei,
Calathus
erythroderus antoinei,
C.
opacus,
C.
rhaticus,
Atlantosphodrus
jeannelianus,
Antisphodrus
malhommei fongondi,
Pristonychus
cadilhaci,
Amara
aenea,
A.
famelica,
A.
hypsophila,
A.
subconvexa ,
Celia
atlantis,
C.
corpulenta,
C.
cottyi,
C.
gottelandi gottelandi,
C.
gottelandi rhatica,
C.
kocheri,
C.
sollicita,
Leiocnemis
colasi,
L.
liouvillei,
L.
mairei,
Paracelia
rufoaenea,
Dixus
capito,
Ophonus
ardosiacus,
O.
berberus,
O.
incisus,
O.
rotundatus,
O.
rufibarbis,
Typsiharpalus
azruensis,
Harpalus
dissitus,
H.
serripes,
Acupalpus
luteatus,
Chlaeniellus
tristis,
Ch.
vestitus,
Dinodes
decipiens,
Chlaenius
velutinus,
Cymindis
alluaudi gottelandi,
C. hookeri
hookeri,
C. hookeri
merdelensis,
C. hookeri
rhatica,
Lebia
cruxminor pilosula,
Philorhizus
crucifer,
P.
melanocephalus,
Syntomus
barbarus,
S.
fuscomaculatus,
Brachinus
sclopeta.
Un Parc qui « n’existe pas » depuis 1942
« Dans
les déserts de pierres des
montagnes,il existe un
étrange marché :on peut y
troquer les tourbillons de la
vie contre une
béatitude sans limites. »Milarepa (XIe
siècle)
Un Parc national « est
une zone naturelle, terrestre et/ou marine, désignée pour
protéger l’intégrité écologique d’un ou plusieurs
écosystèmes dans l’intérêt des générations actuelles et
futures, pour exclure toute exploitation ou occupation
incompatible avec les objectifs de la désignation et pour
offrir des possibilités de visite, à des fins spirituelles,
scientifiques, éducatives, récréatives et touristiques,
dans le respect du milieu naturel et de la culture des
communautés locales. » Telle est la
définition claire et sans équivoque de l’IUCN. Le premier
Parc national, promulgué en 1872, fut celui de Yellow Stone
(États-Unis, 700.000 ha).
Que ce soit pour leur flore endémique cardinale, pour leurs
bestioles
minuscules mais indispensables ou pour leurs
derniers grands animaux emblématiques, il conviendrait
parfois de redéfinir tel Parc national et toutes ces aires
dites conservatoires dont l’existence est trop souvent
théorique et contemplative de l’hécatombe sans fin d’une
nature seulement protégée par des textes biotechnocratiques
et non par des mesures concrètes. Ou bien si les textes
l’ont prévu – ce qui est le plus souvent le cas – mettre un
terme à la disjonction manifeste entre leur promulgation et
leur promotion à grands renforts de trompettes, et une
pratique désuète ou obsolète sur le terrain. Nous avons
pourtant ici affaire à une mesure conservatoire un peu
avant la lettre et le bluff, en tout cas suffisamment
antérieure à la mise en oeuvre du marketing vert et de sa
poudre aux yeux pour que la figure fonctionne ou ait
fonctionné.
1942 !
Un Parc pionnier dont il faut saluer les
initiateurs. 1942 :
il n’était pas encore « toujours trop tard » pour
sauvegarder le Mouflon, le Gypaète ou Zygaena
persephone. La vocation du
périmètre était de protéger, entre la vallée du N’fiss à
l’ouest et celle de l’Ourika à l’est, 38.000 ha de milieux
naturels de la plus haute montagne, s’individualisant par
la beauté exceptionnelle des paysages et des imposants
reliefs, par des alignements de crêtes déchiquetées
dépassant 4000 m, aux matériaux éruptifs très anciens
constitués de granites, de rhyolites, d’andrésites,
visibles sur les plus hautes façades, par la luxuriance des
vallées encaissées, par une biodiversité au taux record
d’endémismes, riche en relictes orophiles et
circumboréales. Ce parc abrite presque 500 espèces de
plantes vasculaires, des formations forestières à
Quercus
rotundifolia,
Q.
faginea (très
rare), Juniperus
thurifera,
J.
phoenicea,
Tetraclinis
articulata, 150 espèces de
Mammifères, d’Oiseaux, de Reptiles et de Batraciens, et un
monde faramineux d’Invertébrés encore bien loin d’être
recensé.
Protéger la nature n’est pas une idée neuve !
Alors qu’en
est-il car des années de fréquentation de cette
merveilleuse perspective du Toubkal ne nous ont pas
enseigné la moindre notion de
sanctuaire de la nature, pas la moindre
protection concrète de la biocénose de valeur incomparable
dont sont parées ces hautes montagnes ? Parlons du
versant d’Imlil ou du site du Lac Ifni, et des caravanes de
touristes à l’assaut minuté du toit de l’Afrique du Nord,
argument le plus porteur du tourisme montagnard vite
torché : Paris-Marrakech-Toubkal-Marrakech-Paris, du
vendredi au dimanche soir, avec ascension du Toubkal en
short et espadrilles le samedi, un quart d’heure
d’immersion dans la vie berbère, faux Touaregs, tagines et
tapis compris ! Ça c’est de la passion pour les
cimes ! Ça c’est du tourisme solidaire, équitable,
alternatif, intégré, culturel ? Où est
l’encadrement ? Où sont les consignes pour contenir la
foire ascensionnelle et tonitruante de chaque
week-end ? Où est le respect pour le si fragile
sanctuaire oroméditerranéen, inspirateur d’une
« béatitude
sans limites » ?
Côté de l’Oukaïmeden, investi par un mitage résidentiel
déficitaire, mal portant et agrémenté d’essais hôteliers
jamais transformés, où sont les études d’impact pour ne pas
saccager l’équilibre, où est le cahier des charges
permettant à des immeubles pharaoniques et agressifs de
faire face aux charmants azibs traditionnels ? Où est
la décharge contrôlée puisqu’on rencontre des tas d’ordures
sauvages signés des uns et des autres, ci dans le Bois des
Fiancés (une sensible thuriféraie), là dans le boisement de
l’Adrar-Tizerag, voire humanitairement au-dessus de
l’humble village d‘Aït-Lekak ? Même le tracé est une
nébuleuse et quand nous citons un secteur estimé de haute
valeur biologique et néanmoins agressé, il est toujours à
l’extérieur du Parc. L’une des lacunes du Parc du Toubkal
est que sa zone périphérique qui enveloppe une gamme de
sites biologiques aussi remarquables que sensibles ne soit
pas munie de statut réglementaire. Les décideurs de figures
de protection ne s’entourant pas toujours de bons
connaisseurs du terrain et de spécialistes idoines, c’est
bien souvent que des périmètres de haute valeur ne sont pas
intégrés et laissés pour compte. Alors, on y fait n’importe
quoi et il en résulte non seulement leur dégradation mais
une pression pour le Parc.
Le respect d’une zone tampon enveloppant tout un périmètre
sensible doit aller de pair avec la définition d’un Parc
national. Le Massif du
Toubkal est aussi l’un des secteurs essentiels en matière
de patrimoine d’art rupestre, avec des milliers de gravures
recensées, particulièrement sur les sites du Djebel Yagour
et du Djebel Oukaïmeden. Une protection renforcée de ces
trésors de l’âge de bronze plaide aussi en faveur d’une
meilleure conservation de toute la périphérie du Parc
actuel.
Écocide d’une eau vive
« Il
faut imiter la source qui ne se tarit pas et non pas
l’averse qui inonde la montagne. »
Proverbe chinois
Une fois franchi Aït-Lekak, ses Noyers ancestraux et ses
vieux Frênes filiformes à force d’émondages, dernier
village berbère dans la montée vers la station de
l’Oukaïmeden depuis Marrakech, la petite route suit
fidèlement la vallée très entaillée de l’Asif-n-Aït-Iren.
L’imposant et sévère Adrar Ouhattar écrase le paysage de
ses vertigineuses parois presque en aplomb et, dans le
silence, on perçoit le bruit angoissant des chutes de
pierres spontanées emplissant les vastes éboulis.
Il faut s’arrêter et approcher les rives du torrent en
prenant garde de ne pas coucher les Renoncules, les
Ombelles, les Orchidées qui tapissent les prairies et les
mouillères. Si l’on ne fait pas envoler une Bergeronnette
des ruisseaux ou fuir une furtive Couleuvre vipérine, voire
une colossale Couleuvre de Montpellier, on y dérange une
Vipère naine de l’Atlas qui se chauffait au soleil matinal
d’un éboulis. La Grenouille verte d’Afrique du Nord peuple
tous les bassins de moindres remous ; une Rainette
méridionale s’exerce au grand écart entre deux
Panicauts ; les deux espèces de Crapauds font acte
d’exhibitionnisme en nous enseignant leur accouplement
souvent illégitime (Bufo
bufo x
B.
mauretanicus) ; sur une
paroi rocheuse un Gecko à paupières épineuses côtoie un
Lézard d’Andreanszky, tandis qu’un vieux Lézard ocellé se
réfugie dans son terrier. Un Cingle plongeur passe comme
une flèche et disparaît sous une cascade. Le long des tiges
des plantes grimpent de belles Zygènes aux ailes bleu-noir
escarbouclées de taches sanguines : c’est une
éclosion massive de Zygaena
trifollii émergeant des
Lotiers. Les plus belles planches de Vesce faux-Sainfoin de
tout Atlas sont ici et survolées par des myriades de Petits
Bleus que vient parfois troubler le passage d’un groupe de
blanches Piérides du Grand Atlas, ou l’atterrissage d’un
vigoureux Argynnis
astrifera descendu des
hauteurs. Dans cette nursery de Papillons, ce n’est pas
peine perdue d’avoir l’œil pour localiser la belle femelle
de l’Azuré de la Jarosse car ici et seulement ici,
certaines sont brunes comme habituellement, d’autres sont
exceptionnellement bleues à l’image de leurs mâles. C’est
donc un Papillon comblé, la nature donnant au mâle chanceux
deux options chromatiques de compagne ! Un mâle du
Grand Cuivré flamboyant tente de convaincre sa femelle
frémissante à l’ombre d’une oseille sauvage. Au bénéfice
d’un rocher ou d’un massif de Groseillier, l’espace ombreux
est toujours conquis par un véhément Robert-le-diable
(Polygonia
c-album), transfuge du
Nord et implanté là grâce au vertus conjuguées de la
fraîcheur et de l’altitude. Chaque pas dans les hautes
herbes florifères fait s’envoler des nuées multicolores de
Piérides blanches et jaunes, de Lycènes bruns et bleus, de
Mélitées, d’Échiquiers et de Misis. Mais tout semble
s’immobiliser quand soudain s’abattent en croassant
bruyamment une bande de Chocards à bec jaune mêlés de
Craves à bec rouge, Corvidés turbulents qui fréquentent le
haut plateau et résident dans les falaises en surplomb.
« Poissons
mortsAllez donc
dire aux moissonneusesPoissons
mortsQue la
graisse de mitrailleuseN'est pas la
brillantine des dieux. »
Étienne Roda-Gil
Mais après la contemplation vient la colère car ébloui par
tant de splendeur, on ne peut qu’être accablé par la
soudaine dégradation de la qualité des eaux vives depuis
ces dernières années, d’y voir tourbillonner des batteries
de sprays de mousse à raser, d’y constater un tel
échantillonnage d’ordures domestiques suivant le fil du
courant, d’y noter avec le temps la souillure croissante et
l’installation d’Algues indicatrices de pollution,
d’assister au recul de cette flore hygrophile remarquable
et de tout le microcosme qu’elle décline. Le précieux
Asif-n-Aït-Iren n’est peut-être pas « à
l’intérieur » du Parc et alors est-il de toute
première urgence de le dégueulasser coûte que coûte ?
Celui qui tenterait désormais de poser le pied sur un
rocher mouillé pour sauter l’onde, glisserait
immanquablement sur le tapis gluant qui le recouvre. Ces
eaux pérennes voient leur état dynamique fortement
perturbé, le torrent confine à l’égout.
L’écoconscience en casque et en treillis a toujours laissé
rêveur et l’on ne demande pas (ou plus !) la fleur au
fusil. La caserne militaire installée à l’entrée de la
station de sports d’hiver de l’Oukaïmeden et en amont de
l’asif, dispose d’une station d’épuration... qui n’a jamais
fonctionné. Alors tout ce que peuvent
« produire » les centaines de militaires ici
cantonnés s’en va défiler au fil de l’eau. Dès juillet,
l’odeur est par places pestilentielle. Durant l’été 2003,
l’égout de sortie directement relié au torrent « du
développement durable » est resté éventré des mois,
épandant sa merde en surface. Les militaires qui n’ont rien
à faire... jouent au football sur les formations naturelles
herbacées à hémicryptophytes et géophytes hygrophiles du
plateau de l’Oukaïmeden. Entre deux matchs, on pourrait
s’inquiéter de la santé des familles du village
d’’Aït-Lekak (maladies diarrhéiques), qui en aval n’ont que
cette eau pour la cuisine et la boisson.
On le dit, on le redit, le recul du Batracien indicateur ou
du Papillon biomarqueur des rives du torrent induit une
baisse de qualité de vie pour les populations riveraines,
pour ne pas faire de plus funestes prédictions quant à la
santé infantile. C’est maintenant
et localement le cas. Écoutons donc la nature quand elle
crie de toutes ses forces !
Les petites vertus et les grands vices du tourisme intégré
« Je
voyage pour vérifier mes rêves. »
Gérard de Nerval
Durable,
sinon contestable
Le
tourisme a tué le voyage. Comme salutaire
entracte à l’analyse récurrent des ravages du tourisme
massif et sans âme (modèle marocain : Agadir), avec
comme exemple presque parfait le développement
écotouristique de quelques hautes vallées marocaines telle
celle déjà notoire des Aït-Bouguemez (Haut Atlas du M’Goun
et de la province d’Azilal), l’opportunité géographique est
offerte d’aborder sommairement le thème de
« l’autre
tourisme ».
Le slogan du « développement durable » sévit
brutalement dans tous les secteurs et y compris dans celui
des voyages, un peu comme une façon d’expier, d’exorciser
le tourisme classique dont les effets d’acculturation et
d’érosion socioéconomique sont objectivement engrangés dans
la bonne conscience résiduelle et la culpabilité naissante
du « premier monde », par ailleurs en proie à une
crise d’autoflagellation assez pathétique. De
mea
culpa du colonialisme
(« on ne savait
pas... »), en
mea
culpa du tourisme
(« on croyait
que... ») et
en maxima
culpa du consumérisme
exporté (« ne pas les
en exclure...»), la démarche
morale du monde dit occidental risque de finir dans la plus
méritée des reptations. Orné d’une telle éthique
expiatoire, il n'est donc pas étonnant que le
« durable », souvent revu et corrigé en
« équitable », ait fait une entrée fracassante
dans la phraséologie de l'industrie touristique et que la
récupération du vocable se fasse sans ambages. Il s’agit de
proposer un voyage le plus respectueux possible (premier
échec : le trafic aérien est à lui seul responsable de
30 % des émissions nocives dans l'atmosphère...), adjoint
d’un séjour où le manque de confort bourgeois est compensé
par une immersion dans le tissu rural et un comportement
écologiquement sans bavure. Le second volet est de donner à
percevoir la recette comme porteuse de développement. C’est
parfois honnête et du domaine du « presque
possible » quand producteur et consommateur marchent
« sur la pointe des pieds », c’est souvent
douteux et relevant de la pure affabulation quand
strictement projeté par un marketing rusé. Mais c’est aussi
ne pas se soucier de la mentalité de l’amphitryon, voire de
l’idéaliser au-delà du raisonnable. Damné par la tentation
du siècle, à force de stimuli savamment inoculés par des
médias peu regardants, le « local » est prêt
à
accepter le pire pour accéder au meilleur,
la
fin justifiant les moyens. Comment pouvoir démasquer
l’ennemi, depuis un « monde perdu » et un combat
quotidien pour la suivie, quand il arrive moraliste et
conquérant, distribuant bonbons, stylos et dirhams ?
On n’apprend à personne « à se méfier
de tout ». Tout
autant véhiculé par l’étrange lucarne télévisée, qui même
sans réseau électrique distille partout le message
niveleur, que par l’apparente aisance de quelques frères ou
cousins émigrés,
partis ailleurs pour mal vivre dans le
bien-être, l'avoir, la
possession, se sont convertis en l’une des valeurs les plus
importantes. Alors, puisqu’elle frôle un marché de la
misère et de la tentation, toute figure de tourisme aura
immanquablement des limites un peu floues, aux marges d’une
cohorte d’aspects plus ou moins insidieux et scabreux (dont
l’extrême est le tourisme sexuel, avec sa phase larvée des
« touristes à marier »). Une veille permanente
s’impose donc pour éradiquer les dérives collatérales.
Nous vivons une époque épique d’intégration... L’étranger
doit être formaté pour pouvoir s’intégrer s’il veut mériter
le droit de vivre en d’autres sociétés. Le nouveau tourisme
aussi est dit « intégré ». Quand le mot est
lâché, le tour serait-il joué ? Faire l’effort
d'acheter un voyage « politiquement correct »
n’est pas suffisant et faire usage de son esprit critique
(s’il en reste) est nécessaire. Tout est affaire de rigueur
intellectuelle. Le touriste moyen ne se pose pas la moindre
question, il est en vacances ou à la retraite, il a peiné
et payé pour ça. Il se sent comme un poisson dans l'eau
dans l’héroïque contexte néo-colonial, hurluberlu
déambulant en slip-tarzan ou en short moulé dans les oasis
et les médinas, alors qu’avant de partir, il participait
âprement à son combat de quartier contre le port
« éhonté » du voile de quelques petites
musulmanes « politisées et non intégrées ». Il offre
ses vieux T-shirts et toise avec complaisance des
autochtones observant avec envie son véhicule tout-terrain
climatisé ou son camping-car, dont le coût peut
correspondre à plus d’une dizaine maisons du Haut Atlas,
toutes parfaitement homotypiques dans la ligne souhaitée de
la « bioconstruction » mais qu’aucun écolo
n’accepterait d’habiter. Cruelle caricature d'accueil
villageois. « Le soir,
depuis votre balcon d’hôtel, vous pourrez voir passer de
retour des champs les paysannes lourdement chargées de
fagots ou de fourrage »,
précisait cyniquement un guide touristique.
« La vieille
ne veut même pas se laisser
photographier ! »,
commentait un touriste déçu devant les ruines de la Casbah
du Glaoui de Taliouine. Tourisme et voyeurisme vont souvent
de pair.
A Johannesburg et en marge des négociations officielles,
les discussions organisées par l'Organisation Mondiale du
Tourisme (entité mixte de nations membres de l'ONU et de
partenaires privés) étaient unanimes pour préconiser une
meilleure compatibilité entre le diktat économique d'un
secteur mondialisé et hautement vulnérable et les intérêts
légitimes des populations concernées. Certains
représentants de pays africains allaient même jusqu'à
préconiser une entente touristique des pays d'une région
avec en point de mire une promotion commune de destinations
hors des sentiers battus, donc chez l'habitant et avec des
moyens locaux de locomotion. Après l'analyse des ravages du
tourisme, il était suggéré d’aller plus loin en recourant
au tourisme d’une éthique très exigeante. Des
voyagistes et de simples prestataires se disent prêts à
jouer la transparence et à fournir des efforts constants
pour améliorer la qualité équitable ou durable de leurs
offres, mais combien sont-ils ? Un panel de
propositions de travail et d’orientations concrètes est
dressé afin de stimuler la déontologie des prestataires et
de définir des outils de terrain pour pouvoir évaluer de
façon affinée toute offre touristique prétendue équitable
ou similaire. Le mot « équitable » tend à
s'imposer, et ce, dans la lignée du commerce équitable.
L'utiliser permet de lui donner en permanence son plein
sens. Rappeler par exemple que le tourisme équitable doit
concourir au développement touristique durable. C'est une
pratique fréquente dans les transnationales du tourisme, en
permanence à l’affût de toute initiative récupérable,
susceptibles de repérer les créneaux porteurs, les
fameux déclencheurs de l'acte de consommer, et
d'assaisonner leurs produits à la sauce que les touristes
éclairés ou non peuvent attendre. Quant aux codes et aux
chartes, ils engagent très peu ceux qui les signent et
restent des vœux pieux.
La vallée dite heureuse des Aït-Bouguemez
« Mieux
vaut allumer une bougie que de maudire l’obscurité. »
Confucius
La vallée des Aït-Bouguemez se situe à 1800 m, au nord de
l’Ighil M’Goun, dans le Haut Atlas central.
Éthymologiquement, c’est littéralement la vallée de
« ceux du milieu » car elle occupe le cœur de ce
massif. C’est une région de transition entre fiers éleveurs
semi-nomades et paysans sédentaires, passés maîtres dans
l’art de l’irrigation et de la construction de bâtisses en
tabout (pisé), entre dialectes tamazight et tachelhit. Une
multitude de splendides villages aux habitats
d’architecture traditionnelle s’égrènent le long d’une
vaste mosaïque de cultures aux couleurs éclatantes et
changeantes.
Cette région tient particulièrement à cœur aux instances
gouvernementales puisqu’un programme « pilote »
de gîtes d’étape chez l’habitant, classés et labellisés
GTAM (Grande Traversée des Atlas Marocains) y a été
appliqué de façon pionnière. Dans le même objectif, la
vallée reçoit également une école in
situ des
guides-accompagnateurs en montagnes du Maroc, seuls
habilités à conduire les randonneurs sur les sentiers des
sommets et dans le contexte d’autres activités sportives
plus spécialisées (escalade, ski de montagne, rafting,
etc.) A l’usage des visiteurs, le panorama régional est
fort riche depuis cette base-clé. Les excursions en boucle
et les courses ou traversées de très haute altitude
offertes par la chaîne du M’Goun et tous ses massifs
mitoyens sont innombrables. Il convient de se reporter à un
ouvrage spécialisé pour prendre connaissance de tous ces
raids de plusieurs jours pouvant donner accès aux plus
grandes gorges, aux hautes combes, aux balcons d’altitude,
aux cirques et aux vasques des lacs, aux vastes pentes, aux
parois verticales, aux profondes auges et aux crêtes
aériennes. Mais d’autres vallées de moyenne montagne sont
aussi le support d’intérêts écologique, géologique et
culturel. Telle la vallée de l’Ahanesal avec ses paysages
de hautes falaises calcaires, un écosystème à Pin d’Alep
associé au Genévrier rouge et au Thuya, et la fameuse
« cathédrale » du Mastfran à Tamga, considérable
rocher surplombant majestueusement la vallée. La vallée de
l’Oued Wabzaza constitue une autre aventure sauvage, avec
ses abrupts extrêmes et ses versants couverts de pans
d’Euphorbes cactoïdes (Euphorbia
resinifera), d’une
tétraclinaie, d’une juniperaie rouge et d’une pinède,
surmontés des vestiges d’une thuriféraie. Ces parcours sont
ponctués de villages berbères parfaitement authentiques,
admirable guirlande d’architecture ancestrale.
Les randonnées
vers les cimes et les vallées environnantes sont complétées
par la découverte de l’architecture locale, des peintures
rupestres et des innombrables fantaisies du paysage
alentours. Le séjour est une imprégnation de la vie des
montagnards berbères (travail de la terre, irrigation,
moissons, élevage, artisanat, veillée, etc., au gré des
saisons). Le couchage se fait dans le respect des
traditions (épais tapis, coussins et couvertures) et les
repas sont typiques à base de produits locaux. Bien
d’autres régions suivent désormais l’exemple et la mode des
gîtes se répand de proche en proche, de djebel en vallée,
ne manquant pas d’échapper à la vigilance initiale. C’est
alors souvent n’importe quoi.
Les tribus de ces régions ont vécu récemment les affres
d’une sécheresse de plusieurs années. Certains ont
définitivement choisi l’exode rural, d’autres se mobilisent
pour que la belle vallée ne soit pas dépeuplée. Le soutien
de ce tourisme respectueux et des diverses ONG qu’il peut
véhiculer ont déjà permis d’étayer des projets de
développement. Il en va de la construction de systèmes
d'eau potable dans certains douars afin que les femmes ne
consacrent plus trois ou quatre heures par jour au puisage
et au transport de l'eau, du creusement de puits et de
l’installation de motopompes, de l’amélioration de
l’irrigation, d’unités d’apiculture, d’un appui général au
développement agricole pour une sensible augmentation du
revenu des familles, de l’équipement en chauffe-eau
solaires et en infrastructures photovoltaïques pour
l’électricité. L'association locale, porteuse de l'intérêt
commun des habitants de la vallée et légitimée par les
responsabilités prises dans le projet, est reconnue comme
interlocutrice privilégiée par les pouvoirs publics
marocains.
L’effet négatif prééminent du tourisme, même solidaire et
intégré, est qu’il réveille évidemment l’individualité,
l’égoïsme. Les conséquences ne sont pas moindres dans une
société traditionnelle toute basée sur l’aspect collectif.
Les guides et les jeunes ruraux sont les premiers à imiter
le modèle d’importation. Les effets de la disparité creuse
le fossé : les familles les plus riches et dont le
fils a pu bénéficier de l’école des guides héritent en
priorité de la manne des randonneurs. Des commerçants et
des militaires à la retraite ouvrent plus aisément des
gîtes et des dortoirs d’étape que les familles démunies.
Ainsi se crée une monté rapide des individualismes,
véritable choc pour la routine bouguemez. Tout un chacun
cherche alors à se soustraire des activités collectives et
comme l’agriculture en dépend, les terres sont délaissées,
les canaux d’irrigation ne sont plus entretenus, on manque
de mules pour les battages et les labours puisqu’elles sont
réquisitionnées pour l’accompagnement des randonneurs, la
mauvaise gestion décime les Noyers. La rançon de ce brutal
détachement des activités traditionnelles est qu’un
appréciable pourcentage des terres se retrouve en déprise.
L’architecture quant à elle ne semble guère avoir
localement pâti du modeste enrichissement ou bien – une
fois n’est pas coutume - un cahier des charges veille aux
normes du patrimoine architectural du site. La proche ville
d’Azilal, chef-lieu de la province, n’a pas eu ce privilège
et le considérable apport de devises de ses émigrés n’eut
pour conséquence que sa défiguration totale avec 99 % de
ses maisons en parpaings nus non crépis, recette idéale
pour faire fuir illico
presto le touriste vers
le charme montagnard des proches Bouguemez.
Il n’y a plus de paysages « à l’identique ». Tous les
écosystèmes que nous qualifions de « naturels »
ont été plus ou moins modelés par des millénaires
d’interventions humaines. Dans une définition classique, le
milieu naturel est façonné d’abord par l’écosystème, puis
par le poids des agissements anthropiques. La notion
d’écosystème s’appuie ainsi sur une partie minérale et
statique, le biotope, et une partie évolutive, vivante et
organique, la biocénose. Dans le même angle de vision,
aucune civilisation n’est figée « à
l’ancestral ». L’Homme évolue – ou involue – mais
change inévitablement eu égard à un fourmillement de
facteurs dont le progrès et la proximité sont les plus
neufs. C’est pour le moins une lapalissade de le dire. Il
faut être simplement soucieux de la qualité de ces
changements, qu’ils se fassent sans violence et selon une
graduation, écartant toutes les séquelles qui résultent du
chaos. Alors, puisque le tourisme est un mal nécessaire et
même s’il y a des ombres au tableau et que d’une manière ou
d’une autre les us et coutumes s’en trouvent modifiés, il
convient qu’ils le soient dans le sens d’une amélioration
de la qualité de vie, d’un allègement des fardeaux. Il
serait tout aussi néfaste et regrettable de vouloir figer
des gens à l’âge de pierre ou en l’an 1000 sous prétexte
qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs.
Souhaiter une immuable situation à une catégorie sociale
est aussi outrageant que de la folkloriser. Et obliger une
vallée à tourner le dos à son époque est aussi la meilleure
formule pour au mieux provoquer l’exode, au pire susciter
des vocations vindicatives d’intégrisme. La solution ne
peut qu’être consensuelle. La promotion d’un tourisme
culturelle, écologique et dosé ressemble à une panacée
nettement moins néfaste et plus subtil que l’habituel
envahissement par bordées d’autocars, ravageant tout sur
son passage en imposant un modèle absolu. Il représente
l’approche la plus respectueuse des écosystèmes et de leurs
populations.
A la recherche d’authentique, celui-là ne vient que
« pour savoir », et non pour profiter.