Entre deux mondes
L’écotone
intra-atlasique : une frontière-contraste entre les mondes
paléarctique et saharien
« Si les gènes
sont un alphabet,
alors les espèces sont des mots
et les écosystèmes des livres. »
Wilson
Évolution
spécifique et paysages transitoires
Écotone : zone de transition ou de rencontre entre deux
écosystèmes. L'écotone est caractérisé par une richesse
spécifique plus importante que celle des écosystèmes dont
il constitue l’interface car la plupart des espèces de ces
deux écosystèmes s'y rencontrent en s’y distinguant souvent
par un aspect racial quelque peu intermédiaire, né des
conditions écoclimatiques de transition. L’isolement
générateur de ségrégation y est alors tout relatif, et le
pouvoir d’exclusion modéré.
« Natura non
facit saltus.
»
Leibniz
Nous connaissons la loi des mutations révolutionnaires.
Nous savons aujourd’hui que cette fameuse formule de
Leibnitz « Tout va par
degrés dans la nature et rien par sauts
»
est une « vérité sur
son socle d’erreurs », ne
s’appliquant que partiellement à la nature... et peu à
l’histoire dont les changements ont la révolution comme
facteur fondateur. Leibnitz, conservateur bourgeois,
craignait-il les révolutions, même génétiques ? Le
passage d’une espèce vivante à une autre ne peut s’opérer
par une suite continue de dégradations insensibles comme
celles qui séparent une couleur du spectre des couleurs
voisines. Il se manifeste au contraire par un saut, par une
rupture de continuité qui est la mutation, c’est-à-dire
l’apparition soudaine de caractères spécifiques nouveaux.
Une Girafe n'a pas un long cou parce qu'il s'est
progressivement allongé à force d'attraper des feuilles,
comme annoncé dans un « catéchisme » de
l’évolution prétendant que « la fonction
crée l’organe »... Mais
c’est grâce à son long cou qu’elle a pu subsister dans un
milieu où les feuilles étaient rares au sol et où les
arbres avaient une grande taille. Sur la nef de la grande
galerie de l’évolution, il aurait sinon fallu une
« éternité créationniste » plus incommensurable
encore que celle ayant permis à la « bouillie
originelle » de faire des mastodontes, à
l’évolution biochimique le cheminement depuis les acides
aminés jusqu’aux protéines, puis des coacervats aux
cellules vivantes primitives, pour réaliser le bricolage
évolutif d’un cou de Girafe ou d’une trompe d’Éléphant.
Cette « révolution » qu’est la mutation ne
survient que lorsqu’un degré suffisant d’évolution continue
l’a préparée. Ainsi, évolution et révolution se combinent.
« On dit que
la nature ignore les bonds, et cela est clair lorsqu'il
s'agit d'une simple apparition ou disparition, dans le sens
d'un développement graduel ; or, le changement n'est pas
seulement quantitatif, mais aussi qualitatif, et consiste
dans la naissance de quelque chose de nouveau, d'autre,
dans la rupture de la forme ancienne de l'être
»
(Hegel). La théorie des mutations nous a appris
qu’à la base de changements préalables se produisent des
transformations subites qui, ensuite, se consolident pour
devenir le point de départ d'une évolution nouvelle.
Si, aux lumières de la génétique post-darwinienne, il est
devenu absurde de nier l’existence des bonds et de ne se
référer qu’à la sage progression gradualiste, à
l’anagenèse, pour ce qui concerne l’évolution pure, cette
« rassurante » évolution graduelle (ou évolution
séquentielle) de Leibnitz s’applique parfaitement à la
pensée populationniste et calque le processus des
peuplements dans de nouvelles zones adaptatives pour lequel
nous l’utilisons.
Tout naturaliste effectuant des prélèvements progressifs du
nord au sud, d’est en ouest, voire « de bas en
haut », d’un type d’écosystème ou de bioclimat à un
autre, etc., notamment
sur des espèces « immobiles » et dont l’essentiel
des migrations sont anté-würmiennes,
constate immédiatement des modifications graduelles de
proche en proche. La géographie
raciale et progressive qui en résulte peut être désignée
par de nombreuses formules phylétiques, cliniennes,
cladistiques où, comme dans la gamme des couleurs énoncée
préalablement, certains caractères morphologiques,
ornementaux ou chromatiques, montrent un mode croissant ou
décroissant, graduel et très régulier, individuel
(spécifique) ou collectif (biocénotique), nonobstant
parfois le fait de quelques chaînons manquants, récemment
disparus ou dont la carence momentanée n’est due qu’aux
aléas de la recherche.
Trois reliefs montagneux intra-atlasiques méridionaux et
marquant le pas sur l’emprise subsaharienne ont été
choisis : l’Ayachi, le Siroua et le Lekst. Ils
illustrent chacun à leur façon, avec d’autres d’une même
latitude, le passage graduel et subtil entre le monde
paléarctique à dominante méditerranéenne, dont la flore et
la faune berbériques se ressentent majoritairement, et le
monde afroérémien ou saharo-arabique, finalement assez
négligeable, pénétrant, depuis l’est, par le sud.
Le plus favorisé des pays de l’Afrique du Nord par
l’originalité de sa situation, univers de contraste entre
les hautes masses forestières humides et les ergs sahariens
brûlants, dont la barrière élevée du Haut Atlas illustre la
frontière, le Maroc est ainsi « européen » par
son Nord et africain par son Sud.
Le Djebel Ayachi :
des neiges aux frontières de l’Aride
Sur
la route de Sijilmassa
A l’extrémité nord-orientale des 800 km de la dorsale du
Haut Atlas, se dresse la formation calcaire du Mont Ayachi
(3747 m), appelé Ari-n-Ayachi (« la hauteur
isolée »), dont la beauté des sites paysagers lui
confère une indéniable valeur patrimoniale. Un peu plus à
l’ouest, le Djebel Masker (3277) lui donne la réplique par
une grande similitude géomorphologique et écosystémique, et
une durée d’enneigement similaire. C’est durant de longs
mois l’ultime barrière nivale du Grand Sud où les sommets
immaculés de blanc resplendissent sous l’azur d’un ciel
déjà saharien. L’Ayachi est ainsi le dernier grand relief
en proue au-dessus de l’aride vallée du Ziz, dernier havre
de fraîcheur aux portes du Tafilalt, de ses palmeraies
langoureuses et de la brûlante steppe désertique. Ces
montagnes, visibles de loin, servirent longtemps de repère
au trafic caravanier en provenance de Sijilmassa (port nord
saharien du Tafilalt médiéval) et se dirigeant vers Fès.
Les caravanes, chargées de richesses de la route de l’or
transsaharienne provenant du Soudan (l’actuel Mali), en
redoutaient l’approche car s’y réfugiaient des tribus
rebelles. Midelt est la « capitale » du Pays
Aït-Ayache, Boumia et Tounfite en sont les plus gros
bourgs. La notoriété touristique de cette montagne est, de
longue date, essentiellement due à son célèbre Cirque de
Jaffar. Mais la région comporte un immense potentiel de
sites d’intérêts dans les domaines des ressources tant
naturelles que socio-culturelles. Une meilleure gestion
écotouristique de ces valeurs encore dédaignées pourrait
assurer le développement qui manque à cette zone, toujours
traversée trop rapidement par un tourisme hâtif d’atteindre
le « désert et la Mésopotamie » de la région
d’Erfoud, promis par les stéréotypes des catalogues. Au
lieu d’une intelligente promotion, les richesses de cet
extrême du Haut Atlas oriental sont galvaudées. Un
patrimoine qui dort, méconnu, ou pire fossilisé et anéanti,
n’est plus un patrimoine.
Ce secteur élevé du Haut Atlas nord-oriental s’avère être
d’une forte promiscuité avec le Moyen Atlas, l’écotone se
réduisant à quelques cinquante kilomètres entre le versant
nord de l’Ayachi et le ressaut méridional du Moyen Atlas
central, seulement séparés par le Plateau de l’Arid et la
haute vallée de la Moulouya. Tout en conservant des espèces
(notamment végétales et entomologiques) propres à
l’ensemble de la chaîne du Haut Atlas, dont certaines
transfuges du Djebel Toubkal et ici relictuelles en niches
exiguës, l’essentiel de la biocénose tient manifestement
compte du Moyen Atlas voisin. Les manifestations
subspécifiques de l’Ayachi respectent ce modèle et les
sous-espèces illustrées ici le sont le plus souvent en
résonance avec celles de ce Moyen Atlas dont l’héritage est
évident. Le Plateau de l’Arid et la dépression de la
Moulouya n’apparaissent donc pas actuellement comme des
obstacles susceptibles d’exclusion. Mais l’Ayachi est aussi
un front géonémique radical pour un grand nombre d’entités
paléarctiques, incapables d’affronter les âpres conditions
subsahariennes. Et l’inverse. Passer du monde de la cédraie
du versant nord à l’univers aride du versant sud, c’est
pour le voyageur comme changer de continent. Cet écotone se
caractérise ainsi par un peuplement prenant parfaitement en
compte toutes les influences floristiques et faunistiques
alentours, mais aussi par l’interface d’une limite commune
à deux systèmes nord-sud qu’induit sa situation
frontalière.
L’Ayachi aurait été connu des Romains... Durant le Ier
siècle, au sud de leur empire, en Afrique occidentale, les
armées romaines progressèrent de façon notable au cours
d’une poursuite contre les Maures. C’est ainsi que sous
Tibère, Cornelius Balbus mène une expédition contre les
Garamantes, citée par Pline, et il parcourt à peu près 1300
km. Célèbres pour leur cavalerie, les Garamantes, peut-être
les ancêtres des actuels Touareg, étaient un peuple nomade
de la Libye intérieure et qui servirent déjà deux siècles
av. J.-C dans l'armée d'Hannibal. Les textes mêlent à cette
campagne celle suivante de Suétonius Paulinus, qui a décrit
la flore de l’Atlas et son sommet enneigé qui, selon les
historiens, devait être ceux du Djebel Ayachi.
« Suétonius
Paulinus a mis la dernière main aux connaissances sur ce
sujet, lui qui, le premier et presque le seul, a porté
au-delà de l’Atlas les étendards
romains. » Plus
près de nous, la relation d’un voyage du Marquis René de
Segonzac en Haute Moulouya (1899-1901) donne une idée du
pays idyllique que pouvait représenter ce massif
présentement en processus de désertification.
Une montagne très contrastée
Le versant nord du Haut Atlas oriental s’associe au proche
château d’eau du Moyen Atlas en donnant naissance aux
grands affluents de l’Oum-er-Rbiâ et notamment aux oueds
déversant dans la Moulouya pour ce qui concerne le massif
de l’Ayachi. En rebord du Plateau de l’Arid, en
appartenance avec l’étage mésoméditerranéen semi-aride, le
piémont nord est largement habillé de cette steppe de
buissons ligneux blancs argentés qui est celle de l’Armoise
blanche (Artemisia
herba-alba), mais surtout
d’immenses nappes alfatières (Stipa
tenacissima), très
puissantes par places et infiltrées de planches de Sparte
(Lygeum
spartum). S’y mêlent
des taxons particuliers aux pâturages argileux
subdésertiques comme Peganum
harmala (harmal),
cette Zygophyllacée médicinale traditionnelle de réputation
considérable, Hertia
maroccana (ziliza),
Asteracée endémique, des Résédacées comme
Astrocarpus
sesamoides (et/ou
Randonia
africana) et pas mal
d’entités saharo-arabes qui se retrouvent ensuite dans
toute la Vallée du Ziz. Retama
sphaerocarpa y dresse ses
buissons inermes en bordure des oueds temporaires,
avec Farsetia
aegyptiaca et
F.
hamiltoni, Crucifères
spécialisées (chelyat,
udl-byed).
C’est le domaine des pasteurs semi-nomades et la nature en
porte tous les habituels stigmates. Les crêts sont
chétivement boisés de Chênes verts en taillis, de
Genévriers et de Thuyas de Barbarie. Le Pin d’Alep se
manifeste très localement. En accédant plus haut aux zones
bioclimatiques subhumide et humide du supraméditerranén et
du montagnard méditerranéen, s’individualise la forêt à
deux strates arborescentes, générée dans le Haut Atlas
oriental par de suffisantes précipitations annuelles d’un
minimum de 650 mm. Le faciès dominant est celui de la
formation à Chêne vert. La chênaie verte fut ici
certainement puissante mais, en proie à toutes les
pressions usagères possibles, elle ne présente plus qu’une
figure en taillis et son recul y est catastrophique. La
seconde strate qui la surplombe est mixte Cèdre-Chêne vert.
De la cédraie, il ne subsiste que quelques parcelles
bénéficiant d’une mise en défends aléatoire et violée avec
récidivité par les troupeaux des bergers semi-nomades. Elle
offre pourtant et localement quelques bons indices de
régénération spontanée. Sur un sol trop érodé, les vétérans
s’éteignent les uns après les autres, comme c’est le cas
dans tout cet écotone entre les montagnes de Timahdite et
celles de Midelt, sous l’emprise d’une désertification
galopante. La cédraie mixte de l’Ayachi et ses hauteurs
rocheuses à plantes chasmophytiques, abrite encore un
remarquable cortège floristique riche en endémiques. On
peut prendre connaissance de certains composants de cette
phytocénoce en se reportant au chapitre inhérent à cette
formation essentielle qu’est la cédraie marocaine.
Citons encore entre chênaie verte et
cédraie : Ilex
aquifolium (Aquifoliaceae),
Centaurea
benoistii,
Cirsium
dyris,
Ormenis
africana,
Phagnalon
embergeri (Asteraceae),
Berberis
hispanica (Berberidaceae),
Buxus
balearica,
B.
sempervivens (Buxaceae),
Campanula
sp.
(Campanulaceae),
Lonicera
arborea,
Sambucus
nigra (Caprifoliaceae),
Silene
ayachica (Caryophyllaceae),
Astragalus
armatus
numidicus ,
A.
incanus,
A.
nemorosus,
Coronilla
juncea (aux limites du
mésoméditerranéen), C.
minima,
Hedisarum
humile,
Lotononis
tapetiformis (endémique
locale), Ononis
cristata,
Vicia
tenuifolia (Fabaceae),
Globularia
naini (Globulariaceae),
Lavandula
brevidens,
Teucrium
mideltense,
Teucrium
sp.,
Salvia
barrelieri,
S.
lavandulifolia mesatlantica
(Lamiaceae),
Avena
montana,
Piptatherum
paradoxum (Poaceae),
Ribes
alpinum (Saxifragaceae),
Viola
sp.
(Violaceae).
Dès le plancher supérieur du montagnard, puis au sein de
l’oroméditerranéen extrêmement froid, on rencontre quelques
parcelles très dégradées de thuriféraie aux spectres
effrayants, puis près du niveau sommital, le plus souvent
battu par les vents, se développe la végétation pérenne de
la steppe froide et ligneuse à Alyssum
spinosum. Quelques
pelouses alpines, à base d’hémicryptophytes mésophiles,
interviennent en discontinuités avec les éboulis mouvants
ou sommitaux.
De grande âpreté et bien contrasté, le versant sud se
manifeste dans le bioclimat semi-aride de l’étage
mésoméditerranéen. Il alimente l’Oued Ziz, fleuve saharien
caractérisé par son cours instable, son débit intermittent,
ses crues violentes et la diminution de ses eaux vers
l’aval. La configuration est nettement squelettique, avec
des façades déchiquetées, des falaises très érodées, au fil
d’un continuum d’accès difficile. Aux alentours de 2000 m,
quelques Genévriers thurifères, essence assez indifférente
à l’exposition, ponctuent cet univers où de vieux
Quercus
rotundifolia stressés
témoignent encore d’une ancienne chênaie verte aux
probables futaies, comme très à l’est, sur les revers
nord-est du Djebel Ali-ou-Rbeddou. L’essentiel de ces
montagnes est l’empire de la steppe à Alfa, investissant
des terrains très pentus pour une Graminée habituellement
mésétienne. La grande herbe est çà et là relayée par des
pans d’Armoise, de Romarin, de Thym et de Buis. Cette
monotonie n’est qu’apparente et une discrète biodiversité
doit ici beaucoup à l’effet protecteur des grands ravins
où, à « l’ombre » tant du vent à l’effet
desséchant que des ardeurs solaires, se développent une
flore variée d’espèces fines et une faunule très riche et
déjà fortement empreinte d’éléments xérophiles
saharo-arabiques. Peu après la haute vallée du Ziz et la
région de Rich, on pénètre alors dans les divers bioclimats
arides des étages thermoméditerranéen et saharien tempéré.
Mammifères
en peau de chagrin
La grande faune
est en deuil de la Panthère tachetée, ici fréquente
jusqu’aux années 50, et dont un dernier représentant
donnait encore signe de vie il y a quelques décades dans la
région de Tounfite. De maigres indices de présence du Lynx
caracal existent encore dans cette même région. Le Renard
roux, le Chacal doré et la Genette y sont assez stables et
la Loutre est sporadiquement contactée. Le Mouflon à
manchettes n’est pas trop difficile à apercevoir tant dans
l’Ayachi que plus à l’ouest (Masker, Iouigharacene,
Aderdouz, etc.), tandis que la Gazelle de Cuvier, sur le
déclin, ne s’y manifeste plus qu’en très petits groupes.
Comme partout au Maroc, le Sanglier abonde. Quant au Magot,
d’approche très facile dans les forêts du tout proche Moyen
Atlas central, il n’est signalé que du bassin de l’Oued
Agheddou, très au sud-ouest de l’Ayachi.
Dans les secteurs les plus arides, les anciens vallons
d’oueds et les zones à Chénopodiacées des deux versants,
les Rongeurs ont pour représentants le Mérione de Shaw
(Meriones
shawi), le Mérione à
queue rouge (Meriones
libycus), la Gerbille
champêtre (Gerbillus
campestris), le Rat de
sable diurne (Psammomys
obesus), la Grande
Gerboise (Jaculus
orientalis), et le Goundi
d’Afrique du Nord (Ctenodactylus
goundi), que viennent
compléter chacun dans son type de biotope l’Écureuil de
Barbarie (Atlantoxerus
getulus), le Lérot
(Eliomys
quercinus), le Hérisson
d’Algérie (Erinaceus
algerus), le Rat à
trompe (Elephantulus
rozeti) et quelques
Chiroptères.
Noms d’Oiseaux
Toutes les espèces suivantes de l’avifaune de l’Ayachi sont
des nidificatrices résidentes (ou quelque peu erratiques,
ou sujets à des mouvements altitudinaux en fonction des
conditions hivernales et de l'enneigement éventuel) :
Buse féroce (Buteo
rufinus cirtensis), Aigle royal
(Aquila
chrysaetos homeyeri), Aigle de
Bonelli (Hieraeetus
fasciatus fasciatus), Perdrix
gambra (Alectoris
barbara barbara), Pigeon
colombin (Columba
oenas oenas), Pigeon ramier
(Columba
palumbus palumbus), Chouette
hulotte (Strix aluco
mauritanica), Pic de
Levaillant (Picus
vaillantii), Pic épeiche
(Dendrocopos
major mauritanus), Cochevis de
Thekla (Galerida
theklae ruficolor), Alouette lulu
(Lullula
arborea pallida), Alouette
hausse-col (Eremophila
alpestris atlas), Hirondelle de
rochers (Ptyonoprogne
rupestris), Bergeronnette
des ruisseaux (Motacilla
cinerea cinerea), Troglodyte
mignon (Troglodytes
troglodytes kabylorum), Accenteur
alpin (Prunella
collaris collaris), Rouge-gorge
familier (Erithacus
rubecula rubecula), Rouge-queue
noir (Phoenicurus
ochruros gibraltariensis),
Rouge-queue de Moussier (Phoenicurus
moussieri), Traquet rieur
(Oenanthe
leucura syenitica), Monticole
bleu (Monticola
solitarius solitarius), Grive
draine (Turdus
viscivorus deichleri), Roitelet
triple-bandeau (Regulus
ignicapillus balearicus), Mésange noire
(Parus ater
atlas), Sittelle
torchepot (Sitta
europaea hispaniensis), Grimpereau
des jardins (Certhia
brachydactyla mauritanica), Geai des
Chênes (Garrulus
glandarius minor), Pie bavarde
(Pica pica
mauritanica), Chocard
à bec jaune (Pyrrhocorax
graculus graculus), Crave à
bec rouge (Pyrrhocorax
pyrrhocorax barbarus), Grand Corbeau
(Corvus corax
tingitanus), Moineau
soulcie (Petronia
petronia barbara), Bec-croisé
des Sapins (Loxia
curvirostra poliogyna), Roselin
à ailes roses (Rhodopechys
sanguinea aliena), Bruant
zizi (Emberiza
cirlus), Bruant fou
(Emberiza cia
cia), Bruant
striolé (Emberiza
striolata sahari).
Ces Oiseaux sont des espèces nidificatrices visiteuses
d'été : Aigle botté (Hieraeetus
pennatus), Engoulevent
d'Europe (Caprimulgus
europaeus meridionalis), Engoulevent
à collier roux (Caprimulgus
ruficollis ruficollis), Hirondelle
rousseline (Hirundo
daurica rufula), Pipit
rousseline (Anthus
campestris campestris), Rouge-queue
à front blanc (Phoenicurus
phoenicurus phoenicurus), Traquet
de Seebohm (Oenanthe
oenanthe seebohmi), Monticole de
roches (Monticola
saxatilis), Fauvette
passerinette (Sylvia
cantillans inornata), Fauvette
orphée (Sylvia
hortensis hortensis), Pouillot de
Bonelli (Phylloscopus
bonelli bonelli), Gobe-mouches
gris (Muscicapa
striata striata).
Quant aux Merle à plastron (Turdus
torquatus torquatus et
Turdus
torquatus alpestris), Grive
musicienne (Turdus
philomelos philomelos), Grive mauvis
(Turdus
iliacus iliacus), observés dans
ce massif, il s’agit d’espèces migratrices et/ou
hivernantes européennes strictes.
Qui les cherche les trouve...
Conséquence de la diversité du terrain, la gamme
herpétofaunique est très composite. Steppe alfatière,
cédraie mixte, xérophytaie, versant humide, versant aride
offrent autant de niches aux Reptiles et à quelques
Amphibiens, dont on peut citer : Crapaud de Maurétanie
(Bufo
mauretanicus), Crapaud vert
(B.
viridis), Rainette
méridionale (Hyla
meridionalis), Grenouille
verte d’Afrique du Nord (Rana
saharica), Tortue
grecque (ou Tortue mauresque) (Testudo
graeca), Émyde
lépreuse (Mauremys
leprosa), Tarente
commune (Tarentola
mauritanica), Ptyodactyle
d’Oudri (Ptyodactylus
oudrii), Caméléon
commun (Chamaeleo
chamaeleon), Agame de
Bibron (Agama
impalearis), Lézard ocellé
d’Afrique du Nord (Lacerta
pater), Lézard du
Haut Atlas (Lacerta
andreanszkyi), Lézard à
lunettes (Scelarcis
perspicillata), Lézard
hispanique (Podarcis
hispanica), Psammodrome
algire (Psammodromus
algirus), Érémias
d’Olivier (Mesalina
olivieri),
Acanthodactyle commun (Acanthodactylus
erythrurus),
Acanthodactyle-panthère (A.
maculatus),
Acanthodactyle rugueux (A.
boskianus), Trogonophis
jaune (Trogonophis
wiegmanni), Couleuvre fer
à cheval (Coluber
hippocrepis), Couleuvre
girondine (Coronella
girondica), Couleuvre à
capuchon (Macroprotodon
cucullatus), Couleuvre
vipérine (Natrix
maura), Couleuvre de
Montpellier (Malpolon
monspessulanus), Couleuvre de
Schokar (Psammophis
schokari), Vipère de
Maurétanie (Macrovipera
mauritanica).
Les Papillons entre steppe et montagne
Les Papillons
diurnes, meilleurs indicateurs du Djebel Ayachi, peuvent
être catégorisés en trois groupes d’horizons distincts :
les espèces à résonance du Moyen Atlas, qui illustrent
parfaitement cet écotone intra-atlasique et qui, pour le
Sud-Est marocain, ont cette dorsale comme limite
d’expansion méridionale ; celles caractéristiques du
Haut Atlas et qui en peuplent l’essentiel des
reliefs ; celles enfin venues du sud et qui, sauf
exception, ne débordent guère plus au nord.
Dans la gamme des refuges potentiels offerts, chaque espèce
est tributaire de la présence de sa plante-hôte et occupe
la niche propre aux préférences écologiques du groupe
auquel elle appartient. Dans la première catégorie, il
convient de ranger : Aporia
crataegi,
Anthocharis
belia,
Gonepteryx
rhamni,
Quercusia
quercus,
Cigaritis
monticola,
Satyrium
esculi,
Cupido
lorquinii,
Celastrina
argiolus,
Plebeius
martini,
Polyommatus
atlanticus,
Maurus
vogelli,
Argynnis
pandora,
Argynnis
auresiana,
Issoria
lathonia,
Nymphalis
polychloros,
Polygonia
c-album,
Euphydryas
desfontainii,
Melitaea
cinxia,
Coenonympha
lyllus,
C.
fettigii,
Pyronia
bathseba,
Melanargia
lucasi,
M.
ines,
M.
occitanica,
Berberia
abdelkader,
Hipparchia
alcyone,
H.
fidia,
Chazara
prieuri et quelques
autres. Les représentants exclusifs au Haut Atlas ne sont
illustrés que par un endémovicariant :
Pieris
segonzaci, voire aussi
par Pseudochazara
atlantis si l’on
considère comme très partiel son peuplement du Nord
marocain. Quant aux Papillons « transfuges du
Sud » et ne fréquentant que les secteurs les plus
aridifiés du massif, il s’agit de :
Papilio
saharae,
Euchloe
falloui,
E.
charlonia,
Colotis
evagore et
Melitaea
deserticola, tous d’origine
saharo-arabique. Quelques autres Rhopalocères, de moindre
signification géographique, volent dans l’Ayachi.
On peut imaginer la considérable valeur de ces espèces
quand elles s’intègrent à un tel puzzle biogéographique,
véritable « gare de triage » de la paléogenèse
des peuplements, tout comme la signification de leur
présence dans ce laboratoire faunistique de l’axe des
migrations nord-sud. Il convient
d’être aux aguets de leur moindre recul qui traduirait
alors la dégradation de leur habitat et l’extinction de
leur plante nourricière.
Certains de ces bioindicateurs sont déjà dans une situation
très critique.
Valeur écologique d’un verger au Pays Aït-Ayache
La
flore et la faune, le sol et le climat, témoignent pour
l'Insecte comme celui-ci témoigne si souvent pour
eux. En raison de sa
valeur écologique évaluée notamment par la présence de
rhopalocères sténoèces sensibles, une unité agricole
d’arbres fruitiers située en piémont du Djebel Ayachi
mérite d’être citée.
Sa situation, à la frontière agronomique aride et dans un
paysage steppique, fait qu’il s’agit de la constitution
réelle d’un nouvel écotope, caractérisé par le
commensalisme de la flore et de la faune.
La
façon culturale est traditionnelle, et les traitements
phytosanitaires sont classiques, bien que modérés. Visitant
en septembre 1997 un verger, grand fut notre étonnement d’y
constater une forte fréquence de Lépidoptères sensibles,
tels Berberia
abdelkader à l’orée,
ou Gegenes
nostrodamus dans les allées
sèches, éléments devenus incompatibles dans les zones
culturales perturbées par le terrorisme agrochimique, comme
ç'aurait dû être le cas de cet espace. Plusieurs visites
successives au cours de la saison suivante confirmèrent la
valeur écologique de ce verger par l’évaluation de son
indice lépidoptérique. L’étude fut publiée en son temps,
analysant le cortège des Papillons diurnes rencontrés. Sans
en reprendre ici l’inventaire complet, nous citerons
quelques-unes des espèces contactées dans cet espace
d’arboriculture afin que les lecteurs avertis puissent en
apprécier l’intérêt, et nous précisons la plante-hôte de la
larve, vérifiée ou pressentie dans la station :
Iphiclides
feisthamelii polyphage sur
divers Prunus,
Pyrus
communis et
Crataegus
oxyacantha ;
Papilio
machaon mauretanica sur Apiacées et
Rutacées variées ; Euchloe
belemia desertorum surtout
sur Biscutella
didyma et
Diplotaxis
tennuisiliqua, mais aussi
d’autres Crucifères (Brassicacées) ;
Euchloe
charlonia charlonia dont la larve
est éclectique sur Moricandia
arvensis,
Cleome
arabica,
Reseda
villosa,
Succowia
balaerica,
Eruca
vesicaria,
Diplotaxis
pendula (Brassicacées),
Eryngium
tenue
(Apiacée)
; Tomares
mauretanicus antonius qui se développe
sur Hippocrepis
multisiliquosa,
Hedysarum
pallidum et
Astragalus
spp.
(Fabacées) ;
Callophrys
rubi fervida inféodé à
diverses Cistacées et Fabacées de terrain
pauvre ; Zizeeria
knysna knysna tributaire ici
de quelques Fabacées (comme Medicago
sativa et
tribuloides,
Melilotus
messanensis et
Acanthyllis
spp.) ;
Celastrina
argiolus mauretanica sur la Ronce et
d’autres Rosacées, le Nerprun et le Lierre ;
Pseudophilotes
abencerragus abencerragus sur divers
Thyms et Sauges
(Lamiacées), aussi sur les Luzernes
(Fabacées) ; Plebeius
martini ungemachi dont les
chenilles parasitée par la Fourmi Crematogaster
sp.
se nourrissent d’Astragalus
incanus et
A.
armatus, deux espèces
adventices présentes dans le verger ;
Aricia
agestis cramera sur
Erodium
spp.
et Geranium
spp.
(Geraniacées), aussi certains Hélianthèmes (Cistacées), la
larve étant soignée par les Fourmis du genre
Lasius ;
Polyommatus
punctifera, autre Lycène
myrmécophile et vivant aux dépends d’Hippocrepis
scabra et
Onobrychis
spp.
(Fabacées) ; Nymphalis
polychloros erythromelas dont les jeunes
chenilles sont grégaires sur Ulmus
campestris (Ulmacée),
Salix
pedicellata et
Populus
nigra (Salicacées),
Sorbus,
Pyrus,
Malus
domestica,
Crataegus
divers
(Rosacées) ; Polygonia
c-album imperfecta sur
Ribes
uva-crispa et
R.
alpinum (Grossulariacées) ;
Melitaea
didyma interposita sur des espèces
de Linaria,
Scrophularia,
Antirrhinum
(Scrophulariacées) ;
Melitaea
phoebe punica sur les
centaurées ; Hyponephele
lupina mauritanica sur diverses
Poacées ; Pyronia
bathseba bathseba sur
Brachypodium
spp.
(Poacées) ; Melanargia
lucasi meadewaldoi sur une ou des
Poacées non identifiées sur le site ;
Melanargia
ines jahandiezi sur quelques
Poacées de milieu sec ; Berberia
abdelkader taghzefti sur
Stipa
tenacissima qui pénètre les
marges du verger ; Hipparchia
algirica sur plusieurs
Poacées dont Lygeum
spartum ;
Hipparchia
fidia hebitis sur
Lygeum
spartum et quelques
autres Poacées comme des espèces de Brachypodium
et
de Poa ;
Chazara
prieuri kebira tant sur
Lygeum
spartum que sur
Stipa
tenacissima.
L’inventaire complet des Rhopalocères Papilionoidea
compte 39
espèces, dont 21 sensibles à très sensibles, sur les 67
répertoriées dans les habitats plus préservés et reculés du
tout proche Djebel Ayachi. Les Hesperies, avec plusieurs
espèces dont certaines en effectif fourni, évoluant dans
les grandes allées favorables aux héliophiles, n’ont pas
été pris en compte. Les Hétérocères dérangés s’envolent
nombreux, parfois en nuées, surtout en fin d’été.
Ce verger représente l’essentiel d’une propriété agricole
située dans le finage de la commune d’Aït-Oumghar, village
berbère sur les rives de l’Oued Ansegmir, localité qui se
trouve un peu au nord-ouest de la ville de Midelt. D’une
superficie de 100 hectares, cette surface est
essentiellement vouée au Pommier (25.000 pieds), avec en
complément la plupart des autres arbres fruitiers tolérés
par le sol et le climat (Poirier, Prunier, Abricotier,
Pécher, Cerisier, Cognassier, Noyer), ces derniers
seulement à usage vivrier et familial. La production
optimale annuelle est de l’ordre de 1000 tonnes de pommes.
Elle est menacée ou condamnée quand surviennent quelques
facteurs limitants : ravageurs, maladies, mais surtout
intempéries (gelées tardives, vent violent quasi quotidien
faisant choir les jeunes fruits, orages de grêle,
sécheresse, etc.), car les éventuels moyens préventifs sont
ici très précaires, et d’ailleurs d’une utilité contestée.
La production fruitière est complétée par quelques
parcelles céréalières variées, un potager et une unité
d’apiculture. Un modeste troupeau d’Ovins parcourt le site
et les alentours, quelques Bovins restent en pacage sur
place. Le sol ici argilo-calcaire, repose sur une nappe
située à une profondeur de 50-70 mètres.
Une
irrigation autonome se fait par des puits, et le risque
d'un abaissement ou assèchement de la nappe phréatique en
été, est pallié par l'apport du réseau des seguias (canaux
d’irrigation courante et permanente) communales ceinturant
le domaine. En période critique, un plan d’utilisation de
cette irrigation collective est ordonné. Ce type de verger
est en été très remarquable car il représente une forte
tache de verdure dans le morne univers d’un paysage dénudé,
au sol assez squelettique de type brun lessivé. Non
présente ici, l'irrigation au goutte à goutte est
conseillée et très utilisée au Maroc. Mais on doit se
demander si un tel procédé d'arrosage, qui permet une
économie très sensible de l'eau, n'aurait pas non plus pour
conséquence ici, une « économie » pareillement
très sensible de la biodiversité, qui dépend absolument
d'un environnement artificiellement humide du fait
justement de cette abondance de l'eau.
La gestion est particulièrement non agressante, tant pour
des motifs financiers liés au coût des produits, que pour
les tendances (mais convictions non avouées !) du
responsable. Son attitude d’autosuffisance, proche de
l’autarcie, son recours au recyclage et son choix radical
pour l’énergie solaire (toute la propriété est alimentée
par une production d’électricité photovoltaïque), sont
d’autres témoignages de cette option. Si aucune lutte
biologique (hyperparasites, agents pathogènes) n’est de
toute façon disponible localement, les structures de cette
exploitation, notamment ses diverses niches d’hibernation
possibles, se prêteraient parfaitement à plusieurs types
d’introductions, notamment celle de colonies de
Coccinelles, prédatrices des Pucerons.
Pour ce qui concerne la façon culturale, un labour a lieu
chaque année en décembre, suivi d’un émottage. L’unique
engin mécanique dérangeant pour la faune est en fait
sous-utilisé. L’émondage et le binage occupent la majeure
partie de l’hiver. L’unique fauche est très grossière et
tardive (juin-juillet), laissant ainsi à la majorité des
espèces présentes, la possibilité d'accomplir leur cycle
complet, stades larvaire et d'imago, reproduction et ponte.
Le regain de la strate herbacée de fin d’été sera enterré
lors du labour hivernal. Aucun herbicide n’est utilisé.
Aucun écobuage n’aurait été pratiqué. Labour et fauche ne
sont pas systématiques, d’importantes parcelles sont
laissées en herbe au pied des arbres, sur toute la
périphérie du pré-verger, en bermes des allées, en rives
des seguias. Les débordements récurrents des canaux
d’irrigations lors des fortes précipitations orageuses,
procurent un apport d’épandage à base de litière organique
très appréciable. Le produit des tailles, les arbres morts,
sont entreposés à long terme à l’extérieur, dans des
surfaces inexploitées. Des centaines de kilogrammes de
fruits tombés pourrissent sur place, abandonnés au sol. Le
terrain reste très irrégulier, peu épierré, ne recevant
qu’un émottage superficiel, un minimum d’essartage et sans
râtelage. Le sol n’apparaît donc pas comme aplani et
« scalpé » sans discernement, au détriment de ses
valeurs physique, chimique et biologique, ainsi altérées.
Quelle aubaine pour le naturaliste ! La terre n’est
amendée que tous les deux ans, et très parcimonieusement,
avec un apport de potasse, d’acide phosphorique et d’azote
(les engrais azotés sont fort néfastes aux Papillons),
ainsi que de chélate de fer et de magnésium en compensation
de la nature trop calcaire du sol. La chlorose ferrique
(carence en fer) est un risque local potentiel et la
photosynthèse des arbres atteints s’en trouve alors
perturbée jusqu’au dépérissement. Il n'y a pas d'épandage
de lisier, ce qui se ferait au détriment de la
mésofaune. Est
seulement employé le peu de fumier d’étable disponible.
Quant aux traitements des arbres, ils ne sont
qu’exceptionnellement préventifs et plus généralement
pratiqués en cas exclusifs d’alertes, toujours à des doses
inférieures à celles prescrites par le fournisseur. Nous
les décrivons selon les principaux stades phénologiques et
tels qu’ils nous ont été livrés, en donnant de façon très
synthétique les maladies ou ravageurs concernés, et les
produits utilisés.
Hiver :
Repos végétatif
Maladies cryptogamiques : Tavelure
(Venturia
inaequatis), Moniliose
(Monilia
sp.), Cloque,
Chancre ; ainsi que pontes et nymphes d’Insectes.
Traitement au Cobox : fongicide cuprique à base
d’oxychlorure de cuivre (50 % de cuivre), à large spectre,
en pulvérisation sur les troncs. Le produit est donné comme
non toxique et même « inoffensif pour les
Abeilles. » C’est une bouillie obtenue à partir d’une
poudre mouillable. Doses : 0,4 kg / hl ; moins de
10 kg / ha.
Printemps :
Débourrement (mars)
Aucun traitement signalé.
Début floraison (avril)
- Maladies cryptogamiques (rappel si nécessaire) :
Tavelure du Pommier, Moniliose, Oïdium du Pommier
(Podosphaera
leucotricha). Rappel au
Cobox. Traitement supplémentaire au Bavistin
(carbendazim) : fongicide systémique à action
préventive et curative (2-(méthoxy-carbamoyl)-
benzimidazole à 50 %). Doses : 50 g / hl ; 0,5 kg
/ ha. Ou (alternatif) recours au Pallinal, qui est un
mélange de deux fongicides : le métirame et le
nitrothal isopropyle (développé contre l’Odïum), poudres
mouillables. Doses : 0,4 kg / hl ; moins de 5 kg
/ ha.
- Acariens : traitement à l’Alfacid, un acaricide
associant le cyhexatin (400 gr / l) au tétradifon (200 gr /
l), voire au Talstar, un insecticide-acaricide appartenant
au groupe des pyréthrinoides à large spectre. Doses :
50 à 65 cc / hl ; application sur la végétation et
seulement en cas d’indices.
Floraison et nouaison (avril-mai)
- Lépidoptères : surtout chrysalides de la Pyrale du
Pommier (« Carpocapse ») (Cydia
pomonella)
et d’une espèce d’Hyponomeute (Yponomeuta
malinellus) ;
Homoptères : Pucerons comme Aphis
pomi ou
Eriosoma
lanigerum (très redouté
car il occasionne à l’arbre des excroissances noueuses et
surfaces croûteuses) ; Cochenilles comme
Quadraspidiotus
piri ; Insectes
cécidogènes (Galles) ; Diptères ;
Acariens (tel Metatetranychus
ulmi) :
traitement au Perfekthion (matière active :
diméthoate). Il s’agit d’un insecticide organophosphoré à
action systémique donnée de longue durée, notamment à
l’encontre des « Insectes suceurs ». Indiqué
comme « non dangereux pour les Mammifères et les
Oiseaux ». Doses : 100 cc / hl ; 1l / ha.
Été : Fruits (juillet)
Indices d’autres stades (imagos, larves) de Tortricidae et
d’Yponomeutidae. Recours au Perfekthion (voir ci-avant).
Aucun type d’intervention n’aurait été jugé nécessaire
durant la maturité des fruits ou après récolte
(conservation).
Ces produits phytosanitaires à faibles doses, et peut-être
ici en deçà de leurs seuils de dangerosité (?), sont
censément décomposables chimiquement ou lessivés avec les
eaux d’infiltration (irrigation, précipitations). Comme
chaque pesticide possède son comportement, des recherches
orientées pourraient seules définir la quantité résiduelle
tant dans les cultures que dans les espèces botaniques
adventives, les effets objectifs sur le monde vivant du
sol, ainsi que sur sa fertilité, la quantité infiltrée dans
la nappe ensuite exploitée pour l’arrosage autonome, etc.,
et tout ce que les tests en laboratoires des fabricants
(certes partiaux, mais seuls interlocuteurs des
agriculteurs...) ne disent pas. En fait, l'abondance et la
variété des Rhopalocères présents, témoigne qu'à tous les
stades concernés, de la larve à l'imago, il n'y a
actuellement pas contradiction entre les moyens mis en
œuvre et la biodiversité.
Les principales allées d’accès, tout comme l’intégralité du
périmètre de cette propriété, sont plantés de vieux arbres
en rideau : Pinacées, Cupressacées, Salicacées (dont
de beaux sujets de Peupliers), ainsi que de
Tamaris.
C’est une
frondaison efficace contre les vents très fréquents et un
écran contre l’insolation estivale. Ainsi se crée au fil de
la seguia ceignant le domaine, l’équivalent d’une
ripisylve. Une haie vive permanente fait office de clôture
de dissuasion. A ces halliers, s’associent aux places les
plus humides des peuplements de Roseaux, de Joncs, et les
Osiers. Certains espaces, notamment en angles, sont
délaissés et reçoivent alors une erme assez stratifiée,
ponctuée tant par le Genêt à balai que la Ronce, l’Ajonc
(parcelles siliceuses) et autre ligneux. L’essentiel de la
friche est recouvert de multiples espèces de Poacées
formant dès l’été un généreux brometum, de Brassicacées, de
Fabacées multiples, d’Astéracées (plusieurs Carduacées,
Scabieuse, etc.). La Luzerne, qui est judicieusement très
utilisée dans cette région pour l’assolement, s’est
répandue çà et là, et représente un excellent support pour
tout un « plancton aérien » et un attrait
trophique pour bien des Insectes butineurs. L’ensemble,
très florifère, est ainsi riche en pollinisateurs. Quelques
jachères d’anciennes cultures céréalières ou potagères sont
investies en fin d’hiver par une végétation à base de
thérophytes pionnières.
Cette manifestation botanique spontanée côtoie ainsi une
communauté cultivée, dans un paysage steppique, sans
mitoyennetés immédiates avec d’autres espaces anthropisés
ou culturaux. L'ensemble apparaît donc comme un îlot
végétal privilégié et attractif pour la flore et la faune
environnante, un espace électif tant pour l’hibernation que
pour l’estivation, un refuge ombrophile lors des plus
fortes périodes d’insolation. Les alentours, collines
discrètes au sol lapilleux, sont structurés par l’Alfa qui
est la plante prééminente du paysage monotone du Plateau de
l’Arid. L’Armoise blanche s’y manifeste en alternance,
ainsi qu’Erinacea
anthyllis au port en
coussin. L’Alfa qui s’est introduit fortuitement dans le
pré-verger s’est développée en hautes et puissantes touffes
luxuriantes. En orée, quelques pans très exposés et de
modestes surfaces sont investis par des planches
d’Astragale épineux (Astagalus
armatus), mêlé de
Liseron du désert (Convolvulus
trabutianus).
Après une pluie d’orage ou par forte nébulosité, l’air
ambiant qui règne dans cette petite « jungle »
irriguée est lourd et très humide, les lisières chaudes
sont le cadre d’une dense activité, car l’effet d’appel est
grand au milieu d'un paysage environnant où l’action d’une
intense évaporation peut faire descendre le taux
hygrométrique au-dessous de 15 %.
Lieu
privilégié encore pour les Lombrics dont l’abondance est
trahie par d’innombrables sorties de galeries. Les vers de
terre sont les aérateurs responsables de la structure
grumeleuse par la « construction vivante » du
sol, et agents essentiels d’humification (l’humus est à la
base de l’alimentation de l’édaphon. De même, les
Gastéropodes (surtout Helix
sp.), autres
décomposeurs primaires, se développent en très grand
nombre. Les Reptiles ne sont pas en reste et nous avons pu
recenser : Testudo
graeca,
Mauremys
leprosa,
Tarentola
mauritanica,
Chamaeleo
chamaeleon,
Agama
impalearis, plusieurs
Lézards et Acanthodactyles ; nous n’avons pas noté de
Seps, ni Eumeces
algeriensis, mais le
Trogonophis
jaune est
présent ; au moins quatre espèces de Couleuvres
fréquentent le site ou l’approchent
épisodiquement : Coronella
girondica,
Macroprotodon
cucullatus,
Natrix
maura et
Malpolon
monspessulanus, (Psammophis
schokari est observable
non loin), ainsi que la Vipère de Mauritanie (plusieurs
exemplaires). Quelques Batraciens comme Bufo
mauritanicus,
B.
viridis,
Hyla
meridionalis,
Rana
saharica ont été
reconnus. L’avifaune est essentiellement illustrée aux
proches alentours par les Oiseaux de la steppe (dont la
Perdrix gambra, des Gangas, le Courvite isabelle, des
Traquets, le Sirli, l’Alouette bilophe, le Cochevis huppé,
etc.). Dans le verger, outre de très nombreux Passereaux
(Moineaux, Pinsons, Bruants, Rubiettes, Fauvettes,
Rossignols, Serins, Chardonnerets, Gobe-mouchess gris,
Mésanges, Bergeronnettes des ruisseaux, etc.), on rencontre
le Rollier d’Europe, la Huppe, le Pic-épeiche, le Guêpier,
la Tourterelle des bois, le Merle noir, et parfois le
passage d’une bande de Pigeons bizet. La Cigogne blanche,
très répandue dans toute cette région, ne niche pas sur la
ferme, censément pour des raisons stratégiques (manque de
hauteur de l’édifice). La Chouette effraie fréquente les
granges et le Petit Duc scops est résident des grands
arbres. Les Buses sont des visiteuses quotidiennes et le
survol de bien d’autres Rapaces diurnes nichant dans les
proches reliefs est régulièrement aperçu. Gerbille,
Gerboise, Mérione et Psammomys sont les Rongeurs
spécialisés de la steppe environnante et du pré-verger. Les
Chiroptères sont légion. Le Hérisson du désert
(Aethechinus
algirus) est de
rencontre facile dans ce véritable « bocage du Sud ».
Araignées, Scorpions (deux espèces) et Myriapodes
foisonnent. Hormis les Rhopalocères objets de notre étude,
l’entomofaune est illustrée par une grande diversité
d’Arthropodes épigéniques. Les Coléoptères semblent les
plus dynamiques, notamment les coprophages (parcours
d’Ovins et pacage de Bovins), quelques saproxyliques
(occurrence du bois mort) et les détriphages
(surtout Tenebrionidae),
une densité fournie de floricoles printaniers, ainsi que
quelques Carabiques (Graphopterus
serrator abonde) dont le
maintien est favorisé par les nombreuses pierres et souches
éparses délaissées. Plusieurs espèces d’Odonates
(développement dans les puits et les seguias), une
diversité d’Hyménoptères, ainsi que d’Hémiptères et
d’Orthoptères spécialisés (y compris l’inévitable
Eugaster
guyoni), certains
probablement endémiques au Plateau de l’Arid ou à l’Atlas
méridional, peuplent aussi ce havre d’abondance.
Plus de la moitié des Rhopalocères recensés dans cet
habitat sont considérés comme vulnérables, et la
comparaison avec les inventaires très récents du cortège
originel d'autres habitats proches et non exploités en
montre bien la valeur d'indicateurs écologiques.
En
se maintenant dans ces lieux, de pair avec les
plantes-hôtes dont ils sont tributaires et qui sont pour la
plupart tout aussi sensibles, ils montrent que ce verger
présente les qualités indispensables à leur survie, dans
des conditions suffisamment stables pour que cet équilibre,
qui a perduré depuis de nombreuses années, semble être à
même de durer encore. En ce sens il y a là un enseignement
précieux. Dans des vergers
voisins dont la gestion plus « rationnelle
et rigoureuse », donc moins durable, on fait le
constat du manque des mêmes espèces indicatrices parce que
très vulnérables. Notre longue expérience du terrain nous a
procuré une connaissance « intime » des
Rhopalocères sensibles à la pollution (et de toute faune et
flore d’intérêt) et de leur absence des différents types
d’exploitations agricoles, dont celles d’arbres fruitiers,
soumises aux méthodes intensives en vigueur, tant au Maroc
qu’en France, en Espagne ou ailleurs. C'est pourquoi
un autre enseignement tout aussi précieux mais plus
paradoxal, vient de ce que les conditions, qualités et
équilibre évoqués, sont aussi et d'abord ceux d'une
exploitation agricole dont la rentabilité doit être
assurée, et l'est effectivement. Nous parlerions
sinon de « réserve » de « parc », ou
même de « ferme aux Papillons », qui ne sont
souvent que les alibis ou les gratifications que nous nous
donnons. Ici, et depuis longtemps, ce qui est en question
est d'abord la survie d'une population humaine. La manière
douce et respectueuse dont celle-ci est assurée, s’ajoute à
la situation du verger au sein d’une vaste zone aride pour
constituer un îlot d'hospitalité.
La superficie, 100 ha, est un premier élément favorable car
déjà suffisante pour offrir une gamme très complète de tous
les refuges les plus précieux à la faune et à la flore.
Nous les avons énumérés aux précédents chapitres. Le souci
de préserver un sol si fragile dans ces régions, amène à
éviter un défrichage systématique, ce qui du point de vue
de la faune et flore et du sol lui-même, épargne un
considérable gâchis des matières nutritives. C'est ici un
deuxième élément très favorable, alors que l’activité
pastorale en de nombreux pays méditerranéens, dans sa phase
actuelle de surpâturage, a si souvent l’érosion pour
corollaire. Un troisième aspect positif, est le
recours mesuré aux engrais
minéraux, fertilisants, fongicides, acaricides,
insecticides. Leur refus serait illusoire, car faute de ce
recours, il n’est pas évident que l’habitat principal,
support de l’ensemble biologique évoqué, puisse se
maintenir avec tant de vigueur. Quatrième point précieux,
l'utilisation « généreuse » de l'eau, en
l'absence d'irrigation par goutte à goutte. Ce pourrait
être ici le maillon faible de cette chaîne écologique, tant
l'eau est elle-même une ressource à préserver et le passage
à une irrigation moins coûteuse est souvent une priorité
écologique, elle aussi. Si dans cette région, il semble que
cette « générosité » soit le prix à payer pour
une « générosité » de la biodiversité, la
proximité du château d'eau de l'Atlas permet heureusement
d'y faire face à moindre coût.
Au Maroc, pays de traditions, mais de traditions vivantes
et en évolution, de tels modèles sont fréquents ou
agriculture et milieux naturels sont étroitement liés. Ils
démontrent concrètement et sur des surfaces encore
considérables, que peuvent se manifester des associations
viables entre les activités humaines et des espèces
précieuses, et non pas seulement les espèces rudérales
ubiquistes ou cosmopolites, habituellement notées.
Et ils nous enseignent aussi qu'à la question posée d'une
protection efficace, ici, plus que scientifique, ou
écologique, la réponse est culturelle.
Le Djebel Siroua :
La quantité se change en qualité
Une
charnière bioclimatique
Il n’existe pas de traversée nord-sud - ou l’inverse
- plus dépaysante sur une si brève distance que celle qui
consiste à sauter le Djebel Siroua depuis ses confins avec
le Toubkal de la haute vallée de l’Asif Tifnoute, jusqu’à
son versant méridional à l’ouest sur l’arganeraie de la
plaine de l’Oued Zagmouzen, ou à l’est sur les hauts
plateaux subdésertiques de la région de Tazenakht. Situé en
épicentre d’un considérable édifice montagneux affin à
l’Anti-Atlas nord-oriental et épaulant le Haut Atlas
centro-occidental, le Djebel Siroua (ou Sirwa) (3304 m) est
une véritable charnière entre l’univers de la haute
montagne et refuge de relictes boréo-alpines qu’est le Haut
Atlas sommital, et la steppe désertique essentiellement
peuplée par une biocénose de natures afro-érémienne
(saharo-arabique) et tropicale (macaronésienne).
L’adaptation des uns et des autres éléments des deux grands
horizons aidant, on parvient parfois et au prix de fines
prospections, à surprendre de bien étranges mitoyennetés
entre des taxons venus du Nord et d’autres transfuges de
l’étage inframéditerranén de type aride.
Stratigraphiquement et tectoniquement, le bloc volcanique
du Siroua correspond certes au vieil Anti-Atlas
anté-mésozoïque, mais cette appartenance relève
effectivement bien davantage de l’orogenèse que de la
biogéographie !
Un mont chauve
La nudité du décor est déconcertante. Si l’on excepte
quelques pans de chênaie verte ou de Genévriers,
l’essentiel de ces reliefs n’est pas arboré. L’a t-il été
et quand ? L’Arganier qui développe les 800.000 ha
contemporains de son fabuleux écosystème dès le piémont
occidental du Siroua ne s’étend pas davantage à l’est et ne
pénètre nullement jusqu’a ces altitudes aux conditions
hivernales bien trop rigoureuses. De vastes pâturages,
agrémentés de pozzines mouillées et de pelouses suintantes,
vigoureusement irrigués par de multiples torrents dévalant
des ravins et des vallons, alternent avec un décor purement
minéral, d’alignements déchiquetés, de séries chaotiques,
d’épanchements volcaniques, tout un panorama d’aspect
lunaire et parfois même dantesque quand, au chuintement de
la chouette chevêche, s’en mêle le mystère du clair-obscur
crépusculaire. D’origine volcanique, l’édifice néogène du
Siroua offre ainsi un panorama paysager fort pittoresque et
très original pour le Maroc, avec des sommets de roche
noire contrastant de manière étonnante avec ces grandes
étendues herbeuses et très fleuries au regain du printemps.
Aux pieds et en couronne du massif, ainsi que dans ses
riantes vallées, les villages d’une architecture
traditionnelle admirablement conservée sont entourés d’un
patchwork de cultures vivrières où poussent l'Orge, le Blé,
le Safran et les Amandiers. Selon les normes coutumières,
de remarquables azibs, villages-bergeries d’altitude, sont
rejoints dès juillet et jusqu’aux premiers grands froids,
par les bergers et leurs familles des différentes fractions
de la tribu berbère des Aït-Ouaouzguite, venant transhumer
avec leurs (trop) imposants troupeaux. Le Djebel Siroua,
chaînon unissant l’Anti-Atlas présaharien au Haut Atlas,
est un compromis unique entre un ancien socle volcanique
démantelé et un ensemble granitique d'où émergent
singulièrement des cheminées de basalte, des dykes et des
culots de lave noire. On perd ici l’influence océanique qui
favorise tant l’Anti-Atlas sud-occidental (région de
Tafraoute) que le Haut Atlas occidental et la plaine du
Souss. Le microclimat local souffre de l’infidélité des
pluies, et ce, avec d’autant plus de virulence que l’on
s’éloigne de la façade du Toubkal. La neige ne fait que des
apparitions assez fugitives, mais parfois tardives
(avril-mai). C’est ici la ligne de partage des eaux entre
les bassins du Souss-Massa à l'ouest et le Drâa à l'est.
Du point de vue biologique, la majeure partie – celle
alticole – du massif reprend l’essentiel des composantes
botaniques et fauniques du Haut Atlas central, y compris
ses endémismes et ses rupicoles, avec le même indice de
biodiversité que de quantité. Mais les habitats plus en
retrait des hauts sommets, ceux de tout le continuum
méridional se développant d’est en ouest et d’influence
plus « saharienne », protègent alors un florilège
d’entités propres à l’Anti-Atlas et à résonances érémienne
et macaronésienne. Les biotopes sont soudainement plus
épars et tributaires de paramètres sensibles, avares en
espèces toutes d’une moindre valence écologique, aux
apparitions sporadiques et aux effectifs précaires. La
profusion (très relative !) de la haute montagne
marocaine subhumide devient qualité aux marges de l’aride.
Et le naturaliste doit alors affiner son regard. Cet
Anti-Atlas présente le remarquable intérêt de constituer
une évidente et définitive frontière pour l’essentiel de la
flore et de la faune paléarctique encore présente dans les
écosystèmes du Haut Atlas. Mais on y surprend déjà le
voisinage d’éléments en provenance tant de l’érémial
africain que du Sud de l’Asie centrale, infiltrés au début
du Miocène à travers le Proche-Orient jusqu’en ce Maghreb
atlantique et aux Canaries. A cette époque ces îles étaient
solidaires de l’actuel continent africain et la
Méditerranée n’était que le vestige de la vaste mer
mésogéenne intracontinentale de Théthys qui alliait alors
l’Atlantique au Pacifique.
Tectonique et venues volcaniques en contexte de
collision
(Selon
J. Chorowicz, A. Emran et E.M. Alem)
Le Siroua est un strato-volcan d'âge miocène tardif –
pliocène précoce essentiellement constitué de roches
hyperalcalines de caractère particulier. Il se situe dans
un contexte de collision avec subduction continentale vers
le nord de la plaque africaine sous la meseta marocaine.
Les analyses de terrain, d'images SPOT, Landsat-MSS et du
MNT (modèle numérique de terrain) ont permis de
cartographier les failles, diaclases et appareils
volcaniques. Les formes allongées et les groupements des
venues volcaniques ainsi que leurs relations avec les
failles montrent que les montées de magma se sont produites
à la faveur d'ouvertures tectoniques d'échelle crustale,
essentiellement des fentes de tension, des tail-cracks et
des failles ouvertes. Ces fractures, avec d'autres non
volcaniques de même direction et qui ont évolué en fossés
étroits allongés NNE, caractérisent la déformation en
allongement–raccourcissement de la transformante d'Azdem.
Celle-ci est une zone de failles actives, orientée NNE,
sub-parallèlement à la direction de convergence, reliant
deux segments de l'accident sud-atlasique à la frontière
entre la plaque Afrique et la meseta marocaine. Le
volcanisme aurait son origine dans le manteau
lithosphérique, mais du matériel asthénosphérique avait
préalablement migré vers le haut le long de la zone de
suture panafricaine. Ce magma mixte a pu finalement accéder
à la surface grâce à la mise en place des fractures
ouvertes qui a précédé le jeu des failles. La conjonction
d'une suture panafricaine et d'une zone de fractures
ouvertes accompagnant une transformante locale située dans
la zone de collision serait donc responsable du volcanisme
du Siroua.
Le contraste des « fleurs »
Dans ce pacifique affrontement végétal nord-sud, les
« fleurs » n’y vont pas de main morte ! Pour
se convaincre du phénomène, un exemple d’ascension peut
s’effectuer au mois de mai depuis les marges de
l’arganeraie jusqu’à la steppe froide montagnarde à
coussinets épineux. C’est une véritable odyssée
écologique ! Il existe un réseau de pistes assez bien
réparti pour traverser le Siroua du sud au nord ou d’est en
ouest, avec des variantes toutes plus intéressantes les
unes que les autres. C’est aussi le nec plus ultra de
longues randonnées pédestres entre le charme énigmatique
des paysages squelettiques et celui très
« alpin » de belles prairies fleuries pour le
bivouac, et de l’onde vive à deux pas du « désert ».
Avec la garantie première d’immenses solitudes.
Abordant par exemple le massif depuis le sud-ouest et le
village de Taliouine, on s’élève très graduellement
au-dessus de la vallée du Zagmouzen, de ses oasis et de ses
amandaies, par une piste qui serpente entre les lambeaux
d’Arganiers, de Gommiers, de Genévriers oxycèdres et de
Palmiers nains. La vision panoramique est sublime avec par
matins clairs la haute Vallée du Souss en aplomb, le Lekst
au sud et les balcons enneigés du Toubkal au nord. On y
retrouve un cortège floristique xérophile et déjà bien
affin à celui des plus chaudes vallées de l’Anti-Atlas de
Tafraoute, du Djebel Saggho ou du Djebel Bani, avec
Ononis
spinosa,
Coronilla
juncea, des Thyms de
basses montagnes chaudes, des Lavandes subdésertiques
comme Lavandula
tenuisecta,
L.
dentata,
L.
mairei,
L.
maroccana, ainsi
que Launaea
arborescens,
Scorzonera
pygmaea,
Zilla
spinosa,
Anagyris
foetida,
Genista
ferox et
tricuspidata,
Perralderia
coronopifolia purpurascens,
Scorzonera
undulata,
Polygonum
equisetiforme sur les rives
d’asifs, Astragalus
caprinus,
Linaria
aegyptiaca et
sagittata,
Convolvulus
trabutianus,
Deverra
chloranthus,
Roemeria
hybrida, etc., et
certains Oiseaux, Reptiles et Insectes de la steppe
désertique. Aux alentours d’Askaoun, on commence à
percevoir de nouvelles formations, avec l’Armoise,
d’immenses peuplements malodorants de Rue
(lfeyjel,
aouermi)(Haplophyllum
tuberculatum), la présence
de nappes de Lavandula
pedunculata atlantica sur les
substrats les plus siliceux et des pans généreux
d’Onobrychis
argentea, pénétrés d’une
Hippocrépide. Le Mont Siroua dresse ses 3300 m sur notre
droite et près du Tizi-n-Tieta (2502 m), nous voici déjà
rendus sur le domaine altimontain où, dès la fonte des
neiges, les immenses prairies détrempées sont ponctuées du
jaune des Narcisses (probablement Narcissus
bulbocodium), où l’on peut
découvrir par place l’admirable Ranunculus
calandrinioides, ainsi qu’une
splendide romulée. Les abords des rives, des suintements,
et les bermes les plus fraîches de la piste sont garnis
d’ourlets d’Oseilles sauvages (Rumex
scutatus et
acetosa),
de Chardons et d’Apiacées, l’ensemble formant une
mégaphorbiée de fortune qui est aux heures les plus chaudes
l’abri bienfaisant de toute une faunule
« assoiffée » d’ombre. Hantées par une
herpétofaune à nulle autre pareille, les mouillères, les
pelouses plus ou moins suintantes et les pâturages saturés
sont d’une grande amplitude dans le Siroua et réunissent
d’intéressantes Poacées (formations à Festuca
rubra,
Nardus
stricta, etc.), des
nappes de Mouron d’eau (Veronica
anagallis-aquatica), une foule
d’Hémicryptophytes endémiques (Campanula
sp.,
Trifolium
humile) et de
remarquables plantes boréo-alpines telles
Luzula
atlantica, quelques très
rares Gentianes, Botrychium
sp.,
etc. On peut y signaler aussi, ainsi que dans les fissures
les plus fraîches, quelques Ptéridophytes
(Ophioglossum
vulgatum,
Botrychium
lunaria,
Asplenium
trichomanes,
A.
petrarchae,
Gymnogramma
leptophylla,
Selaginella
rupestris balansae,
Equisetum
ramosissimum).
Raponticum
acaule étale en taches
bleues éparses ses larges fleurs prostrées.
Rhamnus
pumillus et
Ribes
uva-crispa se manifestent à
l’ombre de quelques blocs chaotiques ou au profit de
failles humides. L’essentiel des versants est l’empire de
la xérophytaie épineuse à Erinacea
anthyllis,
Alyssum
spinosum et autres
plantes vivaces ou annuelles rupicoles en coussinets peu ou
prou récalcitrants comme une sabline, Draba
hispanica,
Arenaria
armerina, etc. Au-delà
du Tizi-n-Melloul (2506 m), la piste se poursuit par la
descente sur la région désertifiée de Ouarzazate et les
retrouvailles avec la steppe subdésertique. L’autre issue,
en reprenant depuis Askaoun, est de rejoindre vers le nord
les confins du Toubkal, notamment en suivant l’Asif
Tifnoute, jusqu’à une luxuriante et étroite vallée oasienne
où nous entraîne une piste en descente sinueuse et
vertigineuse du synclinal, jusqu’au fond de la grande
faille scindant le sillon sud-atlasique entre cet
Anti-Atlas et le Haut Atlas adjacent. Au fond de cet
impressionnant hiatus, il est un long couloir où
s’égrainent les villages perdus d’Assarag, d’Imlil (le lac
d’Ifni est à porté de jambes...), de Mezguemnat, dont
l’excellent microclimat et le double château d’eau
garantissent une autarcie agricole quasi paradisiaque. Par
Sour et Agouim, on retrouve la route du Tizi-n-Tichka,
après en avoir vu « de toutes les couleurs ».
Une traversée assez similaire et aussi contrastée peut
s’organiser d’ouest en est depuis le Haut Souss (région
d’Aoulouz), au niveau de l’actuel barrage qui fit couler
beaucoup... d’encre protectionniste. Une minute de silence
s’impose ici pour se souvenir que jusqu’aux années 75
quelques dizaines d’Ibis chauves résidaient sur ces
falaises et pâturaient sur les rives du mince filet d’eau
que représente ici le Souss. On dit que la construction du
barrage « inutile » dérangea le fabuleux Oiseau
et qu’à tire-d’aile il prit la tangente. L’écosystème
à Argania
spinosa est le paysage
préliminaire à ce circuit qui débute très agréablement par
la verte et généreuse vallée des villages d’Aouzoua,
d’Aoufour, d’Askaou, retrouvant ensuite le secteur sommital
du Siroua et finalisant la randonnée avec les mêmes options
que précédemment.
Faune et faunule du chaud et froid
La faune du Siroua est évidemment composite et s’inspire,
selon le secteur concerné, soit de la zoocénose des étages
montagnard méditerranéen et oroméditerranéen (se reporter
au chapitre du Toit du Maghreb), soit de celles de
l’arganeraie de montagne, de l’Anti-Atlas subsaharien et
même des hamadas. Les grands Mammifères semblent avoir
déserté la majeure partie du massif, probablement victimes
d’une persécution séculaire, mais l’avifaune et
l’herpétofaune y sont d’une assez bonne conservation. C’est
pour cette dernière un terrain de mitoyenneté
« illégitime » entre des espèces des zones arides
comme le Gecko d’Oudri, le Gecko à écailles carénées de
Tripolitaine (ssp. occidentalis),
l’Agame changeant, le Fouette-queue, le Seps ocellé
(ssp. ocellatus),
l’Eumécès d’Algérie, le Cobra, et celles de la haute
montagne tels le Gecko du Grand Atlas (Quedenfeldtia
trachyblepharus), le Lézard
ocellé, le Lézard d’Andreanszky, le Lézard à lunettes,
l’Orvet du Maroc, la Vipère de l’Atlas. Tous versants et
altitudes gardés.
A vol d’Oiseau
A vol d’Oiseau entre le Haut Atlas et l’Anti-Atlas, les
espèces suivantes sont des nidificatrices résidentes du
Siroua (ou quelque peu erratiques, ou sujets à des
mouvements altitudinaux en fonction des conditions
hivernales et de l'enneigement éventuel) : Buse féroce
(Buteo
rufinus cirtensis), Aigle royal
(Aquila
chrysaetos homeyeri), Aigle de
Bonelli (Hieraeetus
fasciatus fasciatus), Perdrix
gambra (Alectoris
barbara koenigi), Ganga
unibande (Pterocles
orientalis orientalis),
Ammomane élégante (Ammomanes
cincturus arenicolor), Ammomane
isabelline (Ammomanes
deserti payni), Cochevis de
Thekla (Galerida
theklae aguirrei), Alouette
hausse-col (Eremophila
alpestris atlas), Hirondelle de
rochers (Ptyonoprogne
rupestris), Troglodyte
mignon (Troglodytes
troglodytes kabylorum), Rouge-queue
noir (Phoenicurus
ochruros gibraltariensis),
Monticole bleu (Monticola
solitarius solitarius), Chocard
à bec jaune (Pyrrhocorax
graculus graculus), Crave à
bec rouge (Pyrrhocorax
pyrrhocorax barbarus), Grand Corbeau
(Corvus corax
tingitanus), Moineau
soulcie (Petronia
petronia barbara), Roselin à
ailes roses (Rhodopechys
sanguinea aliena), Bruant
zizi (Emberiza
cirlus), Bruant fou
(Emberiza cia
cia), Bruant
striolé (Emberiza
striolata sahari).
L’Engoulevent à collier roux (Caprimulgus
ruficollis ruficollis), Hirondelle
rousseline (Hirundo
daurica rufula), et le Traquet
de Seebohm (Oenanthe
oenanthe seebohmi) sont des
nidificatrices visiteuses d'été.
La tour de Babel des Papillons
Dans son ensemble et l’hétérogénéité de sa vaste capacité
d’accueil, le Siroua n’est pas seulement un pays de cocagne
des Papillons, il en constitue aussi une tour de Babel tant
les origines tous azimuts s’y mêlent. Ses contreforts
arides ne subissent qu’un assaut modéré des Ovins et des
Caprins, et à l’instar du Haut Atlas, l’accès des
transhumants aux pâturages sommitaux est restreint par
l’agdal. Il faut assister, en juillet et parfois avant, à
l’arrivée des dizaines de milliers de Moutons et voir
comment les immenses prairies encore fleuries sont tondues
en un temps record, pour ne laisser quelques semaines plus
tard qu’un univers scalpé de paillassons et de sol dénudé.
C’est une époque de grande panique pour la faune,
d’écrasement pour les plantes foulées par des centaines de
milliers de pattes, d’une néantisation générale pour la
nature. Mais à l’exception de quelques satyrines tardives
dont la vie d’adulte est bien bousculée par l’agitation
ovine, la lépidoptérofaune locale se maintient ça et là
dans des conditions acceptables.
En ces temps carnivores de paradis perdu, il ne faut pas
trop demander.
Une mosaïque de Papillons
« Vous êtes le
chasseur de papillons, ah ! le voleur de
couleurs ! »
Gendarmerie Royale, Taliouine, mai 1996
Au sud du Mont Siroua et d’une ligne que l’on pourrait
tracer d’Aoulouz à l’ouest jusqu’à Ouarzazate à l’est, les
représentants sont des espèces pour la plupart érémicoles,
mêlées de quelques xérothermophiles adaptés et représentés
par un aspect racial local. Ce sont les très fragiles
sentinelles d’un milieu âpre et sensible, en étroite
dépendance avec des niches spécialisées et exiguës.
Le moindre recul de tels précieux indicateurs doit nous
interpeller sur le fait que le sol est aussi une ressource
limitée.
A l’est, le Tizi-n-Bachkoum et ses alentours, par ailleurs
grand site herpétologique, reçoivent un contingent
d’espèces steppicoles caractéristiques tant du Tafilalt,
que du Djebel Saggho ou de l’Anti-Atlas occidental. C’est
un front d’avancée d’un cortège de Papillons du Maroc sec
et des marges sahariennes dont les espèces cardinales
sont : le Machaon du désert (Papilio
saharae) (sur
Deverra
chloranthus) et le
Zébré-de-vert (Euchloe
falloui) (sur
Moricandia
arvensis), que ne
manquent pas d’infiltrer la Piéride de la Cléome
(Euchloe
charlonia) (sur divers
Brassicacées), la Piéride du Câprier (Colotis
evagore nouna) (espèce
invasive), l’Azuré du Jujubier (Tarucus
theophrastus) et l’Azuré
parme (T.
rosaceus) (sur le
Jujubier et l’Épine du Christ, Rhamnacées).
Sur les mornes plateaux steppiques au climat
subcontinental, où poussent Lygeum
spartum et
Reseda
villosa, se complaisent
quelques espèces xérothermophiles comme l’Échiquier des
Almoravides (Melanargia
ines) en fin de
printemps, la Fausse Coronide (Hipparchia
hansii) en fin d’été.
Ici, ce sont les ravins, les oueds temporaires ou fossiles,
les zones d’épandages des crues, qui conservent la faunule
la plus précieuse illustrée par : le précieux Cuivré
de l’Atlas (Thersamonia
phoebus) (rare
endémique du Sud-Ouest marocain), la Fausse Mélitée orangée
(Melitaea
didyma harterti) (une
sous-espèce locale dont la dépigmentation du corps et des
ailes est un affinage chromatique très révélateur des
conditions écoclimatiques du pré-désert),
Zygaena
maroccana lucasi,
Z. algira
leucopoda (même
sous-espèce que dans le Djebel Lekst), etc. Quand ces
longues dépressions du terrain sont excessivement utilisées
par le parcours ovin, ces Papillons instables et leurs
plantes-hôtes en disparaissent momentanément ou
définitivement. Ces enclaves sont hélas les secteurs
électifs du pastoralisme pour contenir un plus grand nombre
de plantes appétables et la biocénose y subit donc un lent
écocide. Enfin, témoin éloquent des pentes et plateaux
écorchés du sub-désert où se développe l’une de ses
plantes-hôtes, une Linaire ou une Résédacée déserticole –
toutes plantes n’ayant pas les faveurs de la dent du bétail
– la Mélitée de l’érémial (Meliteae
deserticola) forme quelques
peuplements tout récemment découverts sur le revers
méridional du Siroua occidental. C’est un intervenant du
Maroc le plus aride.
Complètement à l’ouest, la haute Vallée du Souss (issu de
l’Asif Tifnoute) apparaît soudainement comme un Eden de
verdure, avec ses jardins, ses vergers et toutes ses
cultures oasiennes qui profitent tout autant d’une nappe
phréatique à nulle autre pareille (déjà bien surexploitée)
que de la salutaire influence océanique. Ce Jardin des
Hespérides abrite une association de Papillons à tendance
rudérale, voire quelques réels commensaux, propres à
l’arganeraie cultivée, avec comme points d’orgue : le
Voilier blanc (Iphiclides
feisthamelii), la Proserpine
des oasis (Zerynthia
rumina tarrieri),
l’Aurore de l’érémial (Anthocharis
belia androgyne), des Lycènes
du pré-désert comme les Tarucus
et
l’Azuré du Mimosa (Azanus
jesous) (inféodé aux
Acacias indigènes ou introduits, etc.).
Tous témoignent ici en faveur de la formule « du
verger pour sauvegarder l’arganeraie
désertifiée », argument
développé dans le chapitre relatif à l’arganeraie.
Au cœur du massif, de 2000 jusqu’aux plus de 3000 m des
crêtes sommitales, la haute montagne est l’habitat
d’espèces d’une toute autre sphère faunistique, montigènes
pour la plupart rupicoles, agrémentées de mésophiles
paléarctiques et de quelques hygrophiles aux lointaines
origines boréales. Les stations fréquentées sont pour les
uns les versants pierreux et chaotiques aux pelouses
xériques, où les espaces tabulaires et les calottes
exposées sont rejoints par les espèces anémophiles, pour
les autres les prairies mésophiles, les rives des ruisseaux
et quelques pelouses fontinales. La fugace et sporadique
abondance d’effectif que ces opportunistes connaissent sous
l’effet déclencheur des pluies utiles de certaines saisons,
ne doit pas autoriser des conclusions hâtives sur leur
statut conservatoire. En dépit de ces bonnes apparences
phénologiques, ces espèces sont encore plus fragiles que
celles de la sphère afro-érémienne, dont la résilience est
presque à toute épreuve dans le contexte adaptatif et quasi
minéral de leur environnement « hostile ». D’avril à
octobre, on verra les hautes terres du Djebel Siroua se
parer des Papillons suivants, typiques du Maroc
sub-humide : le Machaon (Papilio
machaon mauretanicus), la Piéride du
Grand Atlas (Pieris
segonzaci)
(endémovicariant du Haut Atlas ), la Piéride du
Raifort (Zegris
eupheme maroccana) (gagne de
l’altitude au prorata de ses localisations vers le sud), le
Faux-cuivré smaragdin (Tomares
ballus)
(atlanto-méditerranéen) et le Faux-Cuivré du Sainfoin
(T.
mauretanicus)
(endomaghrébin), le Grand Cuivré mauvin
(Heodes
alciphron herculeana) (subendémique
du Toubkal et espèce-signal par excellence), une
sous-espèce forte de l’Azuré de la Badasse
(Glaucopsyche
melanops alluaudi)(sub-endémique
du Haut Atlas central), la race alticole du Chiffre des
Atlas (Argynnis
auresiana astrifera) (dans les
éboulis), le Gamma (Polygonia
c-album imperfecta)(toujours en
ombrée et en limite d’aire), la Mélitée du Plantain
(Melitaea
cinxia atlantis) (hygrophile
praticole), le Fadet marocain (Coenonympha
vaucheri vaucheri) (endémique
marocain alticole et strictement rupicole), le Misis
tingitan (Hyponephele
maroccana maroccana) (idem que le
précédent), l’Échiquier berbère (Melanargia
lucasi meadewaldoi) (mésophyle
praticole), le Grand Nègre de l’Atlas (Berberia
lambessanus)
(maghrébin
mésophile et montigène, ici rarissime), la Grande Coronide
(Satyrus
atlantea)
(ponto-méditerranéen alticole), l’Hermite
(Chazara
briseis major)
(holoméditerranéen xérothermophile), l’Ocellé de l’Atlas
(Pseudochazara
atlantis atlantis) (endémique
marocain alticole et rupicole), Zygaena
maroccana tichkana,
Z. orana
oberthueri (n’était
jusqu’alors connu que du Sud algérien), Z. trifolii
tizina (l’une des rares
zygènes communes aux deux rives méditerranéennes).
L’immense majorité de ces espèces, transfuges du Haut Atlas
central, trouvent ici leurs limites d’extension géonémique
nord-africaine vers le sud.
La disparité de l’association lépidoptérique du Siroua est
éloquente quand on constate une telle proximité spatiale,
souvent guère plus d’une dizaine de kilomètres, entre les
antagonismes écoclimatiques d’espèces comme par
exemple : les Piérides Zegris
eupheme (ponto-méditerranéen
montigène) et Euchloe
falloui (oasien de toute
la bordure saharienne depuis l’Arabie saoudite jusqu’à
l’Atlantique), Colotis
evagore (afro-érémien
xéro-rupicole) et Pieris
segonzaci
(hygrophyle
endémique mais aux lointaines origines
holoméditerranéennes), Thersamonia
phoebus (endémique
ripicole du chaud Sud-Ouest marocain) et
Heodes
alciphron (transfuge
eurasiatique hygrophile), Melitaea
deserticola (xérothermophile
saharo-arabique) et M.
cinxia (praticole
eurasiatique), chacun restant évidemment sur ses positions
et dans sa propre niche, selon l’étagement bioclimatique et
l’exposition des versants. Ces mitoyennetés anecdotiques
sont exclusives au Siroua et traduisent bien la richesse
des compositions floristique et faunistique du Maroc, le
plus favorisé des pays de l’Afrique du Nord par
l’originalité de sa situation géographique aux influences
très variées.
Le cousin du Sud sur une « drôle de Carotte »...
Il existe en systématique des êtres vivants des
ressemblances qui trompent et d’autres qui ne trompent
pas... Certaines espèces qui paraissent jumelles ne le sont
absolument pas car elles répondent à des critères
morphologiques invisibles à l’œil nu mais fondamentaux et
d’une ségrégation sans appel. Ce sont des espèces de
ressemblance superficielle. D’autres qui apparaissent comme
bien distinctes pour le néophyte ne seront que des
sous-espèces peu éloquentes pour le spécialiste. Parmi les
ressemblances qui trompent, le Siroua en abrite un exemple,
véritable cas d’école. C’est celui des Papilio
machaon et
saharae,
soient du Machaon et du Machaon du désert. Les photos
montrent bien cette ressemblance déroutante dans
l’ornementation alaire, laquelle a d’ailleurs trompé les
entomologistes jusqu’il y a peu puisqu’ils considéraient le
petit second du désert comme une race
« famélique » du grand Porte-queue de nos
jardins. Mais les genitalia sont bien distincts, ainsi que
leur nombre d’articles antennaires. La morphologie larvaire
et les exigences écologiques diffèrent aussi. Mais le
dossier reste ouvert et cette spéciation est encore
discutable car on surprend pas mal d’hybrides naturels
entre le Machaon et son cousin du Grand Sud. Il n’en
demeure pas moins qu’originaire d’une sphère faunistique
distincte, le Machaon du désert n’est pas qu’une variation
somatique et déserticole du classique Machaon, comme en
témoigne d’ailleurs leur sympatrisme au sud des Atlas.
De diffusion holarctique (Amérique du Nord, Europe, Asie
jusqu’au Japon), la femelle du Machaon ne pond ses oeufs
que sur des Rutacées et des Apiacées (Ombellifères), et
notamment sur la vulgaire Carotte. Localement, il investit
de nombreux sites des vallées de tout l’Anti-Atlas où son
Apiacée favorite est le Fenouil. Oeufs, larves et adultes
s’y rencontrent simultanément certaines années favorables
ou l’espèce vole alors en deux ou trois générations. Dans
le Siroua, il vole surtout à l’intérieur du massif,
notamment à l’ouest où il est très fréquent sur les
montagnes des alentours d’Askaoun. Sa plante-hôte locale
élective est alors une Rue saharo-arabique, couverte de
petites glandes produisant une odeur fétide assez
déroutante : Haplophyllum
tuberculatum. Ce
sous-arbrisseau vivace à petites fleurs jaune souffre se
développe ici en très grand nombre. Comme c’est parfois le
cas dans des localités chaudes, la larve est ici
polymorphe, présentant toute une gamme de livrées
dépourvues de l’habituel pigment vert, majoritairement
blanches ou noires, ornées de taches oranges inhabituelles
sur les segments et – coïncidence ou non - d’une certaine
ressemblance avec la chenille de Papilio
saharae ! Presque
partout ailleurs, y compris dans l’Anti-Atlas
sud-occidental tempéré par l’Atlantique, la chenille du
Machaon présente l’unique robe que nous lui connaissons sur
toute son aire de l’Amérique du Nord au Japon.
Quant au Machaon du désert (saharo-arabique dont l’aire
subsaharienne s’étend du Yémen au Maroc), il ne vole que
par places sur les rebords écorchés du massif du Siroua,
notamment sur le versant oriental où sa plante-hôte,
une Deverra,
possède quelques localisations. Deux espèces de cette bien
étrange Ombellifère pérenne poussent très localement au
Maroc : Deverra
chloranthus et
D.
scoparia, de
différenciation difficultueuse. Ce sont des plantes vivaces
qui se développent en touffes puissantes pouvant atteindre
un bon mètre de haut, remarquablement adaptées à la steppe
désertique par leurs tiges herbacées ligneuses, droites,
seulement ramifiées dans leur partie supérieure et dont les
feuilles sont remplacées par de minuscules écailles. Pour
le non initié, seule l’inflorescence en ombelle et l’odeur
familière de Carotte permet de réaliser la filiation.
Les Deverra
résistent ainsi
parfaitement à la sécheresse et on peut les rencontrer en
somnolence dans un état plus ou moins prononcé de
sécheresse. Ces plantes étant assez appréciées des Camelins
et les Caprins, certains peuplements sont régulièrement
tondus au détriment de leurs autres consommateurs comme les
chenilles de Papilio
saharae. Les adultes
mâles de ce passionnant Lépidoptère sont de véhéments
hilltoppers et rejoignent dès leur émergence le sommet
exposé aux quatre vents le plus proche pour s’y poser en
congrès. Ils ne quittent ce repaire dominant, toujours en
prou sur un horizon désertique, que pour négocier de
rapides patrouilles fertilisantes à la recherche de
femelles naissantes et fécondables. Les rixes
ascensionnelles entre mâles territorialistes sont
spectaculaires. La femelle, discrète, ne quitte pas les
pans de Deverra
des
parois rocheuses ou des lits d’oueds caillouteux où elle
est tout occupée « à ne pas mettre tous ses oeufs dans
le même panier », les pondant par petits groupes ça et
là parmi les grandes touffes de son étrange Ombellifère.
C08-50 C08-50bis
Le Djebel Lekst : des vestiges du très vieux temps du
Sahara vert
«
Car les
vrais paradis sont les paradis que l’on a
perdus. »
Marcel Proust
Deux
Atlas en un seul : géomorphologie de l’Anti-Atlas
A l’opposé d’une diagonale sud-ouest/nord-est, le Djebel
Lekst (ou Kest)(2359 m) est un pittoresque djebel siliceux
de teinte rose (granites quartzites sédimentaires), en
forme de croissant concave vers le sud. Il ne présente
guère de similitude avec le Djebel Siroua, si ce n’est
qu’ils appartiennent tous deux à cet Anti-Atlas fractionné,
caractérisé par ses boutonnières précambriennes
soulevées à la fin du Paléozoïque et qui en constituent
l’actuelle dorsale. On parle de « boutonnières »
du fait que ces terrains très érodés ont une altitude plus
basse que celle des terrains de couverture qui les
entourent. Elles sont généralement séparées les unes des
autres par des structures synclinales ou des grabens à
matériaux schisteux et calcaires du Cambrien inférieur. Le
flanc nord de l’Anti-Atlas (le Siroua précédemment traité)
plonge brusquement par pendages ou par failles sous les
dépôts de comblement du sillon préafricain. Au sud, au
contraire, les pendages sont faibles et le Cambrien de
couverture supporte une épaisse série paléozoïque
modérément plissée. La limite occidentale est constituée
par le littoral atlantique au niveau d’Ifni puis, plus au
sud, par un système de failles qui met en contact
l’Anti-Atlas avec le bassin marginal de Tarfaya. A l’est,
les dernières structures de cet Atlas disparaissent sous le
bord occidental de la Hammada du Guir. La direction
ouest-est de la chaîne met en présence deux ensembles
structuraux et dans son tracé on peut distinguer plusieurs
segments. Cet accident remonte à la fin du Précambrien
ancien, il constituait la limite septentrionale du grand
craton. Puis il a rejoué à plusieurs reprises durant le
Précambrien et, plus récemment, avec les mouvements
hercyniens et alpins. Le résultat est cette scission de
l’Anti-Atlas en deux zones ayant évolué de façons très
différentes. Une zone sud-occidentale (dont fait partie le
Djebel Lekst), dont le socle d’âge précambrien ancien
apparaît dans plusieurs massifs. Ce secteur a été modelé
par la phase éburnéenne et s’est avéré stable, sans
nouvelles déformations depuis. Une zone nord-occidentale
(celle incluant le Siroua) qui après une longue période de
calme tectonique a été, durant le Précambrien moyen et le
supérieur, le siège d’une orogenèse importante :
l’orogenèse panafricaine. Le Précambrien de ce second
domaine apparaît dans la majeure partie des Djebels Siroua,
Saghro et Ougnat, ainsi que dans quelques massifs
incorporés au Haut Atlas lors de mouvements hercyniens plus
récents.
Une Arche de Noé
Socialement, le Siroua est identifié au pastoralisme
transhumant du Haut Atlas, avec des villages confinés dans
les profondes vallées et des bergeries temporaires
collectives (azibs) aménagées à l’étage des pâturages.
Cette organisation se décline avec un certain abandon de la
haute montagne hors saison de pâture. Rien de tel dans le
Lekst où l’absence d’altitude suffisante n’autorise pas
cette activité et où un climat nettement moins âpre a
permis un certain « mitage » de l’habitat, avec
de nombreux douars dispersés, souvent de quelques ménages,
voire habitations secondaires plus ou moins opulentes dont
les propriétaires résident à Casablanca ou en Europe
(surtout Paris). Une certaine aisance budgétaire des
habitants de cette région, notamment de la tribu des Ameln
de Tafraoute, provient de cette émigration interne ou
externe et a induit un abandon progressif des activités
agropastorales. L’habitude coutumière se réduit désormais à
nourrir à l’étable une Vache et quelques Moutons pour les
strictes ressources familiales, la tâche fourragère étant
réservée aux femmes restant au pays, notamment aux jeunes
filles. Sur un même mode, les cultures (Orge, Blé,
amandes), très aléatoires pour dépendre de l’infidélité des
pluies (plusieurs saisons successives peuvent s’avérer
stériles) et sans possible irrigation, s’avèrent réduites à
quelques parcelles dans le finage des villages. Elles sont
par conséquence en déprise progressive.
Climatiquement, le Lekst est assez privilégié, avec une
bienfaisante proximité océanique qui est celle de tout cet
Anti-Atlas sud-occidental qui, depuis la vallée du Souss,
s’étend au sud jusqu’aux marges subsahariennes et à l’ouest
jusqu’à la mer. Cette région appartient au Maroc
cisatlasique, recevant de plein fouet les perturbations du
front polaire quand celui-ci descend en hiver vers le sud
et ce phénomène rééquilibre grandement les rudes influences
de la proximité saharienne. Non loin d’ici, le Col de
Kerdous (que les géologues nomment boutonnière de Kerdous,
aux terrains précambriens métamorphisés) est connu pour
« accrocher les nuages » et être souvent, en
dépit de sa modeste altitude de 1000 m, enveloppé de brume.
Cette situation alliée à l’existence dans la partie
centrale d’escarpements et de hautes parois subverticales
en ubac, constituent des conditions climatiques très
favorables, faisant dès 1500 ou 1600 m échapper cette
montagne trapue aux influences présahariennes du reste de
l’Anti-Atlas méridional. Ses caractéristiques
bioclimatiques sont celles du thermoméditerranéen
semi-aride en piémont, du mésoméditerranéen toujours
semi-aride en s’élevant, puis nettement subhumide non loin
des sommets, dans plusieurs séries de « poches »
en ombrées, protégées par des abrupts souvent vertigineux.
En dépit d’une faible moyenne de précipitations (200-400
mm) et d’une quasi-mitoyenneté avec la zone à isohyète 100
mm, ces enclaves sont de véritables « jardins des
plantes ». Elles constituent les habitats protecteurs
depuis peut-être 5000 à 20.000 ans de quelques éléments
biocénotiques, et particulièrement floristiques, attestant
du passé humide et forestier datant du temps du Sahara
vert, dont la désertification progressive est antérieure au
Pliocène. Toute l’ère Paléozoïque (-540 à -245 millions
d’années) est marquée par une alternance de glaciations et
de réchauffements. A l’Ordovicien supérieur, le Sahara
était recouvert de glace. Au Carbonifère, l’Europe était
équatoriale et envahie d’arbres tropicaux hauts d’une
trentaine de mètres. Par places, la phytocénose peut
rappeler celle du Moyen Atlas tant elle comprend des
espèces propres au bioclimat subhumide. C’est quelque peu
surprenant au cœur de l’écosystème à Argania
spinosa et à une
latitude si rapprochée du Sahara, là où l’on enregistre
d’autre part tant d’avancées de la flore tropicale de type
sahélien datant des phases interglaciaires contemporaines
et notamment de la dernière pulsation humide de la fin du
Würm. Plutôt qu’une barrière à effets d’exclusion, le Lekst
apparaît comme un écotone « tampon » agissant en
filtre sélectif simultané, tant au niveau des transfuges
sahariens que de ceux méditerranéens. Un peu plus au
nord-est se dresse le point culminant de cet Anti-Atlas
occidental qui est l’Adrar-Aklim et dont les 2531 m
surplombent l’intéressant village d’Igherm. Mais l’univers
est bien différent et cette fois véritablement aride. Tout
le versant saharien, modérément plissé, est ponctué de
cuvettes abritant de belles oasis.
Sur les pistes du Lekst
Pénétrer dans le Lekst et certaines des montagnes
adjacentes est une petite aventure réalisable à pied ou en
véhicule tout-terrain, grâce à un réseau de sentiers et de
pistes assez bien entretenus. La traversée du Lekst la plus
intéressante se fait depuis le versant nord, par exemple au
départ de Souk-Khemis-des-Ida-ou-Gnidif, par le
Tizi-n-Tagounit et la sublime région de Tanalt, pour
descendre ensuite le versant sud jusqu’à Tafraoute, la
« capitale », ou bien au sud-ouest, par Anezi et
le pittoresque Col de Kerdous. Il y a d’autres variantes,
notamment pédestres, avec bien des possibilités pour
d’agréables bivouacs dans « la beauté des choses ».
Depuis ce pays pittoresque des Ida-ou-Gnidif, de ses
villages et de ses vieilles casbahs en nids d’aigle, il
faut se hisser jusqu’aux premières falaises et défilés
rocheux où l’Arganier n’est plus qu’une des composantes
éparses du paysage. La tendance près des contreforts est
plutôt celle du matorral d’arbrisseaux xérophytes ligneux.
Nous traversons les terrasses presque en abandon du village
d’Aït-Iftene où est conservé un « arboretum »
maraboutique de très vieux Pistachiers de l’Atlas, ponctués
de quelques Chênes verts vétérans rescapés, d’énormes
Caroubiers, de haies de Figuiers de Barbarie envahis par
des lianes d’Aristoloche bétique. Une formation riveraine
à Populus
alba borde l’asif qui
coule en contrebas et la belle écorce blanc grisâtre se
fait argentée au soleil matinal. Du plus haut d’une paroi,
une résurgence se déverse en chute vertigineuse dans un
bassin naturel, rendez-vous de toute une faunule
hygrophile. Il faut poursuivre en direction du
Tizi-n-Tagounit, non sans admirer les marabouts (mausolées)
isolés sur quelques crêtes ou régnants au cœur de
cimetières berbères dont l’abandon n’est que respect. Une
école éloignée de toute habitation interpelle le
voyageur : elle prétend recevoir les enfants de tous
les douars perdus dans ces montagnes. En parlant aux
élèves, on apprend que pour certains d’entre eux, aller en
classe occupe la matinée et rentrer à la maison prend toute
l’après-midi. Et que l’instituteur, arabe de Rabat, ne
parle que très mal leur dialecte chleuh. Difficile
problématique scolaire. Aux abords du hameau d’Anamer,
véritable village de bout du monde, égayé matin et soir par
le chant flûté du bulbul, c’est un paradis vert que génère
l’exposition privilégiée en ressaut des froides falaises
protectrices. Ici, au pied du versant en ubac, fréquenté
par de nombreuses espèces de Reptiles, par le Porc-épic, la
Mangouste ichneumon et des compagnies de Sangliers, se
manifeste une formation broussailleuse très dense du type
maquis épineux, et qu’il est plus rigoureux de nommé
matorral. Il s’agit d’un matorral en brosse et
composée de : Genista
ferox,
Launaea
arborescens, Églantine,
Aubépine, Ronce, Lierre (en rideau sur les roches et
les murets), Orpin, Chèvrefeuille luxuriant trahi par
l’arôme de ses inflorescences ; et dans les trouées :
Ciste, Coronille, Thym, Lavande (trois
espèces dont Lavandula
stoechas
prééminente),
Fenouil, Aristolochia
baetica et
longa,
(cette dernière Aristoloche nettement hygrophile ne
semblait pas connue de l’Anti-Atlas), des pans du rare
Baguenaudier de l’Atlas (Colutea
atlantica) bien loin de
ses habituelles localisations, etc., Ce matorral est
irrégulièrement arboré de Genévriers oxycèdres, de taillis
de Chênes verts, de Caroubiers et d’Amandiers, ainsi que de
vieux Lauriers-roses en ripisylve des ruisseaux. En vertu
d’un probable statut de tolérance séculaire accordé à des
familles juives, cette région était auparavant vouée à la
production de l’alcool de Figue, d’eau de vie (mahia dont
la consommation est formellement interdite en Islam) et de
vin, comme en attestent d’anciennes terrasses occupées par
des cépées de figuiers et des vignes, strate présentement à
l’abandon et où la nature a repris ses droits. Ces
terrasses n’en continuent pas moins à structurer
avantageusement le site, fournissant d’excellentes niches
sciaphiles à bien des espèces exigeantes. La piste frôle
ensuite le Lekst qui dresse toute sa puissance sur notre
gauche et le col est à 1758 m. Avec des jumelles et
beaucoup de patience, il est possible de découvrir au sein
des hautes falaises la Gazelle de Cuvier dont il faut
sauvegarder les quelques dizaines de sujets qui hantent
encore ces montagnes sauvages. Après la traversée d’une
pineraie à Pin d’Alep, la piste franchit quelques villages
peu habités où trônent une série de Chênes verts
ancestraux, non loin des limites de la géonémie méridionale
de l’espèce (région d’Ifni). Encore des témoignages d’un
vieux passé boisé ! Puis la piste rejoint Tanalt,
l’arganeraie de montagne et les palmeraies langoureuses de
la Vallée des Ameln à Tafraoute.
Adossé au nord-ouest du Lekst, le village de Tanalt
surplombe un site tabulaire investi d’oliveraies séculaires
parcourues d’eaux vives. Quelques kilomètres plus au nord,
ce plateau est abrupt et s’achève par une large faille où
coule l’asif, générant une véritable oasis de montagne aux
cultures en terrasses irriguées avec beauté et talent. Non
loin d’ici, sur le versant nord du petit Djebel Imzi, les
« Tropiques » sont accrochées sur les vires et
les sommets des falaises majestueuses dominant l’Asif
Oumaghouz (haut Massa) avec le Dragonnier et le Laurier des
Açores, éléments macaronésiens de très haute valeur. Pour
qui sait évaluer la valeur des choses, cette phytocénose
mérite grandement l’excursion.
Perles de l’écotourisme marocain, la charmante ville de
Tafraoute et son rosaire de hameaux dans un écrin d’oasis
sont cernées d’un cirque chaotique de granite rose dont les
gigantesques pains de sucre aux couleurs chatoyantes sont
du plus bel effet au soleil couchant. Les massifs
d’Euphorbes cactoïdes servent d’habitat à la Couleuvre de
Schokar, au Caméléon et à des ribambelles d’Écureuils de
Gétulie. Dans le bassin de Tafraoute, la célèbre Vallée des
Ameln et son rosaire de villages offrent un havre de paix
incomparable. Les jardins oasiens et leur façon culturale
sont aussi responsables d’un maintien élevé de la qualité
écologique. L’avifaune, l’herpétofaune et l’entomofaune y
règnent en premières lignes. Il ne faut pas négliger de
suivre les nombreuses pistes qui conduisent aux hauts
villages surplombant l’édifice du Lekst, dont le plus
remarquable est censément Anirgi, suspendu au-dessus du
vide et que ne semble retenir qu’un épais manteau de
Figuiers de Barbarie. Les soirs de fêtes, les femmes des
villages des Ameln dansent l'arwach. C’est une danse
collective où un long voile collectif couvre leurs visages
alors qu'elles sont serrées en rang, épaule contre épaule.
D'une beauté inouïe dans les nuits étoilées de
l’Anti-Atlas, cette danse est un magnifique acte théâtral
et chorégraphique emprunt de multiples symboles.
D’autres itinéraires depuis Tafraoute donnent accès à des
temps forts pour le randonneur ou le naturaliste : à
l’ouest, le Col de Kerdous et la région d’Anezi,
remarquable secteur pour la botanique et les Reptiles (site
déjà décrit au chapitre de l’arganeraie), avec la présence
d’espèces endémiques très rares, d’une soixantaine
d’Oiseaux, une mention récente de l’Hyène et la Gazelle de
Cuvier toujours permanente en petit nombre ; plein
sud, la vallée d’Aït-Mansour, de l’autre côté de la
« Sibérie » tel que l’on nomme ici les montagnes
froides de Tlata-Tasrite : un fabuleux voyage tout au
long de palmeraies développées dans des gorges
d’oueds ; vers l’est, au-delà du Tizi-Mlil sur les
hautes terres désolées d’Aït-Abdallah jusqu’à Igherm.
Quelques plantes vasculaires des montagnes du Lekst
AMARYLLIDACEAE :
Dracaeno
draco ajgal (étroitement
localisé aux Djebels Imzi et Adad-Medni)
ANACARDIACEAE :
Pistacia
atlantica
APIACEAE :
Eryngium
tricuspidatum,
Ferula
communis,
Foeniculum
vulgare
APOCYNACEAE :
Nerium
oleander
ARALIACEAE :
Hedera
helix
ARISTOLOCHIACEAE :
Aristolochia
baetica,
A. longa
paucinervis
ASTERACEAE :
Andryala
integrifolia,
Calendula
suffruticosa,
Carthamus
lanatus,
Echinops
spinosus,
Launaea
acanthoclada,
L.
arborescens,
Leucanthemum
gayanum,
Ormenis
eriolepis,
O.
scariosa,
Warionia
saharae
CACTACEAEA :
Opuntia
ficus-indica
CAPPARIDACEAE :
Capparis
spinosa
CAPRIFOLIACEAE :Lonicera
etrusca
CARYOPHYLLACEAE :
Herniaria
glabra,
Paronychia
arabica,
P.
argentea,
P.
kapela
CISTACEAE :
Cistus
creticus,
Fumana
arabica,
Halimium
antiatlanticum
CONVOLVULACEAE :
Convolvulus
trabutianus
CRASSULACEAE :
Sedum
sp.,
Umbilicus
horizontalis
EPHEDRACEAE :
Ephedra
major
EUPHORBIACEAE :
Andrachne
maroccana,
Euphorbia
echinus,
E.
nicaeensis
FABACEAE :
Adenocarpus
anagyrifolius,
Anagyris
foetida,
Anthyllis
tetraphylla,
Astragalus
caprinus,
Colutea
atlantica,
Coronilla
juncea,
C.
ramosissima,
Cytisus
purgans balansae,
Genista
ferox,
G.
scorpius,
G.
tricuspidata,
Hesperolaburnum
platycarpum,
Lupinus
cosentinii,
Medicago
laciniata,
Ononis
spinosa,
Retama
dasycarpa,
R.
monosperma,
Teline
segonnei,
Vicia
lutea
GLOBULARIACEAE :
Globularia
alypum arabica
HYPERICACEAE :
Hypericum
aegypticum
IRIDACEAE :
Romulea sp.
JUNCACEAE :
Luzula
atlantica
LAMIACEAE :
Lavandula
brevidens,
L.
dentata,
L.
mairei,
L.
maroccana,
L.
multifida,
L.
pedunculata,
L.
stoechas,
Nepeta
apulei,
Thymus
broussonetii,
T.
ciliatus,
T.
maroccanus,
T.
saturejoides
LAURACEAE :
Laurus
azorica (étroitement
localisé aux Djebels Imzi et Adad-Medni)
LILIACEAE :
Asparagus
albus,
A.
pastorianus,
Muscari
comosum
OLEACEAE :
Fraxinus
xanthoxyloides,
Olea
maroccana
PALMACEAE :
Chamaerops
humilis
PLUMBAGINACEAE :
Armeria
plantaginea
POACEAEA :
Carex
spp.,
Festuca
hystrix,
Koeleria
splendens
POLYGALACEAE :
Polygala
balansae
POLYGONACEAE :
Polygonum
equisetiforme,
Rumex
bucephalophorus,
R.
papilio,
R.
simpliciflorus,
R.
vesicarius
RHAMNACEAE :
Rhamnus
alaternus,
R.
lycioides,
Zizyphus
lotus
ROSACEAE :
Rosa
canina,
R.
micrantha,
R.
sicula
SCROPHULARIACEAE :
Linaria
aegyptiaca,
L.ventricosa
URICACEAE :
Forskohlea
tenacissima,
Urtica
urens
VALERIANACEAE :
Fedia
cornucopiae
ZYGOPHYLLACEAE :
Fagonia
cretica.
Un aperçu de l’avifaune du Djebel Lekst
Toutes les espèces suivantes sont des nidificatrices
résidentes de cette région (ou quelque peu erratiques, ou
sujettes à des mouvements altitudinaux en fonction des
conditions hivernales et de l'enneigement éventuel) :
Buse féroce (Buteo
rufinus cirtensis), Aigle royal
(Aquila
chrysaetos homeyeri), Aigle de
Bonelli (Hieraeetus
fasciatus fasciatus), Perdrix
gambra (Alectoris
barbara koenigi), Ganga
unibande (Pterocles
orientalis orientalis), Ammomane
isabelline (Ammomanes
deserti payni), Cochevis de
Thekla (Galerida
theklae aguirrei), Troglodyte
mignon (Troglodytes
troglodytes kabylorum), Rouge-queue
de Moussier (Phoenicurus
moussieri), Pie bavarde
(Pica pica
mauritanica), Crave à bec
rouge (Pyrrhocorax
pyrrhocorax barbarus), Grand Corbeau
(Corvus corax
tingitanus), Moineau
soulcie (Petronia
petronia barbara), Bruant zizi
(Emberiza
cirlus), Bruant fou
(Emberiza cia
cia), Bruant
striolé (Emberiza
striolata sahari).
L’Engoulevent à collier roux (Caprimulgus
ruficollis ruficollis), et
l’Hirondelle rousseline (Hirundo
daurica rufula) n’y sont que
des nidificatrices visiteuses d'été.
Les Papillons du Lekst, témoins éloquents
Le monde lépidoptérique de l’Anti-Atlas occidental est
illustré par une association bien particulière.
Contrairement au cortège du Djebel Siroua ou de l’Ayachi,
très consensuels entre le nord et le sud, il n’y a ici une
moindre résonance tant du Moyen Atlas que du plus proche
Haut Atlas. La composition est propre à l’écosystème
montigène à Argania
spinosa, très marquée
par l’endémisme et cette fois nettement influencée par les
espèces franchement érémicoles, aux exceptions près des
quelques méditerranéennes liées aux plantes vestiges se
maintenant dans les réservoirs subhumides du massif
intérieur, fossiles vivants... qui ne datent pas d’hier.
C’est donc un pas en avant par rapports aux deux précédents
écotones.
L’inventaire figurant au chapitre de l’arganeraie est en
partie valide pour le Lekst et nous ne revenons que sur les
espèces fortes et les plus éminemment indicatrices des
paysages naturels de ce djebel attachant et de ses
alentours. La Proserpine des oasis (Zerynthia
rumina tarrieri), réelle
relicte mésophile du temps du Sahara vert, se réfugie au
pied et sur les vires de quelques hautes falaises du Lekst
favorables à ses deux Aristoloches nourricières, ainsi que
dans quelques oasis et vergers (Vallée des Ameln, Col de
Kerdous) où le Papillon, devenu véritable commensal de
l’Homme, fut méconnu jusqu’à nos jours. Très héliophile, on
peut admirer l’adulte tout l’hiver et jusqu’au premier
printemps, émergeant à la faveur des pluies douces et
volant au moindre rayon solaire. Le Voilier blanc
(Iphiclides
feisthamelii) dont la larve
se délecte des feuilles de l’Amandier est dans son pays de
cocagne. Dans les amandaies fleuries ceignant le Lekst, le
spectacle de nuées de mâles planant dès les premiers beaux
jours à la recherche de leurs immenses femelles est
inoubliable. Ces plumes d’anges se mêlent aux blanches
pétales quand un courant d’air décoiffe le verger... Cette
fête de la nature durera tant que les marchands de
pesticides n’auront pas jeté ici leur dévolu. Le
Zébré-de-vert, ou Marbré du désert (Euchloe
falloui), est un
transfuge du Moyen-Orient dont l'aire de répartition se
superpose à celle de du Machaon du désert
(Papilio
saharae). Cette Piéride
dépend exclusivement d'une belle Crucifère érémicole
sauvage (Moricandia
arvensis) et hante les
orées des cultures vivrières et les jardins des palmeraies
des riantes vallées de toute la région de Tafraoute. Il est
souvent infiltré de la plus banale Piéride de la Cléome
(Euchloe
charlonia). L’Aurore de
l’érémial (Anthocharis
belia androgyne) vole en mars
en lisière des formations d’Arganiers, dans le clair-obscur
des allées des palmeraies ou sur les rives des ruisseaux.
C’est l’un des bioindicateurs insignes de la conservation
du sous-bois de l’arganeraie et de la qualité écologique
des friches et des jardins. Indigène exclusif à quelques
localités du Sud-Ouest marocain et rarissime hors du Djebel
Lekst, le délicat Cuivré de l’Atlas (Thersamonia
phoebus), se tient sur
les plages alluvionnaires des oueds temporaires où pousse
la Renouée des Oiseaux, sa plante-hôte, au sein d’une
phytocénose très prolixe en plantes basses. Les mâles
aiment à se chauffer au soleil, immobiles et sublimes,
leurs ailes rouge métallisé grandes ouvertes contrastant
avec le calcaire blanc des ruisseaux secs. C'est une fine
espèce de haute valeur biologique, fort heureusement
cantonnée à cette tranquille région car sa haute fragilité
ne supporterait pas la moindre agression. Le Faux-cuivré
d’Esther (Cigaritis
allardi estherae) est un
subendémique xérophile qui ne vole qu’au sud du Souss et
qui dans le Lekst pourrait être tributaire d’un Ciste
(Cistus
creticus) ou d’un Genêt
épineux comme Genista
ferox. Il se cantonne
aux bas-de-versants des pentes rocheuses et dans les lits
d’oueds fossiles. Il se différencie du Faux-cuivré de
l’Atlas (Moyen Atlas, Plateau central) par des sujets très
caudés. Ce précieux lycène, qui vit en commensal avec des
Fourmis du genre Crematogaster
(mais sans
l’intégration des chenilles au sein de la fourmilière),
peut présenter des pics d’effectifs les années favorables
mais n’être pas repérable les saisons sèches. L’Azuré du
Baguenaudier, ou Azuré de l’Oranie (Iolana
debilitata), le plus grand
des « Petits Bleus », est un fascinant joyau ailé
que la toute récente découverte locale de son arbuste-hôte
permet d’afficher à l’inventaire du Lekst. La raréfaction
(seulement quatre localités marocaines de présence !) de ce
fragile monophage se décline avec l'éradication de sa noble
plante nourricière, Légumineuse arborescente qui ne résiste
pas à la dent chaque fois plus longue de la
« priorité » caprine. Il reste à prier pour le
maintien du Baguenaudier, dont la localisation est très
discrète en ubac d’une paroi du Lekst, fort heureusement
ici très peu parcourue par les Chèvres. De grande
ressemblance superficielle avec l’Azuré lavandin
(Plebeius
martini) des Haut et
Moyen Atlas, l’Azuré de l’Anti-Atlas (Plebeius
antiatlasicus) est un
indigène local de grande rareté et qui ne se manifeste
qu’en fin d'hiver là où se développe le bel
Astragalus
caprinus. Comme cet
Astragale se complaît en marge des petits champs céréaliers
et en berme des routes et des chemins, son maintien est
chaque fois très aléatoire. De nombreuses Zygènes, toutes
inféodées à des Fabacées (Bugrane, Astragale, Coronille,
Ésparcette) et à quelques Panicauts, volant mêlées sur des
aires pentues de végétation rase et ourlées de taillis,
complètent ce tableau. La région du Lekst est connue comme
un paradis pour les amateurs de ces attractifs petits
Hétérocères hétéromorphes.
Des Papillons opportunistes
Vallée des Ida-ou-Gnidiff, mars 1998, quatre à cinq
semaines après la pluie...
Entre les gros blocs chaotiques d’un revers oriental en
ressaut du flanc sud du Lekst, dans les creux les plus
insolés, le très héliophile Faux-cuivré d’Esther
(Cigaritis
allardi estherae), perle rare de
l’arganeraie, était étonnamment très fréquent. A tel point
qu’il « remplissait » en exclusivité sa niche,
excluant presque intégralement ses habituels compagnons de
vol. Ce sublime Lycène dont la chenille est commensale des
Fourmis, ne se manifeste habituellement qu’en dèmes très
chétifs jamais supérieurs à quelques individus repérables.
Il avait sans doute profité cette saison là de paramètres
favorables. Mon label de suivi des sites m’a éloquemment
enseigné que la plupart des Papillons érémicoles estimés
comme rares peuvent occasionnellement abonder, qu’ils sont
parfaitement adaptés aux variations climatiques extrêmes et
que leur dépendance phénologique aux capricieuses
précipitations est absolue. Ce précieux Cigaritis,
ici sous forme de manne sporadique, d’apogée fugace, de
phase pléthorique correspondant à l’estimation rapide d’une
centaine de sujets visibles (au lieu de quelques individus
comme à l’accoutumée), en était un nouveau témoignage.
Quand il ne s’agit pas d’imagos susceptibles de diapause
estivale ou d’espèces « sans risque » dont les œufs
n’éclosent que la saison suivante, l’unique parade de
survie est l’émergence concomitante des imagos et des
pousses fraîches de la plante nourricière. Les œufs
des Cigaritis
éclosent de
suite et les chenilles néonates doivent s’alimenter pour
aborder dix à onze mois de vie (avec l’hécatombe qui va
suivre...). On peut catégoriser ces Papillons des zones
arides et steppiques comme espèces opportunistes
(stratèges-r ; r = taux d’accroissement intrinsèque),
puisque à l’affût des meilleures conditions possibles.
L’opportuniste ne gaspille pas ses efforts dans la
compétition. Quand les conditions sont adverses, il
disparaît. Car en dépit du sens commun,
la nature n’est jamais engagée dans une lutte éternelle et
un animal adapté n’est pas un animal qui se bat bien, mais
un animal qui évite de se battre ! A l’opposé,
quand les paramètres additionnels sont les plus favorables,
un taux d’accroissement exponentiel est déclenché en vue
d’une forte fécondité. D’où tous ces acmés démographiques
comme clés de survie des espèces des régions ingrates. On
pourrait même recourir à l’appellation d’espèces
providentialistes pour ce qui concerne la stratégie
démographique des espèces steppiques et érémicoles. L’autre
type de stratégie, les stratèges-K (la valeur K indiquant
le point d’équilibre entre le potentiel reproductif et la
valence environnementale), est nettement mieux représenté
au nord, même dès le Nord maghrébin (Moyen-Atlas, Rif) où
les espèces ont pour cadre des espaces vitaux stables, aux
conditions écoclimatiques plus constantes. Répartition et
densité sont alors normalisées par la seule compétition et
l’éthologie territoriale.
Les cimetières berbères comme sources de vie
« Les
cimetières sont des champs de
fleurs. »
Yann Moix
Au Maghreb, les cimetières et autres endroits de forte
sacralité et liés au maraboutisme, comme les zaouïas
(confréries), les parcelles attenantes aux sanctuaires et
aux marabouts, ces mausolées-tombeaux abritant le cénotaphe
d’un saint homme (et non pas un saint au sens chrétien du
terme), vénéré pour les bienfaits dispensés, bénéficient
d’un scrupuleux respect. Même si des liens existent,
précisons que l'Islam n'a rien à voir avec les codes, les
rites, la spiritualité et la « religiosité » des
pratiques maraboutiques, maniant le religieux et le
profane. Ce respect ancestral inclut celui de la végétation
et de toute la nature qui s’y rapporte. Ce serait une grave
offense que de piétiner cet univers de belle simplicité et
de pierres levées, parfois noyé sous une généreuse strate
végétative... et survolé de Papillons multicolores, tels
les feux follets des âmes des défunts... C’est ainsi que
bien des plantes, et notamment des arbres, qui sont au bord
de l’extinction par une pression anthrogène exagérée, ne se
rencontrent plus qu’en ces espaces dits maraboutiques. Au
Maroc et quand ils jouissent d’une localisation favorable,
notamment à l’extérieur des bourgades ou dans des hameaux
abandonnés, les vieux cimetières font office de réelles
réserves naturelles et conservent un cortège floristique
absolument vierge de la moindre atteinte. Tout ce qui a été
éradiqué aux alentours et parfois à perte de vue par le
parcours pastoral et d’autres activités usagères devenues
intensives, se maintient dans ce modeste espace jamais
victime de la moindre coupe, du moindre arrachement. Ces
cimetières-herbiers sont même parfois très riches en
Insectes et notamment en Lépidoptères, lorsqu’ils abritent
certaines des plantes-hôtes opportunes. Mais compte-tenu de
leur exiguïté et de l’étiolement génétique que celle-ci
induit, ils ne représentent qu’un havre transitoire et non
une figure conservatoire de longue haleine. Y ont été notés
des localisations de Zerynthia
rumina parfois très
denses (Meknès, El-Ksiba), des associations de plus d’une
dizaine d’espèces de Rhopalocères, notamment pour ce qui
concerne les espèces vernales (çà et là dans tous les Atlas
et notamment dans l’Anti-Atlas du Lekst), la présence de
Zygènes rares (Moyen et Haut Atlas), etc.
Ces cimetières-biotopes sont ainsi de véritables
sanctuaires de la nature où la « mort
protectrice » y est vraiment source de vie.
Ce
n’est pas une première, car il nous souvient un célèbre
entomologiste mêmement spécialiste de chasses fines dans
les allées du Père-Lachaise, cimetière parisien des
célébrités pourtant dépourvu du charme berbère.
Plaidoyer pour les plantes fines
Dans le paysage
agreste des montagnes d’Aït-Baha, de Tafraoute,
d’Aït-Abdallah, d’Igherm, la vie s’écoule paisible...
Les facteurs agressant pour l’équilibre naturel ne se
montrent pas, il n’y a ni industrie polluante, ni tourisme
violent (enfin, à peine...), ni agriculture intensive comme
dans le Souss voisin, ni programmes immobiliers éhontés, ni
même cheptel en nombre incompatible, il n’y a même rien à
déboiser, rien à reboiser... Et les paysannes qui s’en vont
matin et soir, avant et après les ardeurs solaires,
enjouées et souriantes, vêtues de leurs ravissantes tenues
traditionnelles, sont bien belles. On entend leurs
babillages, leurs rires et leurs chants comme un silence
sonore, comme une onde vive jaillissant du rocher. Nous
sommes transportés par le bonheur de vivre des exclues de
l’alphabétisation... On pense à la fille-mère
« libérée » qui, sortant du métro parisien dans
le froid triste du petit matin, doit laisser son bébé à la
crèche pour se soumettre au travail salarié…
Mais à quelle tâche s’adonnent ces paysannes, si loin dans
les arides collines de ce paysage de rêve ? Que
coupent-elles donc du bout de leur faucille, de leur
serpette ? Qu’arrachent-elles donc à l’aide de leur
piochon, de leur binette ? Et que transportent-elles
dans leurs hottes traditionnelles ? Ni plus ni moins
que toutes les plantes fines les plus précieuses du djebel,
reconverties à usage fourrager ! Ni plus ni moins
que
des espèces botaniques en voie d’extinction, des endémismes
locaux très fragiles, des plantes pour lesquelles il serait
judicieux de prendre quelques mesures légitimes pour en
assurer la pérennité et qui, en
pleine phase de floraison, finissent sous la dent du
bétail ! C’est afin de nourrir Vaches et Moutons,
qu’il serait vain de faire pâturer sur un sol où les
plantes herbacées sont trop éparses, qu’un peu à l’instar
des Fourmis qui nourrissent des chenilles dans leur
fourmilière, la gent féminine de l’Anti-Atlas occidental a
le beau rôle d’« épiler » les montagnes.
Empreinte d’une sagacité empirique, elle organise une
razzia quotidienne, méthodique et drastique des plantes les
plus appétables et qui sont souvent les plus rares de la
phytocénose locale. Avec une assiduité quotidienne dans la
collecte, certains habitats sont littéralement scalpés tout
au long du regain de janvier à mai par de charmants
bataillons féminins... de destruction massive.
C’est une inquiétante atteinte au patrimoine biologique
d’une zone sensible et compte tenu des méthodes constatées,
il n’est pas toujours évident que ça puisse
« repousser ». Les observations
ne manquent pas : arrachage systématique de
Moricandia
arvensis en
inflorescences sur plusieurs kilomètres des bermes de la
route d’Aït-Abdallah, (c’est la Crucifère-hôte de la rare
Piéride saharo-arabe Euchloe
falloui, laquelle a
subséquemment disparu du paysage car il s’agit d’une espèce
à faible dédoublement écologique et qui ne butine que la
plante nourricière de sa larve) ; similaire nettoyage
« à blanc étoc » de la « petite
mégaphorbiée » de plantes herbacées, comportant
d’excellentes Légumineuses, du lit de l’Oued Akka près de
sa source (région d’Igherm), entraînant l’exil de tous les
butineurs et des phytophages jusqu’aux faveurs aléatoires
d’une prochaine année pluvieuse ; saccage brutal de
toutes les Coronilles au Tizi-Mlil engendrant la perdition
de la colonie locale de Zygaena
algira ;
arrachage « au peigne fin » d’Astragalus
caprinus des ravins de
Tizi-Tarakatine avec disparition ipso
facto du
fragile Plebeius
antiatlasicus qui en est
tributaire ; etc., liste interminable... Pour ne
parler que de l’incidence au niveau des Lépidoptères qui
nous sont chers, c’est là une des raisons de la grande
instabilité des Papillons dans cette région par ailleurs si
féconde. Les conséquences de ce dérangement intempestif
fait que les colonies ne se maintiennent jamais à la même
place et que ce facteur d’instabilité conjugué aux effets
des années de sécheresse récurrente, débouche fatalement
sur l’extinction des espèces, laquelle extinction n’étant
pas vérifiable objectivement et se devant donc d’être
désignée plus correctement comme une extrême raréfaction.
Il faut comprendre qu’en ces zones de pluies infidèles,
l’irruption spontanée de la moindre plante est suivie d’une
ruée providentielle tant des Insectes nectarivores et de
ses parasites potentiels, que des Herbivores affamés par
l’entremise des habitants riverains. Et l’épanouissement de
la flore paie un lourd tribut à cette consommation
exacerbée. Des bulbes sont aussi extraits à des fins
domestiques, alimentaires et de pharmacopées locales.
Dans le paysage agreste des montagnes d’Aït-Baha, de
Tafraoute, d’Aït-Abdallah, d’Igherm, la vie s’écoule
paisible...