La cédraie dans tous ses états
Sur
les chemins de la cédraie
Noble
et majestueux, le Cèdre est l’arbre des dieux
«
Le cèdre ne pourrit pas ; faire de cèdre les poutres de nos
demeures, c’est préserver l’âme de la corruption. »
Verset biblique
1,17 du cantique des cantiques attribué à
Salomon
Le Cèdre de l'Atlas ou Cèdre bleu (meddad
ou
arz
en
arabe, idil
ou
begnoum
en
berbère) (Cedrus
atlantica) est un arbre
endémique au Maroc et à l’Algérie. D'un port susceptible de
dépasser 50 à 60 m, avec un diamètre de 2 m, il se
différencie du Cèdre du Liban (Cedrus
libani) par le fait
que la partie supérieure de la ramure est pyramidale et
plus érigée, surtout lorsqu'il est jeune, lui procurant un
profil très élancé, mais devenant tabulaire avec le grand
âge. Il se distingue en outre par ses branches plus
courtes, ascendantes, ainsi que par une écorce qui demeure
lisse, luisante et gris clair jusque vers l'âge de
25 ans, pour se fissurer et devenir brun écaillé
ensuite. Les cônes sont plus petits (de 5 à 6 cm) avec
souvent un petit creux au centre ; d'abord vert jaunâtre,
ils deviennent pourpre violacé avec la maturité. Selon
certains paléobotanistes, cet arbre vivait également en
Europe à l'état naturel. Sa longévité est
exceptionnelle : on signalait au Liban des vétérans de
plus de 2000 ans ! Au Maroc, un doyen abattu au début
du siècle était évalué à 900 ans. Outre le Cèdre de l’Atlas
et le Cèdre du Liban, ce dernier aussi présent en Turquie
et en Syrie, il existe d’autres espèces, partout en voie
d’extinction plus ou moins prononcée : le Cèdre de
Chypre (C.
brevifolia),
celui de
l'Himalaya (C.
deodara), qui subsiste
aussi en Afghanistan et au Béloutchistan, dont l’origine de
la derivatio
nominis est en sanskrit
indo-aryen devadara
qui
signifie « arbre des dieux ».
Dans l’Épopée de Gilgamesh, l’un des plus anciens écrits
connus d’origine sumérienne, il est déjà question d’un
Cèdre. Le héros en quête de l’immortalité et rappelant fort
Héraclès, se lance dans les aventures les plus périlleuses.
Un jour, il décide d’affronter le monstre Koumbaba, auquel
les dieux ont confié la garde de la cédraie leur
appartenant. Selon les orientalistes, celle-ci se situerait
entre la Syrie et la Mésopotamie, sur le Mont Amanos. Ce
n’est qu’avec l’aide des dieux invoqués que le héros vint
finalement à bout de ces êtres dont « la voix est
une tempête, le souffle un vent ». Le récit
atteste que dés la plus haute Antiquité, les Cèdres furent
des arbres voués aux dieux, sans nul doute pour leur valeur
esthétique, l’odeur de leur bois et leur incorruptibilité.
C’est certainement cette résistance au temps qui, pour le
pire et pour le meilleur, inspira déjà le Roi Salomon qui
selon la légende envoya sur le Mont Liban 80.000 bûcherons
couper les Cèdres nécessaires à la construction du temple
et du palais royal de Jérusalem. L’huile de Cèdre fut
employée dans l’embaumement et des fioles ont été
retrouvées dans des tombes pharaoniques : le parfum en
était resté intact ! Antiseptique et dépurative, il
est dit que cette huile essentielle, à l’arôme chaud, boisé
et balsamique, a un pouvoir structurant et renforce la
confiance en soi. De nos jours, elle est encore utilisée en
cosmétologie. Son encens très prisé fait office
d’insecticide.
« Ces arbres
sont les monuments les plus célèbres de l’univers. La
religion, la poésie et l’histoire les ont consacrés... Les
Arabes de toutes les sectes ont une vénération
traditionnelle pour ces arbres ; ils leur attribuent non
seulement une force végétative qui les fait vivre
éternellement, mais encore une âme qui leur fait donner des
signes de sagesse, de prévision, semblables à ceux de
l’instinct chez les animaux, de l’intelligence chez les
hommes. Ils connaissent d’avance les saisons, ils remuent
leurs vastes rameaux comme des membres, ils entendent ou
resserrent leurs coudes, ils élèvent vers le ciel ou
inclinent vers la terre leurs branches, selon que la neige
se prépare à tomber ou à fondre, ce sont des êtres divins
sous la forme d’arbres... Chaque année, au mois de juin,
les populations chrétiennes de tous les villages des
vallées voisines, montent aux cèdres et font célébrer une
messe à leurs pieds. Ces arbres diminuent chaque siècle.
Les voyageurs en comptèrent jadis trente ou quarante, plus
tard dix sept, plus tard encore une douzaine. Il n’y en a
plus que sept que leur masse peut faire présumer
contemporains des temps bibliques. »
Alphonse de Lamartine, 1933 (A propos des Cèdres du Liban
du site d’El-Herze.)
Bois d’œuvre noble et durable, il fut recherché depuis des
millénaires à l’usage monumental (attesté au Maroc dès
l’époque Idrisside), pour l’ameublement de luxe, l’art et
l’artisanat, l’ébénisterie et la menuiserie. C’est un bois
très apprécié à l’usage du mobilier d’art, des œuvres
sculptées, de la gravure et du taraudage, pour le
découpage, la peinture et l’enluminure, la marqueterie et
les incrustations. Les amateurs d’art n’ont pas manqué
d’admirer certains toits des médinas des villes impériales
marocaines ou les portes des plus anciennes mosquées :
leur bois de Cèdre a dignement traversé les siècles. Les
critères qualitatifs de ce bois s’expriment dans sa fiche
technique : brun jaune ou rosé, aromatique, tendre et
assez léger (densité 0,5 à 0,6), grain fin, sans canaux
résinifères, retrait moyen, sciage facile et séchage rapide
ne causant pas de déformation et peu de fentes, bon
usinage, très durable, utilisable en menuiserie extérieure,
charpente, ébénisterie, déroulage et tranchage, coffrage et
bois d’industrie pour les débits noueux ou les produits
d’éclaircie, pâte à papier en mélange avec du bois de Pin.
La cédraie, « une forêt absolue »
« Les parfums,
les couleurs et les sons se
répondent. »
Charles Baudelaire
Au sein de la vaste écorégion des forêts humides (Rif
centro-occidental, Tingitanie, Moyen Atlas central et
oriental, Haut Atlas oriental), le Cèdre de l’Atlas
organise, entre 1400 et 2500 m d’altitude, un écosystème
forestier vigoureux. Mais dans les cas de futaies
exclusives, denses et trop fermées où le sous-bois demeure
ombreux, la formation du Cèdre apparaît comme
biologiquement monotone et de diversité étroite. C’est dans
les cédraies mixtes, plus ouvertes et les trouées de
clairières, en préforêt ou en lisière (causses ou prairies
sylvatiques) que se manifeste l’essentiel des riches
biocénoses spécifiques à cet écosystème. La cédraie doit
donc impliquer une biodiversité mitoyenne pour s’enrichir,
comme il en va d’ailleurs de tous les boisements de
Conifères qui par eux-mêmes n’engendrent guère d’humus et
n’impliquent un réel cortège qu’en association avec des
feuillus. Dans ce cas de figure mixte, la cédraie se révèle
alors comme l’une des formations écosystémiques insignes du
zonobiome méditerranéen.
L’un des indicateurs du degré de naturalité d’une forêt et
en conséquence de sa viabilité est qu’elle reste l’habitat
du plus grand nombre possible de plantes vasculaires,
d’Invertébrés et de Vertébrés.
Dans les statistiques, la disparition de ce type de forêt
vraie est occultée par les chiffres du taux de reboisement
puisqu’un vétéran est « mis dans le même sac »
que le jeune plant à l’hypothétique transformation.
Le Cèdre est un Conifère à large spectre écologique, à
préférence calcicole mais qui s’accommode indifféremment de
tous types de substrats. Sa préférence va aux sols plutôt
meubles (éboulis, cailloutis) ou développés sur roches
fissurées (système racinaire pivotant et puissant) et les
substrats les plus favorables sont donc les sols profonds
évolués (sols bruns lessivés), les sols sur substrats
rocheux fissurés, les éboulis et les dépôts filtrants. Lui
sont plutôt défavorables les sols superficiels et ceux
argileux (sols asphyxiants) sur conglomérat ou sur dalle
rocheuse peu fissurée, ainsi que les marnes et les argiles
altérées (sauf si la pluviosité est abondante), les
colluvions argileuses et les dépôts compacts peu aérés.
Au Maroc, il
s’encarte dans les bioclimats subhumide à perhumide froid à
très froid des étages supraméditerranéen et montagnard
méditerranéen. Cette plasticité fait que l’arbre apparaît
comme très protéiforme et change d’aspect selon les
paramètres d’influences locales et altitudinales. Il évolue
aussi grandement au fil de sa maturité et passe du jeune
sujet en flèche au vieil arbre à carrure tabulaire, le
feuillage variant quant à lui du vert sombre au vert
bleuâtre. Il couvre ainsi une partie des montagnes du Rif
occidental et central, le Moyen Atlas, où c’est la figure
forestière prééminente après le Chêne vert, ainsi qu’un
espace devenu relictuel du Haut Atlas oriental. Le
contingent du Cèdre peuple globalement quelques 130.000 ha,
dont 80.000 dans le Moyen Atlas. Signalons pour comparaison
que de Cedrus
libani, il ne reste en
tout et pour tout au Liban que 2200 ha dont 700 dégradés.
Il participe partout à plusieurs associations
phytosociologiques, notamment avec des Chênes. Au plus haut
de l’étage montagnard méditerranéen, il s’associe à une
végétation souvent clairsemée de Genévriers thurifères où
s’infiltre la flore des pelouses écorchées et des
xérophytes en coussinets.
Par la biomasse qu’elle engendre, pour sa fonction
protectrice du sol et parce qu’elle est la formation
essentielle s’inscrivant dans le rôle salutaire et légitime
de
« ceinture verte » de l’Atlas, ultime rempart
contre la désertification menaçante, pour être un
incommensurable réservoir génétique où prospère une riche
biodiversité, pour l’outil fidèle que son ambiance
forestière représente pour les collectivités locales et les
populations rurales (vocation sylvo-pastorale, bois de
chauffe, bois d’œuvre, plantes médicinales, loisirs) et
pourquoi pas pour la dimension poétique, esthétique et
culturelle qu’elle induit,
la cédraie joue un rôle considérable à l’échelle nationale
et méditerranéenne.
Les cédraies « grandeur nature » de la Cordillère
rifaine et du Djebel Tazzeka
Il est judicieux d’en décrire deux unités
pédologiques : celle calcicole et celle silicicole,
chacune engendrant un modèle écosystémique un peu
différent.
- Les cédraies calcicoles du Rif occidental
Il s’agit de peuplements exigus structurés par des
conditions écoclimatiques limitantes comme la perméabilité
excessive du substrat et la violence des vents. Dans ces
conditions originales, les sujets y apparaissent trapus et
rarement supérieurs à 10-12 m. La forêt de Cèdres du Djebel
Bouhachem est la plus intéressante par sa localisation
extrême aux franges de la péninsule Tingitane. Elle coiffe
une masse forestière de quelques 8000 ha, remarquablement
structurée de quatre espèces de Chênes (Chêne vert,
Chêne-liège, Chêne zène, Chêne tauzin, dont de nombreux
doyens respectifs à chacune de ces essences), ainsi qu’une
belle formation de Pins maritimes et un cortège floristique
original d’une grande diversité d’espèces et de groupements
que favorise un bioclimat humide tempéré à perhumide frais.
- Les cédraies silicicoles du Rif central et du Tazzeka
C’est l’essentiel des peuplements rifains qui réunissent
avec le Djebel Tazzeka plus de 20.000 ha de vastes et
dynamiques futaies, notamment sur les revers septentrionaux
aux conditions écoclimatiques optimales et où les
précipitations annuelles atteignent 2000 mm sur les
sommets. On y constate des futaies de très belle venue et
les spécimens de 30 m n’y sont pas l’exception. Mais sur
certaines crêtes aiguës fortement ventées, les arbres
peuvent demeurer naniformes en ne dépassant guère la
dizaine de mètres. Dans les secteurs où les activités
perturbatrices sont limitées, la régénération spontanée est
manifeste. Quercus
suber,
Q.
faginea et
Q.
pyrenaica y offrent çà et
là de belles infiltrations. La cédraie du Djebel Tisirene
qui culmine à 2100 m et celle du Tidiquin à 2448 m, sont
les mieux conservées. Le Djebel Tazzeka, qui
orographiquement appartient au Moyen Atlas, recèle au
plancher de son étage montagnard méditerranéen (perhumide
froid) une futaie de Cèdres plus ou moins âgés, dont
certains sujets des cimes les plus exposées, tourmentés et
suppliciés par les intempéries, sont très pittoresques. On
peut inclure dans cette catégorie et pour mémoire, les très
beaux restes de la cédraie continentale du Djebel
Bou-Iblane, près de la maison forestière de Tafferte.
Les cédraies du Moyen Atlas central : une prospérité
déjà comptée
Sur plus de 60.000 ha de cet univers volcanique tabulaire à
influence océanique, c’est la cédraie de meilleure
couverture et de qualité souvent climacique. Sur un
substrat basaltique hydro-édaphiquement favorable, tout
comme sur les versants nord à Ouest des séries
supraméditerranéennes, très bien arrosés entre 1500 et 2000
m, on observe des degrés prononcés de maturité. Sur les
ressauts sud aux substrats calcaires ou dolomitiques,
surtout au niveau altitudinal des séries montagnardes, la
densité s’atténue, souvent au profit du Chêne vert. A
l’intérieur de ce « triangle du Cèdre »
grossièrement délimité par Ifrane, Khénifra et Itzer, les
futaies de très belle venue sont nombreuses : celles
d’Azrou-Ifrane, du Mischliffen et du Djebel Hebri, ainsi
que toutes celles que l’on peut découvrir depuis le village
de montagne d’Aïn-Leuh jusqu’à Khénifra au sud-ouest et
Itzer au sud-est, en passant par les sources de
l’Oum-er-Bia. Ici, la régénération naturelle est forte, il
n’est que de voir les semis spontanés et les jeunes sujets
peuplant les bermes des routes forestières. Lacs et cours
d’eau ajoutent ici à la beauté des sites.
Mort d’un géant
Les temps sont à la vigilance. La dégradation se manifeste
par un gain du Chêne vert qui s’observe ça et là aux
dépends du Cèdre, ainsi que par de vastes secteurs
banalisés et gagnés par des groupements de ligneux.
Après une longue agonie, un bien illustre et symbolique
vétéran vient de rendre l’âme : le Cèdre Gouraud,
arbre-attraction qui, entre Ifrane et Azrou, recevait
depuis des lustres les touristes autour de ses dix mètres
de circonférence. Colosse végétal reconnaissable à l’une de
ses grosses branches tronquée et accolée au tronc, ce qui
lui valu d’être baptisé du nom du Général Gouraud, colonel
sous Lyautey et estropié d’un bras. Arbre-monument sans nul
doute trop carte-postalisé et pas assez protégé,
le Cèdre « perpétuel » n’est plus, le géant est
mort. C’est un peu
le glas qui vient de sonner dans la futaie de Cèdres.
Les
cédraies du Moyen Atlas plissé et du Haut Atlas
oriental : grandeur et décadence
Systématiquement associé au Chêne vert, voire au Genévrier
thurifère et parfois au Buis des Baléares, c’est dans des
conditions climatiques marginales, peu favorables puisque
mitoyennes avec la steppe du Maroc semi-aride, parfois même
dominant les nappes alfatières, que se développe ou plus
exactement décline le Cèdre, d’ailleurs en sa limite
géonémique méridionale. Sur un sol squelettique et azoïque,
où cherchent désespérément à pâturer Moutons et Chèvres,
des cédraies relictes mortes ou en lambeaux, aux ultimes
vétérans moribonds, peuvent être observées avec peine sur
le versant méridional du Moyen Atlas, au sud-est de
Timahdite (la plus éloquente est peut-être celle du
Tizi-Taghzeft) ou dans les Djebels Ayachi et Masker du Haut
Atlas oriental. Déjà bien connu des voyageurs parce
qu’« en vitrine » sur l’axe Meknès-Midelt, le
spectacle de désolation d’un sol mort portant des Cèdres
agonisants du Col du Zad et des pourtours de l’Aguelmame de
Sidi-Ali, laisse songeur. Ici, le patrimoine et la
biodiversité s’amenuisent sérieusement et la relecture des
récits de voyage du Marquis René de Segonzac en Haute
Moulouya avant le Protectorat (1899-1901) en apporte un
témoignage manifeste car il s’agissait alors d’un réel
paradis vert.
Phytocénose du Cèdre
Du
point de vue phytosociologique, la cédraie
s’encarte dans la classe des Quercetea
pubescentis enveloppant les
associations forestières des étages supraméditerranéen et
montagnard méditerranéen, illustré au Maroc par l’ordre
des Querco-Cedretalia
atlanticae se déclinant en
trois alliances et de nombreuses sous-alliances (Benabid,
2000).
Pour ce qui concerne
les séries phytodynamiques incluant
Cedrus
atlantica et qui occupent
des tranches altitudinales de 1400 à plus de 2000 m, il
s’agit de la série supraméditerranéenne mixte Cèdre-Chêne
tauzin (Djebels Bouhachem et Tisirene), de celle mésophile
mixte Cèdre et Chêne vert (Rif central : Ketama,
Tizi-Ifri, Moyen Atlas tabulaire et Djebel Tazzeka), de la
série supraméditerranéenne mésoxérophile mixte Chêne
vert-Cèdre (Moyen Atlas plissé, Haut Atlas oriental), de la
série montagnarde méditerranéenne mésophile de
Cedrus
atlantica et ses
sous-séries avec le Houx (Ilex
aquifolium) (Moyen Atlas
oriental calcaire de 2000 à 2500 m) et avec l’Adénocarpe
endémique Argyrocytisus
battandieri en bioclimat
très froid (Moyen Atlas tabulaire à plus de 2000 m), de la
série montagnarde méditerranéenne calcicole du Cèdre (Rif
occidental calcaire de 1800 à 2170 m), des séries
montagnardes méditerranéennes de Cedrus
atlantica-Quercus rotundifiolia mésoxérophile
(Moyen Atlas et Haut Atlas oriental à plus de 2000 m) et
préforestière (Moyen Atlas plissé et Haut Atlas oriental de
2100 à 2500 m) (Benabid, 2000).
La richesse floristique de la cédraie est (était) estimée à
un millier d’espèces et les
botanistes sont (étaient) encore loin d’avoir recensé tous
les taxa dans les parties originelles et les moins
accessibles de ce fabuleux patrimoine forestier. L’aperçu
très succinct ci-après peut déjà donner une idée de ce
trésor caché, puis saccagé.
Les arbres et arbustes qui s’associent directement au Cèdre
Les noms vernaculaires en vigueur au Maroc (arabe,
dialectes berbères), sont indiqués quand disponibles, mais
font rarement la différence entre espèces de ressemblance
superficielle.
Abies
(pinsapo) maroccana, le Sapin du
Maroc (chohh)
(Rif occidental),
Pinus
halepensis, le Pin d’Alep
(snouber,
taïda) (Rif et
Atlas),
Pinus
pinaster maghrebiana, le Pin
maritime du Maghreb (snouber,
taïda) (des
sous-espèces peuplent le Rif, le Moyen Atlas et le Haut
Atlas oriental),
Pinus
clusiana mauretanica, le Pin noir du
Maroc (anagro,
taïda)
(Rif occidental),
Juniperus
thurifera, le Genévrier
thurifère (ârâar, awal,
tawalt, adroumane) (Moyen et Haut
Atlas),
Juniperus
phoenicea, le Genévrier
rouge (ârâar
l-horr, aïfs)
(exceptionnel),
Juniperus
oxycedrus, le Genévrier
oxycèdre (taqqa,
tiqqi) (Rif et
Atlas),
Taxus
baccata, l’If commun
(dakhs,
imerwel, igen) (Rif, Moyen
Atlas et Haut Atlas oriental),
Quercus
rotundifolia, le Chêne vert
(ballout
lakhdar, kerrouch, tassaft) (Rif et
Atlas),
Quercus
suber, le Chêne-liège
(ballout-l-ferchi,
l-fernane) (Rif et Djebel
Tazzeka),
Quercus
faginea, le Chêne zène
(ou zéen) (ballout
ez-zane, techt) (Rif et Moyen
Atlas central),
Quercus
pyrenaica, le Chêne
tauzin (techt)
(Rif occidental et central),
Alnus
glutinosa, l’Aulne (Rif,
dans les montagnes de Chefchaouen et Ketama),
Betula
fontqueri, le Bouleau
verruqueux (Rif, dans la cédraie de Ketama),
Salix
cinerea catalaunica (Rif), et autres
Saules (oum
soualf) (Rif et
Atlas),
Fraxinus
angustifolia, le Frêne
oxyphylle (dardar,
aseln, tuzzalt) (Rif, Moyen
Atlas),
Fraxinus
dimorpha, le Frêne
variable (imts, aseln,
tuzzalt) (Rif, Moyen
Atlas),
Acer opalus
granatense, l’Érable de
Grenade (Rif),
Acer
monspessulanum, l’Érable de
Montpellier (Moyen Atlas),
Daphne
laureola latifolia, le Laurier des
bois (lezaz,
metnane) (Rif).
Ainsi que : Ribes
uva-crispa (Groseillier à
maquereau, aanb
dib),
R. alpinum,
Ilex aquifolium (Houx
commun, âbd-l-iser,
tasaft-n-yizem), puis dans les
Rosaceae : Sorbus
torminalis (Alisier
torminal, mechtehi,
zaârour),
S.
aria,
Crataegus
laciniata (une
Aubépine, admam,
busorulu, guendoul),
Cotoneaster
nummularia, et les
Eglantiers Rosa
canina et
R.
micrantha (ward,
âisus, tihfert, nesrin). Le Buis des
Baléares, Buxus
balearica, touche la
forêt de Cèdres, notamment dans le Haut Atlas oriental
(région de Tounfite) et le Djebel Tichoukt dans le Moyen
Atlas central (région de Boulemane), où mitoyen d’une
cédraie relicte, subsiste aussi l’une des rares stations
marocaines à Juniperus
communis (Genévrier
commun). Celle-ci se situe à l’étage oroméditerranéen
subhumide extrêmement froid d’un anticlinal du Moyen Atlas
plissé, connu pour l’inversion de ses processus pluviaux et
interpluviaux. Enfin, sur les hauteurs
« alpines » du Rif et spécialement aux limites
supérieures des quelques cédraies du Haut Atlas oriental,
mitoyennes de reliefs steppiques, la xérophytaie des
« zones de combat » s’exprime avec ses
sempiternels épineux : Alyssum
spinosum
(Alysson
épineux) (Brassicaceae),
Erinacea
anthyllis (Cytise
hérisson,
timchwid)
(Fabaceae)
et Bupleurum
spinosum (Buplèvre
épineux, akerbaz)
(Apiaceae),
association rupicole adaptée à ces conditions
inhospitalières et contrastées (vent desséchant, grand
froid ou soleil ardent riche en rayons ultra-violets) par
un développement en coussinet et des racines abondamment
ramifiées.
Durant la belle saison, la Fougère aigle
(Pteridium
aquilinum) forme une
couverture assez constante dans les sous-bois depuis des
suberaies de plus modestes altitudes jusqu’aux cédraies
élevées du Rif et du Moyen Atlas humide. Bien d’autres
Fougères spécialisées y occupent des localisations
particulières (rochers suintants, fentes et fissures
ombreuses, rives des ruisseaux et proximités des sources,
mouillères), comme Botrychium
lunaria en milieu très
humide, Dryopteris
filix-mas, plusieurs
espèces du genre Asplenium
comme
A.
septentrionale, puis
Pleurosorus
pozoi,
Athyrium
filix-femina, etc.
Quelques plantes vasculaires de la cédraie et de son
écocomplexe
Outre les arbres et arbustes majeurs précédemment cités,
cet aperçu d’inventaire non exhaustif est donné toutes
régions confondues (Rif, Moyen et Haut Atlas) et comporte
bien des endémiques et des subendémiques. On retrouvera bon
nombre de ces taxons dans la sapinière rifaine. Classement
alphabétique par défaut, avec mention quand disponibles des
noms vernaculaires français et arabo-berbères.
AMARYLLIDACEAE :
Narcissus
albimarginatus
ASTERACEAE :
Artemisia
absinthium (Grande
Absinthe, Herbe aux vers, Herbe sainte, Armoise
amère, siba,
siba
smaymiya) (Bou-Iblane
!), Centaurea
triumfetti (Centaurée de
Lyon), Cirsium
casabonae,
Lapsana
communis (Grande
Lampsane), Onopordum
macracanthum
APIACEAE :
Balansaea
glaberrima,
Bunium
alpinum mauritanicum (Noix de
terre), Bupleurum
atlanticum (Buplèvre de
l’Atlas), B.
spinosum (Buplèvre
épineux, akerbaz),
Eryngium
bourgatii (Panicaut de
Bourgat), E.
campestre (Panicaut
champêtre, Chardon Roland, Chardon bénit, Épine à Scorpion,
etc., zerriga,
sekkour,
kaf
sbaâ),
Heracleum
montanum (Berce de
montagne), Pimpinella
tragium (Boucage)
ARALIACEAE :
Hedera
helix (Lierre
grimpant, louwaya,
tanesfalt)
ARISTOLOCHIACEAE :
Aristolochia
longa paucinervis (Aristoloche
longue, barreztem,
perraztame)
BERBERIDACEAE :
Berberis
hispanica
BRASSICACEAE :
Alyssum
atlanticum, Arabis josiae,
Iberis
atlantica,
I.
gosmiqueli,
I.
linifolia,
Hypochoeris
laevigata,
Vella
mairei
CAPRIFOLIACEAE :
Lonicera
arborea (Chèvrefeuille
arborescent), L.
etrusca (Chèvrefeuille
d'Étrurie, louayate el
yasmine),
L.
kabylica (Chèvrefeuille
de Kabylie), Sambucus
nigra (Sureau
noir), S.
ebulus (Hièble, Petit
Sureau Boule de neige), Viburnum
lantana (Viorne lantane,
Viorne cotonneuse, Viorne mansienne)
CARYOPHYLLACEAE :
Cerastium
gibraltaricum
CELASTRACEAE :
Evonymus
latifolius (Fusain à larges
feuilles)
CISTACEAE :
Cistus
laurifolius (Ciste à
feuilles de Laurier, amziwet),
Halimium
atlanticus,
Helianthemum
croceum
CONVOLVULACEAE :
Convolvulus
dryadum
CRASSULACEAE : Sedum
forsterianum (Orpin élégant)
CYPERACEAE :
Carex
halleriana (Laîche de
Haller)
DIOSCOREACEAE :
Tamus
communis (Tamier commun,
Herbe aux femmes battues, Navet du Diable)
FABACEAE :
Adenocarpus
boudyi,
Anthyllis
vulneraria (Vulnéraire),
Argyrocytisus
battandieri,
Astragalus
armatus numidicus,
A.
ibrahimianus,
A.
nemorosus,
Coronilla
minima (Petite
Coronille), Cytisus
balansae,
C.
purgans (Genêt
purgatif), Genista
pseudopilosa,
G.
quadriflora (Genêt à quatre
fleurs), G.
tournefortii,
Hedisarum
humile,
Medicago
suffruticosa (Luzerne
sous-ligneuse), Ononis
cristata (Bugrane à
crête), Pterospartum
tridentatum (Genestrolle),
Sarothamnus
megalanthus,
Trifolium
ochroleucum (Trèfle
jaunâtre), Vicia
cedretorum (Vesce du
Cèdre), V.
onobrychioides (Vesce faux
sainfoin), V.
tenuifolia (Vesce à
feuilles étroites)
GERANIACEAE :
Erodium
cheilanthifolium,
Geranium
malviflorum
IRIDACEAE :
Iris
tingitana (Iris de
Tanger), I.
planifolia (Iris)
JUNCACEAE :
Luzula
forsteri baetica (Luzule bétique)
, L. nodulosa
mauritanica (Luzule de
Maurétanie)
LAMIACEAE :
Calamintha
baborensis (Calament des
Babor), Lamium
flexuosum (Lamier
flexueux), Marrubium
ayardii,
M.
heterocladum,
Nepeta
amethystine (Nepéta
améthyste), Salvia
argentea (Sauge
argentée), Teucrium
oxylepis,
Thymus
algeriensis (Thym d’Algérie)
LILIACEAE :
Asphodelus
cerasiferus (Asphodèle
porte-cerises, berwag,
ingri,),
Fritilaria
hispanica (Fritillaire),
Scilla
hispanica algeriensis (Scille),
S.
peruviana (Scille du
Pérou), Tulipa
sylvestris (Tulipe sauvage)
LINACEAE :
Linum
austriacum (Lin d’Autriche)
PAEONIACEAE :
Paeonia
maroccana (Pivoine,
telfât
g-iddawn)
POACEAE :
Anthoxanthum
odoratum (Flouve
odorante), Brachypodium
silvaticum,
Festuca
rifana (Fétuque
rifaine), F.
triflora (Fétuque à trois
fleurs), F.
yvesii
POLYGONACEAE :
Rumex
atlanticus (Oseille de
l’Atlas), R.
tuberosus (Oseille
tubéreuse)
PRIMULACEAE :
Primula
vulgaris (Primevère
commune)
RANUNCULACEAE :
Ranunculus
paludosus
(Renoncule des marais), R.
ficaria (Ficaire fausse
Renoncule)
ROSACEAE :
Geum
heterocarpum (Benoîte à
fruits divers), G.
sylvaticum (Benoîte des
bois), G.
urbanum (Benoîte des
villes), Potentilla
micrantha (Potentille à
petites fleurs), Rubus
ulmifolius (Ronce rustique,
Ronce à feuilles d’Orme, üllig,
sermu,
aseddir,
tabgha),
Sorbus
aria (Alisier blanc,
Alouchier)
RUBICEAE :
Asperula
laevigata (harricha),
Galium
aparine,
G.
ellipticum (hraïricha,
isaïsika,
tarroufia),
Rubia
peregrina (Garance
voyageuse, fuwa,
tarubia,
tigmit,
lhamri)
SCROPHULARIACEAE :
Digitalis
purpurea (Digitale
pourpre)
SOLANACEAE :
Atropa
belladona (Belladone,
zbib
l-idur)
SAXIFRAGACEAE :
Saxifraga
granulata (Saxifrage à
bulbilles, Saxifrage granulée, Herbe à la gravelle)
S.
tricrenata
VIOLACEAE :
Viola
arvensis (Pensée des
champs), V.
maroccana (Pensée du
Maroc, belsfenj),
V. munbyana
rifana (Pensée du
Rif), V.
parvula (Tidiquin
!), V.
pyrenaica (Violette des
Pyrénées) (Tidiquin !), V.
reichenbachiana (Violette des
bois), V.
saxifraga (Violette
saxifrage)
Dans cette
ambiance humide, les Champignons sylvicoles saprophytes,
terricoles, parasites et symbiotiques (Tricholome chaussé,
Cèpe, Pleurote et Morille), aux poussées fongiques hélas
limitées, sont les comestibles les plus appréciés. Un
impressionnant cortège de Lichens et de mousses, ont aussi
la cédraie rifaine ou atlasique, supraméditerranéenne ou
montagnarde, comme habitat et vivent souvent en étroite
dépendance avec elle.
Petit
cours de lichénologie...
Comme nos pas dans la cédraie nous permettent d’admirer les
plus beaux Lichens colorés, tant sur les écorces que sur
les rochers, portons un regard sur ces êtres doubles dont
l’ancêtre remonterait à 400 millions d'années. 760 espèces
ont été dénombrées pour le Maroc au début du siècle passé,
oeuvre essentielle de Werner. Depuis, personne ne s’en
préoccupe et c’est regrettable. Même observation pour les
mousses (inventaire de 350 espèces remontant à...
1930 !).
Les Lichens posèrent quelques problèmes au systématicien.
D'abord regardés comme des mousses, ensuite rapprochés des
Fougères, puis des Algues et finalement classés dans le
règne fongique, ils furent bien difficiles à caser !
Ce n'est qu'en 1867 que le botaniste suisse Schwendener
découvrit la dualité profonde de ces organismes formés de
l'union d'une Algue et d'un Champignon. Lorsque cette
conception fut acceptée, les scientifiques nommèrent cette
union « symbiose », un terme issu du grec
signifiant « vivre ensemble ». Une sorte de mariage au
sein duquel chaque partenaire dépend de l'autre pour
survivre. Depuis, la symbiose lichénique est un symbole.
Cette union est plutôt une réussite si l'on considère que
sur 65.000 espèces de Champignons, 20 % ont choisi de
s'unir avec une Algue. Il existe 13.500 Lichens répertoriés
et un très grand nombre à découvrir. Les couleurs des
Lichens sont principalement dues aux acides lichéniques qui
leurs sont spécifiques. Ils changent très facilement de
teinte et donnent alors la couleur typique jaune, rouge ou
brune du thalle ou des parties du thalle. Les Lichens qui
savent attendre patiemment le moment propice à leur
développement doivent leur succès à une remarquable
adaptation aux grandes variations de sécheresse et
d'hygrométrie. Quand l'eau vient à manquer, ils cessent
leur croissance et entrent en dormance souvent sur de
longues périodes. Capteurs de la moindre trace d'humidité,
ils l’absorbent comme du papier buvard. C'est la
reviviscence : un Lichen s'hydrate, se gonfle comme une
éponge jusqu'à pouvoir contenir 30 fois son poids en eau !
Certaines espèces alpins pourraient être âgées de 1000 ans
et d'autres au Groenland dépasseraient les 4000 ans.
Les Lichens sont néanmoins fort sensibles à certaines
pollutions et la plupart d’entre eux semblent fuir les
cités et son dioxyde de soufre. Même à très faible dose, le
SO2 émanant des foyers domestiques et industriels les fait
rapidement disparaître. Ce gaz transforme les centres
urbains en véritables déserts lichéniques. N’ayant ni
cuticule rigide et imperméable, ni orifice pour contrôler
les échanges gazeux, ils ne possèdent pas de barrière
protectrice. La moindre dégradation de la qualité de l'air
se traduit par une éradication majoritaire.
Réagissant ipso-facto
aux
conséquences des activités humaines, la bioindication
lichénique est maintenant d’une utilisation privilégiée
pour le contrôle de la pollution atmosphérique. L’indice de
présence-absence de certaines espèces corticoles urbaines
reflète le taux de pollution de l'air. Dans un milieu
naturel comme la cédraie marocaine, l'abondance et la
diversité des Lichens sont les signes d'une bonne santé
écologique. Ils n'ont pas tous la même sensibilité et les
fruticuleux (en forme d'arbuscule) sont les plus fragiles,
les Lichens crustacés ou encroûtants étant les plus
résistants..
Les Lichens sont appréciés dans le domaine de la parfumerie
depuis la Rome antique et ils gagnèrent l’industrie à la
moitié du siècle passé. C’est alors que celle-ci se met à
absorber des milliers de tonnes de Pseudevernia
furfuracea,
d’Evernia
prunastri et depuis peu de
Lichens du Cèdre des Atlas marocains. De l’origine
dépend la senteur. Les extraits de Lichens sont des
fixateurs de parfums mais ils apportent aussi leurs propres
arômes. En s'évaporant plus lentement, ils donnent aux
parfums une vie plus longue. Mais désormais soupçonnés de
contenir des substances allergisantes, ils se voient
écartés de la parfumerie par une réglementation
internationale et
le spectacle affligeant de ces cargaisons de Lichens
quittant la cédraie par camions est peut-être sur le point
de finir.
Zoocénose de la cédraie
Les
Mammifères : petit safari pacifique dans la cédraie...
Dans l’ordre des Rongeurs, le Maroc est riche en familles
intéressantes comme celle des Gerbilles. Mais leur habitat
étant les vallées désertiques, aucune Gerbille, ni Gerboise
n’accepte la cédraie, pas plus que l’on y rencontre le
Porc-épic. Autre ingratitude pour la futaie : le
charmant Écureuil de Barbarie est érémicole et
terrestre ! Le Hérisson d’Algérie peut entrer en
contact avec la cédraie mais n’en est pas un habitant
invétéré. Le Chacal s’y aventure mais c’est surtout le
domaine du Renard roux, voire de la Genette, de la
Mangouste ichneumon et très exceptionnellement du Chat
ganté. L’on sait que la Panthère tachetée, ancienne espèce
emblématique et grande prédatrice, a vécu ses dernières
heures pour le pire et pour le meilleur des Magots de
Barbarie qui n’ont désormais plus le moindre régulateur. De
plus en plus astreint à une approche fatale de la curiosité
humaine et risquant de sombrer dans la dépendance
alimentaire qui en résulte, le Magot de Barbarie est en
passe de devenir le mendiant de la cédraie, pour le plus
grand plaisir des amateurs plus ou moins juvéniles et
toujours fortement désinformés. Quant au Sanglier, il n’est
pas en reste en matière de bioindication négative. Si
l’apparente fréquence des Singes à portée de regard en
cache le drame d’un réel déclin, il n’en va pas de même
pour Sus
scrofa barbarus
qui
se taille la part du lion... et il n’est pas difficile d’en
surprendre une compagnie dès que l’on pénètre un peu dans
les profondeurs du sous-bois. Chassé en battue, sa
reproduction, rehaussée par un élevage in
situ, est
exponentielle et le Suidé de consommation prohibée,
pullule. Les cultures vivrières contiguës à la forêt s’en
ressentent... Le Mouflon à manchettes, autrefois répandu
dans toutes les régions montagneuses boisées ou steppiques
du Maghreb, a vu son aire se morceler gravement suite à la
chasse intensive dont il fut l’objet. Par le biais de
quelques mesures conservatoires dont un Parc naturel, la
cédraie du Haut Atlas oriental protège un effectif de ce
splendide et robuste Bovidé aux cornes puissantes et au
long pelage soyeux sur le cou et autour des membres
antérieurs. Le Cerf élaphe, ou Cerf de Berbérie, disparu du
Maroc au Néolithique, a été récemment réintroduit dans le
Parc national du Tazzeka et dans la Réserve naturelle
d’Aïn-Leuh où il hante tant les chênaies que la cédraie.
L’avifaune : plumages et ramages de la cédraie
« Tous les
oiseaux font de leur mieux, ils donnent
l'exemple. »
Jacques Prévert
L’ampleur de l’habitat couvrant trois axes montagneux
induit un riche cortège d’Oiseaux, tant sédentaires que
migrateurs, le Maroc représentant une importante voie de
passage entre l’Europe et l’Afrique. Les Passereaux,
espèces chanteuses et très liées à la végétation de la
forêt, y sont les mieux représentés. En voici une liste non
commentée :
Circaète Jean-le-blanc, Aigle botté, Milan noir, Buse
féroce, Épervier d’Europe, Faucon crécerelle, Faucon
hobereau, Faucon lanier, Pigeon colombin, Pigeon ramier,
Tourterelle des bois, Coucou gris, Chouette hulotte, Huppe
fasciée, Rollier d’Europe, Pic de Levaillant, Pic épeiche,
Alouette lulu, Troglodyte mignon, Rouge-gorge familier,
Rouge-queue à front blanc, Rubiette de Moussier, Grive
draine, Grive mauvis (en hiver), Grive musicienne (en
hiver), Merle noir, Pouillot de Bonelli, Pouillot véloce
(en hiver), Pouillot fitis (de passage), Pouillot siffleur
(de passage), Roitelet triple bandeau, Gobe-mouche-gris,
Gobe-mouche noir de l’Atlas, Mésanges charbonnières,
Mésange noire, Mésange bleue, Sitelle torchepot, Grimpereau
des jardins, Geai des Chênes, Grand corbeau, Étourneau
unicolore, Loriot d’Europe, Moineau soulcie, Pinson des
arbres (sous-espèce africaine), Pinson des arbres
(sous-espèce européenne en hiver), Pinson du nord (rare),
Linotte mélodieuse, Chardonneret élégant, Verdier d’Europe,
Serin cini, Gros-bec casse noyaux, Tarin des Aulnes (en
hiver, rare), Bruant zizi.
Certaines zones humides comme les dayas et les prairies
détrempées du Moyen Atlas tabulaire attirent un tout autre
cortège aviaire en partie très saisonnier et qui se trouve
ainsi mitoyen de la forêt de Cèdres. C’est ainsi que
l’Agelmame de Sidi-Ali reçoit notamment des Grèbes (le
Grèbe huppé et le Grèbe à cou noir) et que non loin, en
lisière même de la cédraie, les mouillères du col du Zad
sont animées par le Foulque à crête et ce gros Anatidé
multicolore qu’est le Tadorne casarca, lequel y niche
occasionnellement dans les trous des Cèdres morts, bien
étrange site de nidification pour un canard des vasières.
En juin et parfois bien avant, l’arrivée dérangeante des
transhumants, de leurs troupeaux et de centaines de chiens
divagants vient rompre brutalement le charme et ces
visiteurs s’en vont alors à tire-d’aile.
Plein le dos !
Sur
le miroir des eaux calmes du Lac de Sidi-Ali (300 ha), dans
l’écrin un peu sélénique de son cimetière de Cèdres morts
sur sol squelettique, on pourrait s’imaginer sur les bords
de la Mer de Humboldt. Quand surgit soudain au raz des eaux
une tête d’aspect triangulaire et porteuse d’une belle
huppe, latéralement ornée de plumes rousses et noires,
surmontant un long cou. Cet artiste plongeur aux
« oreilles » fauves est le Grèbe huppé
(Podiceps
cristatus), appartenant
aux Podicipédidés, Oiseaux plus trapus que les plongeons et
pourvus de doigts lobés. A peine a t’on vu son dos
gris-brun que le fier oiseau a de nouveau basculé dans
l’eau la tête la première. Il pêche ainsi le poisson, apte
à s’immerger près d’une minute et réapparaissant loin de
son point d’immersion, avec parfois sa prise dans le bec. A
l’instar d’un sous-marin, son corps hydrodynamique permet
au Grèbe huppé de pénétrer l’élément liquide et en réglant
la quantité d’air insufflée dans son duvet, il accélère ou
ralentit à la demande. Surchassé pour la beauté de son
plumage, il fut aussi très longtemps combattu par les
pisciculteurs comme prédateur des alevins. D’autres grèbes
se rencontrent dans les dayas, les merjas et autres plans
d’eau calme du Maroc, notamment dans la réserve de
Souss-Massa. Il s’agit du Grèbe à cou noir
(Podiceps
nigricollis) (également
observable à l’Aguelmame de Sidi-Ali) et du Grèbe
castagneux (Tachybaptus
ruficollis), ce dernier
ayant aussi comme prises les Insectes aquatiques, les
Mollusques et les Crustacés. Le nid des Grèbes est un amas
flottant de débris végétaux arrimé aux joncs ou aux roseaux
Lorsque l’habitat est favorable, des colonies s’y forment
et leur observation est un spectacle, depuis les couveurs
immobiles sur leurs nids en marge des roselières, jusqu’aux
familles complètes où les jeunes rayés noirs et blancs sont
conduits, surveillés, nourris et transportés par les
parents. Parce que chez les Grèbes, les petits investissent
le dos de leurs parents pour leurs premiers pas dans la
vie. Des premiers pas qui durent tout de même une
quarantaine de jours durant lesquels papa et maman les ont
quotidiennement « sur le dos » !
Amphibiens
et Reptiles de la cédraie : attention, fragiles !
« Pour qui
sont ces serpents qui sifflent sur vos
têtes ? »
Racine (Andromaque)
Ces crapauds et ces Serpents qui ne font peur qu’aux
imbéciles...
La Salamandre d’Afrique du Nord, Salamandra
(salamandra) algira est uniquement
représentée au Maroc par des isolats relictuels et fort
restreints, la plupart cantonnés jusqu’à 2000 m dans les
secteurs forestiers les plus froids de quelques massifs
rifains, du Djebel Tazzeka et de la cédraie de Tafferte
dans le Bou-Iblane. Cet Urodèle se terre durant toute la
saison sèche et, ovovivipare, dépose au printemps ses
larves dans des petits ruisseaux d’eau vive et fraîche.
C’est un élément eurasiatique exceptionnel en Afrique du
Nord, appartenant au groupe des Salamandres tachetées
(Salamandra
salamandra). Les
herpétologues ont assigné un rang spécifique à la
Salamandre maghrébine (Algérie, Maroc) pour présenter une
morphologie nettement plus élancée et plus curieusement,
une manifestation éthologique singulière et unique chez les
Urodèles, qui consiste dans le rassemblement des individus
en file indienne pour se diriger vers les lieux de
reproduction. Cette attitude processionnaire n’est connue
que d’Afrique du Nord. L’Alyte accoucheur
(Alytes
obstetricans maurus) n’occupe au
Maghreb qu’une aire qui se superpose à celui de la
Salamandre tachetée et il est de rencontre difficile. Dans
toutes les régions de la cédraie, le Discoglosse peint
(Discoglossus
pictus scovazzi), au chant
nocturne caractéristique, partage l’habitat des
Grenouilles, dans les mares et sur les rives des cours
d’eau des bio-étages subhumide et humide. Le Crapaud commun
(Bufo
bufo) est au Maroc
en limite de sa chorologie médio-européenne et c’est le
Crapaud de Maurétanie (Bufo
mauritanicus), bien
reconnaissable à sa « tenue de parachutiste » qui
le remplace progressivement au sud. Les deux espèces
cohabitent et s’hybrident spontanément dans la cédraie. Le
plus ubiquiste des Crapauds est sans nul doute le Crapaud
vert (Bufo
viridis) qui ne manque
pas d’occuper aussi la cédraie jusqu’aux plus hautes
altitudes. Seul représentant de sa famille au Maroc, la
Rainette (Hyla
meridionalis) n’est pas rare
dans les trouées sylvatiques, les lisières et la préforêt.
Quant à la Grenouille verte d’Afrique (Rana
ridibunda), c’est un
figurant constant du milieu humide, même peu ouvert, voire
pollué.
Un Chélonien bien représenté au Maroc peut aussi se
rencontrer dans les ruisseaux calmes et les eaux dormantes
de l’écosystème du Cèdre, surtout dans le Moyen Atlas
central, c’est l’Émyde lépreuse, l’une des deux Tortues
d’eau douce du Maroc. Les Tarentes et les Geckos, adeptes
rupicoles des biotopes xérothermiques, sont absents de ces
futaies mais il est possible d’y rencontrer parfois l’Agame
de Bibron lorsque le site est suffisamment ouvert et
rocheux. Le Lézard ocellé y est mieux à sa place, notamment
là où domine le Chêne vert, ainsi que quelques autres
Lézards moins spectaculaires mais d’une valeur
bioindicative tout aussi importante (le Lézard à lunettes,
le Lézard hispanique, l’Acanthodactyle commun.) Les Seps ne
sont pas forestiers, mais une espèce fréquente tout de même
la xérophytaie mitoyenne de la cédraie du Djebel
Bou-Iblane, dans le Moyen Atlas septentrional. L’Orvet, ce
Saurien apode bien original, possède un représentant
marocain de présence très discrète dans les cédraies du
Moyen Atlas où il est plus aisé de le surprendre écrasé par
un véhicule sur une route forestière que vivant sous une
souche. Quelques belles Vipères hantent les sous-bois, les
pierriers et les ourlets épineux : la Vipère de
Lataste, strictement rifaine et la Vipère de l’Atlas dans
les secteurs les mieux arrosés du Moyen Atlas. Les
Couleuvres complètent ce panorama herpétologique avec la
Couleuvre fer à cheval, la Coronelle girondine, la
Couleuvre à collier (très rare), la Couleuvre vipérine qui
colonise toutes sortes de points d’eau et enfin la plus
répandue et la plus impressionnante (elle peut dépasser 2
m !) : la belle Couleuvre de Montpellier.
Les montagnes rifaines et du Moyen Atlas montrent au Maroc
l’herpétofaune la plus riche, censément grâce au maintien
en altitude d’éléments paléarctiques. Le Rif et ses belles
masses forestières révèlent un fort taux d’endémismes.
On a toujours besoin de plus petits que soi : les
Invertébrés
« Un insecte
vaut un monde. »
Alphonse de Lamartine
L'entomologue britannique C. B. Williams calcula un jour la
population globale d'Insectes pouvant vivre dans le monde à
l’instant donné et il obtint le nombre d'un milliard de
milliards. En précisant qu’avec quelques 1 % de Fourmis à
raison de 1 à 5 milligrammes par sujet, la masse des
Formicidés est du même ordre que celle de l'Homme. Si en
plus on calcule ce rapport en joignant les Termites, le
statut d’espèce dominante revendiqué par l’Homme est
peut-être usurpé.
Les Invertébrés et les Insectes en particulier régissent
grandement le fonctionnement global des écosystèmes
forestiers. Leur développement agit sur les microclimats et
le cycle des nutriments, conditionnant à leur tour la
croissance des végétaux. Ainsi la défoliation des arbres
par les Insectes phytophages peut induire pendant un temps
une certaine variation du microclimat d'un peuplement en
augmentant les flux d'air, la pénétration lumineuse et
l’apport pluvial qui ne sont plus filtrés par le couvert.
L’impact d’un dépérissement dû à des
« ravageurs » et provoquant l’anéantissement de
plusieurs hectares de feuillus ou de Conifères peut être
très dommageable, par exemple au cœur même d'un bassin
hydrographique. La réduction simultanée de l'interception
et de la transpiration de l'eau par les arbres entraîne un
accroissement du ruissellement et de l'infiltration qui
augmente alors et pendant des décennies le débit des cours
d'eau régionaux. Mais l'action des Insectes est très
généralement plutôt bénéfique pour la fertilité des sols
forestiers. Les phytophages frondicoles y accroissent la
chute des feuilles, celles-ci sont ensuite fragmentées par
le microcosme épigénique, favorisant finalement le
recyclage des nutriments. De plus les dépouilles et les
déjections représentent un apport très appréciable de
minéraux mobilisables pour la croissance des arbres. Après
une défoliation de Chênes, on a pu ainsi mesurer que 40 à
70 % des dépôts d'azote et de phosphore dans le sol
provenaient directement des Insectes. Le travail des nobles
décomposeurs que sont les coprophages fouisseurs
(recyclage, aération, fertilisation), les nécrophores, les
saprophages et tous détriphages contribue considérablement
aux valeurs physico-chimiques du sol. Quant à l’apport des
agents saproxyliques, se nourrissant du bois mort ou
moribond, il est essentiel et reste pourtant mal perçu par
les gestionnaires du milieu. L’hygiène forestière qui
consiste à éliminer les branches et les troncs tombés au
sol, à enlever les souches et les chandelles, est à
proscrire puisqu’elle menace tous les xylophages et les
corticoles. Les Myriapodes (fragmentation de la litière,
recyclage des minéraux) et les Mollusques terrestres sont
d’un similaire intérêt.
La zoocénose de la litière, plus ou moins liée aux
moisissures ou utilisant ce substrat comme niche
écologique, est richement représentée dans la cédraie mixte
où l’humus profite grandement de la présence des Chênes.
Les Carabidae
y
sont légion et pour ne parler que des espèces emblématiques
et de grande taille, il faut citer le sympathique et bien
connu Calosoma
sycophanta, prédateur très
actif de chenilles et de chrysalides. Il est parfois très
abondant en tout début d’été aux orées forestières de la
région d’Azrou-Ifrane. Deux Carabes ont la cédraie comme
habitat électif : Carabus
rifensis et
C.
favieri. Le premier est
un « petit mastodonte » macrocéphale, grande
rareté des collectionneurs pendant très longtemps,
présentement mieux connu et démythifié. Il est exclusif aux
cédraies rifaines les plus humides et pénètre aussi dans
les vieilles chênaies caducifoliées (Tauzaie du Djebel
Lalla-Outka). Le second, appartenant à un complexe
thyrrénéen, est une espèce éminemment plastique et dont les
conditions écologiques ont entraîné une pression sélective
graduée et relative à chacune des régions habitées. Chaque
djebel, chaque forêt, chaque cédraie possède sa race
de Carabus
favieri. Le type, dont
la teinte pourpre est du plus bel effet, est rifain. Les
autres sous-espèces, liées à la cédraie et plus ou moins
alticoles, sont revêtues d’un noirâtre éclairé d’un reflet
vert sur les marges.
Dès les premiers beaux jours et jusqu’aux prémices
caniculaires, les lisières et les clairières s’animent
d’une grande diversité de Coléoptères frondicoles,
floricoles et fouisseurs de toutes familles,
notamment Geotrupidae
et
Scarabaeinae
coprophages à
l’effectif stimulé par les parcours ovins et caprins et
partout occupés à façonner leurs boules d’excréments qu’ils
roulent à reculons ; Cetoniinae,
Glaphyrinae,
Hopliinae
et
quelques Cerambycidae
aux
mœurs floricoles comme Purpuricenus
desfontainei se regroupent
sur les grandes carduacées.
Avis de recherche ! Un Cerambycidae
Lamiaire du
genre Dorcadion
(Longicornes
terrestres à antennes plus courtes que le corps et aux
élytres souvent parcourus de bandes blanches longitudinales
caractéristiques), le seul connu du Maroc, est porté
disparu depuis presque un siècle, c’est Iberodorcadion
atlantis. Les
coléoptéristes fréquentant le Maroc au temps du Protectorat
l’observaient sur les pelouses des cédraies du Moyen
Atlas central de la région de Timahdite et Bekrite, aux
alentours du Col du Zad. Sa disparition reste une énigme.
Larves et adultes se nourrissent de racines de Graminées. A
l’instar des autres Dorcadion
d’Europe et du
Proche-Orient, la ponte se produit à la base de brins
d'herbes et selon un protocole particulier : la femelle
s'enterre partiellement, la tête la première, puis mordille
une petite ouverture dans la gaine extérieure de la plante,
après quoi elle se retourne, plonge son ovipositeur dans la
fente et y lache un oeuf.
Une promenade entomologique dans la cédraie peut entraîner
aussi la rencontre avec quelques Buprestes du genre
Antaxia,
dont deux espèces sont inféodées au Cèdre
(Antaxia
pleuralis et
A.
nigritula) ou bien
avec Phaenops
marmottani dont la larve
est justement parasite du Cèdre.
Les Papillons marqueurs de la cédraie
« Ce que la
chenille appelle la mort, le papillon l'appelle
renaissance. »
Violette Lebon
Sur les chemins de la bioindication et selon le calendrier
de la saison, en relation avec l’amplitude altitudinale et
l’exposition, l’observateur pourra noter plusieurs types de
cortèges lépidoptériques propres aux sites bien conservés
et façonnés par l’écosystème forestier organisé par le
Cèdre de l’Atlas. Depuis l’étage supraméditerranéen jusqu’à
celui montagnard, les Papillons hantent toutes les séries
de végétation avec comme condition sine qua
non la présence de
leurs plantes-hôtes.
Pour une meilleure identification, des donnés plus
complètes concernant les espèces ci-dessous nommées et les
références à celles non citées, on se reportera à un
ouvrage d’identification des Papillons de jour du Maroc.
L’éveil du printemps
Le premier et timide cortège qui fait place à l’hiver
(avril-mai) se manifeste évidemment dans les lieux ouverts
et les mieux ensoleillés, c’est-à-dire loin de la forêt
dense, en boisement clair ou troué, en pré-cédraie, là où
la formation boisée compose avec la prairie ou le causse,
au profit des premières inflorescences de Crucifères et de
Légumineuses thérophytes. Les Papillons pionniers qui se
manifestent dans cet espace privilégié de lisière sont
surtout quelques piérides vernales et une faunule de fins
Lycènes multicolores, association d’espèces solidaires et
qui constituent une réelle guilde de la cédraie.
La première génération de la Piéride des Biscutelles
(Euchloe
crameri) vole alors en
nombre, accompagnant parfois (Moyen Atlas) la plus rare et
attractive Piéride du Raifort (Zegris
eupheme), toutes deux
inféodées aux Crucifères. On rencontrera dans la foulée la
précieuse Aurore de Barbarie (Anthocharis
belia), à affinités
nettement plus sylvicoles que les précédentes et qui,
parcourant sans répit un périmètre choisi, pénètre les
sentiers et les layons jusqu’aux plus profondes clairières.
Les mâles de ces trois espèces sont toujours très actifs,
recherchant leurs femelles lors d’un manège infernal
d’inlassables patrouilles sans cesse recommencées. Leur
dédoublement écologique est faible car ces Piérides
butinent essentiellement les inflorescences des
plantes-hôtes de leur chenille. Insecte de terres incultes
avec des incursions « ségétales », le Zegris ou
Piéride du Raifort, excessivement rapide dans son vol
soutenu et en zigzags, met à profit son homotypie avec les
fleurs du Pastel (Isatis
tinctoria)
(messoussa,
fajjigh) ou d’autres
Crucifères jaunes pour s’y endormir, posé dessus et
parfaitement invisible. Ce Papillon est un indicateur
fidèle du maintien d’un minimum de « mauvaises
herbes ».
Pitié pour les herbes adventices qui développent des
trésors de courage pour survivre ! Une trop grande
répression des mauvaises herbes ou un fauchage trop précoce
impliquent un grave effondrement de la biodiversité dont le
microcosme représente la part essentielle.
Zegris
eupheme reste ainsi une
constante de bien des orées des boisements de Cèdres
(cédraie et thuriféraie du Bou-Iblane, causse d’Ifrane,
cédraie du Col du Zad, périmètres du
Tizi-n-Tanout-ou-Fillali, grandes clairières du Djebel
Tarhahat, etc.) dont il témoigne du maintien des composants
écologiques.
Tant que volent ces trois Piérides, on peut considérer que
l’espace n’est ni menacé par la pression pastorale, ni
victime d’une fauche trop précoce. En cas contraire, ils
sont irrémédiablement biffés du paysage sylvatique qu’ils
nous bioindiquent. Dans certains
groupements préforestiers mitoyens de l’association du
Cèdre et du Chêne vert (Azrou, Ifrane, Itzer), quand
intervient l’Aubépine, on peut surprendre une curieuse
chorégraphie de « plumes d’anges » : c’est
une éclosion de Gazés (Aporia
crataegi) dont la larve
est une sévère défoliatrice. L'imago évacue un liquide
rouge sang (le méconium), lequel en cas de pullulation est
à l’origine de la croyance populaire des « pluies de
sang ».
C’est peu ou prou à la même période qu’émergent plusieurs
espèces de Lycènes atlasiques ou rifains. Les plus précoces
ne sont concernés que par le causse contigu à la cédraie
(comme à Ifrane) ou les pelouses sèches des ressauts et des
parties sommitales, voire quelques affleurements en
clairières mésophiles. Ce sont le Faux-Cuivré smaragdin
(Tomares
ballus), élément des
deux rives de la Méditerranée occidentale, et le
Faux-Cuivré du Sainfoin (Tomares
mauretanicus),
endémique maghrébin. Ils peuvent voler de concert, le
second plus rupicole et émergeant entre les plaques de
neige dès les premières ardeurs solaires de février-mars.
Les mâles ont une livrée plutôt terne mais leurs femelles
sont enluminées d’orange lorsqu’elles ouvrent les
ailes. Tomares
mauretanicus évolue parfois
par myriades, puis disparaît en hécatombes aux dépends
d’une baisse du mercure ou de nouvelles chutes de neige,
puis ressuscite encore par le biais de nouvelles éclosions.
Il prouve ainsi la grande capacité et la ténacité
opportuniste des Papillons, mais aussi leur merveilleuse
adaptation aux plus rudes conditions environnementales.
Pourtant, la moindre agression de l’Homme, par atteinte au
milieu, peut les voir s’effacer irréversiblement... Le
Faux-Cuivré du Sainfoin n’est déjà plus qu’un souvenir sur
des immensités atlasiques où le parcours du cheptel n’est
pas régi par l’agdal et menace tout regain en étant
pratiqué trop tôt par les bergers semi-nomades ou
sédentaires. Ces petits Papillons sont inféodés à de
minuscules Légumineuses thérophytes qui craignent beaucoup
l’impact des sabots et la compaction qui en résulte. De
distribution nettement plus précaire, le Faux-Cuivré
berbère (Cigaritis
monticola) est un
endémique marocain de toute beauté dont la chenille vit en
association avec une espèce de Fourmi. Ce Lycène vif comme
une Mouche ne vole que dans les petites trouées sèches de
la cédraie infiltrée de chênaie verte ou en lisière sur
quelques terrains âpres, notamment dans la région d’Ifrane,
ainsi que dans les parages des vieux Cèdres du versant nord
du Djebel Ayachi, là où pousse sa petite Coronille
nourricière. Tout parcours répétitif ou piétinement humain
le biffe irrémédiablement du paysage. L’Azuré grenadin
(Cupido
lorquinii), un petit Bleu
très sensible, est le plus humble Rhopalocère de la
cédraie. Ses discrètes localisations sont celles des fonds
de ravins forestiers, des orées humides de halliers et de
quelques pelouses abritées. L’Azuré de la Sauge
(Pseudophilotes
bavius) possède
censément des origines sylvicoles mais, orphelin de la
forêt, il s’adapte à la prairie mésophile où mâles et
femelles ne quittent guère les grandes feuilles velues et
argentées de la Sauge (Salvia
argentea) dont se
nourrit sa larve. C’est un des plus merveilleux Lycènes du
Maroc et ses stations sont comptées. Strictement localisé
au Moyen Atlas, on le rencontre encore à l’intérieur de la
cédraie mixte, lorsqu’il dispose de vastes espaces herbeux
où se développe sa source trophique. Qu’il s’agisse de
milieux ouverts ou davantage forestiers, il ne résiste pas
une seule saison au passage du cheptel, d’où l’hyper
fragilité de ses dernières colonies. Suite au pacage trop
prolongé de troupeaux lors d’une saison sèche, il a
totalement disparu du périmètre « en défends » du
Tizi-n-Tanout-ou-Fillali où il se complaisait. Même
observation pour sa station dans la Vallée des Roches
(Ifrane). Et au train où vont les choses, il ne va pas
faire long feu à Ifrane, près de la Source Vittel, d’où la
dense colonie est connue depuis des lustres. D’autres
petits Bleus sont concernés par les groupements du Cèdre et
les habitats qu’ils génèrent, tel l’Azuré lavandin
(Plebeius
martini), devenu de
rencontre accidentel quand il dépend d’Astragalus
incanus, l’un des plus
beaux Astragales du Maroc, aux tiges et inflorescences
porteuses des oeufs et des chenilles, mais hélas vite
brouté par le bétail lorsque le biotope leur est ouvert ou
toléré. Les planches de cette plante précieuse ne
comportent jamais plus de quelques pieds et nous avons pu
observer au Col du Zad (Moyen Atlas) les dégâts d’un âne
soudainement épris des saveurs de la plante :
liquidation de toute la planche en moins d’une
heure ! Plebeius
martini ne doit son
salut et sa pérennité qu’à la seconde plante-hôte de sa
chenille, un Astragale récalcitrant, épineux et
inconsommable : Astragalus
armatus ! Plus
héliophile et tout autant victime de la dent du bétail est
l’Azuré des Atlas (Polyommatus
altantica), à la femelle
largement bordée d’un bel orange sur la marge des ailes. Il
est encore présent dans les vastes clairières et sur les
bermes des pistes et des routes de l’étage montagnard du
Rif et des Atlas, quand se maintient le Vulnéraire
(Anthyllis
vulneraria) dont les têtes
pédonculées et bractées d’inflorescences charnues
rougeâtres ou blanches sont toujours un festin pour les
Chèvres. Ce Papillon est encore à l’inventaire du Rif et du
Moyen Atlas, grâce justement à l’effet protecteur de la
forêt stratifiée et à quelques figures de conservations
aléatoires. Il a par contre presque disparu du Haut Atlas,
moins couvert et plus exposé. L’Azuré de Chapman
(Polyommatus
thersites) n’est connu en
Afrique du Nord que de quelques stations dont celle de la
cédraie ifranaise. Il en est une sentinelle essentielle.
Son effectif très en baisse de ces dernières années laisse
croire à une issue fatale. N’escamotons pas des vieilles
cédraies la très délicat Azuré des Nerpruns
(Celastrina
argiolus), surtout
inféodé au lierre (et ailleurs à l’Arbousier), qui par au
moins deux fois (début du printemps et juillet-août), nous
indique les meilleures localisations de la plante grimpante
des sous-bois humides qui, tout comme son Azuré, «
meurt ou
s’attache... »
De mars à mai, lorsque se complait une Aristoloche
(Aristolochia
baetica ou
paucinervis)
dans les parages des cédraies mixtes les plus ouvertes,
leurs sous-bois ou les prairies de clairières, une
sous-espèce nord-atlasique et rifaine de la Proserpine
(Zerynthia
rumina africana) est une
bioindicatrice majeure de ces régions. Elle est en
régression aux alentours d’Ifrane.
Une
nursery de Papillons dans des prairies multicolores
Un second cortège fait interface entre les Papillons
pionniers de premier printemps et ceux qui vont ensuite
illustrer les premières chaleurs estivales s’abattant sur
ces montagnes. C’est en mai-juin qu’au plus fort de leur
floraison, les prairies des orées de la cédraie s’animent
d’espèces praticoles, essentiellement alors des Nymphales
spécialisées et assez hygrophiles, voire quelques Satyrines
inféodées à de grandes Graminées sur les marges plus
sèches. L’écosystème à Cedrus
atlantica engendre, dans
les variantes fraîches des bioclimats subhumide et humide
de l’étage supraméditerranéen, une formation naturelle
herbacée à base d’hémicryptophytes et de géophytes
mésophiles et hygrophiles, notamment Graminées et
Cypéracées. Cette végétation puissante (plus d’un mètre de
hauteur) se distingue au premier coup d’œil de la pelouse.
Sa localisation écologique est d’ailleurs souvent au bord
des oueds, des sources et des suintements. C’est la
prairie ! Quand on n’a du Maroc que des connaissances
stéréotypées et parcellaires, on n’imagine guère son
existence entre montagnes arides et oasis sahariens.
C’est donc là l’empire de quelques précieuses Nymphales
praticoles mésophiles ou hygrophiles, comme le Damier des
Knauties (Euphydryas
desfontainii), la Métitée du
Plantain (Melitaea
cinxia), la Mélitée
des Centaurées (Melitaea
phoebe) et la Mélitée
andalouse (Melitaea
aetherie). Lors des plus
douces fins de journées, quand le soleil décline lentement
sur la prairie, le « coucher » de ces Papillons
est un merveilleux spectacle. Alors que l’essentiel de la
prairie est déjà à l’ombre, les imagos se regroupent en
dortoirs dans les parties encore ensoleillées pour
profiter, ailes grandes ouvertes, des derniers rayons, puis
ils se referment les uns après les autres comme
s’éteindraient les taches de couleurs d’un immense tapis en
patchwork. Les hordes de touristes qui passent en autocars,
du Mischliffen à Ifrane, ne partageront jamais cette
émotion, privilège de l’écotouriste attentif... Ces
Nymphales de la prairie ne sont pas repérables les années
de trop grand déficit hydrique et sont irrévocablement
expulsées des espaces où sévit un trop fort contingent de
cheptel. Quelques exemples : les prairies sylvatique
d’Ousmaa, au-dessus d’Azrou, où depuis 1994 il a été
procédé à une razzia concertée de l’espace prairial et de
la strate du clair-bois au profit des Bovins, des Caprins
et des Ovins, avec broutage-massacre de tout un reboisement
récent ; l’essentiel du Plateau d’Ito où la
destruction éhontée des clôtures de mises en défends par le
cheptel fut longtemps récurrente et désormais
définitive ; certaines prairies à Festuque du Val
d’Ifrane victimes du piétinement des visiteurs et des
affres de leurs pique-niques.
Il suffisait de parler de « dévelopement
durable » pour que tout s’évanouisse.
Ces
Papillons sont les meilleurs indicateurs de ce type
d’espace utile à l’avenir pastoral et à la conservation
d’un ample panel floristique. Quelques Échiquiers plus
xérophiles et enclins aux bromes des grandes Poacées,
comme Melanargia
occitanica (larve notamment
sur Lygeum
spartum) et
Melanargia
lucasi (euryèce,
éclectique et polyphage sur plusieurs Graminées), sont à
considérer dans cet espace-temps.
Premières chaleurs
La troisième vague de Papillons évocateurs et marqueurs de
la cédraie est celle estivale de juin-juillet, période des
« allées aux vols roux »...
Nous avons maintenant quitté la lisière et ses fins
Papillons printaniers pour, les premières chaleurs aidant,
nous réfugier dans la fraîcheur des tapis de Fougères et
sous les frondaisons. Les « vols roux » parce que
les espèces du moment sont presque toutes de grandes
Nymphales rousses qui hantent fébrilement le sous-bois et
les allées forestières du Rif et du Moyen Atlas : le
Cardinal maghrébin (Argynnis
pandora seitzi), le Grand
Nacré berbère (Mesoacidalia
lyauteyi), le Chiffre de
l’Atlas (Argynnis
auresiana), le Petit
Nacré (Issoria
lathonia), la Grande
Tortue (Nymphalis
polychloros), le Gamma
(Polygonia
c-album) (lorsque le
Groseillier sauvage Ribes
uva-crispa est en place),
le Damier de la Succise (Euphydryas
aurinia), la Mélitée
des Centaurées (Melitaea
phoebe) et seulement
en de rares localités rifaines la rare Mélitée des Linaires
(Melitaea
deione). Tous ces
Papillons de jour sont des sylvicoles pour la plupart
frondicoles.
Ils ne volent que dans des forêts en bonne santé dont le
sous-bois conserve encore ses strates végétale et
arbustive, et n’est pas victime de l’arasement pour raison
d’hygiène ou de rentabilité immédiate, dont le couvert est
ainsi suffisant pour assurer l’effet sciaphile, dont
l’édaphisme n’est pas altéré, où s’écoulent encore quelques
ruissellements non pollués, et un large etc. sous-entendant
une nature libre et en bonne santé. Certaines
futaies « policées » par la sylviculture ou
ravagées par le surpacage ont été rapidement vidées de ces
espèces qui exigent aussi le maintien de leurs ressources
trophiques que sont notamment les Violettes pour les
chenilles des quatre premiers cités et une abondance de
grandes Carduacées, de Thyms et de Cistes en guise de
source nectarifère des imagos. Un Fadet peut aussi indiquer
par sa présence la série supraméditerranéenne mixte du
Cèdre et du Chêne tauzin, c’est le Fadet de l’Atlas
(Coenonympha
fettigii), ami de la
strate de Fougères aigle, qu’il partage dans le Djebel
rifain Tisirene et toute la région de Ketama avec l’Ocellé
du Rif (Pyronia
tithonus distincta).
Le début de la fin...
En fin d’été, les ultimes Papillons à voler dans la cédraie
perdent encore des couleurs et s’enfoncent davantage dans
la forêt...
Ce sont les Satyrines dont la livrée brun noirâtre est
souvent parcourue de bandes plus claires et dont la
présence d’ocelles tend à dévier les Oiseaux et les
Lézards. Ils pondent sur des Graminées, il ne reste
d’ailleurs plus grand chose d’autre que des bromes à cette
époque ! Et comble de l’adaptation, véritablement
photophobes, ils évoluent à l’ombre des grands arbres et se
posent haut sur les troncs des plus vieux Cèdres où ils
trouvent dans l’air coulis ventilé par les arbres en
galerie une compensation à la chaleur caniculaire. Ils ne
butinent pas ou peu mais se gorgent des exsudations que
secrètent les arbres à travers leur écorce, voire des
sources énergétiques de déchets organiques divers et
d’excréments frais des animaux de la forêt. L’Agreste
flamboyant (H.
algiricus) n’est
d’ailleurs pas rare sur les « merdes » de
touristes...! Citons aussi le Petit Sylvandre
(Hipparchia
alcyone) et le Faune
mauresque (H.
statilinus). Il y en a
d’autres...
Ces Rhopalocères estivaux sont les gardiens de la futaie.
Les Zygènes
Pour être tout
aussi sensibles à l’état du milieu et chacune étroitement
dépendante d’une plante fine, les Zygènes, Hétérocères
diurnes aux couleurs aposématiques (c’est-à -dire
prémonitoires dans le registre rouge-bleu-noir), révèlent
avec fiabilité les traits qualitatifs d’un habitat.
Certaines espèces ont déjà été éradiquées des Atlas
marocains par suppression de leur plante ou par saccage de
leur espace de vol. Plusieurs Zygènes volent au pays du
Cèdre et les aborder dans ce chapitre qui se doit cursif
nous entraînerait trop loin. Les plantes-hôtes des espèces
liées à des groupements végétaux impliquées par le Cèdre
sont des Panicauts (Eryngium),
des Astragales (Astragalus
nemorosus et
incanus),
des Bugranes (Ononis
natrix,
fructicosa
et
cristata),
des Coronilles (Coronilla
minima et
valentina),
des Sainfoins et des Esparcettes (comme Hedysarum
humilde et
Onobrychis
argentea), une Vesce
(Vicia
tenuifolia) et d’autres
Fabacées (Dorycnium,
Anthyllis, Lotus).
Estimée comme méconnue, voire mythique depuis sa
description en 1957, l’unique race maghrébine de
Zygaena
nevadensis : la
sous-espèce atlantica,
a été redécouverte en 1998 au plus profond de quelques
ravins protecteurs de la cédraie du Djebel Tarhahat (région
d’Itzer). Sont portées disparues suite aux mauvais
traitements de leurs biotopes : Zygaena
fausta elodia, nommée du Val
d’Ifrane en 1934 (broutage de la Coronilla
valentina-hôte),
Z.
lavandulae michaellae (jamais
retrouvée au Col de Tarambta, près d’Ifrane),
Z. trifolii
lachiveri, tributaire de
la ripisylve de l’Oued Tizguid (pression de la
fréquentation). Dans la même écorégion, sont en mauvaise
situation : Zygaena
youngi peripelidna,
Z. maroccana
harteti,
Z. algira
ifranica (cédraies du
Moyen Atlas central) et oreodoxa
(cédraies et
sapinières du Rif).
Un Papillon d’or et d’argent sort d’une fourmilière
noire...
Val d’Ifrane,
fin de matinée radieuse d’un jour bénit du mois de mai, il
faut être attentif au moindre miracle, tenter de voir ce
que les Hommes ont rarement vu.
L’ « immensité » en cause est une modeste
pente à végétation rase et clairsemée, en marge de la
chênaie verte. La marche du lépidoptériste se fait un œil
en l’air (un Papillon peut toujours voler...), un œil en
bas (un Papillon peut toujours être posé...) L’œil baissé
fut ici le plus perspicace : une miniature de
passementerie divine, sèche ses ailes encore froissées au
seuil d’une active fourmilière. C’est un joyau fauve
orangé, au revers orné d’un chapelet mordoré, drapé de
blanc neige et enluminé de points d’argent. Le bijou de
soie est une femelle du Faux-Cuivré berbère, finement
caudée aux ailes postérieures, habitant subtil de la
cédraie et de ses formations mitoyennes. Les Fourmis,
pourtant prédatrices héréditaires des Papillons, semblent
ici courtisanes. Elles s’affairent sans la menacer, ni la
déranger, ne semblent pas étrangères au miracle. On a même
l’impression qu’elles en seraient les sages-femmes !
Dans le secret de son habitat microcosmique, le Faux-Cuivré
aurait-il fait un pacte avec son pire ennemi ? C’est
exactement cela et la recette se nomme myrmécophilie. Quand
on pense que nous sommes capables tout à la fois de faire
des heures de queue devant une galerie d’art pour y
contempler des œuvres aléatoires
(« vanité
des vanités ») et
d’écraser sous nos semelles de si belles créatures (dont
Dieu est immanent...), de faire silence pour prier
l’irrationnel en nos temples de plâtre, puis d’araser les
paysages naturels pour en faire des stades tonitruants, on
est en droit de se poser quelques questions sur le
bien-fondé du sacré...
« Et les
tableaux noircis, les trônes, les pierres que baisent les
pèlerins,
Les poèmes qui mettent mille ans à mourir
Ne font que singer l’immortalité de cette
Étiquette rouge sur un petit
papillon. »
Vladimir Nabokov
De très nombreux Papillons de la famille des Lycènes sont
devenus de véritables commensaux des Formicidae et
l’association se fait sur des modes plus ou moins
prononcés. Dans le cas qui nous préoccupe, le partenariat
est extrême. Au commencement, rien d’anticonformiste et la
jeune chenille naît sur sa Coronille-hôte où elle séjourne
au fil des deux premiers stades, sauf qu’elle est déjà
choyée sans relâche par les Fourmis Crematogaster
laestrygon, espèce
méditerranéenne construisant des nids souterrains. Mais
quelques jours plus tard, c’est l’enlèvement au sérail et,
chargée entre les mandibules d’une Fourmi avec toutes les
précautions requises, la larve sera transportée, installée,
élevée et choyée au sein de la fourmilière. Quand on sait
que la vie larvaire de Cigaritis
monticola perdure onze
mois, hivernation comprise, longue sera la tâche pour les
amphitryons. Mais qu’est-ce qui fait courir la Fourmi
derrière cette chenille ?
Merveilleuse myrmécophilie
« Va apprendre
dans la nature. »
Léonard de Vinci
C’est une histoire parallèle à celle de l’exploitation déjà
bien connue des Pucerons par les Fourmis, une histoire
facile à imprégner d’images anthropomorphiques si nous
pensons aux étables où nous trayons nos Vaches et à tout le
rituel humain relatif à l’élevage dont nous nous
croyons les inventeurs ! Il faut dire que
contemporaines des Dinosaures, les Fourmis avaient quelques
longueurs d’avance... De nombreuses espèces d'Arthropodes
vivent en relations plus ou moins accentuées avec les
Fourmis et présentent des degrés divers de myrmécophilie,
laquelle correspondrait davantage à un commensalisme plutôt
qu’à une relation symbiotique, comme on l’écrit souvent.
Cet admirable partenariat est d’ailleurs désigné sous le
vocable de clepto-parasitisme. Parmi les Insectes de
l’ordre des Lépidoptères, ce modèle s'est particulièrement
développé dans la famille des Lycaenidae
où
la moitié des espèces fait preuve d’une telle association.
Selon les recherches, de plus en plus actives sur le thème,
ce commensalisme serait fondateur du succès évolutif de ces
Papillons. Les modalités de cette relation sont très
variables d’une espèce à l’autre. On observe des liaisons
myrmécophiliques temporaires, prolongées, accidentelles,
obligatoires à l’extérieur ou à l’intérieur de la cité
pharaonique qu’est le nid. Dans ce dernier cas, les
chenilles dépendent exclusivement des Fourmis pour leur
développement et la disparition de l’espèce de formicidé
présente alors les mêmes conséquences que l’éradication de
la plante-hôte : elle entraîne la fin du Papillon. Ces
relations privilégiées reposent sur des échanges chimiques.
Les larves de Lycènes possèdent une glande abdominale
(glande de Newcomer) qui, palpée par les Fourmis, laisse
perler une sécrétion mielleuse attractive, riche en acides
aminés, à senteur de Puceron et qui modifie le comportement
des hôtes. Courtisée, la chenille entre en catalepsie et
s’abstient de toute réaction de défense. On savait déjà et
depuis longtemps que les Pucerons étaient une source de
provende dont les Fourmis étaient friandes. La
« contrefaçon » aphidienne que constitue
l’exsudat des larves de Lycènes est tout autant exploitée
par les Hyménoptères. Pour pouvoir bénéficier de cette
gourmandise, les Fourmis sont aux petits soins avec les
chenilles élevées, allant dans les cas les plus
sophistiqués jusqu’à les installer au sein du couvain de
leurs fourmilières pour ensuite leur descendre des rations
de la plante-hôte particulière ou les nourrir par
trophallaxie. Il n’y a guère de différence de taille entre
cette minuscule chenille onisciforme de Lycène et une larve
de Formicide, d’autant plus qu’elle produit une substance
allélochimique qui confond la Fourmi ouvrière. Ce sont
probablement les Lycènes aux chenilles les plus attractives
qui sont installées au sein du nid. Mince avantage, les
Fourmis veillant sur elles les protègent des parasites,
autres Hyménoptères et Diptères. Dans l’incapacité de
produire un miellat équivalent, la chrysalide porte
« astucieusement » des glandes strictement
odoriférantes lui assurant une similaire sécurité. La
nymphose a lieu dans un secteur paisible de la fourmilière
d’où l’imago en émerge, comme ce fut le cas de mon
Cigaritis
monticola du Val d’Ifrane.
Voici donc les lépidoptéristes soucieux de la conservation
de tels Lycènes en charge de veiller non seulement à la
protection du Papillon, de sa plante et de son habitat,
mais aussi des espèces de Fourmis qui les soignent !
Il existe également des plantes myrmécophiles, notamment
dans les Tropiques, vivant en similaire association avec
des Fourmis. Il s’agit d’arbres, de plantes herbacées,
d’épiphytes et le phénomène est localement connu sous la
désignation de « jardin des Fourmis », quand
celles-ci ensemencent un tronc avec les graines d’une
plante épiphyte, tout en façonnant un substrat approprié à
la croissance des plantules. Le processus qui ne relève
plus que de la coévolution est bien sûr moins
spectaculaire, mais il présente tout de même « un
échange de bons procédés » puisqu’en contrepartie de
l’abri (et parfois même de la nourriture) fourni par le
végétal, il reçoit des Fourmis un appui protecteur contre
les Herbivores, qu’ils soient chenilles ou Mammifères.
L’histoire d’une perte sans grand profit
Après la
narration du merveilleux partenariat entre les Lycènes et
les Fourmis, où tout est respect et
« intelligence » pure, revenons donc au chaos
humain et à ses pratiques imbéciles.
Une remarquable espèce, exclusive au territoire marocain et
inféodée à un fin Géranium rupicole, se retrouve orpheline
de la cédraie qui fut pourtant son berceau originel :
c’est Maurus
vogelli, l’Azuré du
Bec-de-Grue. Pour avoir une distribution qui calque les
limites géonémiques méridionales de la forêt de Cèdres, à
savoir ce rude écotone que forme l’espace intra-atlasique
entre le versant méridional du Moyen Atlas central et le
Haut Atlas oriental (région de Boulemane à Midelt), aux
limites des hauts plateaux à Alfa, le charmant Azuré doit
affronter les vicissitudes du territoire malmené : sol
squelettique ou purement scalpé, strate végétale de
désolation, thuriféraies et cédraies moribondes, fossiles
ou en lambeaux, enfin un revêtement qui ayant perdu toutes
les valeurs physico-chimiques de son substrat, passa en
moins d’un demi-siècle au stade minéral. C’est sur ce lit
caillouteux et lessivé, « transloqué » par
l’ahurissante pression pastorale qui s’y acharne, que
survivent le Bec-de-Grue et son élégant parasite.
Pourtant, si vous parlez de « Maurus
vogelii » à un
« collectionneur de Papillons », vous observerez
immédiatement une attitude convulsive de celui-ci, tant la
bestiole est rare et recherchée. Mais « rien »
pour ce qui concerne sa sauvegarde in
natura. Le
lépidoptériste, doux hurluberlu psycho-maniaco-depressif
dont l’auteur de ces lignes aimerait ne pas faire partie
(mea
culpa), participe au
mieux à l’« omerta » de cette majorité
silencieuse des agresseurs de la biosphère et, à l’image du
décideur dont il est le complice muet, n’a strictement rien
du militant « khmer vert ». Il n’est qu’un
gardien passif de quelques connaissances illusoires et
muséologiques. Pauvre naturaliste déphasé et en voie
d’extinction, puisque exclu du moindre lobbying !
C’est en 1920 qu’Harold Powell découvrit cette espèce dans
un coin perdu du Moyen Atlas, au Tizi-Taghzeft, à 2200 m,
au sein d’une riche association lépidoptérique jusque là
insoupçonnée. Bien d’autres explorations subséquentes du
site donnèrent lieu dans les décennies suivantes à des
découvertes complémentaires, notamment de la part d’un
autre entomologiste anglais, Colin Wyatt, qui en décrivit
une nouvelle sous-espèce de la Piéride de l’Ibéride
(Pieris
mannii haroldi), unique
présence – rien que ça ! - pour le Continent africain.
En ces temps et selon leurs écrits, le vocable
« forêt » n’était pas usurpé pour désigner cette
cédraie mixte alors luxuriante mais désormais moribonde. On
ne parlait pas encore de préserver le capital vert…
Outre le cortège lépidoptérique devenu posthume, d’autres
zoologistes (mammalogistes, ornithologues, herpétologistes)
attestèrent bibliographiquement ou non de la valeur de ce
secteur connu et référencé administrativement par la maison
forestière d’Aghbalou-Larbi (centre administratif de
Timahdit), puis s’inquiétèrent plus tard des éradications
du Tizi-Taghzeft dans leurs spécialités respectives. Car
sur ces montagnes à relief très accidenté, vivait une
dizaine de Mammifères intéressants ou endémiques, dont
l’Hyène rayée, le Lynx caracal, le Chat ganté, la Mangouste
ichneumon, la Genette, la Loutre, le Porc-épic, la
Musaraigne musette, l’ « indésirable »
Magot, etc. C’est ainsi que dans le contexte du Plan
directeur des Aires protégées du Maroc (1995), cette
localité fut classée en priorité dans la liste des SIBE
(Sites d’Intérêt Biologique et Écologique). Aucune mesure
pratique n’a accompagné depuis cette décision cosmétique
visant à sauvegarder ici 14.000 ha de l’apocalypse. La
conservation des espaces est surtout destinée aux discours,
statistiques et subventions.
Au fil de soixante quinze années et jusqu’à la fin du
siècle précédent, en dépit de prospections acharnées de
certains voyageurs, on pensait Maurus
vogelii indigène et
exclusif à ces lieux. L’auteur de ces lignes en retrouva
récemment quelques isolats aux alentours, notamment au
nord-est dans les montagnes semi-arides d’Enjil, puis au
sud-ouest dans un décor dantesque de chandelles de Cèdres
vétérans surplombant le Col du Zad, puis dans plusieurs
stations guère plus enviables du Djebel Ayachi (Haut Atlas
oriental). Partout la découverte se fit sur des sols
détruits et il n’était que d’ouvrir les yeux pour
contempler pantois une ambiance désolée et lunaire de fin
du monde, et de déclamer avec le poète :
« Objets
inanimés avez-vous donc une
âme ? » Ce
Papillon, mémoire vive de l’Atlas, est en déclin. Exclusif
à ces biotopes en grave dépérissement pour cause de
minéralisation de la structure organique, il est enclin à
rendre l’âme.
« Aucune
espèce animale ou végétale ne doit disparaître à cause des
activités de l’Homme. »
Cette déclaration n’est pas celle d’un Ubu-roi utopiste ou
d’un Don Quichotte « aveuglé de
trop voir », mais
bel et bien inscrite à la Chartre sur les Invertébrés. Elle
fait bel effet. Extraire des parcours de cette immensité de
montagnes quelques modestes habitats du Géranium et de son
Papillon n’aurait probablement pas eu la moindre
répercussion économique dans la vie des bergers en haillons
qui y subsistent... Mais faudrait-il encore que les
Papillons aient le pouvoir d’intéresser les autorités
« capricieuses », ce qui n’est paradoxalement pas
à l’ordre du jour de la nouvelle politique cyniquement dite
de gestion durable. La punition ne se fera pas trop
attendre car après la forêt morte et démunie de sa strate
végétale par trop d’abus de toutes natures, c’est aussi la
mort du sol et la fin de l’emprise pastorale en ces lieux.
Pourtant, si les entomologistes avaient pu parler... Il
suffit de compiler la bibliographie (toujours
disponible !) testamentaire de quelques chercheurs
désintéressés (ou collectionneurs de l’époque !) pour
s’enquérir de la haute diversité, notamment du
Tizi-Taghzeft, depuis le protectorat jusqu’aux années 60.
Impressionnant ! De cet Eldorado, il ne reste
rien ! Les naturalistes témoignent, la caravane
passe... et les congrès, gesticulations et discours futiles
se multiplient.
Les hauts indices en vigueur, tant de biodiversité
(qualitatif) que de populations (quantitatif) font de la
cédraie un réservoir génétique de premier rang dont les
Papillons cités et quelques autres sont les fidèles
sentinelles. A l’Homme de savoir décrypter ce qu’ils nous
« disent » quand ils commencent... à régresser.
Faut-il
de meilleurs arguments pour présenter notre
« lépidoptéromètre », pour considérer les
Papillons comme d’excellents agents indicateurs de la santé
des sites ? Ces Papillons qui, des décennies à
l’avance, se raréfiant chaque jour, nous disent :
« Attention !
Trop c’est trop ! Usez mais n’abusez
pas ! »
Rendez-vous au Tizi-n-Tretten... et merci pour le
méchoui !
Le nom du lieu-dit n’est pas hasardeux : le col des
Chèvres ! On s’y rend depuis Ifrane par la route du
célèbre Mischliffen. Jusqu’en 2003, à partir du col et sur
une dizaine de kilomètres, un côté de la route était sous
protection, l’autre pas. Consensus des temps. D’un côté le
Rollier chantait, de l’autre pas... L’habitat était une
prairie mésophile plutôt sèche, botaniquement très riche et
diversifiée, éminemment florifère en mai-juin, avec
quelques affleurements du causse, le tout en orée de la
cédraie mixte. Un petit paradis pour le promeneur,
l’écotouriste, le naturaliste ; un peu d’avenir pour
le berger.
Pour ne se référer qu’aux Papillons diurnes en guise de
pièces à conviction du haut degré de naturalité du versant
alors sauvegardé, en voici le cortège au fil de la
saison : le Voilier blanc, le Machaon, le Gazé, la
Piéride de la Rave, la Piéride du Chou, le Marbré-de-vert,
la Piéride des Biscutelles, la Piéride du Sisymbre, la
Piéride du Raifort, l’Aurore de Barbarie, le Souci, le
Citron, le Citron de Provence, la Thécla du Chêne, le
Faux-Cuivré berbère, le Faux-Cuivré smaragdin, le
Faux-Cuivré du Sainfoin, la Thécla du Kermès, la Thécla de
la Ronce, le Cuivré commun, l’Azuré grenadin, l’Azuré des
Nerpruns, l’Azuré de la Cléonie, l’Azuré de la Sauge, le
Collier-de-corail, l’Argus de l’Hélianthème, l’Azuré de la
Bugrane, l’Azuré de l’Esparcette, l’Azuré du Maghreb, le
Cardinal maghrébin, le Grand Nacré berbère, le Chiffre des
Atlas, le Petit Nacré, la Grande Tortue, le Vulcain, la
Vanesse des Chardons, le Gamma, le Damier des Knauties, la
Mélitée du Plantain, la Mélitée orangée, la Mélitée des
Centaurées, la Mélitée andalouse, le Tircis, le Satyre, le
Fadet commun, le Myrtil, le Misis tingitan, le Louvet,
l’Échiquier berbère, l’Échiquier d’Occitanie, le Petit
Sylvandre, l’Agreste flamboyant, le Faune mauresque,
l’Hermite, le Grand Hermite (retrouvé récemment en ces
lieux), plusieurs Hespéries et quelques précieuses Zygènes
(Zygaena
favonia
cadillaci,
Z.
youngi,
Z. maroccana
harterti,
Z.
alluaudi,
Z. algira
ifranica). Auxquels
s’ajoutaient d’innombrables Hétérocères, des Coléoptères,
des Orthoptères et autres Invertébrés, Reptiles, Oiseaux,
etc.
De l’autre côté, le charme était rompu, aucune fleur,
aucune couleur, le sous-bois était depuis longtemps scalpé,
la prairie n’y était qu’un paillasson récalcitrant, le
printemps n’y chantait plus, un seul Papillon
s’aventurait : la Vanesse des Chardons, vétille
ubiquiste et quasiment apte à pondre sur les peaux de
Mouton ou sur les dossiers ministériels... C’était le
versant dévolu au pastoralisme intensif et des troupeaux
exponentiels y séjournaient dès les premiers beaux jours,
jusqu’à l’épuisement des ressources, chaque année plus
avares sur ce sol rendu squelettique. Miracle ! Les
bergers semblaient jouer le jeu, ou bien la surveillance y
était de fer, la moindre crotte révélant l’exaction.
Rarissime au Maroc et quelqu’un devait être félicité pour
la conservation « unilatérale » de ces beaux
restes. Tous les Papillons de la cédraie répondaient
présent du côté épargné, vacuité totale de l’autre. L’Homme
présidait pleinement à l’état de naturalité de son milieu,
à la volonté ou non d’un développement durable, et le
Papillon témoignait bien qu’il était le reflet de ce qu’il
y avait dessous. Ceux qui pouvaient en douter prenaient
rendez-vous au Tizi-n-Tretten pour une exemplification, une
preuve par neuf alors indubitable.
2005 : nous voici depuis quelques années au temps d’un
meilleur respect de la biodiversité, attitude planétaire de
contrition, s’il n’est pas trop tard pour un repentir et
pour faire amende honorable, un temps qui devrait être béni
pour la sauvegarde des vestiges d’une nature éreintée. Le
Maroc n’y fait pas exception dans ses déclarations. Pour
« être dans le coup », l’ex-Ministère des Eaux et
Forêts, aux mains tachées de sève, est relooké, rebaptisé
Haut Commissariat à la lutte contre la désertification,
oubliant vite qu’il fut aussi appelé Ministère de la
conservation des sol et que sémantiquement cette succession
appellative a le courage d’un aveu d’échec. Mais ce second
millénaire est surtout celui du mensonge, du charlatanisme
électoral, des effets d’annonce, d’une psychose mondiale
identifiée par une dissociation délirante et paranoïde
générant une grave perturbation du rapport au monde
extérieur. Ce que les psychiatres nomment pure
schizophrénie. 2005 au Tizi-n-Tretten : plus rien,
table rase ! Un sol scalpé, compacté ou pulvérulent
selon les secteurs, recouvre les deux côtés de la route,
pas la moindre fleur, les Abeilles et les Papillons ont
déserté l’habitat qui offre désormais toutes les
caractéristiques d’un terrain de football (signe des
temps…), à l’ombre d’une cédraie vidée de sa substance. Le
Rollier n’y chante plus, le Rollier n’y chantera plus.
Centaurées, Vulnéraires, Coronilles, Vesces, Thyms, Sauges,
Lins, Oeillets, Scabieuses, Scilles du Pérou, Tulipes
sauvages sont éteintes, broutées, piétinées, jusqu’à la
moindre Pensée dans le sous-bois dénudé. Nous questionnons
le garde de la maison forestière qui nous apprend qu’il
s’agit de mesures préventives de lutte contre les
incendies… Au feu les Moutons ! Des Moutons
extincteurs (et des bergers pompiers) en quelque sorte.
Ici, on ne lésine pas puisqu’il faut rappeler que le seul
Parc naturel d’Ifrane compte un effectif 800.000 Ovins,
soit huit fois la charge recommandée. De quoi faire face à
des incendies sur tous les fronts forestiers. Extincteurs
non pas des bromes estivaux et estimés pyrophytes, mais des
jeunes pousses dès les premiers beaux jours !
« Si nous
parvenons au moins à sauver les
arbres », nous
a-t-on confirmé à la Direction régionale de cette
administration. Lutter contre la désertification en
désertifiant, en quelque sorte, tel un médecin qui tuerait
son malade pour le protéger des maladies. Ce radicalisme ne
nous a pas été confirmé au niveau ministériel où, tout en
nous informant que « la
conservation est une approche
linéaire », il
semblerait que la tendance coupable d’un tel ravage soit
celle d’un respect démocratique soudainement épidermique,
et qui voudrait satisfaire une demande usagère devenue
exigeante. Comme si les « années de plomb »
avaient été seules aptes à une protection des écosystèmes
et que l’avènement démocratique puisse correspondre à un
aller simple pour l’enfer, sans la moindre attente
prospective. La démocratie mal comprise ou sciemment
démagogique devrait ainsi rimer avec aujourd’hui, sans
futur possible. Ne rien garder pour plus tard, tout donner
en pâture pour « les » satisfaire, la senteur des
prairies multicolores se voyant compensée par un parfum de
fin du monde.
Tandis qu’on pleure sur la forêt de Chênes-lièges de la
défunte Maâmora (voir plus loin), fossilisée par le
pâturage, on s’acharne à achever le Moyen Atlas et sa
cédraie, tandis que de vains efforts sont employés pour un
afforestage coûteux de certains secteurs du Haut Atlas,
écorégion qui n’en demande pas tant puisque de mémoire
contemporaine, naturellement peu couverte. De quoi apitoyer
les bailleurs de fonds.
La Source Vittel, une ancienne « Arcadie »
« O
lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure
!Vous que le
temps épargne ou qu'il peut
rajeunir,Gardez de
cette nuit, gardez, belle nature,Au moins le
souvenir ! »Alphonse de
Lamartine
Au sein de l’étage bioclimatique humide de la cédraie de
l’Atlas, Ifrane dénommée « la Suisse marocaine »,
ses alentours et sa région, sont connus depuis fort
longtemps pour leurs peuplements végétaux et animaux
remarquables, exceptionnellement riches en endémiques et
subendémiques. Véritable réminiscence du « Jardin des
Délices », nombreux sont les naturalistes qui s'y
rendirent pour leurs études. Le célèbre entomologiste
anglais Harold Powell y tenait officine jusqu'en 1950 sous
l’enseigne enchanteresse de la pharmacie des Lycènes. Lacs
à Nymphéas, cours d'eau, prairies florifères, Cèdres
séculaires, Chênes et Frênes centenaires, Érables,
pléthores d’Oiseaux et de Papillons, sont un cadre de vie
hors pair. L’Homme en a donc fait un lieu électif pour ses
séjours, tant d’hiver (ski occasionnel) que d’été (ombre
bienfaisante et microclimat appréciable dans une contrée
aux ardeurs solaires impitoyables). La charmante ville
apparaît désormais comme un peu débordée par son succès et
le milieu naturel enregistre ses premières altérations et
atteintes résultant d’une pression anthropique
exponentielle, avec comme grave conséquence un substrat
affecté. Face à cette fréquentation croissante, voire
envahissante en saison, cet Eden est désormais au
purgatoire et si l’on veut éviter que ce paradis ne
devienne un enfer, le site doit bénéficier urgemment d’une
gestion plus rapprochée dont les autorités ne semblent pas
parfaitement soucieuses. Afin de pérenniser la valeur de
ces sites régionaux, des mesures ne sont donc que
théoriquement prises. Seulement voilà, l'enfer étant pavé
de bonnes intentions, aucune n’est pour le moment
appliquée ! Ah si : la police locale à-cheval
persécute quelques amoureux illégaux dont les tendres
baisers sont interdits !
La Source Vittel et autres lieux mitoyens comme la Cascade
des Vierges, situés au fil du Val d’Ifrane (Oued Tizguid),
sont certainement les emblèmes tant de la splendeur passée
d’une nature riche et exubérante, que de l’actuelle
« chienlit » résultant d’activités récréatives
abandonnées à leur propre et pitoyable inspiration
ravageuse. L’habitat était d’une exceptionnelle valeur
biopatrimoniale, tout à fait unique pour le Maroc
atlasique, avec notamment une remarquable formation
arborescente en ripisylve, essentiellement composée
d’hygrophytes dominés par Fraxinus
excelsior, infiltrés
d’autres essences comme Quercus
rotundifolia, de beaux
sujets de Taxus
baccata , et trouée de
remarquables prairies à Festuca
elatior. On peut y
noter encore quelques témoignages de l’exceptionnelle
vigueur de la végétation, avec abondance de lianes dont pas
mal de vieux Lierres enveloppant les Frênes de leurs
rideaux centenaires. Piétinement, parcage sauvage et
saccage, pollution des eaux, y ont atteint un seuil limite
dont le pic se situe chaque année en juillet-août. Selon
des études bien documentées, concernant par exemple les
plantes et les Papillons de jour, certaines espèces
cardinales en on déjà fait les frais.
In
memoriam...
La dégradation
de bien des secteurs de la cédraie, sa déconstruction sous
forme de déboisement, l’éradication de certains de ses
composants et le dérangement provenant des parcours ont
engagé une fragilisation, voire une perte définitive de
nombreuses espèces végétales et animales. L’impact est
irréversible. Sans remonter au temps du Lion de l’Atlas
(ultime signalement pour le Moyen Atlas : 1930) dont
le dernier représentant ifranais est taillé dans le granit,
ou dresser une liste posthume exhaustive, nous citerons
quelques espèces dont nous sommes « sans
nouvelle » depuis les dernières décennies.
La Panthère fauve tachetée : le tueur en série que
nous sommes est parvenu à ses fins, non sans efforts
(safaris-trophées, fourrure, braconnage, égocentrisme
pastoral, phobies, bêtise et vieux démons...) Bien que très
méfiante, la Panthère était pourtant le plus ubiquiste des
félins et habitait au Maroc un grand spectre de biotopes.
Nos plus vieux collègues naturalistes la surprenaient
encore jusque dans les années 50, par exemple dans les
cédraies de l’escarpement d’Azrou ou dans la doline boisée
du Mischliffen. Mais déjà de 1986 à 1996, les quelques
signalements (traces, excréments, Magots dévorés,
témoignages locaux) ne provenaient plus que du Haut Atlas
oriental et ne portaient que sur quelques sujets errants et
sans viabilité génétique. Le déclin final fut l’œuvre
discrète de quelques bergers, l’animal pouvant évidemment
causer des dégâts non remboursés parmi le bétail. Une
réintroduction aléatoire doublée d’une veille soucieuse
devraient être engagées. Hors la cédraie, il est deux
autres espèces marocaines climaciques qui vivent
actuellement un purgatoire damoclésien en vue d’un même
destin muséologique : le Guépard et l’Hyène.
Le Lynx caracal : le bel animal n’a plus été observé
des cédraies rifaines et du Moyen Atlas depuis les années
80 du siècle passé.
La Truite de Pallary (Salmo
pallaryi) : ce Poisson
endémique des eaux continentales, propre à l'Aguelmame de
Sidi-Ali situé au cœur de la cédraie « morte » du
Col du Zad (Moyen Atlas central), est porté éteint.
L’Écrevisse à pieds rouges, caractéristique des cours d’eau
de la cédraie, va suivre la même voie en raison de ses
prélèvements excessifs (ex. : Oued Tizguid) et de la
pollution galopante des eaux vives (notamment par l’usage
direct de détergents non biodégradables par les populations
riveraines).
Lépidoptères : trois espèces de Rhopalocères
(Papillons diurnes) propres à la cédraie et à ses
formations mitoyennes n’ont plus été revues depuis près
d’un demi-siècle : Pieris napi
atlantis, une
sous-espèce endémique de la Piéride du Navet, exclusive à
quelques sites des alentours d’Azrou (responsabilité :
pression pastorale) ; Pieris
mannii haroldi, unique race
africaine de la Piéride de l’Ibéride, indigène du
Tizi-Taghzeft (causes : déboisement et
surpâturage) ; Polyommatus
escheri ahmar, unique
sous-espèce de l’Azuré d’Escher connue d’Afrique du Nord ,
du Djebel Bou-Iblane (cause méconnue).
Un Parc pour sauvegarder le legs
Les hauts indices de biodiversité font de l’écosystème du
Cèdre un réservoir génétique de premier rang. Ces critères
ont présidé à la classification conservatoire du Parc
naturel d'Ifrane, d’une superficie de 53.000 ha d’amplitude
sylvatique tabulaire, contenant l’une des plus belles
formation du Cèdre de l’Atlas sur calcaires et dolomies,
avec des schistes et des épanchements volcaniques. La
création de cette figure de protection se conjugue au
projet d'aménagement et de protection des massifs
forestiers de la Province d'Ifrane (en partie financé par
l'Agence Française de Développement) et dont les
composantes sont : forêt et bois de chauffe, parcours,
gestion de la biodiversité, activités agricoles. La double
ambition est de préserver la quintessence du biopatrimoine
de la cédraie et de sa biocénose (dont le Chêne zéen qui
participe à la typicité du site), tout en conciliant les
activités vivrières des populations locales. Le Parc
enveloppe d’autres formations associées à la cédraie
comme : la zénaie, l’iliçaie (chênaie verte), la
pineraie, la ripisylve à Fraxinus
angustifolia, le matorral
troué, le matorral clair à Thymelaea,
celui bas et dense à Adenocarpus,
celui dense et élevé à Arbutus
unedo, la prairie
à Festuca
elatior, la pelouse en
dépressions froides, le causse asylvatique calcaire et des
formations hygrophiles de daya où se développe, entre
autres splendeurs floristiques, Nymphaeae
alba. Vergers et
cultures extensives sont inclus. L’ensemble abrite un très
grand nombre de plantes vasculaires et d’Invertébrés, dont
des endémismes précieux. Cette région est aussi par
excellence et grâce à son couvert un exceptionnel château
d’eau (précipitations annuelles de 650 mm à plus de 1200 mm
sur les sommets exposés). C’est donc une composante
bio-écologique essentielle de l’ « écran
vert » qu’il est de toute première instance de mettre
à l’abri des agressions si l’on entend chercher à ralentir
le processus fatal de la « remontée du désert »
et de ses corollaires l’érosion et la translation de la
flore et de la faune.
La mise en sauvegarde d’un espace induit celle de ses
composants floristiques et faunistiques et il faudra bien
du talent dans la gestion pour ménager cette mission
prioritaire avec le maintien des activités tant forestières
qu’agro-pastorales. Quand il y a la volonté, il y a le
chemin...
Les
risques majeurs de dégradation de la cédraie
Les
ennemis « naturels » du Cèdre
Les consommateurs (que les convoiteurs de bois nomment
« ravageurs ») effectifs du Cèdre sont de tous
ordres. Parmi les Microlépidoptères Hétérocères, il y a les
incontournables Processionnaires, dont la très
redoutée Thaumetopoea
pityocampa, ainsi
que T.
bonjiani, spécifique au
Cèdre de l’Atlas, et deux Tordeuses de peu de
nuisibilité : Acleris
undulana et
Epinotia
cedricida, dont les
larves se développent à l’intérieur des aiguilles. Quelques
Pyrales s’attaquent aux cônes. Thaumetopoea
pityocampa, qui n’est
autre que la Processionnaire des pins, bien connue du grand
public en raison du déplacement en fil indienne de ses
chenilles grégaires (ce qui lui valu son nom vernaculaire),
hiverne dans des bourses consistantes et compactes qui
agissent comme des capteurs solaires au profit du
réchauffement thermique des chenilles durant la période
hivernale. Quand d’autres facteurs aggravants comme le
déficit hydrique, quelques Champignons phyto-pathogènes,
des Insectes xylophages, voire des agissements anthropiques
de mauvais aloi, n’interviennent pas ou sans excès, l’arbre
se rétabli quelques années après l’infestation ayant causé
sa défeuillaison. Comme il est rapporté par
l’administration que l’utilisation d’insecticides
microbiologiques respectueux (à base de toxines de la
bactérie Bacillus
thuringiensis), n’a d’effet
contre l’agent défoliateur qu’aux tous premiers stades
larvaires, le relais du traitement reste le funeste
Diflubenzuron, un produit chimique bloquant le
développement larvaire par inhibition de la chitine et de
la mue, donc de la croissance, mais qui agit
indistinctement sur toute la zoocénose entomologique et
dont on connaît encore mal les répercussions sur les
Oiseaux insectivores. Une méthode traditionnelle et
mécanique consistait à récolter les nids au sécateur ou à
l'échenilloir, puis à les incinérer. Ce pourrait être, les
années de grandes infestations, une parade au chômage des
zones rurales ! Dans ce combat contre les agents
biotiques, la surveillance est essentielle en permettant de
détecter les ravageurs, d'évaluer le risque de dégâts en
estimant les effectifs, de mesurer les déprédations
effectives puis de prévoir l'évolution des populations. On
dispose dorénavant de moyens propres pour améliorer
l'étendue et la qualité des opérations de surveillance des
ravageurs forestiers, comme la télédétection (notamment par
le satellite ERTS), les pièges à phéromones,
l'échantillonnage séquentiel et les ordinateurs pour
accumuler et analyser les données. L’utilisation de
l'analogue de la phéromone sexuelle des femelles pour le
piégeage de masse des mâles ou par confusion est le
meilleur moyen de veille. Il ne semble pas utilisé au
Maroc, sans doute pour des raisons de coût et de
gardiennage.
Pour ce qui concerne les Coléoptères xylophages
subcorticoles, les prédateurs majeurs sont des Scolytes,
comme Blastophagus
piniperda,
Scolytus
numidicus et d’autres. Le
Charançon (Curculionidae)
Scythropus
warioni et la Chrysomèle
(Chrysomelidae)
Luperus
pardoi, qui tous deux
s’attaquent aux aiguilles, représentent des parasites bien
plus innocents. Un Puceron est aussi concerné :
Cedrobium
laportei, causant des
défeuillaisons pouvant entraîner la mort des arbres à basse
altitude dans les mauvaises classes de fertilité. Les
indices en sont la chute d’aiguilles non consommées et la
présence d’un manchon noir sur les branches. Un Hyménoptère
parasite peut être introduit pour le combattre. Et enfin un
Champignon, Phellinus
chrysoloma, peut également
commettre de grands ravages dans les secteurs les plus
humides.
Gestion durable : vivre avec les Insectes
L'impact le plus visible des Insectes en forêt reste les
nombreux dégâts qu'ils infligent aux arbres. Le taux de
défoliation annuel imputable aux Insectes varie par exemple
de 5 à 15 %.
Pour répondre aux objectifs de gestion durable, il convient
de développer des méthodes respectueuses de
l'environnement. Dans ce
contexte, l'emploi des insecticides en forêt est presque
toujours à déconseiller. Ces produits, souvent peu
sélectifs, peuvent en effet induire une pollution des sols
et des nappes phréatiques, mais surtout entraîner la
destruction des Insectes utiles et conduire à terme à
l'apparition de résistances chez les Insectes visés. L'un
des objectifs prioritaires de l'entomologie forestière est
donc la mise au point de méthodes de lutte préventive,
fondée sur l'utilisation ou le renforcement du potentiel de
résistance naturelle des arbres, des peuplements ou des
massifs forestiers. Une autre façon de prévenir les
pullulations d'Insectes consiste à
renforcer ou rétablir les mécanismes de régulation existant
en forêt. Par exemple,
le Puceron du Cèdre a été importé en France sans ses
ennemis naturels, ce qui a causé des pullulations
importantes. L’introduction depuis le Maroc d’un des
Insectes parasites de ce Puceron a ainsi permis la
réduction des niveaux d'infestation du Cèdre.
Le Singe... comme bouc-émissaire
Contrairement aux dires des services forestiers, la densité
populationnelle des Singes Magots est en constante
diminution. Cette densité qui était d’environ 60 individus
au km2 il y a dix ans, est tombée à 28 au km2 en 1995 et
n’était plus que de 10 au km2 selon l’évaluation de 2002.
Ce Singe est un indicateur fiable de l’état de la
forêtet la mortalité
des Cèdres du Moyen Atlas ne peut lui être attribuée.
Pour le mieux connaître...
« Singe.
Animal arboricole qui se sent également très à l'aise
dans les arbres généalogiques. »
Ambrose Bierce
Le climat
atlasique est dit tempéré, c’est-à-dire avec les variations
d’un été chaud et sec, puis d’un hiver froid et enneigé.
Ceci constitue une exception pour les Singes : la plupart
des espèces vivent dans des zones à climat chaud. Le Magot
(Macaca
sylvanus) présente donc
des adaptations importantes aux variations climatiques dont
un changement de poils au printemps, l’absence de queue
longue (diminution de la surface corporelle exposée au
froid) et un rythme de reproduction strictement saisonnier.
Il vit en groupe de 20 à plus de 100 individus, avec une
vie sociale très importante. Le chef du
groupe est toujours un mâle adulte mais les femelles en
constituent l'élément stable (matrilignage). Les bandes
sont donc dirigées par un mâle dominant, mais la hiérarchie
sociale est en principe linéaire. Chaque individu occupe
une place sociale déterminée. Les filles
« héritent » du statut social de leur mère et
occupent une place hiérarchique proche d'elle. Chez les
mâles, l'acquisition du rang social se passe différemment.
Si, chez les juvéniles et adolescents, c'est l'âge qui
détermine le rang social, chez l'adulte, plus que la force
physique, c'est la faculté d'entretenir de bonnes relations
avec d'autres mâles du groupe qui prédomine. Ceux-ci
servent alors d'alliés lors de conflits et permettent la
domination. La sex-ratio est équilibrée. Chaque communauté
possède son propre espace vital. Cette vie sociale se
caractérise par un riche éventail de comportements
caractéristiques. Elle nécessite un système de
communication élaboré, à base de sons, d’attitudes et de
gestes mimiques, dont le claquement des dents est le plus
original. Les couples se forment toute l’année, avec une
meilleure fréquence de décembre à mars. La femelle en
chaleur s'accouple avec plusieurs mâles. De ce fait, les
paternités ne sont pas connues. La période de gestation est
de 210 jours, supérieure d’un mois à celle des autres
Macaques. Les bébés sont presque chauves à la naissance et
sont nourris par la mère pendant environ une année. La
relation mère-enfant est très intense et durable. Les
relations entre femelles en parenté (grands-mères, mère,
sœurs, tantes, cousines) sont entretenues et renforcées
durant toute l’existence. La vie en groupe est régie par
des relations personnelles privilégiées concernant chaque
individu. En règle générale, les mâles participent à
l'éducation des petits et il n'est pas rare de voir un mâle
porter un jeune. Le jeu des jeunes Magots est le vecteur
dominant d’apprentissage, tant sur le plan moteur que
social, la plupart des comportements étant acquis et non
innés chez les Singes. La longueur de la jeunesse,
caractérisée par les jeux, est un indicateur d'évolution :
les espèces les plus évoluées ont une période de jeunesse
très longue. L'épouillage n’est pas seulement le nettoyage
de la fourrure, mais surtout d'un comportement ritualisé
exprimant une relation positive. La fréquence et le sens
dans lequel se fait l'épouillage sont souvent corrélés avec
le rang social des individus, l'inférieur épouillant plus
souvent le supérieur.
L’habitat préféré du Magot de Barbarie est le causse boisé,
creusé de cavernes et de trous, où il s'abrite la nuit pour
dormir et se protéger des prédateurs. Le jour, il y
recherche sa nourriture composée de fruits, herbes,
graines, feuilles, écorces, bourgeons, bulbes, tubercules,
racines, Scorpions, Insectes.
Et mieux le comprendre...
Malade du mauvais état de son habitat, il y est aussi
excessivement dérangé par le cheptel envahissant accompagné
de hordes de chiens agressifs. De plus en plus sollicité
par l’Homme qui l’approche pour le nourrir et qui le
nourrit pour l’approcher, de trop nombreuses familles de
Magots sont désormais composées de mendiants dépendants,
véritables commensaux et commencent donc à déranger. Sur
les sites les plus stratégiques, comme celui de feu le
Cèdre Gouraud, les marchands de souvenirs et de fossiles
ont ajouté à leur étale des cacahuètes... Cette déclaration
de Théodore Monod pourrait faire ici l’objet d’une pancarte
didactique : « Les
animaux ne demandent pas qu'on les aime, ils exigent qu'on
leur fiche la paix. »
Pour cause d’occupation permanente des points d’eau par les
troupeaux, le Singe doit rechercher cette eau et les sels
minéraux dans la sève des Cèdres juvéniles et se trouve
accusé d’écimage et d’écorçage. Dans un habitat en rupture
par la disparition des grands prédateurs comme l’était la
Panthère, il n’est plus régulé que par quelques Chiens
sauvages, Renards et de rares Chacals, voire quelques
grands Rapaces. Le Magot de Barbarie est un animal protégé
par conventions internationales mais que certains
gestionnaires voudraient voir disparaître. Pourtant, le
Magot et le Cèdre sont deux éléments d’une même communauté
écosystémique. Dans un passé très récent où le Singe
montrait un effectif nettement plus fourni, aucun dégât
dommageable n’était relevé. D’ailleurs, les dégradations
actuelles ne sont signalées que dans des secteurs précis,
justement ceux déjà victimes de dysfonctionnement forestier
entraînant des dérèglements au niveau des populations,
structures et architectures des composantes végétales et
animales. Quand le faciès sylvicole est diversifié, ce type
de dégâts n’existe pas. Certaines études et
expérimentations l’ont prouvé. Quant au transfert des
Singes, ce serait une contribution de plus à la destruction
de la biodiversité dans le Parc naturel d'Ifrane qui a été
créé pour conserver, valoriser et développer celle-ci sur
un mode intégral, et non à la carte.
Les Cèdres de la dernière chance
(acte I) :
Foresterie,
surexploitation forestière, déconstruction de la
forêt : la cédraie n’est pas une mine !
« Ecoute,
bûcheron, arrête un peu le bras !Ce ne sont
pas des bois que tu jettes à bas ;Ne vois-tu
pas le sang, lequel dégoutte à
forceDes
nymphes qui vivraient dessous la dure écorce
? »Pierre de
Ronsard
« Il ne faut
jamais perdre de vue qu’une forêt n’est pas seulement une
collection d’arbres économiquement exploitable, c’est avant
tout un milieu biologique, l’un des plus complexe de la
nature, dont tous les éléments (arbres, arbustes, herbes,
sol, micro-organismes, faune) sont interdépendants. On ne
peut détruire l’un de ces éléments sans risquer de
bouleverser l’équilibre biologique de l’ensemble et de
provoquer à plus ou moins brève échéance la disparition de
la forêt elle-même. »
H. Pabot (1957)
La biodiversité est biffée, les superficies s’amenuisent,
les plans directeurs se suivent et se ressemblent dans leur
incapacité manifeste à juguler les causes du déboisement
croissant et à faire montre d’imagination écologique. On
s’enfonce au contraire dans
une gestion « minière » et destructrice
dont
les remèdes sont pires que les maux, quand ils ne sont pas
d’une évidente mauvaise foi.
Le forestier s’acharne à déconstruire la forêt.
Les
coupes rases, par exemple des chênaies vertes arbustives
formant le sous-bois de la cédraie, constituent le premier
facteur favorable au processus d’érosion. L’éradication du
feuillu expose le sol au stress hydrique puis le prive de
tous ses éléments essentiels jusqu’au stade de la rocaille
dépourvue de capacité de rétention.
Ce traitement illusoire et néfaste, trop souvent exercé à
l’encontre des peuplements forestiers, enclenche
inéluctablement un changement radical du microclimat
facteur d’une minéralisation rapide de l'humus, une
destruction du substrat, un lessivage des éléments
nutritifs et toute une chaîne de conséquences
additionnelles provoquant cette aridification tant
redoutée. Dans la mesure où cette technique des éclaircies
mal dosées et du traitement de la futaie régulière génère
une perturbation profonde de la cédraie comme de toute
grande formation forestière, elle entraîne subséquemment
une modification radicale de l’architecture, ainsi que des
conditions écoclimatiques et édaphiques. Sans la
régénération naturelle, le dynamisme ligneux diminue, le
vieillissement se fait précoce et un dépérissement global
ouvre une porte à la désertification. Aux yeux - peut-être
naïfs - du naturaliste, le comportement
« agronomique » du forestier (c’est le
sylviculteur...) semble pour le moins réducteur, pour le
pire stérile et en tout cas bien pathétique. L’agronome
cherche à travailler au profit d’une seule espèce contre
toutes les autres, végétales ou animales car l’agronome est
aveugle par nécessité. A l’opposé, une forêt n’étant pas un
champ de petits pois, mais un organisme intrinsèque à
considérer globalement, la technique ségrégative, sélective
et réductrice va à l’encontre des phénomènes de mutualisme,
de symbiose entre les individus des divers taxa. Dans une
forêt saine, l’émulation est une loi fondatrice et la
compétition n’a de cesse. En cédraie, le potentiel de
transformation le plus fort des semis naturels réside dans
les parties les plus confuses du sous-bois, dans les
trouées et les lisières envahies de Cistes, de Genêts, de
Lamiacées et de Graminées, au sein d’un système
pluristratifié.
Ce sont là les berceaux des arbres de demain.
A
leurs côtés, les plants coûteux, installés par le
sylviculteur dans leurs pots après nettoyage intempestif du
sol et de la strate protectrice des bienfaisantes
« mauvaises herbes », crèvent dès le premier été
ou nécessite un suivi hors de prix.
Vouloir dissocier une essence forestière naturelle de sa
biodiversité contextuelle vieille de centaines de milliers
d’années est la vue de l’esprit coupable de la perte des
forêts. Les espèces végétales et animales vivent en
communauté. Ainsi, le forestier qui ne travaille pas avec,
travaille contre. Il déconstruit la forêt.
Toutes les
preuves de cette vérité première sont désormais engrangées
et l’on se demande quelle peut être la philosophie des
cours dans les écoles forestières.
C’est devenu une vérité première que de constater que la
stricte vocation forestière (exploitation, rentabilité) est
toujours un défi gagné contre la nature et les générations
futures.
Dans le Rif sauvage et dans le splendide Moyen
Atlas,
la forêt « désossée » est pourtant
déjà la figure actuelle de très nombreuses cédraies sur le
déclin. Pour d’autres, comme celles du Moyen Atlas
septentrional, du versant méridional du Moyen Atlas central
ou du Haut Atlas oriental, l’appauvrissement est total et
le point non-retour est atteint. Car la cédraie ainsi
fragilisée par ces aménagements impropres n’a pu affronter
les affres climatiques de ces régions mitoyennes de la
steppe.
C’est au XIXe siècle que ce phénomène de gestion dégradante
des forêts rifaines et atlasiques a commencé, pour
s’amplifier durant les protectorats espagnols (Rif) et
français (Atlas). A la veille de l'indépendance du Maroc,
l'administration forestière espagnole procédait déjà à une
regrettable exploitation « minière » de toutes
les riches forêts de cette région. Ces exploitations ont
prélevé tout le capital forestier, n’épargnant que les
arbres chétifs et sans valeur économique. La pression
anthropique tant « délinquante » par les
riverains (défrichement de la végétation naturelle pour
l’extension des cultures sur de fortes pentes, délestage de
bois à usage domestique, parcours forestiers, feux de
forêts), que légale par les forestiers (coupes, toilettage
illusoire et nocif du sous-bois, plantations
artificielles), s'est amplement intensifiée de nos jours.
Cette analyse concerne non seulement la cédraie, mais tout
autant la sapinière, les pinèdes, la suberaie, la chênaie
verte, la tauzaie, la zénaie, etc. Un rapport
confidentiel de la Banque Mondiale atteste de cette
dégradation pernicieuse et alarmante de la forêt rifaine et
certains constats sont effarants. Il faut savoir que le Rif
qui ne couvre que 6 % du territoire national représente 60
% de la terre érodée du Maroc, alors que les Moyen et Haut
Atlas qui en couvrent 20 %, ne produisent que les 17 %
restant. La cédraie de Kétama aurait perdu 30 % de son
stock et dans la région de Targuist, on enregistre la
destruction légale et clandestine de 700 ha par
an.
Le régime pluvial participe au désastre, notamment dans le
Rif et le pré-Rif caractérisés par des pluies à régime
torrentiel et concentrées sur des périodes assez brèves.
Les précipitations brutales et abondantes sur un sol
vulnérable parce que dénudé par les agissements humains
façonnent une l'érosion de ruissellement, que n’arrange en
rien la forte inclinaison des versants propre à ce massif.
Mais il existe
un paradoxe de la pente, dans la mesure
où le ruissellement diminue lorsque la déclivité augmente.
Des études ont montré que selon l’énergie cinétique de la
pluie, celle-ci frappe la surface du sol des faibles pentes
quasiment à angle droit, avec une énergie qui tend à la
compacter et à induire ainsi un fort ruissellement. Alors
que sur les versants très pentus, l’angle que forme la
pluie avec le sol est moindre, la compaction résultante
moins prononcée et le processus érosif moins incisif. A
cela s’ajoute le fait que les pentes les plus vives ne sont
pas cultivées et que la terre entraînée par les lessivages
provient des terrasses et autres versants doux mis en
culture.
Ces traitements des forêts en taillis simples ou en futaies
régulières compromettent la régénération et conduisent à
une fossilisation de la forêt, puis à leur éradication.
Certains travaux forestiers essentiels sont aussi trop
souvent confiés à des entreprises incompétentes. Avec le
déboisement, c'est la couche humifère qui disparaît, les
capacités d’infiltrabilité qui se perdent sur un sol devenu
strictement climatique, le ruissellement qui s'accélère,
l'eau et le sol qui s’en vont en mer lors d'effroyables
catastrophes, la fertilité globale qui diminue, le pays qui
se dessèche, la ruine qui menace et transforme le tout en
désert.
Les Cèdres de la dernière chance
(acte II) :
anachronique et abusif, le parcours intensif en
cédraie est un véritable écocide
« Le cheptel
caprin, élément d’émancipation de la femme
rurale » était,
il y a quelques années dans les rues de Chefchaouen (Rif),
un slogan bien (dé)plaisant... Car des efforts
internationaux et notamment espagnols (aide à
l’amélioration des races caprines...) sont
« innocemment » entrepris pour aller à l’encontre
d’une certaine déprise de l’élevage extensif de cette
région mieux soutenue par la rentabilité de la culture
de Cannabis
sativa.
Dans
les sapinières et les cédraies des Djebels Tasaot, Tizuka,
Lakraa, Tisirene, Tidiquin, les derniers troupeaux de
Chèvres semblent commettre leurs ultimes forfaits à
l’encontre du monde végétal.
Dans les Atlas au contraire, les transhumants se
sédentarisent, les terrains de parcours diminuent et les
troupeaux d’Ovins augmentent,
souvent pour le prestige. La
problématique frise l’absurde quand on sait que les
propriétaires tirent profit d’un nombre de têtes qu’ils
savent excessif, en acceptent une mortalité de 50 %
d’agneaux, pour le seul stratège du pouvoir conféré et des
droits qui en résultent. Ces séjours prolongés en forêt par
manque de transhumance mutilent par émondage et écimage la
lisière des cédraies. Le Cèdre et les autres résineux qui
n’ont pas la résistance des feuillus finissent par mourir
sur pied à cause du déséquilibre physiologique qui survient
suite à la diminution de la biomasse aérienne par rapport à
celle du système racinaire.
Dans les conditions actuelles et puisqu’il reste la
première ressource des populations humaines de ces
montagnes,
la problématique du pâturage en forêts devrait être l'une
des préoccupations fondamentales des aménagistes
sylvo-pastoraux et des gestionnaires des aires
protégées. Pour l’instant,
le nombre de têtes ne fait qu’augmenter, au fur et à mesure
de la dégradation des écosystèmes forestiers, de
l'appauvrissement de la biodiversité et de la perte du sol.
Les Cèdres de la dernière chance
(acte III) :
le sol sur la mauvaise pente...
Un sol, une forêt sont tout d’abord un formidable potentiel
de vie encore inexprimé dont dépendent la fertilité de
l’écosystème, son pouvoir d’adaptation et de régénération.
C’est pourquoi il eut été essentiel pour l’avenir d’en
protéger l’expression actuelle plutôt que de l’anéantir en
deux temps, trois mouvements. Dans le concept d’une telle
décrépitude du sol, il n’est plus possible de se
positionner avec un moindre espoir face aux défis
écologiques du futur que pourraient imposer des
modifications radicales du milieu, tant à l’échelle locale
(érosion) que globale (réchauffement). Ici il n’y a plus
rien en stock et, triste bilan, l’espoir se conjugue donc
au passé.
Dans le secteur septentrional du Moyen Atlas, depuis
Timahdite jusqu’au Bou-Iblane, c’est paradoxalement les
cédraies déjà vétustes des adrets et des ressauts orientaux
qui sont victimes de la plus féroce agression pastorale.
L’action ahurissante est causée par la mitoyenneté de
pâturages arides exploités par les transhumants d’été qui
n’hésitent pas à se rabattre sur la cédraie lors des
fréquentes années de disette dues à un grave déficit
hydrique. Sous-bois ravagés et inexistants, écimage,
ébranchage, substrat rendu squelettique par le piétinement,
translocation des sols largement étrépés, acidification,
puis lessivage des pentes lors des orages et inondations
des vallées. Dans cette région, tout comme dans le Haut
Atlas oriental (régions de Midelt et de Tounfite), il ne
reste plus qu’un triste et macabre spectacle de cédraies
d’outre-tombe d’où émergent éparsement les spectres
menaçants des ultimes vétérans morts sur pied.
« L’arbre
endormi profère des oracles verts. »
Octavio Paz
« Le
ciel même peut-il réparer les ruines
De cet arbre séché jusque dans ces racines. »
Racine
Dans cette forêt post-mortem,
l’action érosive des lessivages offre des conséquences
parfaitement dramatiques. A tel point que sur le lit
caillouteux, ersatz du sol, il est même devenu hasardeux de
pouvoir se tenir debout !
Ainsi naît la désertification locale sans qu'il y ait
diminution dans les volumes des précipitations annuelles.
La « mode » des incendies
La forêt étant un bien collectif et usager, l’habitant de
ces montagnes ayant en outre une pratique parfaitement
réaliste du feu in
situ qu’il utilise
encore au quotidien, pour ces motifs les incendies sont
l’exception accidentelle et le pyromane une race méconnue
en Afrique du Nord. La surface forestière incendiée
n’excède pas 3000 ha par an au Maroc et bien entendu, le
plus souvent dans des périmètres de reboisements en
résineux. Ce qui est somme tout satisfaisant quand on
connaît les statistiques européennes en la matière. En
2003, 392 feux ont parcouru 2858 ha. Ce sont 320.000 ha au
Portugal, 90.000 en Espagne et 85.000 en France qui furent
ravagés la même année. Pour ce qui concerne certains pays à
vocation crématoire, comme l’Espagne (300.000 ha sont
certains étés la proie des flammes) et le Sud espagnol en
particulier, on se demande parfois comment il peut rester
encore quelque chose à brûler ! Les chiffres sont
nettement plus modestes au Maroc, avec 1983 comme année
record (11.300 ha pour 338 incendies) et 2002 comme année
sage (593 ha pour 202 incendies). Il faut donc espérer
qu’entre autres modes, celle des incendies « à
l’occidental » (Europe, Etats-Unis, Australie)
continue à épargner la forêt marocaine qui a déjà son lot
de misères. Un esprit chagrin pourrait insinuer que vu la
rareté de la strate herbacée et l’état du sol
majoritairement squelettique, les affres du surpâturage
sont un efficace remède contre les méfaits incendiaires.
Dans le Rif, de nombreux reboisements sont souvent l’objet
d’incendies récurrents et difficilement maîtrisables. L’été
2002, des formations forestières essentielles de la région
d’Ifrane ont été la proie du feu. La cédraie y échappe
partiellement en raison de sa forte hygrométrie.
Pour un peu de miel..., la fin justifie les moyens
Les traditions qui perdurent sont les plus mauvaises,
dit-on. Celle des chercheurs de miel peut mettre en péril
les plus beaux Cèdres. La méthode artisanale, dérisoire et
délinquante, consiste en la fumigation de l’essaim
d’Abeilles découvert dans un arbre, à l’aide de bouse de
Vache séchée, mettant ainsi en flammes la base du tronc du
Cèdre. Une mort inéluctable attend donc tout arbre
séculaire sujet à cette méthode apicole peu
enviable.
Un vétéran de moins pour quelques dirhams de
plus...
Conclure...
Certains boisements à Cedrus
atlantica jouissent encore
d’une bonne conservation qu’atteste une évidente
régénération, notamment dans les formations rifaines et
medio atlasiques des bioclimats les plus humides. Une
veille est néanmoins nécessaire face à quelques atteintes.
Une révision des méthodes forestières selon une gestion
moins « agronomique » et intégrée s’impose car
dans le concept d’une gestion durable, il n’est plus de
mise de continuer à
désintégrer l’écosystème en éliminant des composants
qui
semblent à première vue subsidiaires mais dont l’absence a
prouvé qu’ils étaient au contraire essentiels à une bonne
régénération.
Une dynamique régressive très inquiétante est en marche
dans certains djebels du Moyen Atlas centro-oriental, ainsi
que dans toutes les cédraies du Haut Atlas oriental. Les
causes en sont évidemment multiparamétriques, mais la
raison essentielle et dispensatrice du coup de grâce donné
à ces forêts est sans conteste une pression pastorale
excessive. De larges secteurs sont déjà irréversiblement
désertifiés et la cédraie morte est déjà un phénomène
notoire. Si l’on entend sauver quelques restes en limitant
les effets du dysfonctionnement, il est urgent de fixer des
contraintes et de les faire respecter sur le terrain.
Le Cèdre est une unité écosystémique majeure et très
fragile à l’intérieur du biome méditerranéen. Le Maroc en
conserve la majeure partie et c’est un grand atout
patrimonial. Il serait regrettable qu’il soit traité avec
désinvolture. Il est probable que la domanialisation de la
forêt par l’État fut l’élément fondateur des violences
écologiques constatées entre les communautés et le
gestionnaire, au sens où elle peut être comprise comme une
violation, une spoliation de la tribu. Avec un tel
sentiment qui de nos jours demeure, les usagers ne
respectent plus les disciplines ancestrales imposant une
conscience collective et s’en remettent à la hiérarchie du
garde forestier, agent étranger dont l’existence incite à
maximiser leur profit d’une ressource désormais propriété
d’autrui. C’est le sentiment d’expropriation, qui plus est
exacerbé par le mauvais exemple d’une conduite trop
exploiteuse de l’administration de tutelle.
Les
pronostics ne sont pas très optimistes, les diagnostics
d’une tentative de pérennisation sont dans la raison.