Le Sahara : un désert plein de vie
(Avec la
collaboration de Michel et Élizaveta Aymerich)
« Là
souffle l’Esprit » :
la nature spirituelle
« J’ai
toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable.
On ne voit rien. On n’entend rien.
Et cependant quelque chose rayonne en
silence... »
Antoine de Saint-Exupéry.
« Je me
sentais attiré vers l’Afrique par la nostalgie du désert
ignoré. »
Guy de Maupassant
« Comme
nous allons vers des terres que nous ne connaissons pas,
voici que nous découvrons dans notre cœur de grands espaces
inexplorés. »
Ernest Psichari
« Marche
en avant de toi-même, comme le premier chameau de la
caravane. »
Maxime nomade
« Homme,
il faut savoir se taire pour écouter le chant de l’espace,
qui affirme que la lumière et l’ombre ne parlent
pas. »
Poème touareg
Sculpture du vent, écriture du sable, solitude sonore,
gisement de silence, révélation spontanée, plénitude du
vide, paysage intérieur, source d’effrois et d’épreuves,
...à l’origine était l’inconnu et ce jour est
intemporel..., les clichés surexposés ne manquent
pas pour traduire l’émotion envoûtante de cette terre
de dépouillement, de la soif et de la faim. La tradition
perpétrée veut que le désert trempe les âmes fortes et soit
le cadre privilégié de la contemplation, de la méditation.
Il n’y a pas si longtemps le Sahara n’était qu’une simple
tache blanche sur les cartes, blanche d’une apparente
vacuité, pays tant ouvert qu’impénétrable, horizon lisse
mais cependant imperméable. Mal de sable à pied, mal de mer
à dos de chameau, les aventures les plus romantiques y
inspirent les explorateurs et les chercheurs de trésors
cachés. Les thèmes sahariens se bousculent sous la plume de
mille écrivains « atteints de désert »,
inspirations enrichies par l’oral d’un
patrimoine culturel immatériel endémique aux
peuples Hamites (Touaregs), concept inépuisable et exaltant
induit par la patiente adaptation à l’hostilité
environnante, à la paucité des ressources, titres de gloire
et de noblesse du grand nomadisme aujourd’hui, soudain mis
en joue par l’addiction au consumérisme et la trivialité
d’une civilisation de l’instantané. Desertus,
« abandonné » en latin, fait naître une soif
inextinguible d’inspirations, un irrésistible besoin de
saisir l’insaisissable au pays de l’absolu, là où le soir
« le soleil
éteint tout ». Dans la
mythologie de cet univers porteur de sacré, de cette terre
de salut, chacun trouve sa quête, y entend les prophéties
qu’il souhaite. On s’y retire du monde, on y rencontre Dieu
– mirage permanent - ou l’on s’y rencontre soi-même. A
cette terre de sable et de pierres est confiée la vocation
divine de la révélation, tant islamique que chrétienne.
Mahomet reçoit la parole divine de l'ange Gabriel lors de
séjours au désert, tel Moïse recevant de Yahvé les Dix
Commandements sur le Mont Sinaï. On y prie, on y médite, on
s’y retire dans l’ascétisme. C’est là, sur le désert
christique et porteur de sacré, que le père Charles de
Foucauld poursuivit son épreuve monastique. Bien d’autres
l’ont suivi dans l’expérience trappiste.
« Du vent, du
sable et des étoiles », le
Petit Prince, le chef-d’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry,
n’est-il pas la meilleure fable de cette aventure
métaphysique ?
Une légende arabe prétend qu’à l’origine des temps, la
Terre était un infini jardin paradisiaque peuplé de grands
palmiers providentiels, de jasmins aux senteurs enivrantes
et de rossignols au chant flutté. A cette époque et comme
il se doit en tout paradis, les Hommes étaient loyaux et
justes, si bien que le mot « mensonge » n’avait
pas le moindre sens. Mais un jour, un fameux jour, un homme
ou une femme proféra un humble mensonge, vraiment
insignifiant, mais un mensonge quand même, et le prodige
prit fin. Allah réunit alors les Hommes et leur dit :
« Chaque fois
que vous mentirez, je jetterai un grain de sable sur le
monde » Les Hommes
haussèrent les épaules : « Un grain de
sable ? On ne le verra même
pas ».
Et pourtant, de mensonge en mensonge, petit à petit, le
Sahara s’est formé. Et si l’on parle en ce jour d’une
avancée des déserts, ce n’est peut-être qu’une réponse aux
mille mensonges qui nous gouvernent.
Le sable est toujours très présent dans la réalité des
départs, dans l’imaginaire de ceux qui souhaitent voyager
« pour
vérifier leurs rêves ». Et si on
parle de désert, c’est le sable qui vient à l’esprit alors
que la majorité des déserts de la planète sont de pierre ou
de glace. Comment ne pas être fasciné par le Sahara, cet
océan inanimée, union de l’immense et de l’infime qu’est le
grain de sable ? Et qu’est-ce qu’une oasis sinon une
île dans une mer de sable ?
Sahara indéfinissable
« Parler du
désert, ne serait-ce pas, d’abord, se taire, comme lui,
et lui rendre hommage non de nos vains bavardages mais de
notre silence ? »
Théodore Monod.
Il
est essentiel pour le naturaliste de savoir discriminer le
désert au sens propre et paysage finalement très rare, des
steppes désertiques, les plus fréquentes et
étendues, et dont les
conditions écoclimatiques permettent la résistance
d’espèces adaptées, leur évolution, leur différenciation,
donc l’existence d’une réelle sphère tant floristique que
faunistique. Dans le domaine saharien, cette ségrégation
entre steppe désertique et désert vrai coïncide assez bien
au tracé de l’isohyète 25 mm. Par sa nature vraie, le
désert sensu stricto, est un milieu physique hostile à la
vie et ne peut en aucun cas constituer un centre de
maintien et de dispersion d’espèces. Quand on parle de
désert, notamment saharien, c’est de la steppe désertique
qu’il s’agit, un milieu bien vivant mais où la vie, soumise
à une sélection très sévère, ne se manifeste comme nul part
ailleurs.
Au Maroc et dans ce chapitre, il n’est question que de
steppe désertique (ou érémique) et d’une région saharienne
située au sud des Atlas, là où s’éteint la végétation
méditerranéenne, qui s’étire vaguement de l’embouchure de
l’Oued Drâa jusqu’à Figuig, où les conditions sont assez
rudes avec une hauteur des pluies n’atteignant pas 100
mm, des températures estivales dépassant fréquemment 45 ºC
au milieu du jour, pour, en hiver, descendre à plusieurs
degrés au-dessous de zéro, avec des gelées nocturnes dès
qu’on s’éloigne des bienfaits atlantiques.
Cette très forte amplitude thermique, journalière et
annuelle, caractérise le climat saharien. Ici, toute
culture bour est impossible, sauf sporadiquement dans
certaines dépressions où peuvent s’accumuler les eaux de
pluie, ainsi que dans les zones d’épandage des
oueds.
Le climat désertique est exacerbé par une infidélité des
pluies qui peut
perdurer plusieurs saisons consécutives, par une forte
sécheresse de l’air et du sol entraînant un considérable
déficit hydrique, par des oscillations extrêmes et une
intense insolation. Le biome saharien existe principalement
du fait de l’existence du climat du même nom. Sur tout le
Sahara, ce climat est dans la majeure partie des cas sec et
très chaud, ces deux phénomènes s'expliquant facilement.
L’extrême aridité de ce milieu n’engendre aucune humidité
et ne produit donc pas de nuages qui dans tout autre climat
du globe tiennent un rôle de régulateur thermique en
absorbant une partie de l'énergie calorique du soleil.
Cette absence de nébulosité fait que le soleil tape
directement sur le sol, augmentant encore l’effet de
sécheresse. Seule la température nocturne chutant
considérablement, jusqu’à un léger gel en certaines
périodes, induit au petit jour une rosée vitale à certaines
espèces végétales et animales. La sécheresse est aussi
confortée par la situation géographique proche de la
barrière atlasique qui fait effet de mur contre les vents,
les dépressions et les anticyclones tout autant.
La végétation vivace est diffuse, voire même absente et ce
n’est qu’après la pluie que germent, croissent, fleurissent
et grainent en quelques brèves semaines tout un monde
d’annuelles. Bien des semences peuvent
« attendre » des décennies et jusqu’à un
siècle ! La faible pluviométrie et l’intense
évaporation favorisent en maints endroits l’existence d’une
flore halophile d’espèces supportant l’accumulation de
chlorures et de sulfates. La présence des plantes vivaces
est liée à la réussite d’une longue évolution adaptative
qui leur confère à toutes des traits morphologiques et des
capacités bien particulières. Dans l’univers saharien, les
arbres vrais sont rares et seulement représentés par des
Acacias.
Bien adossée à l’ouest en ressaut de l’Anti-Atlas et à
l’est de celui des Hauts Plateaux, favorisée par l’apport
des cours d’eau descendus des montagnes, une étroite zone
en ruban connaît un sort nettement moins ingrat, c’est la
région des oasis où la moyenne des précipitations annuelles
se situe entre 100 et 200 mm et où l’irrigation est rendue
plus aisée par une très relative abondance phréatique.
C’est loin d’être le désert, et ce n’est pas encore le
Sahara.
Le
Grand Sahara en diagonal
Le Grand Sahara, la plus vaste steppe désertique du monde,
dont le nom vient de l'arabe al-sahara et signifie « désert
» ou « steppe », prend en écharpe le Nord du continent
africain et en représente près d'un quart de la superficie.
Sur plus de huit millions de kilomètres carrés
(équivalant à un continent tel que l’Australie) que se
partagent dix états, de la Mauritanie à la Mer Rouge et de
la Méditerranée au fleuve Niger et au lac Tchad, le Sahara
gagnerait chaque année environ un million d'hectares.
A l’ouest, le Sahara « se jette » dans l’Océan
atlantique. L’érémial ainsi nommé en représente la frange
septentrionale et la zone sahélienne en constitue le
pendant méridional. Ses limites, notamment celles d'ordre
biogéographique, fluctuent constamment sous l'influence de
facteurs climatiques mais aussi et de plus en plus
anthropiques comme le surpâturage et le déboisement.
Alors que le Massif du Hoggar (Algérie) s'élève à
2918 m au Mont Tahat, le point culminant du Sahara est
l'Emi Koussi (3415 m), qui se dresse dans le Tibesti.
La partie occidentale marocaine, beaucoup moins accidentée,
s'élève progressivement depuis la côte atlantique. C’est un
vaste secteur subtabulaire superficiellement constitué d’un
complexe calcaréo-gréseux d’une trentaine de mètres
d’épaisseur dont la formation remonte au Pliocène (Hamada
de la Daoura, du Guir, du Drâa). On y rencontre les
principaux types de la géomorphologie saharienne.
Les regs sont de vastes
étendues tabulaires recouvertes d'éclats de roches
noirâtres que l’active érosion éolienne a dégagé du sol en
emportant les éléments fins. La couleur souvent noire et
luisante de la face exposée des roches surprend. Cette
patine désertique est assurée par une microcouche d’origine
intermédiaire entre le minéral et le biologique puisque ce
sont des oxydes de manganèse dissous en surface lors des
pluies et fixés par des bactéries. On utilise cette
pellicule de vernis pour dater l’époque des gravures
rupestres. Le taux trop bas d’hygrométrie en vigueur de nos
jours ne permet plus la formation de ce type de
patine.
Les hamadas sont des
plateaux pratiquement démunis de sol où affleurent de
vastes dalles rocheuses souvent calcaires ou gréseuses, en
partie couvertes par un reg.
Les ergs sont des massifs
aréneux constitués de divers types de dunes aux dimensions
parfois impressionnantes (jusqu’à 250 m
d’élévation).
Les barkhanes sont de petites
dunes mobiles en formes de croissant et alignées
perpendiculairement à l’axe du vent dominant.
Leur particularité est d'être chantante sous certaines
conditions climatiques, la courbure interne étant de nature
parabolique, elle amplifie aisément le léger son dégagé par
le frottement des grains de silice qui descendent le long
de la pente. Ce sont les « dunes chantantes »
dont la visite « auditive » est très souvent
proposée par les guides sahariens. Ces massifs dunaires,
parfois de grande taille et comme posés sur le reg
tabulaire, offrent un spectacle assez étonnant.
Contrairement à une idée répandue, les ergs, et en général
les dunes qui illustrent un paysage très symbolique du
Sahara, ne couvrent pas plus de 20 % de la surface du
domaine. Le Sahara n’est donc pas un milieu aréneux par
excellence, sauf sur les cartes postales.
Le réseau hydrographique est formé d'oueds, cours d'eau à
alimentation spasmodique, dont certains sont fossiles.
L'écoulement est rarement exoréique (en surface) et le plus
fréquemment endoréique (souterrain) et avec de très longues
périodes d’étiage (interruption). Dans la plupart des cas,
il s’agit d’une hydrographie strictement aréique et l'eau
de pluie s'infiltre sur place.
Les gueltas sont des bassins
naturels, pérennes ou temporaires, accumulant l’eau après
le passage d’une crue ou alimentées par des sources ou un
inféroflux. Certaines, de moins en moins, contiennent des
formes de vie datant du temps du Sahara humide (Poissons,
derniers Crocodiles). Les dépressions au sol salé par
accumulation de chlorures et de sulfates, avec ou sans eau
superficielle, sont
les sebkhas. Les zones
d’épandages des crues succédant aux pluies violentes
sont
les maaders quand elles
surviennent dans les lits d’oueds, ou
les grarats dans les
dépressions où convergent les eaux superficielles.
En raison de la prééminence de son action physique,
le vent est l'une des données fondamentales dans la
morphologie de ce milieu dont il
représente l’agent primordial d’érosion. On estime que sur
l'ensemble du territoire, la force éolienne déplacerait
chaque année entre 60 et 200 millions de tonnes de
poussières en suspension, arrachées aux sols et aux roches,
et de 10 à 20 millions de tonnes de sable. La
désagrégation est forte tant en raison des écarts de
température que de la rareté du substrat végétal. La
dilatation différentielle décompose la roche, surchauffée
elle éclate, mais il s’agit d’une action remarquablement
lente. L’incidence éolienne exerce une action tant
destructrice (érosion) que constructrice (sédimentation)
nettement plus active, notamment sur les zones
continentales recouvertes de formations meubles. Ces
phénomènes sont désignés par les termes respectifs de
déflation, corrasion et attrition. Les modifications qui
interviennent par déflation résultent d’un réel balayage, y
compris des dépressions, et ce jusqu’au niveau
hydrostatique. Les sebkhas en sont un exemple. Lorsque le
vent transporte des particules minérales, elles tendent à
buriner les reliefs lorsqu’ils sont de pierre tendre (effet
d’alvéolisation) ou à polir lorsqu’ils sont de plus forte
densité (poli éolien). Les cailloux à facettes sont ainsi
d’anciennes roches déchaussées sur lesquelles les grains de
quartz projetés ont réduit les aspérités. Les
« Champignons du désert » sont de grosses roches
isolées dont la base la plus éprouvée a été ainsi
surcreusée par les projections. L’usure par effet
différentiel engendre, selon la dureté relative de la
roche, des formes souvent remarquables dans le domaine des
structures ruiniformes. Ce type d’action éolienne est nommé
corrasion. Quant à l’attrition, c’est une action d’usure
par frottement : les grains de sable, usés et roulés,
prennent l’aspect de sphères dépolies dans le cas du
quartz, sont réduits en poussière quand il s’agit de roches
clivables (micas) ou argileuses et alors emportés nettement
plus loin. Le vent effectue ainsi un véritable tri. C’est
ainsi que l’on peut déterminer un sable d’origine éolienne
d’un autre résultant du transport des eaux. Et le vannage
va délaisser sur place les cailloux les plus lourds qui
forment les grandes étendues des regs, d’un aspect souvent
pavé. Les effets de la force éolienne supportée par les
milieux subdésertique et désertique sont ainsi très
diversifiés : déflation directe des substrats meubles
sablo-limoneux, formation de dépressions hydroéoliennes,
figures de transport du sable sous forme d'édifices,
d'accumulation et d’envahissement sableux, figures de
transport dues à la saltation (poches de sable sur les
versants ou ennoyage de petits accidents topographiques),
traînées de déflation, stries de corrosion (sculptures
éoliennes) engendrant des systèmes crêtes-couloirs ou des
traces rectilignes sur roches patinées, griffures
millimétriques à centimétriques jalonnant les surfaces de
sols, vannage de la fraction fine des sables dunaires et
fluviatiles, déchaussement de plantes, etc. Ils remettent
chaque fois en cause les efforts de la lutte contre
l’ensablement tant continental que maritime, laquelle ne
connaît pas de répit puisqu’une remise à vif de zones
stabilisées ne peut être écartée. Résultant pourtant d’une
expérience ancienne (mais souvent aussi empirique), les
stratégies de fixation de dunes par des moyens mécaniques
(quadrillage à l’aide de palmes) et/ou biologiques
(rétablissement d’un couvert végétal autochtone ou d’un
cordon littoral de plantes spécialisées, plantations de
boutures de tamaris, etc.) n’étant dictées que par
l’urgence sont du type curatif (lutte contre l’ensablement
de cultures, de palmeraies, de ksour, réhabilitation
d’infrastructures, intervention de desennoyage des routes)
et s’en prémunir semble dénué de tous fondements.
L’histoire
d’une désertification
C’est au Primaire que la mer pris une première fois
possession de l'actuel Sahara. Puis au Carbonifère, le
mouvement hercynien suscite la surrection de tout le
plateau saharien, provoquant, après le retrait de la mer,
le continental intercalaire formé de grés et de dépôts
lagunaires et représentant un inestimable réservoir d’eau.
Au Crétacé supérieur, la mer inonde de nouveau cette
contrée et les dépôts marins d’argiles et de marnes
procurent une couverture imperméable rendant la nappe
captive. Quand la mer se retire une seconde fois (Crétacé
supérieur), intervient une forte érosion induisant une
nouvelle strate d’accumulation argileuse : c’est le
continental terminal engendrant la nappe phréatique. C’est
ainsi qu’au Sahara entre autres, on dispose de deux types
de réserves aquifères : la nappe alimentée par
l’apport des précipitations contemporaines occasionnelles
et celle moins accessible et fossile du continental
intercalaire où peuvent être stockées des masses
incommensurables d’eau. Comme les deux nappes ne sont pas
respectivement étanches, les eaux de surface et
particulièrement des crues spasmodiques sont susceptibles
d’enrichir autant l’une que l’autre. C’est quand la plus
profonde suralimente la nappe supérieure, suite aux
diaclases (fissures) de la roche, que l’eau vient à jaillir
spontanément (et inutilement !) sous la forme d’un
puits artésien comme celui bien connu de la Source Al-Aati,
au nord d’Erfoud (Tafilalt), dont l’inutilité provient de
sa forte teneur en sel et la dangerosité des conséquences
nuisibles pour les sols ainsi stérilisés.
Les études paléoclimatiques et paléontologiques montrent
que le Sahara a connu une alternance de périodes d'humidité
et de sécheresse.
Entre 10000 et 8000 Av. J.-C., l'eau en
était une composante essentielle et le Sahara accueillait
alors une faune aquatique de Poissons, de Crocodiles, et
d’Hippopotames dans des lacs, et terrestre d’Éléphants, de
Rhinocéros, de Girafes et de Lions au sein d’habitats du
type savane herbeuse. Ce qui ne fut pas le cas d’autres
déserts, tels ceux d’Afrique australe dont l’ancienneté
remonte à quelques dizaines de millions d’années. L’actuel
périmètre de ce jeune désert qu’est le Sahara se mit en
place entre 3000 et 2000 Av. J.-C., à
la suite d'une période d’aridification qui se
poursuit. Le sous-sol
saharien n'est pas dépourvu en richesses minérales et si le
Maroc n’a guère de pétrole qui vaille l’exploitation, il
est l'un des premiers producteurs mondiaux de phosphates.
L'un des plus importants gisements au monde, dont les
réserves sont estimées à 10 milliards de tonnes, est
précisément celui du Sahara marocain. De plus, son sous-sol
renfermait d'autres ressources telles que le fer, le
pétrole, le cuivre, le nickel, l'uranium…
D’innombrables vestiges archéologiques attestent une
présence humaine assez fortement densifiée de 5000
à 2000 Av. J.-C. Occupé par l'Homme dès le
Paléolithique, le Sahara a vu se succéder au Néolithique
plusieurs civilisations, dont les peintures et gravures
rupestres portent encore témoignage : la civilisation dite
des chasseurs ou du bubale (VIe millénaire), celle des
pasteurs à Bovidés (IV-IIIe millénaire) et, vers la fin du
IIe millénaire, celle du Cheval, qui permit aux
Garamantes, Berbères libyens et possibles ancêtres des
Touaregs, d'affirmer leur supériorité par leur cavalerie
équipée de chars et qui servirent dans l’armée d’Hannibal.
Théodore Monod, l’infatigable arpenteur des sables, s’en
réfère dans son célèbre carnet « L’émeraude des
Garamantes ». C’est au cours du Ier millénaire avant
notre ère que la région s'assécha progressivement et, au
IIe siècle Av. J.-C., le Dromadaire fut importé
d'Arabie. Grâce au vaisseau du désert, le trafic caravanier
allait désormais assurer des échanges incessants entre
l'Afrique méditerranéenne et le Soudan (actuel Mali).
Les
régions sahariennes du Maroc
Le Sahara marocain, dont les écosystèmes, la flore et la
faune nous préoccupent ici, s’étend avec quelques 300.000
km2 sur près de la moitié de la superficie du Maroc. Il
convient d’en démarquer le territoire jusqu’au rebord
atlasique s’encartant dans le bioclimat semi-aride,
nonobstant le fait que l’on peut discuter de l’inclusion du
strictement aride dans l’étage de végétation du Maroc
saharien. Pure subjectivité en ce qui concerne des
frontières imaginaires, mais une bonne connaissance des
biocénoses communes nous feraient choisir cette option.
C’est aussi tenter une dichotomie hasardeuse entre la
végétation du biome méditerranéen et celle du domaine
saharien, lesquelles s’interpénètrent évidemment tout au
long de cette marge. Au sud-ouest, le domaine saharien
épouse une ligne allant des localités de La Gouira et de
Guerguarat (région de l’Adrar Souttouf), non loin de
Nouâdhibou à la frontière mauritanienne, en remontant
l’Aguerguer littoral jusqu’au Cap Juby par Dakhla,
Laâyoune, Tarfaya, puis rejoignant l’embouchure du Drâa par
El-Quatia et Tan-Tan jusqu’à la région d’Ifni et la limite
septentrionale saharienne que l’on peut situer aux confins
de l’Oued Assaka. On esquive ici l’essentiel de
l’arganeraie (Souss-Massa) et de ses associations
macaronésiennes, pour la plupart liées à
l’inframéditerranéen, avec pourtant pas mal de résonances
sahariennes puisque partiellement en bioclimat aride
(isohyète 200 mm). Au nord, ses limites approximatives
passent par une ligne allant d’ouest en est de l’Oued
Assaka à Foum-El-Hassan (bassin inférieur du Drâa), Tata,
Agdz (Haut Drâa), Er-Rachidia (Tafilalt), puis épousant le
Sud du Maroc oriental à Boudnib, Bouânane, (Bouârfa) et
Figuig, ville frontalière avec l’Algérie. Dans la seconde
option et côtoyant mieux l’isohyète 200 mm du bioclimat
aride, et non plus strictement la ligne des précipitations
annuelles inférieures à 100 mm du bioclimat saharien au
sens propre, absorbant alors et depuis Tata les djebels
subdésertiques Bani et Sarhro, cette limite septentrionale
peut être étendue jusqu’à Ouarzazate, se prolongeant dans
ce cas par Tinerhir jusqu’à rejoindre le Tafilalt. A
l’ouest, longeant les Hauts Plateaux de l’Oriental à une
latitude bien supérieure à celle correspondant au Djebel
Grouz, l’immixtion de la steppe à Alfa et à Armoise avec
celle, très lâche, à Anabase, rend la disjonction des deux
mondes (méditerranéen et saharien) peu aisée.
Phytocénoses
sous climat saharien
La protéiformie du milieu saharien est la conséquence d’un
jeu complexe de la pluviométrie et de son régime aléatoire,
avec la morphologie du terrain et la lutte inégale de la
flore contre les pressions climatiques, notamment exacerbée
par les affres du vent et les longues périodes de stress
hydrique. L’aridité est un facteur drastique et limitant
pour la vie végétale (et animale). Dans le meilleur des
cas, elle réduit les contrées qui y sont soumises à des
écosystèmes steppiques, parfois maigrement arborés. Peu
doté, ce milieu n’en est pas moins privé de vie. Il s’en
dégage deux figures qui peuvent être catégorisées en formes
extensives que sont les vastes étendues où les biocénoses
sont effectivement soumises à des aléas extrêmes dont la
réduction récurrente de la biomasse est la plus incisive,
et des formes ponctuelles nettement favorisées, d’une
luxuriance très relative mais fortement contrastante et
confinées en des secteurs de quasi-permanence de l’eau, ou
du moins d’un type d’apport hydrique qui peut aussi
résulter de la proximité maritime et de ses bienfaits,
comme la rosée nocturne qui est une véritable pluie
ascensionnelle. Dans les systèmes ponctuels et outre les
sources ou les gueltas dans les lignes de dépression, il
convient d’inclure les agrosystèmes humains du type oasien
où toute la biocénose, y compris la phytocénose, devient
parfaitement commensale.
Au Maroc, la flore saharienne est fortement pénétrée
d’éléments irano-touraniens, notamment Chenopodiacées des
genres Halocnemum,
Hamada,
Noaea
et
Salsola,
d’autres à chorologie saharo-arabe appartenant à de
nombreux genres tels que : Aristida,
Astragalus,
Echiochilon,
Fagonia,
Launaea,
Pituranthos,
etc., hébergeant bien des espèces à affinités
paléotropicales parmi les genres : Acacia,
Argania,
Zygophyllum,
Kalanchoe,
Commelina,
Warionia
saharae (noms
locaux : afezdad,
afessas,
tirnet),
Enteropogon
rupestre,
Oropetium
africanum (ces deux
derniers taxa en limite septentrionale), ainsi que des
Euphorbes cactoïdes.
Certains ergs et de nombreuses étendues graveleuses
ensablées sont l’empire de nappes graminéennes
essentiellement formées par de grandes Poaceae
pastorales et
fixatrices des ergs comme Panicum
turgidum et
Stipagrostis
pungens (nommée
drinn).
A cette végétation psammophile peuvent
s’associer : Calligonum
comosum (Polygonaceae),
Cornulaca
monocantha (Salsolaceae),
des
espèces annuelles de Farsetia
(ud
labiad,
zaazaa,
tissit)
(Brassicaceae),
Fagonia
zilloides (tleha)(Zygophyllaceae)(vallée
du Drâa), puis dans la
zone littorale divers Cyperus.
Les barkhanes ont une capacité de charge nulle et sont
quasiment dépourvues de couvert végétal.
Les formations steppiques et arborées forment des
écorégions que l’on rencontre ça et là dans tout le Sahara
marocain, depuis les confins maroco-mauritaniens jusqu’à
ceux maroco-algériens. Elles sont toujours individualisées
à la faveur de cours d’eau temporaires, de ravenelles
ensablées et de dépressions (grarats) pour les forêts
lâches, se situent sur les regs, les rocailles et les
hamadas pour les steppes. Si ces écosystèmes reçoivent plus
de 150 mm sur la frange nord et dans le nord-est du Sahara,
les précipitations s’effondrent à moins de 50 mm dans le
Sud et ces contrées sont définies par un bioclimat saharien
chaud et tempéré, voire microclimatiquement frais. Les
espèces caractéristiques sont : Acacia
raddiana (amrad,
talha)
et A.
ehrenbergiana (tamat),
Balanites
aegyptiaca,
Capparis
decidua,
Maerua
crassifolia (atil),
Tamarix
articulata (tlaya,
takkawt,
udba).
Dans ces savanes désertiques de l’acaciaie dominée
par Acacia
raddiana, figure
écosystémique la plus commune dans les thalwegs, les oueds
et tous les bas-fonds depuis l’Adrar Souttouf jusqu’au
Djebel Grouz, participent exceptionnellement
Faidherbia
albida (=
Acacia
albida)(confiné au
saharien chaud, notamment au sud du Djebel Ouarkziz, dans
la région d’Assa et dans le secteur d’Amot où il a été
récemment retrouvé par A. Benabid), rarement
Acacia
ehrenbergiana (souvent très
dégradé), Balanites
aegyptiaca (saharien
chaud), et fréquemment Zizyphus
lotus (sedra,
azuggwar,
nbeg),
Calotropis
procera (turja),
Panicum
turgidum (mmu,
rokba,
tigusin),
Maerua
crassifolia,
Caparis
decidua,
Foleyola
billotii, etc.
L’acaciaie à Acacia
ehrenbergiana est plus
localisée et rarement étendue, par exemple à l’ouest du
Djebel Bani (Drâa moyen), dans l’Amoukrouz et l’Adrar
Souttouf. Dans la région du Bas Drâa, tout comme dans
l’Adrar Souttouf, la balanitaie à Balanites
aegyptiaca, souvent
présente en banquettes alluviales, est un petit écosystème
qui se complait aussi dans les zones d’épandages des crues,
sur sol limono-sableux profond. Rhus
tripartita (le Sumac à
trois feuilles, jdari)
qui se rencontre dans certains écosystèmes semi-arides plus
au nord, organise aux confins atlantiques du Sahara
marocain des milieux assez fermés dans les grarats. Les
velléités céréalières qui visent souvent les mêmes
dépressions à sol épais sont une concurrence parfois fatale
(défrichement) au maintien du Sumac à trois
feuilles. Maerua
crassifolia est un arbuste
très prisé par les Gazelles (et les Dromadaires !) que l’on
rencontre habituellement de façon éparse, sauf en quelques
points de l’Adrar Souttouf et du Bas Drâa où il développe
quelques formations qui méritent d’être nommées maeruaie.
Enfin, les mornes étendues caillouteuses des regs, parfois
plus ou moins ensablés, sont investies d’écosystèmes
steppiques pas toujours évidents car parfois très
mosaïqués, où s’illustrent des espèces
d’Aristida,
de Salsola,
Hamada
scoparia,
Nucularia
perrini,
Anvillea
radiata, etc. Ces
formations revêtent une certaine prépondérance quand elles
s’unissent à l’un des écosystèmes à structure arborée
préalablement décrits, induisant alors une biomasse
exceptionnelle pour le domaine saharien.
Sur le littoral de l’Océan atlantique, les précipitations
occultes très appréciables se manifestant sur une étendue
de terre basse à géomorphologie simplifiée, engendrent une
écorégion assez homogène représentée par la steppe et où
dominent des haloxérophytes, par places ponctués par des
arbustes torturés par les vents incessants. Y vivent la
Gazelle dorcas et de nombreux petits Mammifères, côtoyant
une avifaune plus affine à l’écosystème maritime. Cette
frange est discontinue depuis La Gouira jusqu’au Cap
Bojador. Plus au nord et alors quasiment jusqu’à Essaouira
et même Safi, le littoral océanique qui peut sembler tout
aussi saharien pour le visiteur, du moins jusqu’aux confins
de Tiznit, relève en fait de l’inframéditerranéen. Il est
individualisé par une steppe plus arborée qui est celle de
l’arganeraie, où prennent place le Gommier et le Thuya, et
qui se trouve parfaitement identifiée par la végétation
macaronésienne à dominante aphylle et succulente partagée
avec les Iles Canaries. Euphorbia
echinus,
E.
resinifera,
E.
regis-jubae,
Senecio
anteuphorbium,
Zygophyllum
fontanesii, ainsi
que : Asparagus
pastorianus,
Polycarpaea
nivea,
Sonchus
pinnatifidus,
Scilla
latifolia,
Helianthenum
canariense,
Astydamia
canariensis,
Odontospermum
odorum,
Lithospermum
microspermum,
Linaria
sagittata,
Chenolea
canariensis, etc., donnent
ce cachet macaronésien à des sites originaux de cette côte
subsaharienne et de ses embouchures du Drâa, du Massa, du
Souss et du Tennsift.
Les structures phytosociologiques sahariennes
(source : Benabid, 2000) se divisent en associations
arborées et groupements des regs. L’ordre des
Pergulario
Tomentosae-pulicarietalia Crispae enveloppe deux
alliances : Antirrhino
ramosissimae-Zillion macropterae qui réunit les
associations sahariennes septentrionales où
Acacia
raddiana (Mimosaceae)
est prééminent et où se joignent selon les
sites : Pergularia
tomentosa (Asclepiadaceae),
Pulicaria
crispa (Asteraceae),
Antirrhinum
ramosissinum (Scrophulariaceae),
Zilla
macroptera (Brassicaceae),
Rhanterium
adpressum (Ateraceae),
Fagonia
zilloides (Zygophyllaceae),
Zizyphus
lotus (Rhamnaceae),
Retama
sphaerocarpa (Fabaceae).
Quant à l’autre alliance, Acacio
raddianae-Panicion turgidi, elle rassemble
les structures du type savane désertique notées depuis
l’Adrar Souttouf jusqu’au Drâa inférieur, et tient compte
de : Acacia
raddiana (Mimosaceae),
Panicum
turgidum (Poaceae),
Balanites
aegyptiaca (Zygophyllaceae),
Acacia
ehrenbergiana (Mimosaceae),
Foleyola
billotii (Brassicaceae),
Rottboellia
hirsuta (Poaceae),
Maerua
crassifolia (Capparidaceae),
Aristida
pungens (Poaceae).
Le type rencontré sur les rocailles et qui occupe des
surfaces considérables correspond à un seul ordre, celui
de Gymnocarpo
decandris-Atractyletalia et une unique
alliance décrite, celle d’Atractylion
babelii,
avec : Atractylis
babelii (Asteraceae),
Fredolia
aretioides (Anabase ou
Chou-fleur de Bouhamama, dit sellaa)
(Chenopodiaceae),
Fagonia
harpago et
F.
longispina (Zygophyllaceae).
Des
Truffes dans le désert ?
Le jardin planétaire n’est pas avare en surprises, pour peu
que l’on n’ait pas d’idées préconçues. Les amateurs de
Truffes (du Périgord !) seront donc stupéfaits
d’apprendre que des Truffes du genre Tirmania (Tirmania
pinoyi,
T.
nivea,
T.
ovalispora et
T.
africana), localement
connues et confondues sous les noms de terfass
blanc du
Tafilalt ou zoubaïdi, peuvent
être abondantes en périodes favorables sous climats aride
et subsaharien, notamment dans les régions d’Erfoud et de
Rissani (Tafilalt), ainsi que dans le Sud-Est, dans les
secteurs de Figuig, Bouârfa, Tendrara et Aïn-Benimathar
(Hauts Plateaux). On les récolte sous Helianthemum
hirtum, le plus
généralement dès la deuxième semaine du mois de décembre et
jusqu'à la fin du mois de mars.
Survivre au Sahara : mille et une stratégies
d’adaptation
« Être
une plante au Sahara, ce n’est pas une sinécure :
il va falloir se défendre, ruser, trouver des trucs
pour limiter les pertes en eau par évaporation. »
Théodore Monod
« La
plupart des gens trouvent que ce qui leur est arrivé est
incroyable.
Les imbéciles, s'ils savaient ce que l'on sait
faire. »
Anonyme
La Sahara n’ayant pas toujours été un désert, c’est en se
desséchant que la région a contraint certaines espèces à
s'adapter à des conditions extrêmes de chaleur et de
xéricité, d’autres ont pris la tangente et ont cherché
refuge plus au nord ou encore aux confins des régions
tropicales, d’autres encore, moins chanceuses dans la
grande loterie de l’évolution, ont rendu l’âme.
Dans cette immensité aride couverte de sable, de pierres
et, on l'oublie souvent, de vieilles montagnes disséquées
par l'érosion, la ténacité de la nature et la résistance
des Hommes sont les atouts nécessaires à la survie. Le
désert est un environnement très âpre où
le plus modeste avantage apporte une différence
cruciale. L'adaptation
au biome saharien induit un panel de micros
perfectionnements métaboliques qui, pris isolément
n'apportent qu'un mince avantage comparatif, mais qui
perçus dans leur ensemble et conjugués à une modification
du comportement, permettent la survie. De nombreuses
espèces habitant les zones arides ne subsistent qu’à la
faveur de ces types d’adaptations leur permettant de faire
face aux facteurs les plus défavorables, notamment à
l’extrême sécheresse, à la violence des vents chargés de
poussières et de grains de sable. Comme dans tous les
milieux extrêmes, l’adaptation la plus pointue est ici un
passage obligé.
Les espèces devenues vraies déserticoles évoluent dans les
hamadas, les regs et les ergs, au prix de subtils
mécanismes favorisant l'économie de l'eau et permettant une
salutaire régulation de la chaleur. Vivre la nuit ou sous
terre est aussi un excellent mode pour esquiver les
températures excessives. Certains subsistent au moyen de
téguments durs et imperméables, d'autres métabolisent l'eau
contenue dans les plantes consommées. Chez les animaux
terrestres, la déperdition en l’eau se fait par la
respiration, la transpiration et l'excrétion de l'urine.
Nombreux habitants des écosystèmes sahariens rafraîchissent
leurs narines et condensent l'eau qu'elles contiennent
avant d’expulser l’air qu’ils respirent. Les déserticoles
produisent des excréments très concentrés en acide urique
solide et c’est une autre façon d’économiser les pertes
d’eau par voies urinaires et fécales.
Si certains animaux résistent aux fortes chaleurs en vertu
d’une régulation thermique particulière, la vie au fond
d’un terrier représente pour les petites espèces un moyen
quasi universel pour se protéger des ardeurs solaires. Les
cavernes ont toujours été peuplées par des espèces épigées
s’y repliant, notamment par exigences sciaphiles. Les
caractéristiques avantageuses des vies troglodytes,
souterraines ou endogées sont l’obscurité, une atmosphère
plus humide et une amplitude thermique réduite. L'air y
joue le rôle d'isolant thermique, en même temps qu'il est
réchauffé et humidifié par la présence et la respiration
des habitants. Mais comme on y perd l’espace pour se
mouvoir largement, certaines adaptations morphologiques
interviennent et autorisent alors de s’enfouir et de se
déplacer.
Les espèces de
grand gabarit n’ont pas cette faculté fouisseuse et ne
peuvent se soustraire à la rudesse des conditions
ambiantes, mais ils ont développé certaines facultés
physiologiques particulières. Le Dromadaire, nommé vaisseau
du désert, est connu pour sa résistance à la soif, à la
chaleur, à la sous-nutrition protéique. Face aux
contraintes du milieu désertique, il a développé un
ensemble de facultés physiologiques remarquables qui lui
ont conféré sa réputation légendaire. Grâce aux cils longs
et aux muscles de leurs narines susceptibles de s’occulter,
les Dromadaires sont ainsi protégés des vents de sable.
Leur épaisse toison et leurs réserves dorsales de graisse
constituent un écran protecteur à l’encontre des radiations
solaires. Leur température corporelle variable augmentant
le jour et diminuant la nuit leur économise les pertes
d’eau par évaporation, d'autant qu'ils ne transpirent
qu'au-delà de 41°C. Ils ne stockent pas l’eau mais sont
aptes à supporter de fortes déshydratations et s’ils ne
perdent qu’un litre d’eau par jour en urinant, ils peuvent
en des conditions plus drastiques contrôler ce volume en
deçà. Ils ne boivent que pour compenser leurs pertes et
peuvent absorber alors 120 litres d’eau sans risque
d'indigestion hydrique. Un Dromadaire qui a perdu un tiers
ou plus de son poids ne montre aucun signe de fatigue. Des
travaux menés par l'Institut Agronomique et Vétérinaire
Hassan II de Rabat, ont permis de mettre en évidence
d’autres particularités physiologiques témoignant également
de son adaptation à la sous-nutrition minérale. Son taux
élevé de vitamines D3, de dix à quinze fois supérieur que
dans le sang des autres ruminants, contribue à expliquer
une meilleure assimilation du calcium et du phosphore. La
résistance des globules rouges aux déséquilibres osmotiques
permet également de concentrer de fortes quantités de
chlore ou de sodium. D’où la capacité hors normes du
dromadaire à ingérer des fourrages et de l'eau salée sans
que ses fonctions métaboliques en soient affectées. En
résumé, tout se passe comme si son métabolisme était tourné
vers une anticipation des périodes de sous-nutrition
minérale, signant son adaptation à ces périodes de disette
alimentaire par un complexe de mécanismes : augmentation du
pouvoir d'absorption en prévision des pénuries, plus grande
capacité de stockage de certains éléments minéraux, plus
haute tolérance aux électrolytes, et maintien des activités
enzymatiques de base en dépit des situations déficitaires.
Les Gazelles ne sont pas aussi bien nanties mais elles
misent sur le nomadisme pour assouvir leurs besoins,
franchissant aisément de grandes distances aréneuses grâce
à leurs larges sabots et puisant dans les plantes la
majeure partie de l’eau qui vient à manquer en surface.
Quant aux petits Mammifères, pour parer aux chaleurs
torrides, ils se réfugient dans des terriers durant le jour
et ne recherchent leur nourriture que la nuit venue.
Certains ont recours à la somnolence d’une diapause
estivale durant les mois les plus chauds. Ils ne boivent
pas, extrayant l'eau des plantes ou des graines dont ils se
nourrissent. Presque toutes leurs fonctions physiologiques
concourent à l'économie de l'eau et leur urine est
particulièrement concentrée. Les Gerboises et les Gerbilles
se déplacent très rapidement par sauts grâce à leurs pattes
postérieures allongées, tandis que celles antérieures,
courtes et fonctionnelles, servent à mieux creuser dans le
sable. Les oreilles de ces Rongeurs sont fortement
développées et ce caractère évolutif enseigne qu’une
audition améliorée est privilégiée dans le domaine
steppique où il convient de rester aux aguets. Chez le
Lièvre, les larges oreilles irriguées par de nombreux
vaisseaux sanguins contribuent aussi à une régulation
thermique du corps.
Les Oiseaux sont démunis de glandes sudoripares sous leur
peau et c'est leur plumage qui les protège du soleil,
tendant à diminuer les risques de déshydratation. Ils ne
s’adaptent à la vie désertique que par leur comportement,
voire parfois par quelques modifications physiologiques,
mais rarement anatomiques. La majorité se contentent de
l'eau contenue dans leur nourriture mais quelques
granivores se devant de boire, ils restent alors inféodés
aux points d'eau. Les nidificateurs ne peuvent être que de
véritables déserticoles : Corbeau brun, Bouvreuil
githagine, Alouettes, Sirli, Traquets, Gangas, Courvite
isabelle, Outarde houbara. Diurnes pour la plupart, ils se
réfugient pour le repos et la nidification dans les rares
zones dispensatrices d'ombre, les alouettes sous les
buissons, les traquets dans les trous des rochers, unique
stratégie pour éviter l’immédiate cuisson des œufs. Les
championnes de l’adaptation à l’écologie saharienne sont
peut-être les Gangas. La femelle est apte à nicher à même
le sol, en vertu d’une poche abdominale antithermique lui
permettant de rester couchée sur un sol brûlant jusqu’à 70
°C ! Les Gangas peuvent couvrir quotidiennement une
centaine de kilomètres pour aller se désaltérer. Leur
plumage ventral revêt des barbules lisses, démunis des
habituels crochets traditionnels qui, enroulées en spirale,
se déploient dans l'eau et l’absorbent par un jeu
d’extensions capilliformes. De retour au nid, les poussins
tètent le duvet gorgé d'eau
Les Reptiles steppicoles sont également dépourvus de
glandes sudoripares, leur peau presque imperméable limite
les déperditions aqueuses, leur urine est quasiment solide
et leur ration d’élément liquide est satisfaite par leur
seule nourriture. Variable, leur température est induite
par le milieu. Léthargiques par temps froid, les Sauriens
voient leur température interne s’élever au soleil et c’est
leur propre comportement qui régit leur optimum corporel.
Le Fouette-queue stock des réserves graisseuses dans sa
queue afin de subsister durant les périodes de stress
hydrique. La Tortue striée du Sud saharien se rafraîchit
les membres avec sa salive, et son urine, très concentrée,
n’est émise que lorsqu’une source d'eau lui permet de boire
pour compenser sur-le-champ. Certaines espèces s’aménagent
un terrier ou profitent de l’opportunité de crevasses
rocheuses. D’autres, bien adaptées aux ergs, optent pour
l’enfouissement. Face au sable sec et fin, certains
Scinques montrent une morphologie très spécifique :
leurs pattes sont atrophiées et leur corps est oblong. Une
des espèces de Scinque a même totalement perdu ses pattes.
Ces Scincidés évoluent donc en nageant sur le sable, comme
des poissons dans l’eau, d’où le nom populaire de l’un
d’eux : Poisson de sable. Chassant les Insectes à la
surface de leur mer aréneuse, ils se meuvent dans le
substrat sableux et s’immergent à la première alerte. Ces
Scinques, tout comme les Seps, échappent aussi aux ardeurs
solaires en s’enfouissant. La technique de certaines
Vipères des dunes et des lits d’oueds, enfouies et ne
laissant émerger que les cornes ou les yeux, obéit à une
technique similaire. La chaleur n'est pas seulement un
problème pour la vie de l'animal. Dans certaines régions de
milieu désertique, les problèmes concernent le déplacement.
Le sable mouvant des dunes est particulièrement hasardeux,
notamment pour une fuite hâtive. Un simple pas de travers
peut mettre le fuyard en danger. En conséquence, bien des
Geckos des zones arides présentent des franges de poils
garnissant leurs pattes et leurs doigts. Cet équipement
autorise une locomotion sans enlisement dans le sable et
permet ainsi de poursuivre avec une grande agilité les
Insectes qui constituent leurs proies. Une espèce de Gecko
habitant le désert du Namib possède même des pattes palmées
bien qu'il ne marche jamais sur un sol humide et qu'il nage
encore moins.
Les Arthropodes
s’abstiennent de la moindre activité diurne aux heures
chaudes et les espèces sont matinales, vespérales ou
nocturnes. C’est le cas des Fourmis, Termites, Scorpions,
Galéodes, Araignées, Ténébrions, Anthias, etc. Leur
protection primordiale est la cuticule de leur
exosquelette, véritable cuirasse de chitine (polysaccharide
azoté) rendue quasi-imperméable par la sécrétion d'une
matière cireuse. Beaucoup de larves de Lépidoptères mènent
une vie hypogée ou endophyte à l’intérieur des racines, des
bulbes, des stolons et des tiges aériennes. D’autres se
protègent en tissant des fourreaux de soie agglomérant même
parfois leurs excréments et des débris végétaux, fourreaux
fixes ou mobiles. Les fourreaux fixes sont utilisés comme
abris pendant le jour et les larves n’en sortent que
pendant la nuit ou durant les journées calmes où le ciel
est couvert, en quête de leur nourriture. D’autres espèces
tissent des gaines de soie dans le sable, au pied des
plantes nourricières et s’y réfugient les heures chaudes et
ensoleillées.
Dotées
d’adaptations adéquates pour affronter les contraintes
écoclimatiques extrêmes, on peut cataloguer les plantes
déserticoles en trois catégories : les annuelles, les
Cactées et les plantes vivaces. Puisque les annuelles ne
vivent qu'une saison, chaque génération doit produire assez
de graines fécondes pour perpétuer l'espèce. Les graines
dormantes ne germent que lorsque le taux d'humidité est
assez élevé pour favoriser une croissance rapide et
produisent alors une floraison tout aussi surprenante par
sa profusion que par sa fugacité. Les Cactées, dont la
morphologie est une véritable armure pour affronter le
désert, survivent aux longues périodes de sécheresse en
emmagasinant de l'eau dans leurs tissus spongieux. La
plupart des plantes vivaces du désert sont de petits
arbustes ligneux qui perdent leurs feuilles au cours de la
saison la plus sèche.
Le substrat
saharien est constitué de sols minéraux bruts, au mieux peu
évolués (régosol, lithosol, ergs, barkhanes, regs),
ponctués de nappes sodiques, qui résultent d’une érosion
mécanique sans pareil. Sol et air surchauffés, évaporation
intense, pénurie chronique d'eau, vents asséchants,
températures nocturnes très basses, voilà bien des éléments
hostiles, tant l'eau conditionne la vie. La disparition
végétale est ainsi le trait dominant de ce paysage dont
seuls les sols gris de steppe saharienne conservent
néanmoins une modeste phytocénose et même encore quelques
formations forestières, lesquelles ne s’expriment qu’au
prix d’une pugnace adaptation ayant développé des
stratégies de vie en réponse à ces contraintes. Outre leur
nécessaire adaptation aux exigences inhospitalières de
l’aridité, ces plantes doivent aussi accepter des sols très
pauvres en humus mais particulièrement riches en sels
(sulfates, chlorures, etc.). « Vivre
au Sahara, pour une plante, n’est pas à la portée du
premier pissenlit venu : ni le perce-neige, ni
l’ancolie, ni la pivoine ne s’y trouveraient à leur
aise. » (Théodore
Monod).
On nomme éphémérophytes les plantes qui, à la faveur d’une
pluie, bouclent leur cycle en un temps record après que la
graine renfermant l'embryon à l'état de vie latente ait
connu une longue période de dormance. C’est le mode
opportuniste le plus spectaculaire. De la graine à la
graine, en passant par la plante, la fleur et le fruit,
peut ne demander que quelques jours en des conditions
hydriques providentielles ! Le sol du Sahara se
recouvre alors de ces splendides achebs de fleurs aux
couleurs éclatantes. Les cryptophytes, quant à elles,
rassemblent toute leur résilience dans des organes de repos
leur permettant de franchir avec un métabolisme ralenti les
périodes de sécheresse : bulbes, bulbilles, rhizomes.
Ces deux catégories n’offrent aucun type d’apparence
extérieur durant les périodes de stress hydriques et font
coïncider leur phase de vie active (croissance, floraison,
fructification) avec l’opportunité des précipitations. A
l'inverse des autres plantes xérophytes, éphémérophytes et
cryptophytes sont donc apparemment « absentes »
de la steppe désertique en dehors des périodes humides. Les
plantes succulentes (à sève) (aussi désignées sous les
vocables de plantes grasses, charnues ou crassulescentes)
bénéficient d’une autre stratégie : elles stockent
l’eau dans leurs tissus. Ces sclérophytes misent sur
l’économie et les xérophytes sur la résistance à la grande
minéralisation qui est la conséquence d’une l’évaporation
maximale. Les arbres et arbustes de la steppe désertique
optimisent l’eau par un système racinaire démesuré
atteignant les couches humides les plus profondes, réseau
pouvant être kilométrique ! Ils sont équipés de
feuilles à la cuticule épaisse et cirée. Chez certaines
Graminées, c’est la multiplicité des racines qui fait leur
force avec plus de 80 % de la surface de la plante enfouie.
De tels végétaux sont surtout importants dans les ergs dont
ils participent à une relative fixation. La plupart de ces
psammicoles ont la capacité de développer des racines à
partir de chaque élément recouvert par le sable. Il est dès
lors difficile qu’ils soient étouffés totalement. Ils
s’enracinent de nouveau et ouvrent leur chemin vers la
lumière. Le sable porté par le vent s’entasse autour de la
plante, retenu par l’enchevêtrement racinaire. De petits
monticules atteignant parfois plusieurs mètres de diamètre
se forment alors autour de ces plantes, créant des refuges
et un environnement essentiel pour d’autres formes de vies
déserticoles, notamment animales. Il suffit de constater le
nombre de terriers creusés en couronne de ces élévations
aréneuses autour d’une touffe de Graminée ou d’un
ligneux : petits Mammifères, Reptiles, Invertébrés,
tout le monde s’y retrouve. Dans les parties les mieux
abritées d’un erg, certaines plantes peuvent même
s’accrocher à la crête d’une dune. Interviennent aussi des
racines fines et superficielles servant à l’absorption de
l'eau des pluies fugaces ou bien de la rosée. Optimiser
l'absorption de l'eau par l'appareil aérien est un autre
système, très raffiné. Le port cactiforme, ou en
candélabre, est alors privilégié et complété par la
présence d’organes durs et pointus. La vapeur d'eau est
ainsi condensée par les épines (c’est pourquoi il y a des
épines aux Cactus !), puis en partie absorbée à
travers les aréoles (zones situées à la base des épines),
les cannelures des tiges ou les feuilles spécialement
disposées en gouttière ou en rosette. Les épines acérées
sont en fait des feuilles atrophiées. Toute cette structure
pleureuse permet à l'eau collectée de s'écouler le long des
plantes avant que de se perdre au sol et ces végétaux
agissent comme de véritables brumisateurs de la steppe
désertique. La forme en raquette du Figuier de Barbarie est
également tout aussi ingénieuse qu’efficace. Les tiges
vertes des Cactées, recouvertes d'une cuticule épaisse et
caoutchoutée conservant l'eau emmagasinée, sont le siège
d’une photosynthèse nocturne (ouverture des stomates où le
CO pénètre sans perte d'eau). La plupart des plantes
déserticoles ont ainsi l’épiderme protégé par un type de
cire imperméable
Mais la forme la plus performante reste la sphère qui offre
une surface minimale pour un volume maximal et c’est
pourquoi la morphologie en coussin est si répandue dans les
milieux steppiques tant sahariens que montagnards.
L’Anabase ou Chou-fleur de Bouhamama, nommé
sellaa
(Fredolia
aretioides) est le modèle
du genre. Appliquée au sol en coussin très dense, incrustée
de sable, cette drôle de plante est hémisphérique avec une
racine centrale pivotante, noire et excessivement profonde.
Ce végétal champion de l’adaptation la plus opportuniste
est si robuste et apte à la dessiccation externe qu’il
présente l’aspect d’un petit rocher vert grisâtre.
Spectaculaire et partout présent depuis Figuig jusqu’au
Sud-Ouest saharien, il forme parfois des écosystèmes
exclusifs. L’adoption d’un port sphérique n’induit pas
uniquement l’aspect en coussin dru et serré mais peut
revêtir l’élégante forme ouverte d’une touffe de tiges
nombreuses. Ce « travestisme » opportun peut
prêter à confusion et rendre une espèce déserticole
parfaitement méconnaissable par rapport aux normes
habituelles des autres membres de sa famille. Un exemple
déroutant sont les espèces du genre Deverra,
appartenant à la famille des Apiacées (ou Ombellifères) et
qui sommairement ont davantage l’apparence d’une grande
Graminée du type d’un Sparte que d’une Carotte ou d’un
Fenouil. Dans la catégorie des habitus ambigus, on peut
aussi citer les Euphorbes cactoïdes qui pour le néophyte
ressemblent plus à des Cactus qu’à des Euphorbes
habituelles. Les exemples sont innombrables.
Dû à la compétition pour l'obtention de l'eau, les végétaux
sahariens sont généralement bien distancés par un phénomène
d’allopathie. Les racines et les feuilles de certaines
espèces vont jusqu’à produire des toxines qui tuent ou
inhibent la croissance d'autres plantes à proximité. Tout
ce génie de gestion des ressources hydriques pourrait
initier une bénéfique réflexion chez l’Homme. A quelques
pas de ces xérophytes à l’économie redoutable et qui font
du développement durable comme Monsieur Jourdain faisait de
la prose, la première chose que demande le touriste dans
une auberge saharienne est une douche de plusieurs litres
d’eau.
L’Homme n’est pas naturellement adapté au désert et le
Saharien tente par des stratèges comportementaux et
quelques astuces vestimentaires de palier à cette
déficience. Le besoin quotidien d’un humain actif dans le
désert est de l’ordre de dix litres de boisson. Abandonné
sans eau par une chaleur de 40 ou 50 °C, il meurt en
quelques heures, deux journées au mieux. Depuis la
préhistoire, toutes les grandes zones désertiques du globe
sont néanmoins peuplées par un grand éventail de races
humaines. Une peau fortement pigmentée assure une meilleure
protection contre les rayons ultraviolets, mais les
individus de peu de mélanine supportent bien la vie en pays
chauds, il leur suffit d’éviter les risques d’une
exposition trop directe au soleil. Faute d’oasis, le
déplacement reste le stratège suprême. La plupart des
peuplades du désert, telles que les Bédouins d'Arabie et
les Touaregs du Sahara, sont des pasteurs nomades. Leur
marche infatigable est dictée par le besoin de trouver de
nouveaux pâturages et de nouveaux points d’eau pour leurs
troupeaux. Les habitants du Sahara se couvrent le visage
d’un voile ne montrant que les yeux et les membres de
toutes les tribus vivant dans la steppe désertique
s’enroulent un chèche sur la tête pour se protéger du
sable, du soleil et des mouches, motivation physique à
laquelle s’en ajoute d’ailleurs d’autres, d’ordres
politique et religieux, notamment chez les Touaregs. Soit
dit en passant, il n’y a pas de « vrais »
Touaregs au Maroc, tous (300.000) vivent au Niger, en
Algérie, en Tunisie, au Mali, en Libye et au Burkina Faso.
Cette bande d’étoffe de fin coton et assez transparente
puisqu’elle peut aussi faire office de lunettes qu’est
le chèche, doit mesurer au moins trois mètres et se
noue en ruban autour de la tête. Le reste de la tenue
saharienne est constitué de vêtements
« climatisés », c’est-à-dire amples et légers, en
fibre naturelle, telle la gandoura ou la djellaba qui
flottent au vent. Chez les populations sédentarisées dans
des douars, la conception de l’habitat est riche en
enseignement bioclimatique : murs épais en pisé
traditionnel (argile crue et battue) assurant une isolation
naturelle et maintenant une température assez constante,
petites fenêtres privilégiant l’ombre au soleil,
structuration de l’espace favorisant la circulation de
l’air par convection, etc. Selon certains auteurs, le
développement améliorable des habitations de terre aurait
été freiné non pas par des limites technologiques, mais par
une bureaucratie à laquelle ce matériau trop lié au concept
de pauvreté faisait honte. La conception et le lieu
d’installation de la tente nomade sont tout aussi riches
d’enseignement et correspondent à une connaissance fort
judicieuse du milieu et à des techniques opportunes de
survie.
Pour qu’une surmortalité de 15.000 décès par déshydratation
survienne en France durant une canicule très relative d’un
mois d’août 2003, ou que certains touristes inconscients
trouvent une mort subite par insolation dans l’Anti-Atlas
de Tafraoute, il faut vraiment que l’Homme occidental soit
devenu une « race » fragilisée et affaiblie à
force de perte d’identité, de compromissions, de
suréquipements illusoires, de peurs irrationnelles, de
renoncement à la nature et d’une manière générale de
divorce avec les éléments.
Une diversité de biotopes fragiles et fragilisés, des
espèces et des espaces menacés
« Ici
plus qu’ailleurs peut-être l’équilibre naturel est
précaire. »
Yves et
Mauricette Vial
« Parler
de l’Homme dans la nature revient presque aujourd’hui à
parler de l’Homme contre la nature. »
Théodore Monod
Le climat régional du Sahara marocain est parmi les plus
arides avec une dominante océanique qui seule en atténue
les extrêmes. La pluie n'y est pas régulière, et si peu
abondante que la vie biologique ne peut réellement en
dépendre. L'importance de l'alizé maritime boréal est le
facteur le plus déterminant qui induit les caractéristiques
si particulières de ce désert côtier « froid ».
Températures modérées, humidité relative élevée, nébulosité
bienfaitrice et fréquence des vents façonnent les milieux
et les biocénoses locales. Il faut s'enfoncer loin dans les
terres pour retrouver le grand climat saharien avec ses
terribles écarts thermiques et ses écrasantes chaleurs
estivales, comme sur le plateau du Tiris, un peu au
nord-est de l'Adrar Souttouf, où l'on peut passer de 65 ° à
- de 0 °C en quelques heures ! L'oscillation des masses
d'air continentale et maritime qui s'opposent à cette
latitude n'est guère favorable depuis quelques décennies à
une pluviosité, déjà naturellement rare. Sa diminution
progressive a aboutit à la persistance d'un cycle de
sécheresse qui a conditionné une surdésertification réelle
et préoccupante. L'assèchement de ces territoires depuis
trente ans, n'est pas une hérésie, bien que nous soyons en
régime désertique, la sécheresse n'est pas un corollaire
automatique. Le gradient ouest-est qui voit diminuer les
influences modératrices de l'Océan, au fur et à mesure que
l'on s'enfonce dans les terres, témoigne parfaitement de
l'influence de cet assèchement, aisément perceptible sur
les strates arborées et arbustives des steppes arides de la
région. A ces modifications climatiques, dorénavant
exacerbées par le réchauffement global, qui ont déshydraté
au siècle passé des gueltas auparavant généreuses et riches
en Crocodiles, qui ont contraint tant d’espèces à
l’extinction ou à l’exil, l’Homme ne s’est pas gêné pour
« en rajouter ». Chasse intensive condamnant
jusqu’au dernier survivant, avec des regrets pour les
espèces éteintes et des alibis pour celles dont la
persécution se poursuit froidement, pastoralisme désordonné
saccageant des habitats sahariens très sensibles ou
menaçant la quiétude des animaux sauvages, fureur
destructrice de rallyes tout-terrain sillonnant le paysage
hors piste sans le moindre souci de respect et cautionnée
par l’évènementiel toujours récréatif, pression touristique
anarchique condamnant certains secteurs (régions d’Erfoud
et de Zagora entre autres), infrastructures et nouveaux
aménagement démunis de la moindre étude d’impact, actions
et présences militaires peu compatibles avec la fragilité
des écosystèmes, etc., sont quelques exemples du mauvais
traitement infligé aux espaces et aux espèces sahariennes.
Un peu de sang froid !
par Michel
Aymerich
Michel
Aymerich se définit lui-même « comme un
politologue de formation et naturaliste de terrain par
passion ». Il est engagé dans la lutte pour la
sauvegarde de la faune (plus particulièrement de ses
représentants victimes des préjugés) et des écosystèmes
sahariens, notamment ceux du Maroc, pays d'où il est natif.
Fidèle « au temps du rêve » de son
enfance (clin d'oeil aux cultures des aborigènes
d'Australie), il est un des fondateurs et animateurs
du GERES (Groupe d'Études et de Recherches des Écologistes
Sahariens). A travers le GEOS (Groupe d'Étude et
d'Observation pour la Sauvegarde des animaux sauvages et
des écosystèmes), il milite aussi en faveur de
l'émergence d'une nouvelle relation aux autres espèces ne
consistant plus à croire que l'Homme est le
couronnement de la création ou de l'évolution. Selon lui,
il faut admettre que nous sommes une espèce parmi
d'autres qui ont également évolué et que
notre culture, du fait qu'elle a conduit
à l'acquisition d'une capacité inégalée de
nuisance, doit être profondément réformée afin de pouvoir
enfin commencer à s'engager dans une démarche
responsable envers les êtres vivants. Un
rapport nouveau doit être instauré qui nous
permette de nous transformer en espèce généreuse et
responsable, soucieuse de l'existence tant des
autres formes de vie et des écosystèmes que des
cultures restées intégrées à la nature. Il en va
de notre propre survie.
« Tu traiteras
avec les mêmes courtoisies serpents,
scorpions, tarentules et toutes espèces de bêtes nuisibles.
Nuisible, tu l'es toi-même plus que la bête :
est-ce toi-même que tu voudrais punir en elle ?
Laisse-la partir, et tes malices avec
elle. »
Lanza del Vasto.
« Tu crois
pouvoir écraser cette chenille ?Bien, c’est
fait : ce n’était pas difficile.Bien,
maintenant, refais la chenille…»Lanza
del Vasto.
Fort de mon
expérience saharienne du Maroc et animé depuis toujours
pour des raisons philosophiques par le désir légitime de
réconcilier « les sales bêtes » avec leurs
tortionnaires que nous sommes par manque de connaissance et
de rigueur sur nous-mêmes, je propose un dossier des
Arachnides, avec une approche des Scorpions, des Solifuges
et de quelques Araignées de rencontres faciles, ainsi
qu’une approche de quelques Ophidiens du domaine saharien
marocain. Tous animaux respectables et avec lesquels
j’entretiens d’excellentes relations. Cela fait deux mille
ans qu’une partie de l’humanité abhorre pour d’obscures
raisons ces animaux et il me semble qu’avec un peu de
« sang froid » étayé de quelques connaissances,
ce jardin d’un purgatoire inventé pourrait enfin fermer ses
portes. A moins que le Moyen-Âge ne doive se poursuivre,
pour quelques temps encore...
Les Scorpions
« Comme le
scorpion, mon frère,
Tu es comme le scorpion, dans une nuit
d'épouvante.Comme le
moineau, mon frère,Tu es comme
le moineau, dans ses menues
inquiétudes.Comme la
moule, mon frère,Tu es comme
la moule, enfermée et tranquille.Tu es
terrible, mon frère,Comme la
bouche d'un volcan éteint...Et tu n'es
pas un hélas, tu n'es pas cinq,Tu es des
millions !Tu es comme
le mouton, mon frère,Quand le
bourreau habillé de ta peau,Quand le
bourreau lève son bâton,Tu te hâtes
de rentrer dans le troupeauEt tu vas à
l'abattoir en courant, presque
fier...Tu es la
plus drôle des créatures, en somme,Plus drôle
que le poissonQui vit dans
la mer sans savoir la mer.Et s'il y a
tant de misère sur terre,C'est grâce
à toi, mon frère.Si nous
sommes affamés, épuisés,Si nous
sommes écorchés jusqu'au sang?
Pressés comme la grappe pour donner notre
vin,Irai-je
jusqu'à dire que c'est de ta faute
?Non,Mais
tu y es pour beaucoup, mon frère. »
Nazim Hikmet (La plus belle des créatures)
Ainsi donc, ces remarquables vers exaltent t’ils encore de
mauvais sentiments à l’égard du Scorpion, vraiment bien mal
loti dans l’émotionnel collectif, même sous l’instigation
des poètes.
Le Scorpion est probablement la créature la mieux pourvue
pour affronter les affres des zones dites désertiques. Il
supporte des températures plus élevées que les Insectes ou
les Araignées, et a le taux de perte d'eau le plus bas des
animaux de ce milieu.
La famille des Buthidae
est
particulièrement bien représentée au Sahara marocain où la
liste non exhaustive comprend les espèces :
Androctonus
amoreuxi amoreuxi,
A.
aeneas,
A.
australis,
A.
crassicauda,
A.
mauretanicus mauretanicus,
A. m.
bourdonni,
A.
sergenti ;
Buthacus
occidentalis
(faisant partie
du complexe de B.
leptochelys) ;
Butheoloides
(gigantoloides)
aymerichi ;
Buthus
atlantis
parroti,
B.
mariefranceae,
B.
rochati ;
Hottentota
franzwerneri
gentili ;
Microbuthus fagei
maroccanus ;
Orthochirus
innesi.
Androctonus
amoreuxi est une grande
et magnifique espèce aux très belles proportions, de
couleur jaune paille, pouvant atteindre une douzaine de
centimètres. Sa zone de répartition couvre tout le Sahara,
de Ghardaia jusqu’à Niamey, et se retrouve sans
discontinuité du Sénégal jusqu’en Égypte. C’est un animal
répandu dans les zones sablonneuses et les lits d’oueds où
il creuse des galeries assez profondes. Il attend la nuit
tombée, souvent posté à l’entrée de son terrier, les pinces
à l’extérieur, ou bien en se tenant à l’affût à proximité
de sa cachette, qu’une proie passe à sa portée pour se
précipiter sur elle, l’attraper de ses pinces aux mains
renflées, la neutraliser rapidement en la piquant, puis
s’engouffrer aussitôt dans son terrier afin de pouvoir
consommer l’objet de sa capture à l’abri de tous dangers.
Et le Scorpion est perspicace car les dangers ne manquent
pas : un homme ou un enfant malveillant, intimement
persuadé qu’il ne s’agit là que de « mauvaises »
bêtes ne méritant qu’un jet de pierre, un coup de bâton
meurtrier ou un coup de talon vengeur, un chat domestique
aux griffes adroites, un Chat ganté, un Oiseau encore. J’ai
en effet été témoin d’un Cratérope fauve
(Turdoides
fulvus) consommant un
gros Androctonus
amoreuxi adulte. Un
spécimen que je conservais à des fins d’observation
illustre la puissance relative de ce magnifique
représentant de la faune scorpionique. S’étant échappé du
terrarium dont j’avais omis de refermer le couvercle, je
retrouvais mon agile pensionnaire dans le terrarium voisin
où la présence de l’ancien habitant des lieux, un
Androctonus
mauretanicus adulte, n’était
plus attestée que par une pince encore munie de l’avant
bras, de quatre anneaux et du telson. Androctonus
amoreuxi, dont la DL
(dose létale) est évaluée à « seulement » 0.75,
était donc parvenu à vaincre l’espèce considérée comme
potentiellement la plus dangereuse du Maroc (DL50 (mg/kg)
0.31 égale à celle d’A. australis
= 0.32). Il faut
savoir que la DL 50 ou dose létale 50 se mesure par la
quantité de venin, administrée en une seule fois, qui cause
la mort de 50 % des représentants d'un groupe d'animaux
d'essai (généralement des Souris). Certains auteurs se
basant sur sa ressemblance avec Androctonus
australis (les jeunes des
deux espèces sont très affins) commettent à mon avis
l’erreur de considérer sur la base d’un « délit de
faciès » cette espèce comme étant au même titre
qu’Androctonus
australis « redoutable »
(Vial & Vial, 1974). Je prendrai pour élément de preuve
l’expérience suivante.
Trois espèces, trois envenimations scorpioniques
Le 26 août 2000 au Maroc, à Tin-Zoulin (village situé entre
Agdz et Zagora dans le Haut Drâa), j’avais été piqué du
fait d’une maladresse par un très gros Androctonus
amoreuxi adulte. La
conséquence, à mon grand soulagement, ne fut qu’une
paralysie assez complète de l’auriculaire de la main gauche
n’excédant pas une vingtaine d’heures. J’ai ressenti un
engourdissement très résiduel jusqu’à la vingt-quatrième
heure. Je n’ai eu ni fièvre, ni aucun autre désagrément. La
douleur était parfaitement supportable et tenait davantage
des suites d’une anesthésie que d’une douleur proprement
dite. J’ai ensuite photographié mon Scorpion et par
précaution je me suis rendu une heure trente plus tard à
l’hôpital de Zagora. Je craignais de la fièvre ou d’autres
symptômes susceptibles de contrarier la suite de mes
prospections. A l’hôpital, les deux médecins de garde m’ont
affirmé qu’ils recevaient chaque jour une quinzaine de
personnes piquées mais que jamais depuis de longues années
ils n’avaient eu à déplorer le moindre décès. Par contre,
ils relatèrent que dans les environs de Marrakech, il y
aurait des cas létaux occasionnés par des piqûres d’autres
Scorpions. Je suppose qu’il s’agit d’Androctonus
mauretanicus, voir
d’A.
aeneas, sans doute les
seules espèces pouvant impliquer au Maroc des accidents
sérieux. Ils me firent une injection à base de cortisone,
puis je suis reparti de suite, aussi frais qu’un gardon,
poursuivre mon travail de terrain et mes reportages
photographiques.
La seconde envenimation fut plus banale. Fin décembre 2000,
un mois après la première mésaventure, je me faisais piquer
cette fois en France (se faire piquer à domicile est comme
un luxe !), dans les environs de Montpellier, par
un Buthus
occitanus adulte. La
douleur, du moins dans les deux premières heures, m’a
semblé plus intense (toute chose étant relative) que celle
occasionnée au Maroc, bien que parfaitement supportable
puisque je continuais à retourner les pierres et à
photographier. J’ai ressenti quelque chose jusqu’aux
environs de la quatrième heure, puis tout effet a ensuite
disparu. Je me souviens qu’une piqûre de vive à la plage
avait produit sur moi de bien plus désagréables
conséquences, avec une douleur intense et m’empêchant
d’entreprendre quoi que ce soit pendant une bonne
demi-heure.
La troisième envenimation fut occasionnée également par
un Buthidae,
une grande femelle d’Hottentota
franzwerneri gentili
que
j’avais capturée à Agdz, dans la haute vallée du Drâa. Je
conservais ce sujet vivant dans une boîte depuis une bonne
semaine, il n’avait donc pu gaspiller tout le contenu de sa
vésicule à venin. La piqûre fut parfaitement banale, je
ressentis certes l’envenimation, mais elle me parut être
plus indolore que celle du Buthus
occitanus évoqué plus
haut. Alors que j’étais parti à pied en excursion,
continuant mes recherches sous les pierres, tout effet
disparut au bout d’environ deux heures. Beaucoup
d’habitants d’Agdz et de Zagora, où Hottentota
franzwerneri gentili
est
assez répandu, m’ont raconté avoir été piqués par cette
espèce et n’en avoir guère souffert la moindre conséquence.
Ces expériences, les miennes comme celles des personnes
assez nombreuses qui me relatèrent leurs bénignes piqûres,
semblent contredire Vial & Vial dans leur ouvrage
« Sahara milieu vivant » quant à la dangerosité
supposée des espèces Androctonus
amoreuxi et
Hottentota
franzwerneri gentili.
L’expérience empirique souligne aussi le fait que les
couleurs jaune d’A
amoreuxi ou noire
d’H.
franzwerneri ne sont pas des
critères valables d’évaluation de la dangerosité
potentielle. Il va de soi toutefois qu’il faut éviter toute
piqûre ne serait-ce que pour des risques éventuels
d’allergie. Je tiens à préciser que ces piqûres ont toutes
été le fait de maladresses de ma part, jamais l’expression
d’une quelconque agressivité de la part des Scorpions.
Envenimations par Androctonus
australis
et Androctonus
mauretanicus.
Des chiffres contradictoires...
Ces
deux espèces potentiellement dangereuses peuvent
occasionner des décès, notamment chez les jeunes enfants.
Une étude portant en Algérie sur 20.164 cas de piqûres
imputées à Androctonus
austalis pendant une
période allant de 1942 à 1958 a donné les résultats
suivants : 386 décès, soit 1,27 % de décès chez les
adultes (sans précision sur leur âge et leur état de
santé), 3,66 % chez des enfants en âge d’être scolarisés,
7,78 % chez les petits enfants. D’autres études ont donné
des résultats différents. Une étude réalisée à Sfax en
Tunisie de 1967 à 1977, portant sur 29.402 piqûres qui
seraient majoritairement imputables à A.
australis a fourni le
résultat suivant : 136 décès, soit 0,46 %. Un rapport
réalisé à Sidi Bouzid, également en Tunisie, sur une
période de 4 ans (de 1984 à 1987) et portant sur 118.000
piqûres, révèle 450 décès (0,38 %). Concernant
A.
mauretanicus, des auteurs
marocains avancent une létalité globale de 8,2 % variant
selon l’âge et les régions de 0 à 53 %. Toutefois les
chiffres en ma possession n’indiquent pas les tranches
d’âges et les pourcentages correspondants. D’où la
possibilité qu’A.
mauretanicus puisse causer
plus de décès qu’A.
australis,
nonobstant le
fait que la DL50 soit comparable.
Androctonus australis est un
Scorpion à très vaste
répartition puisqu’il peuple l’Afrique (Mauritanie,
Algérie, Tunisie, Libye, Égypte, Tchad, Somalie, Soudan) et
l’Asie (Palestine-Israel, Arabie-saoudite, Yemen, Pakistan,
Inde). Selon Günter Schmidt, elle serait également présente
au Maroc (sans doute la ssp. hector),
mais sans indication de sources, ni des stations dans ce
pays. Rien d’étonnant compte-tenu de la proximité avec les
sites algériens appartenant à la même zone bioclimatique.
Androctonus
mauretanicus est une assez
grande espèce de couleur noire qui peut atteindre 8 cm,
caractérisée par une « queue » (metasoma) très
épaisse, semblable par son aspect à celle
d’Androctonus
australis, une
caractéristique qui associée à des pinces relativement
fines permet généralement d’identifier une espèce
potentiellement dangereuse pour l’Homme (notamment pour les
jeunes enfants, personnes malades et âgées). Bien que très
venimeux (DL 50 = 0.31), ce Scorpion est d’après toutes mes
observations très placide. Si aucun Arachnide ne peut être
considéré en toute rigueur comme « agressif » (un
adjectif que je réserverais à un certain nombre de
représentants de l’espèce humaine), certaines espèces sont
plus excitables que d’autres, c’est-à-dire réagissent plus
nerveusement et rapidement à une menace. Max Vachon en
distinguait deux sous-espèces : celle
nominative Androctonus
mauretanicus mauretanicus et
Androctonus
mauretanicus bourdonni. Bien que Vial
& Vial omettent d’en référer dans leur ouvrage, il
s’agit d’un Scorpion remarquable à la fois du fait de sa
dangerosité potentielle - il est sans doute l’espèce la
plus dangereuse au Maroc (avec Androctonus
aeneas qui lui
ressemble beaucoup) - mais aussi parce que c’est un
magnifique représentant des Buthidae
de
ce pays et de ses zones sahariennes. On peut le trouver
parfois sous une pierre, parfois dans un trou creusé dans
de la terre assez sèche, ou déambulant à l’occasion d’une
nuit chaude à la recherche d’un meilleur substrat, d’eau,
de nourriture ou d’une femelle lorsqu’il s’agit d’un mâle.
Je l’ai appréhendé dans des secteurs variés mais le plus
souvent semi-arides, dans une palmeraie à Zagora, aux
abords des Oueds Assaka et Noun, aux environs de Bou-Jérif,
à l’est de Guelmin (bioclimat aride) ou peu avant Tan-Tan
(même bioclimat aride).
Orthochirus
innesi est un Scorpion
de petite taille qui adulte atteint 3,5 cm. Il est
distribué sur la majeure partie du Sahara. Je l’ai
personnellement contacté au sud de Zagora, à Assa et entre
Assa et Aouinet-Torkoz. Il est également présent dans le
Tafilalt. Il apparaît comme cantonné à des niches de
survie, diffusion résiduelle témoignant d’une ancienne et
plus homogène aire de distribution. Très impassible, même
menacé il tente rarement de piquer. Il présente la
particularité d’avoir la plupart du temps le metasoma
nettement replié sur le dos de l’abdomen. Lorsqu’il se
déplace, cette queue penche tantôt à droite et tantôt à
gauche. Il semblerait qu’il soit tout à fait inoffensif,
bien que son apparence extérieure le rapproche des espèces
potentiellement dangereuses (pinces fines ou assez fines et
queue épaisse). Malheureusement, lorsqu’il est découvert,
il paye de sa vie les préjugés répandus à l’égard des
Scorpions quels qu’ils soient.
Hottentota
franzwerneri gentili,
grande espèce de couleur foncée qui peut atteindre plus de
10 cm, est facile à reconnaître du fait de ses pinces
allongées, de son telson légèrement rougeâtre et, chez les
adultes, de sa queue dotée de nombreux et longs poils
sensoriels. Dans les palmeraies de la Vallée du Drâa, il
est assez commun. C’est un Scorpion ubiquiste qui fréquente
tout aussi bien le Haut Atlas que le littoral atlantique ou
le domaine saharien. Menacé, il peut fuir à toute allure
jusqu’à son refuge, frappant de sa queue l’animal ou
l’Homme qui tente de le saisir. Mais une fois rassuré, j’ai
toujours pu prendre les différents exemplaires sur ma main.
Il suffit de les laisser monter, sans jamais faire pression
sur leur dos. J’ai rencontré de nombreuses personnes qui
ont été piquées par Hottentota
franzwerneri gentili sans
conséquences sérieuses (voir également ma propre
expérience). Toutefois des auteurs marocains rapportent que
des cas de décès auraient eu lieu (O. Toloun, T. Slimani
& A. Boumezzough).
Buheloides
(gigantoloides)
aymerichi
est
une espèce rare de taille moyenne (un peu inférieure à 5
cm), dont on ne connaît pas grand chose. Je l’ai découverte
près de Tinerhir et Philippe Geniez l’a photographié près
de Tan-Tan. La mise à jour ces dernières années de sept
nouvelles espèces du genre Butheoloides
(B.
anniae de la Côte
d’Ivoire, B.
wilsoni du Burkina
Faso, B.
polisi de
l’Éthiopie, B.
hirsiti du Soudan
et B.
charlotteae du
Nigeria, B.
(Butheoloides)
schwendingeri
d’Algérie et
enfin B.
(gigantoloides)
aymerichi
du
Maroc), dont certaines très éloignées des espèces déjà
connues, a non seulement élargi considérablement l’aire de
répartition de ce genre mais permis d’établir un modèle de
répartition périsaharien. A la question posée par Max
Vachon (1950) - comment expliquer la présence de formes
apparentées de part et d’autre du Sahara ? - une
hypothèse a été avancée par W. Lourenço. Le genre
Butheoloides
a
certainement connu une géonémie plus vaste dans des régions
qui se sont desséchées dans un laps de temps relativement
court (quelques milliers d’années) jusqu’à former ce que
nous appelons aujourd’hui le Sahara. La répartition du
genre s’est alors rétrécie et celui-ci s’est retrouvé
confiné dans des régions périphériques où les espèces
composant ce genre pouvaient continuer à survivre tout en
évoluant indépendamment les unes des autres. La découverte
en 2000 de l’espèce Butheoloides
(gigantoloides)
aymerichi
démontre que les
régions présaharienne et saharienne du Maroc recèlent
encore bien des richesses biologiques et notamment relictes
du lointain passé verdoyant. Ne serait-ce qu’à ce titre la
transformation parfaitement imbécile des Scorpions en
porte-clefs vendus à des touristes ignares du respect de la
biodiversité devrait être sanctionnée. Les phobies et
préjugés ne peuvent servir de critères de non-considération
pour telle ou telle « sale bête ». Les
conséquences pour l’équilibre sont les mêmes que l’espèce
soit subjectivement estimée récalcitrante ou sympathique et
les retombées du génocide animal ou végétal sont déjà
démontrées au niveau du devenir humain, dans le concept
d’une qualité de vie libérée de la crise existentielle qui
secoue la plupart des sociétés ayant dominé la nature.
La famille des Scorpionidae
comprend les
plus grandes espèces de Scorpions existantes, parmi les
plus inoffensives aussi, tel
Pandinus
imperator qui peut
atteindre 20 cm. L’unique espèce qui se manifeste au Maroc
est Scorpio
maurus, presque
omniprésent avec un minimum de cinq sous-espèces recensées
sur le territoire marocain sur les dix-neuf que compte
l’espèce sur toute son aire couvrant le Nord de l’Afrique,
la Mauritanie, le Sénégal, le Niger, le Tchad, le Soudan,
l’Érythrée et l’Asie mineure. Une sérieuse révision des
formes géographiques marocaines pourrait amener à quelques
rectifications dans les statuts taxinomiques et contraindre
à l’élévation au rang spécifique de certaines sous-espèces
fortes. Peut-être alors faudra-t-il parler non plus
de Scorpio
maurus comme d’une
entité monospécifique mais comme du complexe de
Scorpio
maurus. C’est un
Scorpion de taille moyenne susceptible d’atteindre 8 cm,
doté de très larges pinces. Le concernant, j’ai parfois lu
des choses surprenantes en parfaite contradiction avec mes
nombreuses expériences liées à des représentants de cette
espèce. A titre d’exemple, je cite la note d’élevage
suivante parfaitement étonnante : « Son attitude
défensive est des plus caractéristique : pinces ouvertes,
queue relevée, haut sur pattes, il essaye de vous faire
peur. Il ne détalera qu'après avoir essayé de vous faire
goutter de son venin. Faites attention, il est très rapide
sur une attaque ! » Rien de comparable quant à mon
expérience. Les dizaines et dizaines de Scorpio
maurus capturés n’ont
jamais tenté de piquer, alors même que je les capturais
sans précaution aucune, après les avoir contraints à sortir
de leur terrier. Dans un livre récent d’une maison
d’édition connue que je feuilletais par curiosité, quelle
ne fut ma stupéfaction en découvrant le titre
tapageur : « L’animal qui peut tuer en sept
secondes » (sept, comme les sept merveilles du monde,
comme les sept nains, comme les sept crétins...). Il est
vrai que même concernant l’espèce la plus dangereuse,
« sept secondes »… se vendent mieux auprès des
esprits abouliques que des explications circonstanciées,
des tableaux de chiffres contradictoires et nuançant les
affirmations simplistes. Et sous ce titre, une prétendue
représentation du « Scorpion du désert »,
illustré par un Androctonus
australis (potentiellement
dangereux) puis par des illustrations en vrac de
Buthus
occitanus (ou d’une espèce
proche) et de deux photos représentant Scorpio
maurus. Ce dernier
tuerait donc en « sept secondes » ? Rien
n’est plus faux ! Pour une personne non allergique (on
peut être allergique aux cacahuètes ou à l’intelligence et
mourir d’une piqûre d’Abeille...), cette espèce peut être
considérée comme largement inoffensive.
Les Scorpions sont-ils « agressifs » ?
Je défends
depuis des années l’opinion, qu’il m’est aisé de démontrer
preuves en main à l’appui et ce à l’encontre de préjugés
assez répandus, que les Scorpions ne sont absolument pas
« agressifs » et ne piquent que dans certaines
conditions, plus précisément quand on leur marche dessus,
qu’on fait pression sur eux, de la main par exemple. Ainsi
n’étais-je évidemment pas surpris d’entendre un habitant
d’un village marocain me raconter l’histoire
suivante : « Je dormais lorsque je ressentis se
mouvoir sur mon corps, sous mes vêtements, quelque chose
que je pensais être un Scorpion. Je frappais alors une
première fois sur l’animal et il me piqua, je refrappais
plusieurs fois et il me repiqua. Je fus piqué en tout trois
fois à différents endroits de mon corps… » Cet
habitant aurait évité l’envenimation scorpionique, qui
certes fut sans gravité, s’il ne s’était pas imaginé à tort
que la présence de ce Scorpion impliquait une volonté de le
piquer. Il convenait tout bonnement de patienter jusqu’à ce
que le Scorpion débouche hors des vêtements où il s’était
glissé par erreur. Ou dans l’hypothèse où le Scorpion
recherchait précisément la température et le substrat
particuliers (un certain taux d’humidité peut-être)
qu’offraient ce corps, il aurait fallu calmement, sans
précipitation et surtout sans frapper, ôter un par un les
vêtements en prenant soin de ne pas exercer de pression sur
l’animal. Dans le cas où ce dernier se serait immobilisé
sous les vêtements, une légère poussée aurait décidé le
Scorpion à se déplacer sans le provoquer à piquer. Une fois
l’attirail vestimentaire retiré - s’il ne s’agissait que
d’une djellaba la chose est aisée – il convenait de
l’inciter à entrer dans un quelconque récipient, voire même
dans le creux de la main, en le poussant doucement derrière
le bas de la queue, mais sans l’agresser en pressant sur le
dos de l’abdomen, ce d’autant qu’un Scorpion de peut piquer
une surface horizontale. Ainsi l’Homme aurait-il pu éviter
simultanément les piqûres suivies d’envenimation et
épargner la vie du Scorpion, prouvant qu’un Homme averti
sait vivre en bonne santé physique et morale, et en paix
avec la nature.
Pour ma part, bien que déconseillant de m’imiter car il m’a
fallu des années d’observation pour apprendre à les
manipuler, je prends dans les mains, je capture avec les
mains et je referme mes mains sur toutes les espèces de
Scorpions présentées ici. Le but n’étant pas une
fanfaronnade comme de mauvaises langues pourraient le
suggérer, mais de prouver la non-agressivité de ces animaux
mal-aimés. Pourquoi vouloir démontrer cela ? Afin de
contribuer à faire comprendre que la nature en tant que
telle n’agresse pas l’Homme, mais que ce sont les femmes et
les hommes des cultures issues de l’agriculture (celles de
la « révolution » néolithique) qui l’agressent
avec pour résultat non seulement la sixième grande
extinction d’espèces (mais la première strictement
occasionnée par les errances du comportement humain), mais
aussi avec pour résultat la séparation artificielle de
l’Homme en âme et corps, en Homme et animal, en Homme
civilisé et sauvage ou barbare, des guerres incessantes, la
malnutrition à grande échelle, la pollution chimique et
autres de la biosphère, la raréfaction de l’eau potable
manquant à des centaines de millions d’habitants, le
désarroi, le pessimisme quant à l’avenir, etc.
L’Homme peut et doit se ressourcer auprès de la nature, la
nature véritable. Pas celle des seuls petits Oiseaux qui
chantent et des Moutons dans les pâturages ou de la nature
stérilisée des gazons ras voleurs d’eau si précieuse, et
encore moins celle des jardins géométriques à la française.
Mais la nature sauvage qui « décide » elle-même
de ce qui peut exister et comment. Les premiers Scorpions,
animaux marins à l’époque, sont apparus au Silurien il y a
400 millions d’années, les Scorpions terrestres 50 millions
d’années plus tard. Ils existaient donc bien avant
l’apparition de l’Homo
sapiens, bien avant
celle des Hominidés et des Mammifères en général. Ils ont
fait la preuve de leur capacité à traverser les âges, c’est
une des raisons qui forcent au respect et à reconsidérer
l’ensemble de notre rapport à la nature sauvage. Un rapport
qui doit être à l’opposé de ce que reflètent ces quelques
lignes trouvées sur un site internet déplorable :
« Les Scorpions... On en a « chassé »
quelques-uns sous les Arganiers. Méthode : soulever les
pierres plates (de la forme d'un gros pain), saisir la bête
avec une pince, tremper l'Arachnide détesté dans de
l'alcool à 90° et attendre cinq minutes qu'il crève. Fermer
le pot et aller faire peur aux copains. » Ce qui
précède est une manifestation du résultat désastreux dont
nous avons hérité après plusieurs milliers d’années de
développement d’un processus nuisible que Théodore Monod
expliquait avec les mots suivants. L’Homme
« va sauter en
dehors du dispositif naturel auquel hier encore il
appartenait et auquel le maintenait lié un pacte
magico-rituel. Il va pouvoir dès lors intervenir de
l’extérieur, dans le sens que l’on devine, libéré de tout
scrupule et avec des moyens matériels sans cesse
perfectionnés (...)
A ce rythme,
la prédation est devenue destruction, la Raubwirtschaft,
l’ « économie de proie », peut enfin se
donner libre cours, le divorce entre l’Homme et sa
biocénose est acquis, celui qui obéissait désormais
commande ; la nature pour lui est une proie à saccager
plus qu’un capital à ménager. »
Il reste pourtant l’argument des accidents, dont certains
mortels, occasionnés par certaines espèces. A cela je
réponds, certes il y a des accidents, mais ils sont avant
toute chose le fait de la misère et de l’ignorance,
c’est-à-dire un fait économique et social, donc un fait
politique dans la mesure où le politique n’est qu’un
concentré de l’économique. En d’autres termes des Hommes
portent la responsabilité de la misère d’autres Hommes et
le « scorpionisme » ou la nature en général ont
bon dos. Que chacun puisse porter des chaussures et soit en
mesure de comprendre qu’il n’est pas recommandé de marcher
pieds nus une nuit chaude d’été, ou encore que les femmes
ne soient pas contraintes par la misère à ramasser du bois
mort, faute de pouvoir se payer du gaz, et alors beaucoup
d’accidents seront évités. Par ailleurs si certains se
préoccupent tant d’éviter les accidents, alors qu’ils
s’attaquent à ceux occasionnés par d’autres facteurs que la
seule « nature » dont l’humanité a besoin comme
une plante son sol nourricier. Elle en a aussi besoin ne
serait-ce que pour ne pas risquer de se retrouver seule
face à elle-même. Rien que les
accidents de la route au Maroc ont en vingt ans fait
1.200.439 victimes, dont 60.878 morts ! « En
2002, il y a eu 52.137 accidents sur les routes marocaines,
ce qui représente une hausse de 308 % ; 3761 personnes sont
décédées et 81.465 ont été blessées. 73 % des accidents se
sont produits dans des villes, mais 66 % des décès sont
intervenus à la suite d'accidents en rase campagne. 49 %
des véhicules impliqués dans des accidents de la
circulation étaient âgés de plus de 10 ans »,
précise La Vie Économique du 18 juillet 2003. Ne
peut-on pas penser qu’après Auschwitz et les massacres à la
machette du Rwanda, un des problèmes fondamentaux de notre
époque désenchantée et obnubilée par le fétichisme
techniciste est le rapport de l’Homme à l’Homme perdant
tout repère existentiel dans un tête à tête
désespérant ?
Les Amblypyges
Ces Arachnides étonnants, semblant sortis tout droit des
fonds marins, présentent des caractéristiques les unes
propres aux Scorpions, les autres aux Araignées et à
d'autres groupes d'Arachnides. Ils ressemblent par
ailleurs assez aux Uropyges absents du continent
africain (à l'exception d'une espèce
importée). Les Amblypyges possèdent huit yeux et
un corps très aplati à abdomen segmenté. Leur première
paire de pattes extrêmement fines et à la taille démesurée
leur sert à appréhender le monde environnant en tâtonnant
et en tapotant. Ils déambulent alors à l’aide de leurs six
pattes restantes. Leurs pédipalpes sont quant à eux très
épineux, ce qui leur sert à saisir et percer leurs proies
avant de pouvoir les déchiqueter avec leurs chélicères. Peu
nombreux en Afrique du Nord et au Sahara en raison de leurs
besoins hygrométriques élevés, une espèce au moins témoigne
par son existence relictuelle d’une répartition passée
considérablement plus importante, alors que le Sahara était
une vaste contrée bien arrosée. Il s’agit de
Musicodamon
atlanteus qu’on retrouve
au Maroc, notamment à Agdz et à Tata.
Les Solifuges
Voici un autre animal « parfaitement adapté à son
milieu », comme on dit ! Observation sotte :
comment en serait-il autrement ? Les Solifuges
(littéralement « qui fuient le soleil »)
appartiennent à un groupe particulier, s'apparentant à la
fois aux Araignées et aux Scorpions. La preuve, les
habitants - fins taxinomistes - le nomment tout à la fois
« Scorpion du vent » ou « Araignée du
désert » ! Les espèces de cet ordre ressemblent à
de grandes Araignées velues et peuvent mesurer une dizaine
de cm. Elles se distinguent notamment des Araignées par une
série de caractères morphologiques : un abdomen
segmenté un peu à la manière des Scorpions, deux pinces
énormes juxtaposées qui leur permettent de perforer leurs
proies, voire de les dilacérer. Ces chélicères améliorés et
dirigés vers l’avant peuvent en outre fonctionner
séparément l’un de l’autre. Ils sont couverts de longs
poils sensoriels disposés ici et là sur toute la surface de
leur corps, ce qui leur confère un aspect hérissé. Les
pédipalpes très développés servent aussi à la locomotion et
donnent aux solifuges l’apparence d’avoir dix pattes au
lieu des huit, caractéristique des Arachnides
comparativement aux Insectes qui n’en possèdent que six. Il
existe plus de six cent espèces peuplant les steppes
désertiques chaudes du monde.
Le Maroc est riche d’au moins vingt sept espèces de
solifuges, répartis en cinq familles et plus de dix genres.
La famille des Dasiidae
concerne les
genres Biton,
Bossia
et
Blossiola
avec
un total de six espèces ; celle des
Karschiidae
ne
comprend que quatre espèces dans le seul genre
Eusimonia ;
celle des Rhagodidae
rassemble deux
genres monospécifiques, Rhagodes
et
Rhagodira ;
la famille Solpugidae
est
riche de quatre espèces rattachées à deux genres qui
sont Oparbella
et
Solpuga ;
et enfin la famille des Galeodidae,
qui renferme les galéodes les plus connues : il s’agit
de Galeodibus
olivieri et
Othoes
saharae.
Les Solifuges ne vivent que dans des habitats très
dénudés, évitant les zones d'activités intenses comme les
oasis, préférant les espaces ouverts et vides des steppes
sahariennes. Très sédentaires, ils se tiennent la plupart
du temps dans leur trou, lequel est parfois très profond.
Lorsque la faim les tenaille, ils émergent à la nuit
tombée, se transformant alors en redoutables prédateurs.
Leurs proies peuvent être - toutes proportions gardées - de
grande taille et s’il arrive que de grands sujets
s’attaquent à de petits Lézards et même à des
Micromammifères, leur prédation habituelle ne semble se
diriger qu’à l’endroit d’Insectes divers et de Scorpions.
L’animal localise sa victime au hasard de son itinéraire.
Apte à des accélérations foudroyantes, il fonce alors sur
sa proie à une vitesse déroutante, l'agrippe avec ses deux
longs pédipalpes, organes de préhension, et la victime est
aussitôt happée par les chélicères qui malaxent et broient
son corps pour en extraire toute la substance liquide. Au
bout d'une minute, une grosse Sauterelle est ainsi
transformée en un méconnaissable petit paquet de pulpe. La
Galéode n’est qu’une déchiqueteuse sur pattes, qui ingère
jusqu’aux limites de ses capacités. Circulant comme un
éclair, notamment lorsqu’elle se sent menacée, l’œil humain
ne peut la suivre. Mais ce métabolisme élevé a un prix :
les Solifuges vivent rarement plus d'une saison. Selon une
fausse croyance, un Solifuge pris dans une chevelure
humaine ne serait capable de se libérer qu’en cisaillant
les cheveux avec ses chélicères. Dans certains pays
d’Afrique, on le surnomme « coupeur de
cheveux » !
On rencontre au Maroc quelques espèces impressionnantes,
telle que Galeodibus
olivieri , dont la fatale
réputation est d’être très dangereuse, sinon mortelle. Bien
qu’impressionnante par sa grande taille au stade adulte,
dotée de chélicères spectaculaires mais dépourvus de
glandes à venin, cette galéode comme les autres ne présente
pas le moindre risque pour l’espèce humaine. Il se peut que
la croyance en sa dangerosité provienne tout simplement
d’un préjugé. Une personne mordue peut évidemment
s’infecter avec un instrument coupant utilisé pour extraire
un venin inexistant et, panique aidant, l’effet désastreux
peut avoir des conséquences fatales. C’est ainsi qu’entre
méconnaissance et croyance, la rumeur entretient la
légende. L’habitude des riverains du Sahara de conjurer les
« Scorpions du vent » est en tout cas de leur
planter un canif dans le ventre.
Les Araignées
Les Araignées sont parvenues à coloniser tous les déserts
et leur effectif est proportionnel à la taille des
populations d'Insectes qui représentent leurs ressources
trophiques. Dans le milieu saharien, peu d’entre-elles
tissent des toiles pour attraper les Insectes ailés et la
plupart capturent leurs proies au sol. Les Lycoses et les
Mygalomorphes sont les plus emblématiques. La plupart de
ces Araignées, munies du corps robuste caractéristique d'un
animal fouisseur, habite un nid souterrain. Celles vivant à
la surface sont plus petites et plus légères. Les
Araneidae,
Eresidae,
Dysderidae,
Philistatidae,
Salticidae,
Sparassidae,
Therididae,
etc. sont bien représentées au Sahara marocain. En voici
quelques-unes pour se familiariser.
L’Argiope lobée (Argiope
lobata) est une
Araneidae
présente dans
les milieux secs du Sud de la France et qui se retrouve le
long de la côte Atlantique. Je l’ai trouvée non loin de
l’Oued Drâa au nord de Tan-Tan ainsi qu’au bord de l’Oued
Cheibeika.
Eusparassus
dufouri est une grande
Araignée de la famille des Sparassidae,
dotée de longues pattes et qui s’abrite sous les grosses
pierres des biotopes arides, paysages d’apparence martienne
où l’on imagine difficilement que la vie puisse exister sur
le modèle terrien ! Il suffit alors de retourner une
pierre pour la découvrir. Affolée d’être ainsi exposée aux
rayons brûlants du soleil, elle tourne autour de sa pierre
avec agilité, s’efforçant de retrouver un abri et de se
protéger. Si on tente de la capturer, elle peut effectuer
des bonds d’une trentaine de centimètres, se déplacer à
reculons ou latéralement et s’enfuir à une telle vitesse
qu’il faut courir derrière elle pour ne pas la perdre. Bien
que sa taille puisse intimider les esprits impressionnables
et que localement les habitants la craignent, cette espèce
n’est pas dangereuse.
Dans la famille notoire des Therididae,
la Veuve noire, Latrodectus
tredecimguttatus, parfois encore
considérée par certains comme une sous-espèce de
Latrodectus
mactans, appartient à
un genre mythique dont les espèces sont réparties sur tous
les continents (Amérique du nord au sud, Europe
méridionale, Asie, Afrique, Australie). Au Maroc, elle a
été contactée au sud jusqu’à Dakhla. La femelle se tient la
tête en bas, c’est-à-dire le céphalothorax et l’abdomen
orientés vers le sol, vit dans des anfractuosités de
rochers, sous des pierres, à la base de buissons où elle
construit une toile en forme d’échafaudage mais sans nappe
horizontale, avec des fils tendus au sol. Elle est capable
de capturer des proies disproportionnées avec sa petite
taille. J’ai ainsi pu trouver une femelle protégeant ses
cocons qui avait capturé et vidé de sa substance un
relativement gros Scorpion du genre Buthus.
Elle y parvient forte de sa position sous une pierre,
laquelle laisse peu de possibilités de retraite à sa proie,
et grâce aux fils très collants et solides qu’elle envoie
et à son venin actif. Un venin qu’elle n’emploie que
lorsqu’elle s’est assurée que sa victime est bien empêtrée
dans les nombreux fils envoyés. Cette espèce est considérée
comme possédant un venin dangereux, pour les petits enfants
notamment. Je n’ai pas de chiffres concernant la région
considérée, mais des statistiques américaines établissent
que sur une période de vingt sept ans,
« seulement » quatre pour cent des morsures ont
été suivis d’une issue mortelle. Ce pourcentage est
probablement exagéré car de nombreuses morsures n’ayant pas
entraîné la mort n’ont pas été recensées. Néanmoins, le
seul fait qu’une Araignée de petite taille puisse provoquer
la mort ne serait-ce que d’un enfant peut frapper
l’imagination. C’est sans doute l’une des raisons de la
croyance non fondée que les Mygales, qui peuvent être
énormes en comparaison d’une Latrodectus,
sont
très dangereuses. Bien qu’il soit douteux que les
Latrodectus
sahariennes
puissent tuer qui que ce soit, leurs morsures ont pu
entraîner de tels désagréments que de bien plus gros
Arachnides (Lycosidae,
Sparasidae
et
Solifugidae)
sont perçus comme mortels. Ironiquement, alors que je
montrais quelques « Veuves noires » à des
habitants d’Agadir, ils me répondirent : « Mais
non, ça fait rien ça ! » Car « ça »
était petit et insignifiant, rien de comparable avec les
Solifuges effrayants mais… dépourvus de venin. Chez
les Latrodectus
seules les
femelles peuvent provoquer des accidents, les mâles
beaucoup plus petits sont tout à fait inoffensifs. Les
nombreuses « Veuves noires » du Maroc ou de
France que j’ai pu observer n’ont jamais montré
d’agressivité, surtout si on entend par-là un comportement
agressant et l’Araignée attaquant un doigt situé à quelques
centimètres ou moins. J’ai d’ailleurs pu les manipuler à
plusieurs reprises sans me faire mordre, chose que je ne
recommande toutefois pas, ne serait-ce que parce qu’un
mauvais geste d’un manipulateur inexpérimenté est toujours
possible. Les accidents sont produits, par exemple,
lorsqu’en enfilant un pantalon ou une chemise, l’Araignée
s’étant aventurée dans un vêtement, cette dernière se
trouve pressée contre la peau et mord pour éviter
l’écrasement. J’ai vu plus une fois un berger dormant à
même le sol l’après-midi, alors que sous les pierres
environnantes de nombreuses Veuves s’y trouvaient. Chose
qu’il ignorait manifestement. Mais il n’avait en effet rien
à craindre, les Araignées à ces heures-ci ne sortent jamais
de leurs cachettes. Le même Homme se trouvait par contre
certainement en danger réel lorsque prenant son vélo, sa
mobylette ou encore sa voiture, il parcourait les routes de
la région. Un apparent paradoxe qui en dit long sur la
perception complètement erronée qui sévit dans les esprits
apeurés face à la nature, mais obnubilés par la technique
malgré les ravages en vies humaines qu’elle peut provoquer.
Les
Serpents
Ils ne laissent personne indifférents. Si dans la Genèse et
les trois grands monothéismes (judaïsme, christianisme et
islam), le Serpent est d’une essence diabolique, il n’en
est pas de même dans toutes les cultures et n’en a point
été ainsi de tous temps. Au contraire. Chez les Chaldéens,
il n’y avait qu’un seul mot pour dire vie et Serpent. En
arabe, le mot el-hayyah désigne le Serpent et le mot
el-hayat la vie. El-Hay était un dieu, « le
vivifiant », c’est-à-dire celui qui donne la vie ou
est à la base même de celle-ci. Avant d’être détrôné et
diabolisé par les religions monothéistes, le Serpent était
un dieu ancien, originel que l’on retrouve dans maintes
cultures.
Néanmoins, le mythe diabolique du Serpent s’est imposé, il
persiste et a même traversé en Occident le siècle des
Lumières pour continuer pernicieusement, pareillement à la
ville et dans les esprits que dans la ruralité et sur le
terrain, à menacer constamment l'équilibre de la
« création ». Il semble que cette aversion
vindicative témoigne d’une altération des fonctions
intellectuelles (psychose) et d’un rapport honteux à une
sexualité mal vécue qui n’aura de cesse tant que les femmes
et les hommes ne se délivreront pas définitivement de leur
complexe d’être des animaux qui dans leur spécificité
humaine demeurent essentiellement égaux aux autres.
L’ordre des Ophidiens, ou Serpents, est représenté au Maroc
saharien par vingt espèces réparties dans quatre familles.
Leptotyphlops
macrorhyncus ou Couleuvre
vermiforme est un Serpent fouisseur de la famille
des Leptotyphlopidae
qui
n’a été recensé que dans quelques stations septentrionales
du Sahara (moyenne Vallée du Drâa) et semble absent du
Sahara marocain, bien que sa présence soit certaine en
Mauritanie. Parfois stupidement appelé « Serpent
minute », bien que parfaitement inoffensif, il
présente un habitus vermiforme, à l’instar des Amphisbènes
du genre Blanus,
avec une coloration uniforme brune ou rose pâle, des
écailles dorsales et ventrales lisses et brillantes, et une
queue courte aussi grosse que la tête. Il vit dans les
zones arides et semi-arides, fréquentant les éboulis
rocheux et se nourrissant principalement de larves de
Fourmis. Il est le Serpent le plus petit de la zone
considérée, sa longueur maximale ne dépassant pas les 30
cm.
La famille des Colubridae
dénombre
plusieurs espèces sahariennes : la Couleuvre fer-à
-cheval (Coluber
Hippocrepis), la Couleuvre
algire (Coluber
algirus intermedius),
la
Couleuvre à diadème du Maghreb (Spalerosophis
dolichospilus), la Couleuvre
à diadème de Clifford (Spalerosophis diadema), la Couleuvre
à capuchon (Macroprotodon
cucullatus cucullatus), le
Serpent-chat d’Afrique du Nord (Telescopus
dhara obtusus), la Couleuvre
fouisseuse à diadème (Lytorhynchus
diadema diadema ), la Couleuvre
commune d’Afrique (Lamprophis
fuliginosus fuliginosus), le Serpent
mangeur d’œuf (Dasypeltis
scabra scabra ), la Couleuvre
vipérine (Natrix
maura), la Couleuvre
de Montpellier (Malpolon
monspessulanus monspessulanus), la Couleuvre
de Moïla (Scutophis
moilensis), la Couleuvre
de Schokar (Psammophis
schokari). Certaines
pénètrent largement le Sahara, d’autres ne se tiennent
qu’aux abords présahariens, soit confinées au versant
méridional de l’Anti-Atlas, soit franchissant le pas
jusqu’aux régions des Bas et Moyen Drâa.
La Couleuvre fer à cheval (Coluber
hippocrepis) un beau
Serpent qu’on rencontre également en Espagne, atteint
l’étage saharien à sa lisière nord. Elle a été trouvée
notamment à 20 km au nord-est de Tan-Tan, ainsi qu’à Assa.
Elle peut dépasser 1,50 m et même exceptionnellement
atteindre 1,78 m (selon P. Geniez & M. Thévenot),
taille spectaculaire qui peut lui valoir d’être l’une des
victimes propitiatoires des charmeurs de Serpents qui
l’exploitent auprès de touristes. Ces derniers sont ravis
d’avoir eu l’oh combien ! « grand
courage » de supporter avec quelques frissons
consommateurs un Serpent souvent moribond passé comme
une ficelle autour de leur cou si sensible (qui sait si le
Serpent ne pourrait pas subitement acquérir la puissance
d’un Anaconda de 8 m…) Je me souviens de cette belle
Couleuvre fer à cheval capturée alors qu’elle traversait
une route agricole lors d’une nuit très chaude. Après
l’avoir admirée et photographiée, nous avions décidé qu’il
serait plus prudent pour elle de l’éloigner des bermes de
cette route. En pleine nuit, nous la transportâmes toujours
plus loin vers des buissons, jusqu’à nous perdre, ne
pensant qu’à la sécurité de l’admirable animal. Une fois
relâchée, nous ne pouvions plus retrouver notre voiture,
tant nous nous étions éloignés dans la nuit noire !
Lorsque nous repassons sur cette route de ce Maroc que nous
aimons tant, nous ne pouvons nous empêcher de nous poser la
question : « Est-elle
vivante et libre ? » ,
et d’espérer que loin des coûts de bâtons et jets de
pierres meurtriers, loin aussi des charlatans de la place
Jemaa-El-Fna de Marrakech, et autres lieux d’abêtissement
touristique, elle continue de vivre sa vie de Serpent.
La Couleuvre-diadème du Maghreb (Spalerosophis
dolichospilus) est un
endémique du Maroc. Elle était considérée et l’est parfois
encore comme une sous-espèce de Spalerosophis
diadema qui lui succède
dans les régions sahariennes situées plus au sud. Elle
fréquente les zones présahariennes et celles situées au
nord du Sahara. Je l’ai trouvée près d’Aouinet-Torkoz et
peu avant Mhamid, deux régions du Nord du Sahara marocain.
Ce très beau Serpent hélas fréquemment victime des
automobilistes est également exhibé par les charmeurs peu
scrupuleux de la durée de vie de ce qui n’est pour eux
qu’un objet renouvelable. Pourtant Spalerosophis
dolichospilus est
« l’une des
espèces les plus menacées au
Maroc » (Soumia Fahd).
La Couleuvre à diadème de Clifford (Spalerosophis
diadema) possède une
vaste géonémie. On la retrouve dans toute l’Afrique du
Nord, la péninsule Arabique, l’Afghanistan et l’Inde. Au
Maroc, cette Couleuvre est très rare et n’existe qu’au
Sahara, dans une zone comprise entre les environs de
Tarfaya et Laâyoune, ainsi qu’à l’est jusqu’à Smara. Elle
mérite une protection urgente.
La Couleuvre de Moïla (Scutophis
moïlensis) qui présente
la particularité d’imiter le Cobra en dilatant son cou en
forme de coiffe est une Couleuvre opisthoglyphe,
c’est-à-dire venimeuse. Mais à l’instar de la Couleuvre de
Montpellier, Malpolon
monspesulanus, elle est
inoffensive du fait de la position de ses crochets situés
en arrière de la mâchoire. Elle peut atteindre la taille
déjà respectable d’1,40m. Sa livrée est de couleur sable et
elle fréquente principalement les régions sahariennes.
Discrète, on la rencontre hélas plus souvent écrasée sur
les routes qu’au long des promenades naturalistes.
Contrairement à sa derivatio
nominis, la Couleuvre
de Montpellier (Malpolon
monspessulanus) est répandue
bien au-delà de la ville qui lui a donné son nom. De
couleur vert olive, les mâles de ce grand Serpent à fière
allure, très rapide et chassant à vue, peuvent dépasser les
2 m (au Maroc elle atteint exceptionnellement 2,17m). Elle
court la malchance d’être l’une des victimes préférées des
montreurs de Serpents, lesquels s’approvisionnent auprès de
chasseurs spécialisés qui vont jusqu’à entasser une
soixantaine d’exemplaires dans une pièce, où les plus
grands spécimens n’ont plus comme recours pour survivre que
le cannibalisme au détriment de leurs congénères plus
petits. Une fois sur ce haut lieu du tourisme qu’est la
place Jemaa-El-Fna de Marrakech, je remarquais qu’une
Couleuvre de Montpellier, laquelle avait été passée sans
ménagement autour du cou d’une touriste italienne, vivait
ses dernières heures. Surmontant mon indignation face à
tant d'inconscience et motivé par mon désir de
lui expliquer que l’animal avec lequel elle s’était faite
grandiosement photographiée était moribond, j’allais voir
la touriste. J’espérais l’aider à comprendre qu’il ne
fallait pas encourager ce genre de pratiques aussi anti
écologiques que cruelles. Elle me rétorqua avec une infinie
stupidité : « Mais c’est
la vie ! »
Opistoglyphe, ce Serpent est cependant complètement
inoffensif comme en témoignent mes centaines de morsures.
Une seule, particulièrement prolongée, avait provoqué une
envenimation qui n’avait produit qu’un léger gonflement du
doigt, phénomène qui disparut au bout d’une ou deux heures.
La Couleuvre de Schokar (Psammophis
schokari) est une autre
Couleuvre opisthoglyphe. Mais à l’instar de la Couleuvre de
Montpellier, Malpolon
monspesulanus, elle est
inoffensive du fait de la position de ses crochets situés
en arrière de la mâchoire. De forme très effilée, elle peut
atteindre 1,20m. Au Maroc, elle couvre la presque totalité
du pays, Sahara marocain inclus. Sa répartition s’étend du
Sénégal en Inde. C’est un Serpent qui occupe les étages
bioclimatiques semi-aride, aride et saharien. Diurne et
très agile, elle chasse à vue principalement des Lézards.
Le Serpent mangeur d’œuf (Dasypeltis
scabra), tout comme la
Couleuvre commune d’Afrique (« commune » mais
rarissime au Maroc) et la Vipère heurtante, est un autre
témoin de la persistance au Maghreb occidental d’une faune
à affinité tropicale. Ce Serpent aux mœurs remarquables est
extrêmement rare au Maroc, avec seulement dix observations
réalisées entre mai 1969 et mars 2002, dont une au sein du
Sahara marocain, les autres dans le bioclimat
inframéditerranéen de l’arganeraie qui illustre sa limite
septentrionale. Trophiquement tributaire des seules pontes
d’Oiseaux qui constituent son régime exclusif, cette
Couleuvre ne dispose donc que de quelques mois pour être
active et faire son plein de nourriture, après quoi elle se
retire dès mai-juin dans un abri pour jeûner jusqu’à la
prochaine saison. Ce bel animal est fortement menacé par
les agressions diverses : violences vindicatives à son
égard, épandages de biocides très nocifs à sa zoocénose
(surexploitation agricole agressive de la région du
Souss-Massa), destruction de son habitat par l’aménagement
(région d’Agadir), mortalité accidentelle sur les routes.
Cette Couleuvre inoffensive peut être confondue au premier
regard avec l’Échide à ventre blanc (Echis
leucogaster), une Vipère au
venin très dangereux. Comme cette dernière, sa tête est
ronde, son museau court et ses pupilles fendues
verticalement à la manière des Vipéridés (en règle général,
un des critères d’identification des Colubridés, en France
notamment, est leur pupille ronde), ses écailles dorsales
sont carénées, les motifs qui ornent sa robe et sa couleur
générale sont semblables. Son comportement mimétique
est tel qu’il imite le fameux antipredator
behavior des Échides en
adoptant la même position de défense et en stridulant, bien
que plus faiblement. Il est désespérant de constater qu’une
si précieuse espèce ne bénéficie pas du moindre programme
volontariste de conservation, en dehors de textes tout
aussi légaux qu’incantatoires. Il est urgent de tout mettre
en œuvre pour la sauvegarde effective non seulement
de Dasypeltis
scabra, mais de tout
un cortège herpétologique du grand Sud-Ouest marocain et du
domaine saharien comportant notamment Lamprophis
fuliginosus,
Bitis
arietans,
Echis
leucogaster,
Telescospus
tripolitanus et
Naje
haje. Et de même
pour bien d’autres Serpents en d’autres régions où les
menaces identifiées sont plurifactoriels.
Seul représentant maghrébin des Elapidae,
le Cobra d’Afrique du Nord, ou Cobra d’Égypte
(Naja
haje) se retrouve
jusque dans l’extrême Sud du Mozambique. Il est le Serpent
par lequel Cléopâtre se serait suicidée. Le Cobra d'Afrique
du Nord est représenté au Sahara marocain par la
sous-espèce Naja
haje legionis.
Sa
présence semble de plus en plus aléatoire dans le triangle
Agadir-Ouarzazate-Laâyoune où il était prééminent jusqu’au
siècle passé, avec des extensions vers l’est jusqu’à
Figuig, vers le nord-ouest aux environs d’Essaouira, vers
le sud-ouest jusqu’à l’oued Assag et vers le sud-est jusque
dans le Zemmour à Aïn-Timellousa, non loin de la frontière
avec la Mauritanie. De préférence actif au crépuscule,
voire nocturne durant la saison chaude, il devient diurne
le reste de l’année, se nourrissant de Rongeurs, d’Oiseaux,
d’Amphibiens et de Reptiles, dont d’autres Serpents. Il est
considéré par certains comme le plus grand Serpent
d’Afrique du Nord, un exemplaire d’une taille de 2,55 m
ayant été rapporté. Toutefois au Maroc sa taille dépasse
rarement 1,60m et le plus long exemplaire mesuré dans ce
pays atteignait 1,81 m. Son venin est potentiellement
létal, mais à l’exemple des autres Serpents venimeux, il
n’injecte pas toujours à l’occasion d’une morsure une
quantité suffisante de venin. Ainsi un Aïssaoui dont le
métier était de capturer les Cobras afin de les vendre aux
charlatans de la place Jemaa-el-Fna à Marrakech, me raconta
qu’après avoir été mordu une fois il alla se coucher,
dormit et se réveilla comme si rien ne s’était passé. Son
envenimation avait été légère, au plus un léger
engourdissement de la zone mordue. L’absence d’agressivité
commune aux Serpents peut être illustrée par le témoignage
suivant. Le même Aïssaoui venait une heure auparavant de
capturer un magnifique exemplaire d’une taille d’1,50 m ou
plus, et me le montra sur le chemin du retour. Le Serpent,
sorti du sac où il avait été enfermé, se mit immédiatement
en position de défense, il écarta largement ses côtes
cervicales, déploya typiquement sa coiffe imposante ou
capuchon afin d’intimider son ravisseur, puis moi-même qui
m’approchais muni de mon objectif de 55 mm. Je le
photographiais de très près, à environ 90 cm, sans qu’il
manifeste une quelconque intention de se rapprocher,
démontrant que les Cobras n’attaquent pas et cherchent
seulement à intimider l’ennemi supposé. Au Maroc et
ailleurs, le Cobra est menacé d’extinction, il a déjà
largement disparu de régions d’où il était relativement
abondant comme des abords de l’Oued Assaka, à l’ouest de
Bou-Jérif, et dorénavant les chasseurs se sont rabattus
vers l’Oued Drâa, au nord de Tan-Tan. Ce Serpent, l’un des
joyaux du biopatrimoine marocain et précieuse relicte
tropicale, demande des mesures draconiennes de
conservation. Sans doute faudrait-il d’une part interdire
leur prélèvement dans leur milieu naturel à quelque fin que
ce soit, d’autre part entreprendre des élevages permettant
d’alimenter en venin les instituts de fabrication de sérums
et d’approvisionner aussi les véritables Aïssaoua, ceux qui
savent manipuler des Cobras sans leur arracher leurs
crochets, pratique qui les condamne à des chancres buccaux,
à des infections diverses et à une mort prématurée. Il
faudrait également interdire leur éradication systématique
par des bergers et autres marcheurs habiles à manier le jet
de pierres et le bâton, une interdiction accompagnée de
campagnes d’information sur leur utilité, leur comportement
et l’attitude à adopter en cas de rencontre avec un Cobra.
Pour ce qui concerne leur utilité dans la régulation des
Rongeurs, les exemples ne manquent pas. Ainsi, une
véritable explosion des effectifs de Psammomys obèses, ou
Rats des sables, peut être observée là où les Cobras,
ainsi que les Vipères heurtantes, étaient auparavant
relativement nombreux. Évidemment, si on tue les Serpents
on aura des Rats. Voilà pourquoi dans l’Égypte ancienne,
entre autres, on les utilisait comme gardiens du foyer (et
du stock de Blé). Dans la catégorie des Serpents
bienfaisants, les Égyptiens avaient adopté certaines
espèces jugées inoffensives en tant qu'animaux domestiques
pour veiller sur leur maison et les débarrasser des
Rongeurs qui causaient à cette époque de véritables ravages
dans les greniers à grains, et transmettaient des maladies
contagieuses. Les Égyptiens avaient une telle maîtrise des
Ophidiens dangereux comme les Vipères et les Cobras, qu'ils
les élevaient avec précautions pour les lâcher la nuit dans
le territoire ennemi ou pour les introduire au cœur des
pyramides afin de protéger les trésors des rois défunts
contre ce qu'ils considéraient comme le plus grand crime :
la profanation et le pillage des tombes royales.
Dans la famille des Viperidae,
cinq espèces sont présentes au Maroc à l’étage saharien,
dont quatre en sont spécialistes selon divers degrés
d’intégration : la Vipère de Mauritanie
(Macrovipera
mauritanica), la Vipère à
cornes (Cerastes
cerastes), la Vipère de
l’Erg (Cerastes
vipera), la Vipère
heutante (Bitis
arietans) et l’Échide à
ventre blanc (Echis
leucogaster).
La Vipère à cornes (Cerastes
cerastes) est sans doute
le Serpent le plus emblématique des régions sahariennes
auprès du grand public. Sa répartition est vaste, puisqu’on
la trouve dans l’ensemble du Sahara, de l’Océan atlantique
à la Mer rouge, et au-delà jusqu’au Moyen-Orient. Elle est
une habituée des milieux désertiques, à l’exception
toutefois des grands ensembles dunaires. En été, c’est une
espèce erratique qui peut parcourir de longues distances en
soirée ou la nuit à la recherche d’une proie. Je l’ai vue
inspecter des terriers de Rongeurs et autres petits
Mammifères. A l’occasion elle ne dédaigne pas une
Grenouille. Elle peut atteindre plus de 70 cm. Ses cornes
sont parfois absentes. Peut-être serait-ce le noyau
d’apparence « logique » qui expliquerait pourquoi
à Mhamid comme à Aouinet-Torkoz on peut rencontrer des
habitants croyant que les « cornes sont les crochets
au repos »...
La Vipère de l’erg ou Vipère des sables
(Cerastes
vipera) se distingue
de Cerastes
cerastes non seulement
par l’absence de cornes, critère qui comme nous l’avons vu
n’est pas toujours fiable, mais aussi par la disposition
des yeux situés plus au-dessus de la tête, un peu à la
manière d’une sole. Lorsqu’elle s’enfouit dans le sable,
elle laisse alors dépasser ses seuls yeux. Sa répartition
couvre une bonne partie du Sahara et on la retrouve jusque
dans la péninsule Arabique. Au Maroc, elle n’est présente
que dans un petit nombre de stations situées dans les
régions sahariennes. On la trouve dans l’Erg Chebbi, les
ergs de Mhamid et d’Iriki, ainsi que dans les dunes le long
du littoral occidental depuis Aoreora jusqu’à Laâyoune,
puis d’une façon plus parcellaire jusqu’en Mauritanie.
C’est un Serpent de petite taille qui dépasse rarement 40
cm. Découverte ensablée sous une pierre et contrainte à
quitter sa cachette, elle fuit rapidement, tentant de
mordre quiconque s’approche d’elle. Mais contrairement à ce
qui est affirmé, je ne l’ai jamais vu faire des
« bonds », mais se détendre à environ un tiers de
sa taille, ce qui me laissait beaucoup de latitude pour
l’approcher et la macrophotographier. Une fois enfouie sous
le sable, se croyant à l’abri, elle se calme et ne tente
plus la moindre riposte. J’ai pu alors l’approcher à
quelques centimètres sans qu’elle ne bouge d’un iota.
L’Échide à ventre blanc (Echis
leucogaster ) est considérée
par certains auteurs comme un synonyme d’Echis
arenicola, voire comme
une sous-espèce : Echis
arenicola leucogaster.
En général la systématique du genre est l’une des plus
compliquées et l’objet de beaucoup de controverses.
L’intérêt particulier que revêt la détermination exacte de
l’espèce et de la sous-espèce, notamment au Maroc, vient de
ce que dans ce pays aucun sérum spécifique n’y est produit
ou ne s’y trouve disponible. Or du fait des variations
importantes observées entre les Echis
dans
la composition du venin et de ses effets sur les personnes
mordues, un sérum produit à partir d’une espèce donnée (ou
considérée comme telle), voire d’une sous-espèce estimée,
peut s’avérer d’une efficacité douteuse, sinon inopérant
dans le traitement d’une morsure d’une autre espèce ou
sous-espèce. C’est une Vipère qui dépasse rarement les 60
cm, bien que des exemplaires de 83 et 87 cm aient été
signalés, mais pas au Maroc à notre connaissance.
L’explication pourrait être que les Échides dans ce pays
vivent dans des régions très arides où les proies ne sont
guère abondantes. L’Échide à ventre blanc, dont l’existence
au Maroc est assez méconnue, est donné comme l’un des
Serpents les plus rares du pays. Il en existe toutefois
plusieurs stations et la population la plus généreuse
semble se trouver aux alentours d’Aouinet-Torkoz, dans la
province d’Assa-Zag, à 50 km de Tindouf, au nord du Sahara
marocain. Plus au sud, une station existe dans la région du
Zemmour, près de l’Oued Makil, au sud-ouest d’Amgala et une
autre station en Mauritanie, mais tout près de la frontière
marocaine, à Kreyma-El-Maijat. L’exemplaire représenté ici
est le premier à avoir été photographié vivant en Afrique
du Nord-Ouest. Une caractéristique des Échides est leur
faculté de striduler assez fortement, une faculté
qu’ont Cerastes
cerastes et
C.
vipera, bien que chez
ces dernières, la stridulation soit moins sonore. Pour ce
faire les Échides placent leurs corps en cercles
concentriques puis ondulent en déplaçant en sens contraire
leurs anneaux adjacents. Ce faisant elles frottent
leurs flancs aux écailles obliques et fortement carénées,
et se gonflent d’air. Le poumon et le sac à air du Serpent
servent alors de « soundbox ». Une Couleuvre, le
Serpent mangeur d’œuf (Dasypeltis
scabra), semble imiter
les Échides en stridulant, bien que plus faiblement. Tant
par les motifs de sa robe que par son aspect général et par
l’attitude adoptée au moment de la stridulation, le Serpent
mangeur d’œufs ressemble étrangement à l’Échide à ventre
blanc.
Dans la littérature spécialisée, les Echis
entre autres
sont fréquemment présentées comme des Serpents
particulièrement « agressifs ». Ayant une autre
définition du concept d’agressivité et ayant observé tout
autre chose, je crois utile de relater mon expérience. Par
ailleurs j’aimerais savoir comment en toute rigueur ceux
qui parlent de l’agressivité de tel ou tel Serpent
définissent ce concept et si ce mot sous leur plume n’en
recouvre pas un autre : celui d’irritabilité ou
d’excitabilité. Ainsi, ayant capturé le mois d’août 2002
une Echis
leucogaster afin de
continuer à la photographier dans de bonnes conditions, je
peux décrire ce qui fut son comportement à différents
moments. La première fois que je la vis, la nuit en
maraude, longeant une espèce de muret, je m’approchais
doucement d’elle et la photographiais à plusieurs reprises
sans qu’elle manifeste la moindre « agressivité »
ou excitabilité. Elle n’adopta pas cette première fois le
comportement de défense (antipredator
behavior)
caractéristique du genre Echis.
Lorsque je la capturais à l’aide d’un terrarium, en la
poussant légèrement muni d’un modeste bâton, elle entra
dans le piège très facilement. Ce ne fut qu’une fois
enfermée et quand je l’observais à travers les parois
transparentes qu’elle stridula bruyamment. Le lendemain,
avant de partir pour la remettre en liberté, alors que je
la montrais à la famille d’un ami marocain, sa sœur me dit
avec insistance qu’il fallait la tuer. Outré en général à
l’idée d’exterminer les Serpents qu’ils soient ou non
venimeux et indigné qu’on me propose de détruire le
représentant d’une des espèces de Serpents les plus rares
du Maroc, je réagis en démontrant que les Serpents - et les
Échides pareillement aux autres - n’attaquaient pas si on
ne les agressait pas. Je fis sortir l’animal, le
laissais se mouvoir librement dans la pièce où je me
trouvais et… m’asseyais à terre. La Vipère en cherchant un
abri où se cacher approcha ma cuisse nue (je portais un
short) et glissa quelques secondes le long pour s’éloigner
de nouveau… Elle ne stridula pas et ne manifesta pas la
moindre irritabilité à cette occasion. Plus tard, mise à
l’extérieur sur le sol pour une séance photographique,
alors que le soleil brillait, elle tenta de trouver un abri
avec une certaine vigueur. Comme je l’obligeais à stopper,
elle adopta son comportement de défense, stridulant
bruyamment. J’ai remarqué que les Serpents comme les
Scorpions, exposés au soleil et craignant pour leur vie,
s’empressaient de fuir et résistaient énergiquement à toute
tentative de retarder leur fuite vers un abri. Une fois
protégée sous un petit arbre, je titillais l’échide à
l’aide d’un bâtonnet afin de la contraindre à adopter
différentes attitudes de manière à pouvoir les
photographier. Chaque fois elle tentait de fuir. S’étant
réfugiée dans une cavité peu profonde, je décidais de la
contraindre à en sortir en la poussant avec une petite
branche. Ce fut la seule fois où elle manifesta ce qui
pourrait ressembler à une forme d’agressivité si tant est
que l’autodéfense puisse y être assimilée. Elle sortit de
sa cachette et fit face en dardant sa langue et en avançant
de quelques centimètres pour immédiatement après tenter de
prendre la tangente.
La Vipère heurtante (Bitis
arietans) est une autre
relicte tropicale et n’existe au Maroc que dans une partie
limitée du pays, le long d’une bande allant de Taliouine en
passant par Bou-Jerif (ouest de Guelmin), Tarfaya,
Laâyoune, Lemsid, jusqu’à Boudjour. On peut supposer
qu’elle se retrouve plus au sud encore dans les environs de
Dakhla, mais sa présence n’y a pas été démontrée. Sa
répartition sur le continent africain est très vaste,
puisqu’on retrouve l’espèce jusqu’en Afrique du Sud.
Pouvant atteindre 1,50 m de long pour un poids de 7,5 kg,
une taille record de 1,95m ayant même été signalée, elle ne
dépasse habituellement pas 1,20 m au Maroc. La raison
principale est à notre avis qu’un grand exemplaire se fait
particulièrement remarquer par les nombreux bergers et
autres prédateurs qui sillonnent le pays, lesquels
s’empressent soit de la tuer, ce qui est chose aisée étant
donné la placidité et la lenteur de ce Serpent, soit la
signalent aux Aïssaoua qui n’auront aucune difficulté à la
retrouver. Pareillement au Cobra, elle est le Serpent le
plus exhibé sur la place Jemaa-el-Fna. Elle mérite
d’urgence des mesures volontaristes de protection. Ce joyau
de la faune reptilienne du Maroc, notamment de ses
provinces sahariennes, ne doit pas un jour connaître le
sort contre lequel Ali Ben Bongo, le ministre de la Défense
du Gabon, avait mis en garde à l’occasion d’une anecdote
personnelle relatée à un journaliste. Un jour alors qu’il
visitait le zoo de San Diego aux États-Unis, il avait pu
découvrir une Vipère du Gabon (Bitis
gabonica), un Serpent
assez proche de la Vipère heurtante. Fasciné par l’animal
et fier d’apprendre qu’il était originaire de son pays, il
avait cependant éprouvé un certain malaise devant ce
face-à-face en terre étrangère : il lui avait fallu
venir en Californie pour découvrir ce formidable Serpent,
joyau de la faune gabonaise ! Nous ne pouvons
souhaiter aux Marocains de connaître une situation telle
qu’il leur faudra se rendre en Europe ou aux États-Unis
pour contempler en vivariums des espèces chez eux éteintes.
C’est hélas ce qui est exactement en train de se passer
concernant les Bitis
marocaines. On
en constate couramment la présence chez des terrariophiles,
alors qu’elles deviennent de plus en plus difficiles à
observer sur le terrain. Gageons que dans un futur proche
la possibilité de les observer en liberté pourrait faire
partie d’un « tourisme » écologique digne de ce
nom et du concept qualifié de durable.
L’avifaune saharienne
D'une part,
l'avifaune de tous les écosystèmes subdésertiques présente,
aux périodes migratoires de printemps (fin février à début
mai) et d'automne (septembre à novembre), une certaine
similitude avec celle rencontrée dans les milieux oasiens,
en particulier dans les zones favorables arborées et aux
abords des points d'eau permanents ou temporaires (dayas
plus ou moins salées bordées ou non de végétation, gueltas,
ripisylves des bords d'oueds sahariens, etc.), où se
concentrent alors notamment beaucoup d'espèces européennes
ou nord-africaines insectivores, en transit vers leurs
quartiers d'hiver subsahariens ou tropicaux ou, à
l'inverse, de retour vers leurs aires de nidification.
On peut ainsi noter dans ces endroits propices, et durant
des périodes limitées durant l'année, des
concentrations significatives de nombreux représentants
d'espèces appartenant aux diverses familles des Sylviidés,
des Muscicapidés, des Turdidés, des Laniidés, etc. Dans les
autres régions plus sèches et moins favorables de la frange
subsaharienne marocaine, beaucoup de ces espèces
migratrices ne feront guère que transiter rapidement en
survol, ne s'y arrêtant que fort peu.
D'un autre côté, la large frange subdésertique,
caractérisée par des écosystèmes particuliers (acaciaes,
balanitaies, steppes arborées à Armoises ou à chaméphytes,
hamadas pierreuses ou regs, dunes sableuses ou ergs, ...),
héberge également tout un cortège d'espèces nettement plus
spécialisées, mieux adaptées aux conditions locales
extrêmes de sécheresse et de température.
Dans les steppes à Armoises (Artemisia
inculta et autres),
localisées surtout dans la partie orientale du pays (hauts
plateaux, zones écotones entre le Moyen Atlas et le Haut
Atlas, ...), et occupant de vastes étendues, les espèces
aviennes nidificatrices caractéristiques du biome
méditerranéen sont, notamment, la Perdrix gambra
(Alectoris
barbara), le Sirli de
Dupont (Chersophilus
duponti), l’Alouette de
Clot-Bey (Rhamphocorys
clot-bey), l’Alouette
bilophe (Eremophila
bilopha), la Fauvette
mélanocéphale (Sylvia
melanocephala), la Fauvette à
lunettes (Sylvia
conspicillata), le Traquet
oreillard (Oenanthe
hispanica) et le Traquet
à tête grise (Oenanthe
moesta). Quant à
l'avifaune nidificatrice appartenant au biome saharien,
elle y est représentée, entre autres, par le Grand-duc
ascalaphe (Bubo (bubo)
ascalaphus), l'Ammomane du
désert (Ammomanes
deserti), l'Ammomane
élégante (Ammomanes
cincturus), le Sirli du
désert (Alaemon
alaudipes) et
le Roselin githagine (Rhodopechys
githaginea). La rarissime
et particulièrement menacée Outarde houbara
(Chlamydotis
undulata) y survit aussi
tant bien que mal, tandis que le Ganga unibande
(Pterocles
orientalis) et le Ganga
cata (Pterocles
alchata), assez
erratiques, sont caractéristiques de la zone, pouvant
même occasionnellement y devenir extrêmement
abondants, lors d'invasions épisodiques spectaculaires. Le
Corbeau brun (Corvus
ruficollis) y prend la
place du Grand Corbeau (Corvus
corax). En
hiver, le discret et rare Pluvier guignard
(Eudromias
morinellus), d'origine
scandinave et écossaise, est aussi ici un hôte régulier.
Les formations d'Acacias (ou acaciaies), relictes de
la flore tropicale, sont représentées par plusieurs espèces
du genre Acacia,
caractérisant les zones de transition entre la région
méditerranéenne et la région saharienne proprement dite. Le
Gommier du Maroc (Acacia
gummifera), endémique,
est encore bien implanté en zone méditerranéenne (Sous,
Tadla, Rehamna, ...), constituant d'ailleurs l'espèce
dominante de la végétation primitive du Haouz des environs
de Marrakech, et atteignant même au nord les environs de
Casablanca. L'avifaune de ces acaciaies
méditerranéennes est assez semblable à celles déjà abordées
dans les zones forestières proches, telles les iliçaies,
les oléastraies et les arganeraies. Quelques espèces
sédentaires plus caractéristiques des acaciaies, comme le
Cratérope fauve (Turdoides
fulvus), peuvent aussi
présenter à ces latitudes leur limite nord de distribution
africaine.
Plus au sud, en zones présahariennes et sahariennes
marocaines, ainsi qu'entre les chaînes atlasiques et le
véritable désert saharien, aux confins algériens et
mauritaniens, deux autres espèces d'Acacias,
Acacia
ehrenbergiana et
Acacia
raddiana, sont les mieux
représentées (Vallée du Drâa et Djebel Sarhro par exemple),
offrant aux riverains leur ombre bienfaitrice au milieu de
paysages lunaires. Dans ces véritables savanes arborées,
l'avifaune est ici plus proche de celles des régions
désertiques africaines, bien que comptant toujours
certaines espèces méditerranéennes. Ainsi, plusieurs
espèces désertiques y prennent la place, en vicariance,
d'espèces proches méditerranéennes : le Corbeau brun
(Corvus
ruficollis) y remplace le
Grand Corbeau (Corvus
corax),
systématiquement très proche ; le Guêpier de Perse
(Merops
persicus) prend la place
du Guêpier d'Europe (Merops
apiaster) ; Jadis, le
Vautour oricou (Torgos
tracheliotus), complètement
disparu aujourd'hui au Maroc, remplaçait ici le Vautour
fauve (Gyps
fulvus) du nord du
pays, plus petit et moins puissant, mais lui aussi quasi
disparu du pays en tant que nicheur.
Les savanes d'Acacias présahariennes sont aussi le domaine
d'élection de toute une série d'espèces dont les
populations locales sont bien adaptées à ces conditions
extrêmes, comme le Courvite isabelle (Cursorius
cursor), l'Ammomane du
désert (Ammomanes
deserti), le Sirli du
désert (Alaemon
alaudipes), la
Pie-grièche méridionale (Lanius
meridionalis elegans), le Traquet à
tête blanche (Oenanthe
leucopyga), la Rubiette
de Moussier (Phoenicurus
moussieri), l'Agrobate
roux (Cercotrichas
galactotes), le Cratérope
fauve (Turdoides
fulvus), le Roselin
githagine (Rhodopechys
githaginea) et le Bruant
striolé (Emberiza
striolata).
Les écosystèmes arborés pouvant difficilement se développer
dans les déserts caillouteux plus ou moins plats (regs,
hamadas) et sur les dunes de sable sahariennes (ergs), ce
sont surtout quelques espèces de chaméphytes et
diverses espèces de Chénopodiacées (Hamada
scoparia,
Nucularia
perrini,
Anabasis
spp.,
Salsola
spp.)
qui subsistent. Cependant, dans ces écosystèmes, les
conditions climatiques très rudes (sécheresse persistante,
écarts thermiques journaliers très forts, vents violents,
etc.) ont pour conséquence une faible densité de la
couverture végétale, c'est-à-dire une faible productivité
primaire. Les espèces aviennes (généralement résidentes ou,
plus rarement, visiteuses d'été strictes) y sont donc,
elles aussi, relativement rares et particulièrement bien
adaptées. Ce sont surtout des espèces xérophiles et plus ou
moins erratiques selon les saisons, qui essaient de
profiter au mieux des pluies sporadiques et irrégulières
régénérant localement la maigre végétation.
Les regs et hamadas, occupant surtout la zone saharienne,
sont habités par l'Outarde houbara (Chlamydotis
undulata), le Courvite
isabelle (Cursorius
cursor), le Ganga
couronné (Pterocles
coronatus), le Ganga
tacheté (Pterocles
senegallus), le Grand-duc
ascalaphe (Bubo (bubo)
ascalaphus), l'Engoulevent
d'Égypte (Caprimulgus
aegyptius), l'Ammomane
élégante (Ammomanes
cincturus), l'Alouette
bilophe (Eremophila
bilopha), le Sirli du
désert (Alaemon
alaudipes), la
Pie-grièche méridionale (Lanius
meridionalis elegans),la Dromoïque
du désert (Scotocerca
inquieta), le Traquet du
désert (Oenanthe
deserti), le
Traquet à tête blanche (Oenanthe
leucopyga), le Traquet à
tête grise (Oenanthe
moesta), le Roselin
githagine (Rhodopechys
githaginea). Lorsqu'il
existe, à proximité, des falaises rocheuses où ils peuvent
établir leur nid, on peut encore y observer certains
Rapaces, comme la Buse féroce (Buteo
rufinus), le Faucon
lanier (Falco
biarmicus erlangeri) et le Faucon
de Barbarie (Falco
pelegrinoides), qui
fréquentent ces milieux en quête de leurs proies,
ainsi que la très locale et énigmatique Hirondelle du
désert (Ptyonoprogne
fuligula), dont une
sous-espèce particulière atteint ces régions en limite nord
de son aire de répartition géographique.
Dans ces milieux très arides, on trouve encore, localement
: le rare Traquet deuil (Oenanthe
lugens), notamment
dans les régions d'Ouarzazate, d'Errachidia, de
Boudnib, du Djebel Sarhro, du Bas Drâa et de Goulimine
; la Fauvette naine (Sylvia
nana),
particulièrement dans la maigre végétation du Tafilalt
; le Ganga de Lichtenstein (Pterocles
lichtensteinii), dans le
Djebel Bani et dans le Moyen Drâa.
Outre les espèces migratrices en transit qui ne s'y
arrêtent guère sauf s'il existe des points d'eau ou des
zones arborées favorables (tamaris par exemple), les ergs
purs comptent relativement peu d'espèces, parmi lesquelles
le Moineau blanc (Passer
simplex) semble un des
Oiseaux les mieux adaptés aux conditions extrêmes (dans
l'Erg Chebbi par exemple, où il représente une spécialité
locale que viennent observer les ornithologues étrangers).
Cependant, les ergs purs étant relativement rares au Maroc,
on rencontre souvent, dans les différents milieux sableux
du sud du pays, toute une série d'espèces déjà citées dans
les regs et hamadas, ainsi que certaines des espèces les
plus xérophiles rencontrées dans les oasis, les frontières
entre ces différents types d'écosystèmes n'étant pas
toujours bien tranchées sur le terrain.
A l'extrême Sud du pays, dans les vallées désertiques et
sableuses de l'Adrar Souttouf (Parc National de Dakhla en
projet), vit une petite espèce particulière d'Alaudidés :
la Moinelette à front blanc (Eremopterix
nigriceps), très
localisée, mais récemment redécouverte dans la région
encore sous-explorée d'Aoussard, aux confins mauritaniens.
A propos de quelques espèces
Voici quelques-uns des représentants sahariens les plus
typiques de la classe des Oiseaux.
Dans la famille des Glareolidae,
le Courvite isabelle (Cursorius
cursor) est un Oiseau
ayant développé une grande adaptation aux contraintes
extrêmes. Il habite les savanes d'Acacias présahariennes
qui illustrent son domaine d'élection, mais il a réussi
également à s’adapter aux regs et aux hamadas, occupant
surtout la zone saharienne. Dans ces lieux désertiques ou
semi-désertiques, il porte son corps beige pâle sur de
hautes pattes robustes, avec de longues ailes beiges aux
extrémités et noires sur la face ventrale. Son aspect
général ressemble à celui d’un petit Pluvier doré, mais le
Courvite isabelle est plus clair et plus effilé. Il est
reconnaissable à sa nuque grise, ses sourcils bien dessinés
en noir et blanc et son bec légèrement recourbé. Les
juvéniles sont maculés de brun. Coureur aussi infatigable
que rapide, il s’envole peu et passe son temps à arpenter
la steppe, à la recherche des proies variées.
Le Cratérope
fauve (Turdoides
fulvus), seul
représentant de la famille des Timalidae
en
Afrique du Nord, s’est également bien adapté aux savanes
d’Acacias. Il fait partie des espèces sédentaires
caractéristiques de l’acaciaie marocaine. Son apparence
fait penser un peu à un Merle mais avec un plumage très
clair : le Cratérope est brun jaunâtre en dessous et
plus pâle sur le dessus, avec une queue plus longue que
celle d’un Merle et un bec davantage courbé. Habitant les
buissons et les forêts claires des paysages
semi-désertiques, il est contraint à de longues
prospections pour s’enquérir de sa pitance en proies
variées. Il est ainsi possible de rencontrer un Cratérope
fauve mangeant un Androctonus
amoreuxi (Scorpionidé).
Le Corbeau brun (Corvus
ruficollis) remplace dans
les régions sahariennes le Grand Corbeau
(Corvus
corax). L’habitat de
ce Corvidae
spécialisé sont
les savanes présahariennes et sahariennes arborées
notamment par les Acacias, mais aussi les steppes à
Armoises avec des Jujubiers épars sur lesquels il aime à
nicher. C’est un biotope remarquablement insolé qu’il faut
en outre partager avec bien d’autres espèces. Le Corbeau
brun ressemble plus à la Corneille noire
(Corvus
corone
corone) qu’au Grand
Corbeau. La nuque et le cou sont teintés de brun, mais il
est difficile de les distinguer de loin, et jusqu’à leur
première mue de l’automne, les juvéniles ne sont pas encore
bruns. Les ailes du Corbeau brun sont plus pointues que
celles du Grand Corbeau, et le bec est moins robuste.
Comme le Courvite isabelle, le Traquet à tête blanche
(Oenanthe
leucopyga)(de la famille
des Turlidae),
habite les savanes d’Acacias présahariennes, mais aussi les
regs et les hamadas, toutes conditions de vie très rude. De
tendance rudérale, on peut le rencontrer également dans des
villes et villages situés dans ces régions. Le mâle a le
dessus de la tête blanc (d’où son nom) et la queue blanche
à l’extrémité avec les rectrices externes entièrement
blanches. Le dessous est uniformément noir. La femelle et
le mâle immature ont la tête noire ou très foncée et ne se
distinguent du Traquet rieur (Oenanthe
leucura) que par les
rectrices externes qui sont entièrement blanches.
Il existe de très nombreuses espèces de Traquets et ils
représentent un complexe prééminent parmi les Oiseaux des
régions arides de bien des étages. Porte-bonheur, ils sont
nommés moula-moula
dans
certaines régions. Le Traquet à tête grise
(Oenanthe
moesta) est l’une des
espèces aviennes nidificatrices très caractéristique du
biome méditerranéen, habitant les steppes à Armoises et les
abords prédésertiques ourlés et ponctués de buissons. C’est
l’un des plus grands Traquets des zones considérées. La
femelle est facilement reconnaissable à sa tête rousse, le
mâle par contre ressemble beaucoup au Traquet deuil
(Oenanthe
lugens) mais diffère
nettement du Traquet à queue rousse (Oenanthe
xanthoprymna), la seule
autre espèce à croupion roux.
Toujours au sein des Turlidae,
l’Agrobate roux (Cercotrichas
galactotes) s’est
également adapté aux savanes d’Acacias. D’aspect
intermédiaire entre les Grives et les Fauvettes, il est
facilement reconnaissable à sa longue queue étagée de
couleurs rousse, puis noire et enfin blanche à son
extrémité. Il tient sa queue le plus souvent ouverte et
dressée, se balançant et l’entre ouvrant de façon
spasmodique, non sans similitude avec un spectacle de
French Cancan ! Le dessus du corps est roussâtre, le
reste est plus clair dans le registre gris-brun. Cet Oiseau
préfère les secteurs broussailleux aux abords des villages,
les jardins oasiens, les palmeraies, les oueds desséchés et
autres lieux semi-désertiques.
La Rubiette de Moussier (Phoenicurus
moussieri), aussi nommée
Rouge-queue de Moussier, semble parfaitement adaptée aux
conditions extrêmes des savanes d’Acacias présahariennes.
Cet endémique d’Afrique du Nord est beaucoup plus répandu
que le Rouge-queue à front blanc (Phoenicurus
phoenicurus). Le mâle de la
Rubiette de Moussier est coloré en noir et blanc sur
l’avers, les côtés de la queue et la poitrine étant revêtus
de roux ; la femelle est brunâtre, les côtés de la
queue roux. Ces petits Oiseaux sont reconnaissables à leur
queue rousse, fréquemment agitée et étalée en période
nuptiale, rappelant le comportement des Traquets.
Membre de la famille des Alaudidae,
l’Alouette bilophe (Eremophila
bilopha), appelée aussi
Alouette hausse-col du désert, habite les regs et hamadas
de la zone saharienne, mais tout aussi bien les steppes
graminéennes. Le plumage beige, la tête colorée de noir et
blanc, elle fréquente les déserts de sable et de pierres
même dépourvus de végétation. Le mâle porte sur la tête des
petites aigrettes noires au printemps.
L’Alouette de Clot-Bey (Rhamphocorys
clot-bey) habite et
niche dans les steppes mésétiennes à Alfa et à Armoises,
mais peut être rencontrée aussi dans les hamadas pierreuses
et les lits d’oueds desséchés. Parmi les Alouettes,
celle-ci est dotée du bec le plus massif. D’un plumage
beige, habitus cryptique assez récurrent pour ces zones, sa
poitrine est couverte de tâches foncées et elle porte des
marques noires et blanches sur les ailes ainsi que sur les
côtés du cou.
Autre Alaudidae,
l’Ammomane du désert (Ammomanes
deserti) a développé
des adaptations aux zones climatiques rudes et s’avère
assez caractéristique des savanes d’Acacias présahariennes.
Elle porte aussi les couleurs typiques de ce milieu :
plumage beige pâle dont les tonalités varient en peu en
fonction de l’habitat ; la queue a plusieurs rectrices
foncées. L’Ammomane est dotée de pattes robustes car elle
passe beaucoup de temps au sol à la recherche d’ombre et de
nourriture dans les lits d’oueds, sur les terrains rocheux
et au sein des boisements clairs d’Acacias.
L’Ammomane élégante (Ammomanes
cincturus) est plus
petite que l’Ammomane du désert. A l’instar de cette
dernière, elle niche dans ces régions. Sa coloration varie
moins. Elle ne se distingue de l’Ammomane du désert que par
une barre foncée bien visible au bout de la queue.
Contrairement à l’autre Ammomane, cet Oiseau montre une
tendance grégaire et se rencontre encore plus souvent dans
des milieux davantage dénudés tels que les regs et les
hamadas.
Le Sirli de Dupont (Chersophilus
duponti) est encore un
représentant de la famille des Alaudidae
et
de l’ordre des Passereaux, qui niche dans des steppes à
Armoises. Il possède un long bec recourbé, caractéristique
de toute la famille, et bien approprié à un régime à la
fois insectivore et granivore. La tonalité générale du
plumage va du brun au roux. La poitrine est fortement
striée. Cet Oiseau reste au sol et s’envole peu.
Effarouché, il s’enfuit plutôt en courant sans sautiller.
Le Sirli du désert (Alaemon
alaudipes), nidificateur
du biome saharien, est l’habitant des regs et des hamadas.
C’est une des Alouettes les plus grandes. Ce Sirli possède
un bec long et modérément recourbé, les ailes noires et
blanches, le reste du plumage étant beige. Il porte des
tâches foncées au cou, lesquelles sont absentes chez le
juvénile.
Le Roselin githagine (Rhodepechys
githaginea), appelé encore
Bouvreuil githagine, est une espèce propre à la famille
des Fringillidae
et
qui niche dans les savanes d’Acacias. En hiver, le mâle et
la femelle sont plus ternes qu’au printemps, colorés de
gris teinté de rose, le bout des ailes foncé, le bec orange
ou brun jaunâtre, les pattes rosées. Les tonalités roses
sont réservées aux adultes et sont absentes chez les
juvéniles. Au printemps, le mâle porte un beau plumage
nuptial brun pâle nuancé de rose, les ailes et le dessus de
la tête restant gris, son bec devient rouge vif et ses
pattes couleur chair.
L’Outarde houbara (Chlamydotis
undulata), insigne
représentante des Otididae
du
biome saharien, est rarissime et particulièrement menacée
de disparition prochaine, notamment parce qu’elle est
surchassée. L’Outarde est un Oiseau terrestre, de taille
moyenne, au cou élancé et aux pattes assez longues. Elle
marche en tenant la tête et le cou dressés. Elle s’aplatit
sur le sol ou s’enfuit à la course quand elle est
dérangée. En livrée nuptiale, on peut facilement la
reconnaître car elle porte sur les côtés de son cou une
touffe de plumes blanches et noires ainsi qu’une huppe
mêmement bicolore. Son image était jadis associée aux
plaines sèches subdésertiques ponctuées de buissons
clairsemés ou même dénudées, mais il relève aujourd’hui de
l’exploit d’en voir un sujet courir ou s’envoler.
Le Ganga unibande (Pterocles
orientalis) et le Ganga
cata (Pterocles
alchata),
Pteroclididae
caracrétistiques
des zones sahariennes, sont normalement assez
erratiques mais peuvent
occasionnellement abonder et former des concentrations.
Oiseaux terrestres, nichant aussi à terre, de couleur fauve
pâle, ils se confondent très bien avec le milieu de leur
habitat lorsqu’ils ne bougent pas. Le Ganga cata a le
ventre blanc et les rectrices allongées. Le mâle est
reconnaissable à sa poitrine rousse, le menton et la gorge
sont noirs. La femelle a la gorge blanche. Le Ganga cata
doit son nom aux cris « kata kata
»,
émis souvent en vol. Cet Oiseau niche parfois en petites
colonies. Le Ganga unibande est le seul à posséder le
ventre uniformément noir. Le mâle a la face supérieure des
ailes jaune et celle inférieure blanche. Il est facile de
le déterminer grâce au fait qu’il est le seul à avoir la
gorge (mais pas le menton) noire. Comme le Ganga cata, le
Ganga unibande évite les vrais déserts et son preferendum
est pour les terrains lapilleux.
Le Ganga tacheté (Pterocles
senegallus), aussi baptisé
Ganga du Sénégal, ainsi que le Ganga couronné
(Pterocles
coronatus) fréquentent
les regs et hamadas. Le Ganga tacheté est assez petit de
taille, aux couleurs relativement pâles, avec une dominante
beige rosé. Son ventre est beaucoup moins noir que celui du
Ganga unibande. Le mâle a une bande gris-bleu en travers de
l’œil et la gorge est jaune. La femelle est très mouchetée.
Le Ganga couronné est un Oiseau tout aussi modeste de
taille, plus petit encore que le Ganga tacheté. Il porte
une queue courte. Le menton du mâle est revêtu de noir et
un trait noir se manifeste entre le bec et l’œil.
Le Guêpier de Perse (Merops
persicus) prend dans le
désert la place du Guêpier d’Europe. C’est un
Meropidae
sociable qui
niche en colonies. On peut le voir souvent perché au faîte
des buissons, sur les arbres ou les fils télégraphiques
d’où il chasse les Guêpes, Mouches et autres Insectes
ailés. Il est à cette fin doté d’un long bec arqué. Il se
pose souvent à proximité des points d’eau et des oueds. Son
vol rappelle celui des Hirondelles. Le Guêpier de Perse est
un Oiseau au plumage vivement coloré, le vert beaucoup plus
marqué que chez l’autre espèce, avec les joues bleues, la
gorge marron, et les rectrices centrales plus longues que
chez le Guêpier d’Europe.
La Fauvette mélanocéphale (Sylvia
melanocephala) et la Fauvette
à lunettes (Sylvia
conspicillata) appartiennent
à la famille des Sylviidae
et
nichent en zones méditerranéennes. Ce sont des petits
Passereaux migrateurs insectivores dotés d’un bec fin dont
on peut trouver le nid au sol ou au sein des buissons bas.
La tête de la Fauvette mélanocéphale est noire, avec le
menton blanc. L’anneau orbital et l’iris sont rouges. La
femelle est plus brune et sa calotte contraste peu avec le
reste du plumage. La Fauvette à lunettes a la tête foncée,
la gorge blanche, la poitrine rose et les ailes rousses. Le
dos est brun, les pattes sont jaunes. Le cercle orbital est
pâle et peu marqué. La femelle et les jeunes ont une tâche
marron sur l’aile.
Au contraire du Courvite isabelle ou de l’Ammomane du
désert, la Fauvette naine (Sylvia
nana) que l’on
surprend dans les milieux à forte aridification, préfère
des sols sableux. C’est la plus petite et la plus pâle des
Fauvettes, de couleur beige clair avec uniquement une queue
foncée et dont la base et le centre sont roux et les bords
blancs.
La Chouette chevêche (Athene
noctua) est un Oiseau
en partie diurne de la famille des Strigidae.
Elle
est facilement reconnaissable grâce à son vol ondulé, sa
queue courte, sa tête volumineuse et surtout sa très petite
taille par rapport aux autres représentants de la même
famille. On peut la découvrir perchée sur un poteau ou un
arbre, voire en suspens, volant sur place au crépuscule à
la chasse aux Insectes. La sous-espèce saharae
nidifie dans des
régions sahariennes.
En ce qui concerne l’Autruche à cou rouge ou Autruche
d’Afrique du Nord (Struthio
camelus camelus)(famille des
Struthionidae),
les populations sauvages sont de nos jours très menacées et
ont ainsi pratiquement disparu des régions semi-désertiques
qu'elles fréquentaient autrefois. On ne les rencontre plus
que dans les Parcs nationaux et dans les Réserves.
L’Autruches à cou rouge est présente au Parc national du
Souss-Massa où elle est élevée dans le cadre d’un
hypothétique projet de réintroduction. Des dessins
rupestres rappellent que cet Oiseau faisait partie
intégrante des paysages du Grand Sud marocain. Leur
existence encore si proche (les dernières ont été observées
au XXe siècle) s’est vue anéantie surtout par la chasse,
notamment la chasse au fusil en voiture. De récentes
observations (M. Aymerich) rapportées par deux Sahraouis,
indiquant que des Autruches auraient été vues à une
centaine de kilomètres à l’ouest de Tarfaya, restent à
vérifier. Parler de l'Autruche au singulier n’est pas
correcte puisqu'il en existe plusieurs sous-espèces, dont
malheureusement les effectifs dans la nature sont parfois
très peu nombreux. Celle d'Afrique du Nord
(Struthio
camelus camelus) correspond à
la forme nominative en voie d’extinction. C'est le plus
grand de nos Oiseaux vivant sur Terre, un mâle avoisinant
les deux mètres. C'est aussi le plus gros, puisque certains
sujets adultes peuvent atteindre un poids respectable
compris entre 120 et 150 kg. Ses plumes, sa chair, mais
également la simple chasse stupidement qualifiée de
« loisir », en ont fait une victime privilégiée.
Le Marabout d'Afrique (Leptoptilos
crumeniferus), membre de la
famille des Ciconiidae,
est un grand Oiseau (long de 1,50 m environ), très
emblématique de l’Afrique tropicale où il s’avère
fréquemment anthropophile. Il possède un sac de peau nue
qui lui pend sur la poitrine. Le marabout habite surtout en
bordure des rivières, des lacs, sur les bancs de sable. Cet
Oiseau est principalement un charognard, doté d’un bec
énorme et redoutable, il est à même de déchirer
efficacement les cadavres qu’il rencontre. Il complète sa
diète par des d'Insectes, des Poissons et des Grenouilles.
Il niche sur les arbres ou sur les rochers, après avoir
déposé deux ou trois œufs à la fin de la saison des pluies,
de sorte que la période d'élevage des jeunes coïncide avec
la saison sèche, où les cadavres d'animaux morts de soif
sont plus nombreux. C’est à l’image des autres cigognes un
Oiseau au vol élégant, grand volateur épousant les courants
ascensionnels pour évoluer. Deux Marabouts d’Afrique ont
été récemment observés à l’Oued Chebeika, dans les environs
de Tan-Tan.
L’Oedicnème criard (Burhinus
oedicnemus) qui a
également reçu le nom vernaculaire de Courlis de terre, est
un Oiseau de la famille des Burhinidae,
assez peu commun
en Europe, où il enregistre d’ailleurs une forte réduction
de son aire de répartition et par conséquent une diminution
en nombre d’individus. Sédentaire au Maroc, cette espère
s’y montre encore communément. Grand Oiseau d’une
quarantaine de cm, juché sur de hautes pattes jaunâtres,
son plumage est de couleur terre et ses gros yeux jaune
clair. A l’arrêt, il est parfaitement homotypique. Ses
habitats de prédilection sont les steppes semi-désertiques,
les endroits secs, sablonneux ou rocailleux, ainsi que bien
des milieux ouverts à végétation basse. Son repas est
composé d’Invertébrés terrestres ainsi que de petits
Vertébrés qu’il chasse au crépuscule. Il doit son nom à son
chant nocturne assez aigu et grinçant.
Le Vautour oricou (Torgos
tracheliotus) fait partie de
la famille des Cathartidés et doit son nom aux nombreux
plis qu'il porte sur la tête, des oreilles jusqu'au cou.
Son plumage est marron foncé, voire noir sur ses ailes, et
marron clair à blanc sur ses flancs et ses pattes. Sa tête
et son cou sont dénudés et roses. Son espérance de vie est
de l’ordre de trente ans dans son habitat naturel mais peut
atteindre le demi-siècle en captivité. Avec une envergure
moyenne de 2.70 m mais pouvant atteindre 3 m et un poids
dépassant souvent 11 kg, l'Oricou est avec le Condor des
Andes le plus grand de tous les Vautours (quatorze
espèces). Il est distribué au nord de l'Afrique, de
l'Atlantique à la Mer Rouge, au sud de l'Océan indien ainsi
qu’en Afrique du Sud. La nourriture élective de ce
charognard sont les carcasses mais il lui arrive aussi de
tuer de petits animaux comme des oisillons ou encore des
Insectes et ne délaisse pas non plus les oeufs d'autres
Oiseaux. Régnant le plus souvent en maître dans la curée,
il effraie les autres Vautours par ses soufflements et ses
battements d'ailes puis « passe à table » en
perforant de son bec puissant le cuir de la carcasse. Il
vit seul ou en couple mais certains se rassemblent à la
tombée de la nuit. Le nid, de 2 m de diamètre, est
construit sur un arbre, souvent un vieil Acacia. C'est à la
saison sèche que la femelle pond un seul oeuf à la saison
sèche. Les deux parents se chargent de la couvaison à tour
de rôle pendant presque deux mois. A la naissance,
l'oisillon a un duvet entièrement brun sauf sur sa tête et
son cou qui sont gris. Tant que celui-ci n'est pas capable
de voler, au moins l'un des parents reste au nid, soit
durant environ quatre mois. Après cette période, le jeune
vautour est laissé seul au nid mais ses parents continuent
de le nourrir pendant encore deux mois.
Mammifères sahariens d’hier et d’aujourd’hui
De nombreux Mammifères vivent au Sahara marocain, mais tous
ne sont pas vraiment spécialisés à la steppe désertique et
s’avèrent aussi présents dans les régions périphériques. Un
exemple d’espèce purement déserticole est donné par l’Oryx
algazelle ou Antilope dammah (Oryx
dammah), laquelle est
devenue rarissime au Sahara ou en a disparu du fait des
massacres acharnés perpétrés à son encontre. Cette grande
Antilope pénétrait assez profondément les régions
sahariennes, notamment aux époques pluvieuses et favorables
au regain de la végétation. Son existence marocaine n’est
désormais illustrée que par un contingent maintenu en
semi-liberté dans quelques secteurs du Parc national de
Souss-Massa. L’Addax et la Gazelle dama des plaines
sahariennes sont deux autres Macromammifères de cette
catégorie strictement saharienne. D’autres Mammifères
n’occupent au sein du pré-désert que des niches écologiques
particulières, lesquelles s’avèrent compatibles avec leur
identité biologique. C’est vrai du Mouflon à manchettes
(Amotragus
lervia) qui habitait
et habite parfois encore les petits djebels sahariens, mais
qui est en très forte régression du fait du braconnage dont
il est victime. Parmi d’autres espèces exclusivement
sahariennes, tous types de biotopes confondus, on rencontre
aussi quelques Rongeurs, notamment de la famille des
Gerbillidés.
D’autres encore sont plus éclectiques et s’ils fréquentent
la niche subsaharienne, ils voient aussi leur aire très
étendue à l’extérieur et en d’autres écorégions, notamment
vers l’ensemble du Nord atlasique. C’est le cas de la
Gerbille champêtre, espèce saharo-magrébine qui se
rencontre de l’Atlantique à la Mer Rouge ou encore du
Mérion de Shaw qui peuple tout le Maghreb jusqu’en Égypte,
y compris toute la bande nordique du Sahara, de Guelmim
jusqu’à Figuig. Rejoignent cette catégorie le Rat à trompe,
qui n’est pas un Rongeur mais un Macroscélide insectivore
qui remonte l’Oriental jusqu’à la Méditerranée, le Hérisson
d’Algérie qui tout en peuplant tout le Nord marocain
parvient jusqu’aux confins de Tarfaya, le Hérisson du
désert qui n’investit ni le centre, ni le nord mais
n’occupe que la bande sud-atlasique depuis Laâyoune jusqu’à
Figuig sans s’étendre dans le Sud saharien, de nombreuses
Chauves-souris dont peu d’espèces s’aventurent vraiment
dans le biome saharien, d’autres Rongeurs comme l’Écureuil
de Barbarie, le Porc-épic, des Muridae tels
la Souris sauvage et le Rat rayé de Barbarie, puis le
Lièvre du Cap, Lagomorphe à grande élasticité écologique,
des Artiodactyles comme la Gazelle de Cuvier
(montagnarde mais présente tout au long du Drâa) et la
Gazelle dorcas (nettement plus saharienne mais atteint la
Méditerranée au nord par les hautes plaines de l’Oriental),
des Carnivores enfin : le Chacal, le Renard roux, le
Renard famélique, la Zorille de Libye, la Mangouste
ichneumon, l’ Hyène rayée (quasiment exterminée mais qui
auparavant fréquentait les Atlas, le Plateau central et le
Rif), le Guépard (dont l’ultime présence aléatoire dans le
Bas Drâa ne donne aucunement l’image de sa diffusion
ancestrale tout au long des Atlas subsahariens), le Chat
ganté et le Chat des sables ou Chat Marguerite (quasiment
éteint) et le Lynx Caracal dont les populations
saupoudraient il y a peu tout le Maroc.
Les Musaraignes
Dans la sympathique famille des Soricidae,
les espèces suivantes de Musaraignes sont représentées dans
le Sahara marocain : Crocidura
lusitania,
Crocidura
viaria,
Crocidura
tarfayensis,
Crocidura
whitakeri,
Suncus
etruscus. La Musaraigne
de Tarfaya (Crocidura
tarfayensis) est un
endémique du Sahara atlantique dont l’aire littorale va de
l’Oued Massa jusqu’au Sud de la Mauritanie. Elle fréquente
les zones aréneuses fortement aridifiées, les formations à
Euphorbes cactiformes et probablement aussi des stations
rupicoles. Le Pachyure étrusque ou Musaraigne étrusque
(Suncus
etruscus) est connu du
Proche-Orient, d’Europe et partiellement du Maghreb. Elle
ne concerne le Sahara marocain qu’en son extrémité
orientale, dans la région de Figuig.
Les Chauves-souris
Les Chiroptères qui hantent le prédésert ne sont pas
légion. On ne peut guère citer que le Grand Rhinopome (en
marge du Drâa et du Tafilalt), le Rhinopome à longue queue
ou Petit Rhinopome (Djebel Bani, Foum-El-Hassan, Oued Tata,
Ouarzazate, Tafilalt), la Nyctère de la Thébaïde (région du
Bas Drâa), le Trident (Drâa, Tafilalt), la Pipistrelle de
Kuhl (Drâa, Tafilalt) et la Sérotine (Bas Drâa).
Indices de bêtise dans la culture traditionnelle...
Associée au diable comme le Serpent, la Chauve-souris
frappe l’imagination de bien des esprits faibles dans
divers pays. Si en Chine, elle est un symbole porte-bonheur
fréquemment représenté, en France, dans les campagnes, on
la clouait comme le Hibou ou la Chouette – et la pratique
barbare persisterait encore ici et là - sur sa porte afin
de conjurer le mauvais sort. On affirme encore qu’elle
s’accroche aux cheveux, etc.
Au Maroc et dans les régions sahariennes, bien des
pratiques obscurantistes ont pignon sur rue. Ainsi à
Guelmin (et ailleurs), en 2004, peut-on entrer dans un
magasin vendant des plantes médicinales ou censées l’être,
et trouver à côté de peaux de Chacal, de Genette et de
Mangouste, de grappes de Caméléons séchés, de Huppes aux
yeux crevés et conservées dans de vieux journaux, des
cadavres de Chauves-souris en vrac et toutes espèces
confondues, que des femmes viennent acheter pour les porter
attachées à leur cou afin de retenir leur mari
infidèle ! Les vieux démons moyenâgeux ont la peau
dure ! Les croyances irrationnelles, l’illettrisme et
les préjugés ancestraux de la mythologie contemporaine des
« braves gens » viennent ainsi compléter le
cortège des agresseurs « modernes » de la
biosphère, l’inconscience et l’irresponsabilité de
décideurs qui emploient des pesticides sans se soucier des
nombreuses conséquences irréversibles, les razzias de
gamins à qui on n’a pas enseigné la moindre valeur de la
vie animale, et une liste interminable d’exactions à
l’égard du vivant. La bêtise et l’esprit de lucre, toutes
trivialités confondues, sauront avoir raison de la plupart
des espèces d’un patrimoine naturel en plein naufrage.
La Hyène
Trois espèces d’Hyènes forment la famille des
Hyaenidae.
La plus grande est l'Hyène tachetée (Crocuta
crocuta), dépourvue de
crinière, qui investit les contrées ouvertes de l'Afrique,
au sud du Sahara, où son cri, sorte de ricanement, est bien
connu. En bande, elles peuvent s'attaquer à des proies
imposantes comme les Zèbres et les Gnous. L'Hyène brune
(Hyaena
brunnea) est un animal
solitaire qui vit en Afrique australe, où il est devenu
rare. Enfin, l'Hyène rayée (Hyaena
hyaena), qui est
marbrée de taches sombres formant des rayures et ne
s'attaque jamais à de grandes proies, habite l’Afrique
(dont la ssp. barbara
au
Maghreb) et l’Asie méridionale, du Moyen-Orient jusqu'en
Inde. On doit prendre aussi en considération le Protèle
(Proteles
cristatus) qui est une
sorte de petite Hyène d'Afrique orientale et australe, aux
dents réduites et surtout insectivore. Les Hyénidés
semblent descendre d'un Carnivore de l'Éocène
baptisé Viverravus.
Trois lignées en furent représentées au Miocène dont l’une
conduisit à l'Hyène des cavernes, qui vécut en Europe au
Pléistocène. Les Hyènes sont des Mammifères africains et
asiatiques, de la taille d'un très grand Chien,
caractérisés par des pattes antérieures plus longues que
les postérieures et munies de quatre doigts, portant des
griffes émoussées non rétractiles, un dos oblique, le cou
assez long et souvent couvert d'une crinière, des oreilles
pointues et une queue touffue. Le pelage est rude. Les
mâchoires puissantes, armées de trente-deux à trente-quatre
dents robustes sont aptes à broyer les os. Les Hyènes
vivent dans les savanes où, cachées pendant le jour, elles
sortent généralement en meutes le soir et sont alors
reconnaissables au loin à leurs ricanements particuliers.
Elles recherchent les charognes abandonnées par les grands
fauves et les dévorent avec les Chacals et les Vautours,
mais peuvent à l’occasion attaquer des animaux vivants.
Après une gestation de trois mois environ, la femelle met
bas, selon les espèces, de un à quatre petits. L'Hyène
présente un curieux phénomène nommé
pseudohermaphrodisme : les organes génitaux externes
de la femelle ressemblent à ceux du mâle. Aussi, chez de
nombreux peuples, croit-on que l'Hyène est tantôt mâle et
tantôt femelle. Cette croyance est ancestrale et les plus
grands savants de l'Antiquité et du Moyen-Âge s'en sont
faits l'écho. Pline l'ancien et Ovide ont ainsi affirmé que
l'Hyène était hermaphrodite.
La situation marocaine de l’Hyène n’est pas fameuse et
n’excède pas la centaine d’animaux, dont les peuplements
sont essentiellement concentrés sur le littoral saharien
atlantique, ainsi que dans le Bas Drâa. Il s’agit partout
d’ailleurs de sujets erratiques. Son caractère charognard
lui a fait perdre d’importants effectifs victimes des
campagnes d’empoisonnements par la strychnine. Depuis
toujours persécutée au nom de la sorcellerie, sa dépouille
était monnaie courante dans les souks jusqu’au milieu du
siècle dernier et ce commerce est largement à l’origine de
son déclin et son statut est celui d’une espèce au bord de
l’extinction. Bien que théoriquement protègée par la loi,
on peut encore en trouver sur les marchés des peaux
résultant du braconnage. Sa cervelle, ses pattes, ses dents
et ses poils sont toujours utilisés en sorcellerie, malgré
l’hostilité des musulmans pratiquants qui font brûler toute
dépouille découverte. Une infime partie de sa cervelle
mélangée à un plat prétendait faire perdre la raison à son
consommateur, méthode d’ensorcellement encore utilisée par
la génération précédente dans le Sud du pays. On offre
actuellement plus de 5000 dirhams pour une Hyène tuée, de
quoi éveiller quelques convoitises (Cuzin, 1996). Les aires
les plus favorables permettant des mesures de conservation,
à la condition d’une surveillance effective et de l’abandon
des campagnes d’empoisonnement aux conséquences dramatiques
pour les Carnivores, seraient l’embouchure du Drâa, ainsi
que de l’Oued Chebeika, le futur Parc national du Bas Draa,
ainsi que quelques gorges du Haut Atlas central comme le
projet d’aire protégée du Wabzaza (Cuzin, 1996). Des
mesures de dédommagement des bergers en cas d’attaque des
troupeaux, hélas toujours difficilement vérifiables,
devraient aussi accompagner les espoirs d’une régénération
de ce bel animal au Maroc.
Le
Guépard
Le Guépard appartient à la famille des Félidés, mais
contrairement aux autres Félins, ses griffes ne sont pas
rétractiles. Son pelage est rude, de couleur jaunâtre avec
des taches noires et rondes. Sa tête est petite et deux
rayures noires relient le coin interne de ses yeux aux
commissures de ses lèvres. Sa colonne vertébrale est très
souple. Sa longévité est d’une quinzaine d’années. Toute sa
structure révèle ses qualités d'excellent coureur,
notamment sprinter car il s’essouffle rapidement. Il est
donné comme l'animal terrestre le plus rapide avec une
pointe à 100 km/h en quelques secondes avant de terrasser
sa proie. Ainsi, il ne chasse pas à l’affût, ses capacités
lui permettant de fondre subrepticement sur sa victime.
Quand il court, on croirait qu'il vole car sa colonne
vertébrale est très flexible : elle se détend ou s'arrondit
pour lui permettre de faire des bonds de 6 à 8 mètres !
Autant qu'un cheval ! Et sa queue, comme un contre poids,
l'aide à garder l'équilibre. Il peuple les savanes et les
steppes sahariennes de l’Afrique, surtout à l’est et au
sud-ouest, en qualité de prédateur d’Antilopes et de
Gazelles, mais aussi de Lièvres et de Porcs-épics. Ce bel
animal parcourt de très vastes territoires de l’ordre de
250 km2. A l’exemple des Lions et contrairement aux autres
Félins, les Guépards sont relativement sociables. Il arrive
souvent que des jeunes d'une même portée chassent ensemble.
Seules les femelles adultes préfèrent s'éviter et leur
territoire peut être jusqu'à cinq fois plus grand que celui
des mâles. Après une période de gestation de trois mois, la
femelle donne le jour à une portée de deux à cinq petits.
Les Hommes ont toujours utilisé les talents de chasseur du
guépard et on le dressait déjà dans l'antiquité. Des
Égyptiens aux princes russes, en passant par les empereurs
mongols, tous possédaient des Guépards avec lesquels ils
organisaient des chasses royales. Autrefois, le Guépard
vivait dans toutes les zones non boisées de l'Afrique, de
l'Inde, de l'Asie occidentale et du Turkirstan.
Le Guépard est dorénavant en grand danger. La sous-espèce
asiatique a pratiquement disparu et quant à celle
africaine, elle ne se maintient qu’à la faveur de diverses
figures de conservation. Vers 1900, il y en avait 100.000
dans le monde entier, aujourd'hui en grand danger il n’est
reste plus que 10.000, dont une vingtaine maximum au Maroc.
Déjà signalé comme très rare par les mammologues
connaisseurs du Maroc autour de 1950, c’est un miracle
qu’il ait pu se maintenir face aux multiples menaces. Ses
dernières présences dépendent de vastes régions du Sahara
marocain encore peuplées de Gazelles. Il est tout de même
gagnant sur la Panthère qui ne possède plus que quelques
sujets génétiquement isolés et retranchés dans l’Atlas. Ces
éradications définitives sont à mettre au compte de l’Homme
moderne et, en dépit des proclamations médiatisées et
autres effets d’annonce, il semble bien que la plus grande
destruction du vivant depuis l’apparition des Primates se
poursuive impunément.
Le Caracal
Le Lynx Caracal (Caracal
caracal) est un Felidé
dont les populations couvrent la presque totalité du
Continent africain, dont l’essentiel du territoire
saharien. On le retrouve également en Asie du Sud-Ouest.
Fuyant les forêts denses, ce Mammifère carnivore habite les
savanes et les collines rocheuses. Il a été observé dans
les principales Hamadas, la Seguiet-El-Hamra, le Djebel
Ouarkziz, le Tafilalt... Depuis quelques années, le caracal
aurait déserté le littoral saharien. Son pelage est de
couleur fauve-roux clair, le ventre est blanchâtre. La
tête, fauve, présente deux raies lacrymales noires de l’œil
au nez. Le bout des oreilles est prolongé de deux pinceaux
noirs, lesquels sont à l’origine de son nom, Caracal
signifiant « oreilles noires ».
Ce Félin crépusculaire et nocturne, qui peut peser entre
6,5 et 19 kg et atteindre une une longueur de corps variant
de 650 à 900 mm, est un grimpeur agile qui se nourrit
d’Oiseaux, de Reptiles, de petits Mammifères (Rongeurs,
etc.) et à l’occasion de Gazelles. Il s’attaque parfois au
petit bétail et aux volailles. Bien que l’espèce soit
théoriquement protégée, la protection est peu appliquée et
des Caracals sont tués chaque année par des chasseurs.
Selon Cuzin, la densité de l’espèce au Maroc est
extrêmement faible : la population devrait être
estimée à moins de 250 animaux reproducteurs, en déclin
continuel, et dont aucune sous-population locale ne devrait
dépasser la cinquantaine d’animaux reproducteurs. Le statut
de ce noble animal peut être considéré comme au bord de
l’extinction. Outre un strict respect de la loi, des
campagnes d’information sur la nécessité de le sauvegarder
devraient être menées dans les villages et des programmes
de recherche lancés afin de mieux évaluer les possibilités
de le conserver.
Le Bubale
Le Bubale (Alsephalus
buselaphus) était la plus
grande des Antilopes marocaines, quasiment de la taille
d'un Cerf, mais avec un dos tombant. Cet animal qui peut
atteindre au garrot 1,30 m et peser 140 kg est un habitant
des steppes et savanes sèches. Au début du XXe siècle, il
était encore un représentant classique de la faune du Maroc
où il figurait notamment sur les Hauts Plateaux de
l’Oriental, dans le Haut Atlas oriental et les marges
présahariennes, évitant le pur domaine saharien. Les
derniers sujets auraient été massacrés dans la région de
Missour (Oriental) et dans le bassin de l’Oued Moulouya.
Mais selon Panouse, un groupe de survivants auraient encore
vécu vers 1945 dans la palmeraie de Foum-Zguid (Vallée du
Drâa), non loin de la frontière avec l’Algérie. Cuzin
rapporte que la disparition du Bubale au Maroc est due à sa
surexploitation par l’Homme qui l’a exterminé à l’arme
automatique du fait de la masse de viande qu’il
représentait. Un notable, le caïd Krit, originaire
d’Outal-Oulad-El-Haj (Oriental), affirmait avoir tué douze
animaux d’un groupe de quinze dans les années 30. Le statut
du Bubale correspond au Maroc à une espèce disparue.
D’autres sous-espèces vivent encore dans le Sahel, en
Afrique orientale et en Afrique méridionale. Il semble
hélas illusoire d’entreprendre un programme de
réintroduction de cette antilope géante au Maroc dans la
mesure où le phylum est aujourd’hui altéré par la perte du
taxon subspécifique correspondant à la région
biogéographique.
Points
de mire et mirages à volonté
L’intérêt naturaliste (et touristique...) de certaines
régions naturelles du domaine saharien marocain mérite un
regard rapproché. Ces divisions coïncident avec des régions
ainsi individualisées par les autochtones et les
administrations. En voici une trop brève sélection, du sud
au nord et d’ouest en est. Les signalements rapportés et
concernant quelques espèces cardinales (endémiques,
emblématiques ou en voie de régression) correspondent aux
informations tant bibliographiques que vécues, datant
parfois de quelques années, d’autre fois de quelques
décennies. On ne peut donc en garantir une brûlante
actualité car au train (tout autant
« climatique »
qu’ « anthropique ») où vont les choses, le
cri d’une Hyène rayée, les traces du Chat ganté, les fèces
d’un Guépard, le terrier abandonné d’un Renard famélique,
l’ombre d’un Varan du désert, le vol d’un Milan royal à
Boujdour ou d’un Aigle ravisseur à Tan-Tan, la présence sur
le transect Tata-Akka de pelotes de régurgitation d’un
Grand-duc ascalaphe, ou encore le chant lointain de
l'Engoulevent du désert, tous exemples d’indices ne datant
que de la fin du siècle précédent (le XXIe n’ayant pas
encore dix ans !), peuvent parfaitement être suivis du
néant et rejoindre la liste posthume de la Gazelle dama, de
l’Autruche d’Afrique du Nord, du Vautour oricou, du
Crocodile de l’Afrique de l’Ouest et d’un long et bien
affligeant etc. Ce qu’il y a de vraiment désolant (et
nouveau) dans les extinctions de notre période, et
peut-être tout spécialement dans les contrées arides, ce
n’est pas la disparition de telle ou telle espèce en
elle-même mais la rapidité du processus d’éradication et le
fait que l’origine en soit la modification de l’espace.
L’Aguerguer : un désert côtier
Peu au-dessus du Tropique du Cancer, Dakhla (anciennement
Villa Cisneos) est, à 300 km de la Mauritanie, la dernière
ville du Sahara marocain. Paradis des pêcheurs (comme il y
a avait des paradis pour chasseurs...), battue par le vent
et le sable, écrasée sous le soleil, c’était la capitale de
l’ex-Rio de Oro, dont l’ancien Tiris-El-Gharbia fait
désormais également partie de la nouvelle région d’Oued
Eddahab-Lagouira. Dans la quiétude des eaux turquoises de
l’immense baie, se reposent d’innombrables Oiseaux
migrateurs. La région est réputée pour la pureté de ses
fonds marins. Le Dauphin à bosse, espèce tropicale, trouve
ici sa limite septentrionale.
Sur un sol majoritairement formé de grés coquilliers, bordé
de hautes falaises maritimes, la région de l’Aguerguer
s’étale en rivage de l’Océan entre les parallèles 21.00 et
26.00 de latitude nord, soit depuis la frontière
mauritanienne jusqu’aux abords du Cap Bojador. On y
distingue de longues séries de barkhanes. La phytocénose y
est particulièrement appauvrie et les éléments
macaronésiens se font rares. Le paysage est assez monotone
à l'intérieur et sur le littoral, cette monotonie n'est
rompue que par les presqu'îles de Dakhla et le Golfe de
Cintra. Bien que la dominante océanique en atténue les
extrêmes, le climat est foncièrement aride, avec des hivers
très froids et secs tandis que les étés sont très chauds et
humides sur la côte où se produisent souvent des brumes,
des brouillards et des rosées. Les pluies sont rares aussi
bien sur le littoral qu'en retrait. Dakhla ne reçoit en
moyenne que 45 mm par an. L'humidité maritime fait que la
flore du littoral est tout de même abondante et
diversifiée. Les eaux côtières exceptionnellement riches en
Poissons sont le théâtre d’une surpêche dont on souffrira
bientôt.
L'Océan est ici
partagé entre les eaux canariennes et l'existence d'une
grande masse d'eau très particulière, froide et très
fertile, dont l'origine est due à la permanence d'un
upwelling qui s'étend de la hauteur de Dakhla à celle du
Cap vert. Ces remontées d'eaux froides et profondes,
associées au courant des Canaries, jouent un rôle majeur
dans le maintien d'un microclimat frais et de riches
ressources halieutiques exploitées sans vergogne.
Et si on pêchait à la dynamite !
« La dégradation des milieux aquatiques au Maroc doit
être un sujet de préoccupation majeure des administrations
concernées.
En Méditerranée, le dynamitage est une pratique courante, à
bord des sardiniers ou aux pieds des falaises ; ce qui
perturbe, localement, la tranquillité de la plus belle
colonie méditerranéenne des balbuzards pêcheurs et réduit
leurs proies. On peut évoquer aussi la raréfaction de
l'anchois, des moulières, de la grande Patelle. La chasse
sous-marine en bouteille est fréquente. Les chasseurs
sportifs, souvent viandards, se renforcent des
professionnels en barque pour exploiter intensivement le
mérou en été.Le long de la
côte atlantique, les lagunes subissent maintes agressions
anthropiques et leur étendue régresse comme une peau de
chagrin en compromettant les sites de nidification
d'espèces rares de l'avifaune. En mer, maillages et tailles
réglementaires des espèces commercialisables ne sont pas
respectés. Les pollutions chimiques et physiques
industrielles au sud de Safi peuvent être soulignées comme
les rejets urbains des villes côtières. Au sud, la baie de
Dakhla était un sanctuaire protégé de la pêche. Depuis deux
ans, la levée de cet interdit a rassemblé sur le site
presque deux cents barques armées de filets maillants et de
filières à poulpes (600 pots/unité !). La faune abondante
de sparidés, mérous, corbs, ombrines, courbines et
langoustes, qui enthousiasmait les équipes internationales
de chasse sous-marine ou les pêcheurs sportifs au
surf-casting, n'est plus qu'un souvenir, le réseau
trophique ayant été profondément perturbé. Les impacts
d'une exploitation abusive et des pollutions sont
perceptibles dans la baisse de certains rendements en pêche
côtière ou hauturière céphalopodière.
Les eaux continentales ne sont pas épargnées... Pollutions
chroniques urbaines, industrielles et barrages ont réduit
l'aire de distribution des grandes aloses ; leur
exploitation a chuté de 700 à 10 tonnes en 20 ans et leur
extinction est proche... Que sont aussi devenus les oueds à
truites ?
Le bilan devient consternant. Peut-on gaspiller des
ressources alimentaires au Maghreb, négliger le maintien de
la biodiversité ? L'avenir socio-économique des pêches
professionnelles et sportives, des activités touristiques
passe par une prise de conscience collective de le valeur
de ces milieux aux potentialités multiples et par le
respect des réglementations qui protègent la
ressource. »
(Écosystèmes menacés, par Marc-Richard Sabatié, paru dans
Le Courrier de l’Environnement de l’INRA, nº 51.)
Le Parc national de Dakhla : le Sahara
« parqué »
Voici le
sanctuaire stable et durable offert à la grande faune
saharienne ou à ce qui en reste, car le Guépard, l’Addax,
l’Oryx, certaines Gazelles et l’Autruche ont ici et depuis
belle lurette des présences posthumes. Ce parc occupe un
immense territoire de presque deux millions d’hectares
s’étendant sur la province d’Oued Eddahab, frontalière avec
la Mauritanie et enveloppant de grands territoires
géographiquement distincts : un immense reg intérieur
parsemé de butes gréseuses, au relief souvent allongé et
une bande littorale fortement soumise à l'influence
océanique. Le secteur côtier, établi sur l’Aguerguer, est
délimité sur sa façade atlantique par de hautes falaises
battues par les vagues et riches en varech. Cette zone est
constituée d'un chapelet de petits reliefs ruiniformes,
buttes gréseuses qui soumises aux caprices des vents très
fréquents et puissants, ont dégagé des reliefs étranges,
fortement découpés et qui constituent une originalité
majeure. Ces grès karstifiés, ces surfaces rocailleuses
fortement érodées ne facilitent pas la pénétration de ce
secteur, dont la partie septentrionale fut autrefois le
règne d'une importante population de Gazelles dorcas dont
il reste aujourd'hui quelques hardes. La côte est
spécialement vouée aux mesures conservatoires d’un
contingent de Phoques moines, le plus important connu, et
dont les individus sont aisément observables du haut des
vertigineuses falaises, ainsi que de la Gazelle dorcas du
plateau littoral. Le secteur terrestre occupe
principalement la grande région de l'Adrar Souttouf, un
immense reg aux inévitables ensablements, parsemé d’îlots
montagneux et de longues collines à teinte très foncée et
traversée par quelques lits d'oueds asséchés, ponctués
d'Acacias. Jadis, ce territoire était riche en espèces
climaciques sahariennes désormais éteintes. Aujourd’hui, il
conserve encore de rarissimes Mouflons à manchettes, la
fragile Gazelle dorcas, l’ombre de l’Hyène rayée, le Chacal
« mal-aimé », le Fennec « trop aimé »,
le Renard famélique, le Ratel, la Zorille et le Chat ganté
pour ce qui concerne les espèces les plus remarquables. La
Mangouste rouge y a aussi droit de citer : c’est une
espèce endémique et fréquente du Sahara marocain, de taille
plus modeste que l’Ichneumon, elle possède un pelage brun
rougeâtre à ocre et la queue est plus longue. Il convient
de joindre aussi quelques Rongeurs spécialisés, tels la
Mérione du désert, la Gerbille de Riggenbach (petite espèce
endémique au ventre blanc), le Rat de sable diurne, le
Pachyuromys à queue en massue, la petite Gerboise et le
Lièvre. Des indices de la présence de l’Hyène, datant de
1995, donnent à penser que le bel animal farouche y survit
toujours.
175 entités représentent l’avifaune du parc, dans les deux
aspects maritime et terrestre, dont une petite espèce
particulière d'Alaudidés : la Moinelette à front blanc,
très localisée et redécouverte dans la région inexplorée
d'Aoussard.
Du point de vue herpétologique, il est intéressant de
dresser l’inventaire des espèces rencontrées et rapportées
par la littérature scientifique pour cette région parce
qu’elle représente non seulement les confins du territoire
marocain mais aussi la limite d’expansion méridionale de
bon nombre de Reptiles et d’un unique Batracien. Cet
Amphibien est le Crapaud vert dont sa présence jusqu’ici et
au-delà même du territoire de la Grenouille verte d’Afrique
du Nord, pourtant fortement ubiquiste, témoigne de son
étonnante résilience (la station la plus méridionale est le
village d’El-Argoub, un peu plus bas que Dakhla). Les
Reptiles, toutes familles confondues, comprennent : la
Tarente commune (indigénat douteux à cette latitude, la
limite admise de cette espèce profuse étant la basse vallée
du Drâa) ; la Tarente annelée ; la Tarente du
Hoggar (inféodée aux troncs d’Acacias dans l’Adrar
Souttouf) ; le Gecko casqué (déserticole et hôte des
formations aréneuses littorales) ; le Sténodactyle
commun ; le Sénodactyle de Petrie (Gecko saharien
strictement psammophile) ; le Gécko à écailles
carénées (ssp. occidentalis)
(habitant des regs et des hamadas) ; l’Agame de Bibron
(investit peu l’étage saharien et la région de Dakhla,
avancée extrême, est à confirmer) ; l’Agame changeant
(son preferendum est nettement plus saharien que l’Agame de
Bibron et il tend à le remplacer dans les milieux plus
hostiles ; son éthologie est également différente car
au lieu de détaler promptement, il s’aplatit, cherche à
rassembler des graviers et se fige) ; le Fouette-queue
(ssp. nigerrimus
noirâtre) ;
le Varan du désert (il fréquente l’erg mais victime d’une
grande prédation de la part de l’Homme, sa présence est
désormais fortement diluée) ; l’Éremias de Pasteur
(habite l’erg où il est rare et semble illustrer une
vicariance de l’Éremias d’Olivier septentrional) ;
l’Éremias à points rouges (espèce saharienne remarquable et
exceptionnelle faisant l’objet que rares citations du
Sahara marocain dans les regs très orientaux de l’Adrar
Souttouf) ; l’Acanthodactyle de Duméril (dans l’Adrar
Souttouf et en Maurétanie où il est propre aux ergs
continentaux) ; l’Acanthodactyle doré (remplace
l’Acanthodactyle de Duméril dans les massifs dunaires
côtiers de l’Aguerguer) ; le Sphénops occidental
(sabulicole craintif, propre à la façade atlantique du
Sahara) ; le Sphénops de De l’Isle (belle espèce des
zones sablonneuses de l’Afrique tropicale, au Maroc, elle
n’est connue que de l’Adrar Souttouf et des confins du
Tiris) ; le Scinque à bandes blanches (dit Scinque
officinal ou Poisson de sable) ; la Couleuvre algire
(espèce très discrète faisant l’objet de rares citations
tant littorales qu’intérieures dans cette région) ; la
Couleuvre à capuchon (ssp. nominative) (plutôt
exceptionnelle au Sahara marocain, sa notation de Dakhla
prouve la valence écologique d’une Couleuvre de rencontre
plus habituelle aux étages humide et perhumide des
montagnes boisées) ; la Couleuvre fouisseuse à diadème
(nettement mieux en place sur le front subsaharien bordant
les Atlas, un indigénat côtier est néanmoins présent contre
la frontière mauritanienne) ; la Couleuvre de
Montpellier (sa distribution s’essouffle sur le littoral du
Sahara marocain où le secteur de Dakhla serait le point le
plus avancé) ; la Couleuvre de Moïla (déserticole peu
connu et, bien que d’une robe très claire, est parfois
confondue avec le Cobra dont elle s’affuble de la parade
dissuasive et bluffante lorsqu’elle est inquiétée) ;
la Couleuvre de Schokar (avec une forme chromatique propre
à la contrée) ; la Vipère à cornes (un peu partout
mais évite l’erg et la frange littorale) ; la Vipère
de l’erg (belle petite Vipère franchement arénicole, tout
autant dans les dunes maritimes que continentales). Le
contingent énuméré est celui que l’on rencontre dans
l’Aguerguer et l’Adrar Souttouf. La plupart des taxa
figurant dans cette liste se manifestent irrégulièrement
dans les autres écorégions du Sahara marocain abordées à la
suite et nous ne referons le point des présences
herpétologiques qu’au niveau du Bas Drâa où le critère plus
continental fait que la composition se modifie
partiellement, reprenant un faciès davantage enrichi de
composants paléarctiques.
Bien que peu concernées par les écosystèmes terrestres
auxquels nous nous limitons, on peut citer les Tortues
marines qui manifestent leur présence sur les côtes de cet
océan très riche : la Caouanne, la Tortue verte,
occasionnellement la Tortue imbriquée, la Tortue-luth
La flore vasculaire ici évaluée à 250 taxa, compte
notamment et pour les grandes espèces :
Acacia
raddiana,
A.
ehrenbergiana,
Faidherbia
albida,
Balanites
aegyptiaca,
Capparis
decidua,
Maerua
crassifolia et plusieurs
espèces de Tamarix.
Dans les limites continentales de ce secteur se rencontrent
d’impressionnantes barkhanes isolées et concaves. La
qualité paysagère est rendue très originale par l’aspect
surréaliste de ces massifs dunaires de barkhanes
« chantante » (sous certaines conditions
climatiques), qui semblent flotter sur l’extrême platitude
du reg caillouteux.
Le Parc a non seulement pour mission d'établir un
sanctuaire durable pour la grande faune saharienne
subsistante, mais aussi celle de la réintroduction des
espèces éteintes.
L’Addax
n’a pas de frontière...
Outre son rôle
de réservoir génétique potentiel (formule grandiloquente
mais qui revient à dire qu’il n’y a plus grand chose
d’autre à protéger qu’une potentialité !), l’autre
mission du Parc est la réintroduction convoitée de certains
grands Herbivores. Cet objectif essentiel appelle quelques
remarques qui font qu’il confine à l’utopie s’il ne vise
que le strict territoire national. Pour être rationnel et
réalisable, la pensée qui y préside se doit être
universelle et globale puisque transsaharienne.
L’est-elle ?
L’un de ces Macromammifères est un remarquable Bovidé au
pelage dorsal de registre gris et variable selon les
saisons, au ventre blanc, aux cornes contournées en spirale
et annelées plus de vingt fois sur leur partie basale.
Cette grande Antilope est l’Addax qui depuis l’Atlantique
et jusqu’en Égypte investit toutes les steppes sahariennes
d’où elle a été persécutée puis décimée du paysage marocain
et du Sahara marocain il y a une cinquantaine d’années. La
dernière observation date de 1963 dans la Seguiet-El-Hamra
et depuis toujours sa présence n’était que temporaire à
l’est du Haut Drâa d’où elle regagnait l’Algérie. L’Oryx
est une espèce voisine mais aux longues cornes rectilignes
recourbées en arrière (chez les deux sexes), au pelage
blanchâtre cà et là lavé de brun. Elle fit l’objet d’une
chasse intensive et il est peu probable qu’il en subsiste
quelques hardes dans le Souttouf, le Tiris ou le Zemmour.
Comme la fragile Gazelle dama, pareillement éradiquée
jusqu’à l’ultime, ces animaux ont fait l’objet d’une mise
en reproduction dans de vastes réserves closes comme celles
du Souss-Massa pour les deux grandes Antilopes ou de
Sidi-Chiker pour la gazelle citée.
Il s’agit d’Herbivores du désert, parfaitement adaptés à la
dispersion des pâturages aléatoires et qui se déplacent
conséquemment en permanence. Et l’Addax est nomade sur de
plus grandes distances encore. Pour ce qui concerne cette
dernière (et censément de même pour les autres), tout
effort de réintroduction obéira à la mouvance
populationnelle de l’antilope sans frontière. Lâchée dans
le Parc de Dakhla, elle sera vite en Mauritanie. Il est
illusoire d’imaginer l’Addax et les autres Herbivores
sahariens, y compris l’Autruche, sédentaires dans leur aire
de lâché. Comme on ne peut clôturer deux millions
d’hectares, l’option qui consisterait à fermer quelques
poches reviendrait à faire perdre son sens à l’objectif de
la réintroduction au sens strict et reproduirait de nouveau
la figure zoologique des réserves concentrationnaires. Il
en va de même pour les 286.000 ha du Parc du Bas Draâ et de
sa proximité avec l’Algérie.
Pour l’instant et avec l’Autruche, l’Addax et l’Oryx se
reproduisent et s’entassent sans perspective dans le
Parc-réserve du Souss-Massa. Une leçon de
plus qui prouve qu’il est toujours plus sage de sauvegarder
que de réintroduire ou de régénérer.
Face aux risques élevés d’extinctions prochaines, certains
programmes réalistes agissent en désespoir de cause. Tel
est le cas de « l’Arche congelée », projet de
scientifiques britanniques du centre de biomolécules de
l'université d'Oxford, ayant entrepris le sauvetage
d’échantillons de tissus des milliers d’espèces menacées.
Leurs identités génétiques sous formes d’ADN préservés
pourront être employées dans le futur pour d’éventuels
clonages. L’Oryx du Sahara figure justement dans la liste
des premiers animaux sauvés de notre déluge moderne sous
forme d’ADN. Quand nous étions petits, il fallait nous
rendre dans la salle de la préhistoire pour surprendre les
formes paléontologiques du passé.
Le passé était le passé : lointain, et nous n’étions
pas les artisans de ces fossiles. Comment imaginer
alors que cette génération façonnerait son propre passé et
qu’un demi-siècle plus tard, il y aurait urgence de mettre
à l’abri les ultimes indices de notre propre casse, tableau
de chasse d’un passé « contemporain » précipité
par l’avidité de l’espèce « intelligente » et
dominatrice ? Intelligente pour sa capacité, entre
autres, de reconnaître l’acide désoxyribonucléique du noyau
cellulaire. Imbécile pour avoir su fossiliser de ses mains
tant d’espèces en une si courte période. Chaos.
L’Adrar Souttouf : l’aridité absolue
Culminant bien modestement à 518 m, la grande région de
l'Adrar Souttouf partage avec l’Aguerguer, la figure de
conservation du Parc national de Dakhla. Le territoire se
résume schématiquement à un immense reg aux inévitables
ensablements, de grandes collines à la teinte très foncée
se découpant sur l'horizon, quelques lits d'oued asséchés
parsemés d'Acacias et de Capparidacées, et le souvenir
d’une grande faune autrefois si riche (Addax, Oryx, Bubale,
Mouflon, Gazelles diverses, Guépard, Vautour, Autruche),
aujourd'hui quasiment éteinte mais avec l’espoir d’un lent
et progressif retour, cahier des charges du Parc de Dakhla
auquel on peut toujours croire. Certains de ces Mammifères
trop pourchassés bénéficient encore de poches de survie,
mais ce n’est le cas que pour le Mouflon à manchette, la
Gazelle dorcas et peut-être les dernières Gazelles dama,
mais l’observation remontant à 1994, elle est probablement
caduque dans le cadre une région qui fut longtemps très
tourmentée par des évènements belliqueux. La plupart des
autres Mammifères sont ceux signalés plus avant et relatifs
au Parc national. Si la végétation ligneuse a beaucoup
souffert des années de sécheresse, il suffit d'un peu
d'humidité pluviale, pour que se manifeste une flore
annuelle potentiellement dense et diversifiée, car les
semences des plantes spécialisées ne perdent rien pour
attendre... On découvre dans l’Adrar Souttouf des secteurs
où les sols montrent une amorce de pédogenèse qui contraste
avec les grandes étendues gravillonnaires ou sablonneuses.
Ces horizons infinis offrent une plastique bien
particulière liée au contraste des teintes intensément
claires des surfaces éoliennes et profondément sombres des
morphologies tabulaires. Des Hommes de tous temps ont
parcouru ces immensités, nomades principalement, guerriers
rezzou autrefois, derniers chasseurs des dernières gazelles
et militaires récemment.
Les formations à Acacia
raddiana et
A
ehrenbergiana y sont
remarquables et côtoient Capparis
decidua et
Maerua
crassifolia, autour duquel
volette parfois l’exceptionnel Piéride dorée
(Colotis
chrysonome), plus
fréquente dans le massif algérien du Hoggar. On y trouve
aussi un Cassier tropical : Cassia
senna,
sous-arbrisseau-hôte d’un remarquable Papillon pantropical
et migrateur, la Piéride Catopsilia
florella, qui vole aux
Canaries, dans toute l’Afrique au sud du Sahara, jusqu’en
Inde et la Chine, et que l’on rencontre très incidemment
dans le Sahara marocain. Un autre Cassier,
Cassia
aschrek, plus présent
dans le Zemmour occidental, est parasité par le même
Rhopalocère. Enfin, la récente découverte sur le sol
marocain du Crapaud de savane (Bufo
xeros), aux limites
mauritaniennes de la localité d’Aouadi, dans le secteur du
Wadi Aïn-Ascaf, laisse sous-entendre que les quelques
signalements de Crapauds jusqu’alors non déterminés de
l’Adrar Soutouff devront être rapportés à cette espèce
subsaharienne mais atteignant le Sahara marocain depuis
l’Azeffâl de Mauritanie.
Le Zemmour occidental : un no man’s land
Les derniers combats significatifs de la guerre du Sahara
ont eu lieu à Gueltat-Zemmour en octobre 1989, en janvier
et en novembre 1990. Le seul point d’eau de tout le Zemmour
occidental, véritable no man’s land, a longtemps été la
Guelta du Zemmour, bassin permanent qui occupait une
cuvette creusée par la chute d’une dizaine de mètres d’un
oued temporaire alimenté par des pluies sporadiques. Selon
des relevés et des photos de 1942 (Rungs, 1992), les
indices laissés en période de hautes eaux enseignaient que
le bassin pouvait alors atteindre une quarantaine de mètres
de largeur pour dix-sept mètres de profondeur. La
phytocénose comprend quelques espèces de
Rhus,
Panicum
turgidum,
Hamada
scoparia et de nombreux
taxa méditerranéens.
La Seguiet-El-Hamra : un bassin sédimentaire de 90.000 km2
Ce bassin sédimentaire de plus de 800 km de longueur
côtière supporte une hydrographie très dégradée et seul
l’Oued Seguiet-El-Hamra coule occasionnellement quelques
jours tous les cinq à six ans, n’atteignant
qu’exceptionnellement la mer. Le bassin est limité à l’est
par des massifs précambriens métamorphiques et éruptifs
appartenant au bouclier R’Guibet. Au nord et au nord-est,
une importante série paléozoïque recouvre tout le socle.
Le bassin inférieur de la Seguiet El Hamra offre avec ses
ksour entourés de verdure et de Dattiers un havre de
fraîcheur. C’est un secteur encore sous l’influence
océanique, mais modérée. L’ample vallée calcaire, très
ensablée, est bordée de regs saignés de rigoles de
ruissellement des crues aléatoires. Consécutivement aux
rares pluies, on y procède à de fugaces cultures sur les
maaders et les grarats. Les Palmiers dattiers ne sont pas
légion et les Acacia
raddiana sont très épars.
Seul Rhus
tripartita se présente en
bon effectif. Les brouillards nocturnes suscitant de
véritables « lames d’eau » ascensionnelles
dynamisent le développement de Lichens fruticuleux du
genre Ramalina.
La Gazelle dorcas y est toujours signalée mais rarement
contactée.
Le bassin
supérieur de la vallée est particulièrement connu en vertu
de son histoire. La légendaire ville de Smara, cité
saharienne et ville sainte, y fut construite à la fin du
XIXe siècle par le Cheikh Ma-El-Aînin pour lutter contre
les occupants étrangers. Ce riche passé fut aussi à
l’origine de grandes aventures humaines et guerrières. Non
loin de Smara, le voyageur averti ne manquera pas d’admirer
des gravures rupestres qui attestent de l'ancienneté de
l'occupation humaine des lieux. Avec ses ksour bordés de
verdure et de dattiers, la vallée du Seguiet-El-Hamra,
offre un havre de fraîcheur. Entre les vastes regs,
quelques vallonnements conservent de beaux peuplements
d’Acacia
raddiana (comme aux
alentours du puits de Tifariti), mêlés de robustes
Maerua
crassifolia (surtout dans la
vallée de l’Oued Seraya) où s’accroche la liane
Cocculus
pendulus. Il y a
quelques décades, sur les rives et dans le lit de la
Seguiet-El-Hamra, entre Farsyia et Haoussa, subsistait une
forêt-galerie (ripisylve) très dense composée
de Tamarix
aphylla,
T.
pauciovulata,
Acacia
raddiana,
Maerua
crassifolia,
Ricinus
communis,
Nitraria
retusa,
Limoniastrum
ifniense,
Cocculus
pendulus,
Ephedra
fragilis et de grandes
Graminées. L'un des affluents de la Seguiet-El-Hamra porte
encore le nom d'Oued Argan, attestant l’ancienne limite
géonémique méridionale de l’Arganier.
Les coléoptéristes seront peut-être surpris d’apprendre
qu’en dépit des fortes contraintes climatiques, certains
habitats subtils du Sahara marocain recèlent quelques
remarquables Carabiques comme : Scarites
buparius,
Myriochile
dorsata,
Cymbionotus
semelederi,
Emphanes
inconspicuus,
Ocydromus
cruciatus,
Pogonus
chalceus,
Masoreus
saharensis,
M.
orientalis,
M.
affinis,
Atlantomasoreus
desertorum et quelques
autres Coléoptères Carabidae.
Les Caps Bojador et Juby dans la mémoire de l’humanité
Près de Boujdour, le Cap Bojador, escale de Magellan sur la
route des épices, terrorisait les anciens navigateurs. Le
plus souvent noyé dans la brume, il paraissait
infranchissable et tous les marins renonçaient à en
affronter les vagues énormes eat faisaient demi-tour. Après
douze ans de tentatives et de renoncements, le navigateur
Gil Eanes, audace navigateur portugais réussit à le
franchir en 1434.
Ce
modeste cap africain situé à 120 milles au sud des
Iles Canaries représentait depuis longtemps les limites du
monde connu et selon la croyance médiévale, son
franchissement marquait la sortie de l'espace intellectuel
du Moyen-Age et l'entrée dans la « Mer
ténébreuse ». Face aux Canaries, là où est blotti le
port de pêche de Tarfaya, le Cap Juby est un formidable
promontoire sur la côte Atlantique. Des cultures vivrières
et temporaires entre les buissons de Rhus
tripartita et de
Launea
arborescens, confinées dans
les grarats, alternent avec des espaces de forte aridité où
les Euphorbes cactoïdes et dendroïdes se complaisent sur le
calcaire prééminent. Ancienne escale des pionniers de
l’Aéropostale sur la ligne Casablanca-Dakar, les ombres de
Guillaumet, Mermoz et bien sûr de Saint-Exupéry (Courrier
Sud, Vol de Nuit, Terre des Hommes, Le Petit Prince)
planent toujours sur le Cap Juby.
La Lagune de Khnifiss : un catalogue aviaire riche de
180 espèces
Située à 70 km au nord de Tarfaya, dans la baie du même
nom, elle est parfois désignée comme Lagune de Naya dans
certains guides. Sur 6500 ha, c’est une aire protégée
longue d’une vingtaine de kilomètres. L’initiative de
Jean-Bertrand Panouse, un naturaliste français précurseur,
portait sur une superficie dix fois supérieure et un
recentrage sur l’espace humide minimum devrait couvrir
20.000 ha. Cette aire est inscrite sur la liste Ramsar pour
son importance mondiale pour les Oiseaux d’eau et c’est
pour cette avifaune la troisième escale au sud, après la
Merja Zerga et la Merja Sidi-Boughaba du littoral
nord-atlantique. Les caractéristiques bioclimatiques sont
celles de l’inframéditerranéen quasi-saharien, à hiver
doux. Si l’eau de pluie y est une denrée rare (les 45 mm
annuels ne sont qu’occasionnellement atteints), cette
carence est compensée par une humidité maritime de 90 %
durant au moins 75 jours par an, ce qui équivaut à une
appréciable période de précipitations, même si discrètes
puisque occultes. Ce véritable bras de mer s’appuie à
l'ouest sur les magnifiques dunes vives d’Hassi-Fleiga, et
à l'est sur une falaise de grès dunaire peu consolidé. Elle
se prolonge vers l'intérieur des terres par une immense
dépression saline, la Sebkha Tazra, ennoyée aux très fortes
marées et où se trouve une exploitation de sel. La Guelta
El-Aouina, voisine de l'embouchure de la lagune et isolée
de celle-ci par une série de dunes, draine les eaux de
l'Oued Aouedri et n'est donc alimentée que par les
précipitations. Ces deux plans d'eau, proches
géographiquement mais d'hydrologies très différentes, sont
environnés de portions de biotopes variés : regs, ergs,
sebkhas, krebs (escarpements de hamadas), sources (et
puits), falaises vives littorales et plages. Le lagon est
ceint d’une plate-forme côtière calcaire du Crétacé.
Plusieurs vestiges archéologiques existent sur le site.
L'un est une tour dont seul le sommet émerge du sable et
tous les autres sont préhistoriques, où abondent les silex
taillés, les fragments d’œufs d'Autruches gravés et les
perles de collier pareillement en oeufs d'autruche.
La phytocénose des eaux marines est représentée
majoritairement par des Cyanophycées, ces Algues bleues (ou
Algues mucilagineuses), formes de vie primitive affines aux
bactéries et qui réalisent l'assimilation de l'azote
atmosphérique par des hétérocystes. Une trentaine d’Algues
macrophytes a été cataloguée. Zostera
nana, plante
herbacée marine, abonde. De grands herbiers de Rupelle
(Ruppia
cirrhosa), plante
phanérogame, sont partout enracinés dans ces eaux
saumâtres. La végétation à halophytes, notamment illustrée
par Spartina
maritima et
Nardus
sp.,
sert de pâture aux Chameaux dont on peut se questionner sur
l’opportunité de leur présence ici. On trouve évidemment
des Salicornes (Salsolacées) propres aux marais salants
comme : Salicornia
arabica,
S.
perennis, ainsi
que Suaeda
maritima,
Atriplex
portulacoides (pourpier de
mer), Halocnemum
strobilaceum,
Arthrocnemum
indicum, ainsi
que Cistanche
phelypaea, Cistanche
jaune, glabre et charnue qui parasite ici les Salicornes.
Des groupes isolés de Tamarix
pauciovulata ponctuent çà et
là la base des dunes. Enfin, bien des éléments
macaronésiens restent fidèles à ce paysage. Ce sont en tout
70 espèces de plantes vasculaires qui ont été recensées,
dont des endémiques rares. Outre un peuplement très
diversifié d’Invertébrés marins et terrestres, on dénombre
17 espèces de Reptiles.
Parmi les 180 espèces d’Oiseaux, on peut citer : le
Grand Gravelot (avec un
effectif de plus d’un millier de sujets), le Gravelot à
collier interrompu, le Pluvier argenté (une colonie de 2000
exemplaires), la Barge rousse (de l’ordre d’un millier),
l’Huîtrier pie, le Bécasseau maubèche, le
Bécasseau
minute, le Flamant rose (jusqu’à 700 couples peuvent
nicher). C’est enfin le seul site de reproduction du
Sterne
pierregarin et l’un des deux
du Goéland railleur. La lagune de Khnifiss est le lieu
d’hivernage de centaines de Courlis à bec grêle et la
sebkha constitue un site migratoire de la Spatule blanche.
Sans reprendre le petit catalogue herpétologique dressé
pour le Parc national de Dakhla (régions de
l’Aguerguer et du Souttouf), et vaguement valide dans la
plupart des secteurs un peu plus au nord (Amoukrouz,
Imirikli-El-Abiod, Zemmour occidental), citons ici certains
Batraciens et Reptiles présents, avec quelques nouveaux
participants transfuges du Nord, tel le Crapaud de
Maurétanie en limite d’aire, le Crapaud vert, le Crapaud de
Brongersma (meilleure avancée au sud-ouest), la Grenouille
verte d’Afrique du Nord (qui atteint l’embouchure de la
Seguiet-El-Hamra), la Tarente de Böhme (en ses limites vers
le sud), le Gecko casqué, les mêmes Sténodactyles que plus
au sud, le Scinque à bandes blanches (ou Poisson de sable),
le Caméléon (ne se rencontrera guère plus au Sud),
l’Acanthodactyle-panthère (Acanthodactylus
busacki), la
Couleuvre-diadème (au Maroc quasiment cantonnée dans ce
secteur), la Couleuvre commune d’Afrique du Nord (relicte
tropicale de très grande rareté et en voie d’extinction),
le Cobra d’Égypte (son aire atteint le haut bassin de la
Seguiet-El-Hamra et le littoral vers Echtoucan), la
colossale Vipère heurtante (la limite de sa géonémie
méridionale semble se situer un peu au sud de Laâyoune),
etc. (liste non exhaustive). L’étrange Colubridé qu’est le
Serpent mangeur d’œuf n’a pas été appréhendé à Khnifiss, ni
dans ses proches alentours, mais possède une station isolée
au sud du bassin inférieur de la Seguiet-El-Hamra, dans le
Zemmour occidental.
L’Oued Chebeika et le Marabout d’Afrique au Maroc
Quelques kilomètres avant Tan-Tan, aux prémices du
bioclimat inframéditerranéen, le site de englobe sur 3500
ha toute l'unité écologique de l'embouchure vers l'amont,
afin de prendre en compte la multitude d'habitats qui
existent vers l'intérieur, là où se développe notamment la
végétation halophile. Le périmètre est déterminé par les
reliefs qui forment le bassin de l’oued. Le régime
hydrologique est soumis au balancement des marées. Dans sa
partie aval, le lit entaille profondément (4 km de long, 1
km de large) la hamada littorale calcaire. De puissantes
dunes vives sableuses investissent la rive droite de
l'embouchure, tandis que des falaises dégagées par les
vents dominants se dressent sur la rive gauche. En
remontant de l'aval vers l'amont, on rencontre un chenal de
marée serpentant dans une slikke largement découverte à
basse mer, puis une vaste sansouire pénétrant profondément
avant de céder la place à des zones buissonnantes et
sableuses. C’est un splendide paysage essentiellement
occupé par une avifaune marine et limicole. Quelques sujets
du Marabout d’Afrique ont été observés à l’embouchure de
l’Oued Chebeika en 2001 et 2002. C’est aussi un site de
nidification du Traquet du désert et du rare Dromoïque du
désert.
En
remontant l’Oued Drâa...
A peine plus au
nord du parcours saharien proposé, vaguement depuis Guelmim
et Bouizakarne, à travers Taghjicht, Icht, Akka, Tata,
Foum-Zguid et jusqu’à Mhamid, puis en remontant la haute
vallée du Drâa, s’égraine un véritable rosaire d’oasis,
certaines renfermant des palmeraies considérables. Ces
sites ont été abordés dans le chapitre précédent. Il
convient ici de parcourir schématiquement les écosystèmes
sahariens qui bordent le Grand Sud marocain depuis
l’Atlantique jusqu’au terme oriental du Djebel Bani.
Le Drâa : 1200 km de témoignages immémoriaux
Le Drâa naît prés de Ouarzazate de la réunion des Oueds
Dadès et Ouarzazate, et coule dans la direction nord-ouest,
sud puis ouest. Dans l'antiquité, c'était un fleuve
permanent et le plus long du Maroc, mais aujourd'hui, ses
eaux se perdent dans les sables après le coude qu'il forme
à Mhamid. A la suite de crues exceptionnelles, il lui
arrive cependant d'atteindre son embouchure, 1200 km plus
loin, près du Cap Drâa. C’est un fleuve typiquement
saharien, jouissant non loin de son bassin versant d’un
cours en surface, sous l’influence chaotique des pluies et
de la fonte des neiges. Les crues durent peu, quelques
heures ou quelques jours, mais sont violentes et d’une
énorme charge solide. Lorsque ses eaux dévalent dans les
gorges supérieures, à l’instar de tous les cours d’eau
sahariens, le Drâa devient alors un puissant agent
d’érosion capable de tout emporter, jusqu’à changer son
tracé. Lors des crues, les pics peuvent atteindre 4000
m3/seconde : un vrai mur d’eau à l’énergie
turbo ! Plus bas, sous l’effet de la diminution de la
vitesse, la charge se dépose provoquant des accumulations
de galets et de sable qui encombrent le lit lors des
étiages. Après un parcours supérieur montagnard très bref
et au fil des quelques 200 km de la vallée oasienne qui
mène à Zagora, le Drâa ne se manifeste déjà plus qu’en
larges flaques semi-dormantes en surface ou sous l’aspect
d’un filet d’eau peu profond. Puis l’essentiel de son cours
dans le domaine saharien et jusqu’a l’Océan est de type
spasmodique, souterrain dans la majeure partie du temps et
de l’espace. Le stock d’eau qu’il génère n’en est pas moins
négligeable.
La Vallée du Drâa est un foyer ancestral de civilisation.
Il y a un temps immémorial, elle était le domaine des
Kouchites (descendants noirs de Kouch, fils de Ham fils de
Noé), c’est-à-dire des Hamites ou Éthiopiens occidentaux
des anciens auteurs. Les Kouchites étaient païens,
sédentaires et s’adonnaient à l’agriculture. Ils étaient
censément déjà solidement fixés dans la région de Zagora,
sur le site privilégié de Tazroute, où nous les
« découvrons » au début de l’ère chrétienne.
Aujourd’hui, les descendants des Kouchites sont les
Haratines qui forment encore une partie importante de la
population oasienne du Sud Marocain et dont on dit par
ailleurs et probablement injustement qu’ils sont
descendants d’esclaves d’origine soudanaise et non pas de
populations autochtones protohistoriques et antérieures à
la désertification du Sahara.
L’Embouchure
du Drâa : un grand refuge
Juste au nord, l’infinie Plage Blanche développe son sable
sur une cinquantaine de kilomètres. Ce nom provient de
l’époque de l’Aéropostale : Saint-Exupéry et ses
Hommes avaient noté cet immense ruban de sable blanc, rendu
inaccessible par le cordon dunaire ourlé de vagues
déferlantes tout autant que par la falaise. La ville de
Guelmim nourrit le projet d’en aménager 1000 ha en une
station balnéaire prestigieuse pour vacanciers à haut
pouvoir d’achat... Sachant que les risques d’ensablement
sont grands, il faut donc, pour en profiter, en parcourir
la longue piste qui remonte depuis Foum-el-Oued-Drâa
jusqu’a Foum-Assaka (et Bou-Jerif) avant cette redoutable
offensive balnéaire qui en restera peut-être au stade de
l’étude de faisabilité, comme c’est (heureusement) la cas
de la plupart des initiatives du genre.
Le périmètre habituellement désigné par cette embouchure
s’étale de la mer jusqu’aux Gueltas Kahla et Zerga
(permanentes), et les massifs alentours. La piste qui mène
à Foum-El-Oued-Drâa permet d’y accéder. A l’est, cet espace
entre ainsi en contact avec le site suivant de M’Sied. Nous
sommes dans l’inframéditerranéen à hiver chaud et tempéré.
Il s’agit d’une ample cuvette creusée dans la hamada
côtière par l'Oued Drâa et succédant à un défilé entaillé
sur une dizaine de kilomètres. Le lit du fleuve est très
sableux, mosaïqué de petites dunes couvertes d’une dense
végétation buissonnante. L'oued à régime intermittent
jusqu'à sa confluence avec l'Oued Tan-Tan, devient alors
permanent dans sa partie la plus en aval, alimenté par le
balancement des marées pouvant remonter sur plusieurs
kilomètres, ainsi que sous l’effet de l'affleurement de la
nappe phréatique. Plusieurs sources permanentes émanent de
cette nappe sur les berges, par ailleurs investie d’une
sansouire. Le plateau côtier est agrémenté de larges
ondulations sableuses, parallèles au rivage, certaines de
grande élévation. De hautes falaises vives bordent
l’embouchure de part et d’autre.
La grande faune s’enorgueillit du maintien de la Hyène,
laquelle d’ailleurs et par petites bandes, semble subsister
sur presque toute la Côte du Sahara marocain, et notamment
entre l’embouchure du Drâa et le Cap Juby, mais aussi plus
à l’intérieur dans les reliefs du Moyen Drâa. Fait assez
original pour le biome saharien, le Sanglier est ici !
Et il remonte le Drâa jusqu’à 70 km en amont vers le Djebel
Guir, observations lors de l’hiver très pluvieux de 1992
(Cuzin, 1996). Autre découverte provenant du même et
talentueux observateur, c’est ici la limite géonémique au
sud du Renard roux. Le Chacal, le Chat ganté, le Ratel, et
la Mangouste ichneumon (ne pénètre guère le Sahara au-delà)
rejoignent cet inventaire. Les autres petits Mammifères qui
peuplent le secteur sont : la Mérione à queue rouge,
la Mérione du désert, la Gerbille occidentale, la grande
Gerbille de sable, la Gerbille pygmée, la Gerbille
champêtre, le Rat de sable diurne, le Pachyuromys à queue
en massue, la Gerbille naine, la petite Gerboise, le
Porc-épic (en limite d’aire), l’Écureuil de Barbarie, le
Lérot, le Hérisson du désert, la Musaraigne de Whitaiker,
la Musaraigne de Tarfaya (indigène côtière du Souss
jusqu’en Mauritanie), la Musaraigne de Bolivar (endémique
marocain), la Musaraigne Crocidura
lusitania (décrite de
Mauritanie comme son nom ne l’indique pas !) et le Rat
à trompe. Les Chiroptères ne se pressent pas á l’étage
saharien et il ne semble y avoir que la Sérotine qui
atteigne le Cap Drâa, quelques autres chauves-souris ne
passant pas le revers méridional de l’Anti-Atlas. Le Lièvre
du cap est le seul Lagomorphe du domaine.
L’avifaune littorale et intérieure de l’embouchure, et plus
globalement de la région de Tan-Tan à Guelmim, est
sommairement indiquée par ce cortège : Canard pilet,
Sarcelle marbrée, Macreuse noire, Martin-pêcheur d'Europe,
Martinet des maisons, Pigeon biset, Tourterelle maillée,
Tourterelle turque, Ganga unibande, Barge à queue noire,
Courlis corlieu, Courlis cendré, Chevalier gambette,
Chevalier aboyeur, Chevalier cul-blanc, Tournepierre à
collier, Bécasseau maubèche, Bécasseau sanderling,
Bécasseau minute, Bécasseau variable, Combattant varié,
Avocette élégante, Pluvier argenté, Grand-gravelot, Pluvier
à collier interrompu, Labbe parasite, Goéland d'Audouin,
Goéland leucophée, Goéland brun, Goéland railleur, Sterne
hansel, Sterne caspienne, Sterne voyageuse, Sterne caugek,
Balbuzard pêcheur, Circaète Jean-le-Blanc, Busard des
roseaux, Buse féroce, Aigle de Bonelli, Faucon crécerelle,
Faucon lanier, Faucon pèlerin, Fou de Bassan, Grand
Cormoran, Aigrette garzette, Héron cendré, Héron
garde-boeufs, Flamant rose, Spatule blanche, Cigogne noire,
Puffin des Anglais, Pie-grièche méridionale, Pie bavarde,
Merle-bleu, Grive musicienne, Gobe-mouches noir,
Rouge-queue de Moussier, Tarier pâtre, Traquet rieur,
Traquet motteux, Traquet à tête grise, Traquet du désert,
Étourneau unicolore, Mésange charbonnière, Hirondelle de
rivage, Hirondelle de rochers, Hirondelle rustique,
Hirondelle de fenêtre, Bulbul des jardins, Hypolaïs
polyglotte, Pouillot véloce, Fauvette mélanocéphale,
Ammomane isabelline, Sirli du désert, Alouette calandrelle,
Alouette pispolette, Cochevis huppé, Alouette bilophe,
Moineau domestique, Moineau espagnol, Bergeronnette grise,
Bergeronnette printanière, Pipit farlouse , Roselin
githagine , Bruant striolé.
C’est ici la limite d’un bien étrange Coléoptère
Carabidae,
le carabe rostriforme Cathoplius
asperatus dont la
ssp. aliai
est
propre à quelques secteurs littoraux entre le Cap Drâa et
le Cap Boujdour. Les Carabes sont habituellement restreints
aux écorégions humides, voire perhumides, notamment aux
forêts profondes. Mais les Cathoplius
et
spécialement ce subendémique se sont spécialisés aux zones
arides de la frange atlantique où l’absence de pluie est
compensée par des brouillards maritimes. C’est au moment
fort de la nébulosité côtière, soit en automne, qu’on a le
plus de chance de les surprendre dans les dunes, occupés à
déguster un Helix, l’avant-corps largement plongé dans la
coquille, d’où leur adaptation morphologique par cette tête
exagérément effilée en rostre. Un autre Carabique
carnassier fréquente ce rivage, c’est Scarites
buparius dont les
mandibules acérées attendent, grandes ouvertes et à l’abri
d’un terrier au pied d’une dune, le passage d’une
quelconque proie.
La Réserve de M’Sied et ses derniers Guépards
Entre les prolongements occidentaux des Djebels Ouarkziz et
Bani, approximativement entre M’Sied et Aouinet-Torkoz,
175.000 ha ont été promulgués site d’intérêt biologique et
écologique, aire protégée largement motivée par des
formations forestières à Acacia
raddiana très étendues,
denses et comptant quelques sujets vétérans tout à fait
exceptionnels pour le Maroc, des ripisylves à Tamaris sur
les rives de certains oueds semi-permanents et une flore
spécialisée de guelta très originale cantonnée le long du
Drâa. C’est aussi le cadre du futur Parc du Bas Drâa très
médiatisé et pour cause : on peut y surprendre
quelques survivants d’Acinonyx
jabatus, le grand Félin
! Sûr que demain, si l’on trouvait un vieux Lion de
l’Atlas, même sénescent, il en résulterait un tapage
médiatique et la promulgation d’une immense réserve... pour
l’enterrer vivant. N’eut-ce pas été plus sage de prendre
quelques mesures pionnières avant de génocider ces
remarquables animaux que de se faire présentement
gorge-chaude face aux derniers survivants ? Au lever
(et au coucher !) du soleil, le décor est parfois
grandiose, avec une symphonie de couleurs où se mêlent le
sable et la roche, l’espace désertique et les reliefs, le
reg écorché et l’acaciaie. En quelques fins d’hivers et
certains premiers printemps, quand l’eau est présente, la
végétation revêt une relative luxuriance. C’est donc ici
que vivent les derniers Guépards du Maroc, préalablement
considérés comme éteints depuis 1975 mais retrouvés en 1994
(Cuzin, 1996). Sont-ils vivants et génétiquement viables en
2005 ? La chose est rendue possible par l’immensité de
l’espace et l’effectif encore respectable de la Gazelle
dorcas (évalué à une centaine d’exemplaires), le menu
favori du magnifique Félin. Les autres Mammifères
emblématiques sont l’Hyène rayée, le Lynx caracal, le Chat
ganté, la Genette (limite d’aire) et le Fennec (le plus
petit des renards, reconnaissable à ses très longues
oreilles). Reste à savoir ce qu’il en reste à ce jour, les
inventaires se voulant parfois complaisants. Le Renard roux
n’est pas loin car deux animaux ont été découverts morts
dans le lit du Drâa, au sud d’Aouinet-Torkoz (Cuzin, 1996).
Parmi la petite faune des Rongeurs, signalons la Mérione de
Shaw, la Mérione du désert, la grande Gerbille du sable, la
Gerbille champêtre, le Pachyuromys à queue en massue, la
Gerbille naine, la petite Gerboise, l’Écureuil de Barbarie,
le Lérot, le Hérisson d’Algérie et le Hérisson du désert
(sympatrides voire même probablement syntopiques sur
certains sites), le Rat à trompe, etc.
Les Amphibiens et les Reptiles forment ici un groupe
cardinal dont la biodiversité et la présence d’entités
remarquables appellent à la plus rigoureuse protection. En
voici la liste probablement non exhaustive : le
Crapaud de Maurétanie, Le Crapaud vert, le Crapaud de
Brongersma, la Grenouille d’Afrique du Nord, la Tarente de
Böhme, la Tarente du Hohhar, le Gecko d’Oudri (limite
occidentale), le Stérodactyle commun, le Sérodactyle de
Maurétanie, le Gecko à écailles carénées, le Caméléon,
l’Agame de Bibron et l’Agame changeant sur leur marge de
sympatrie, le Fouette-queue, le Varan du désert, l’Érémias
à gouttelettes, l’Érémias de Pasteur,
l’Acanthodactyle-panthère, l’Acanthodactyle rugueux,
l’Acanthodactyle de Duméril, le Seps ocellé (limite d’aire
au sud-ouest), le Seps à écailles nombreuses, le Sphénops
de Boulenger (limite de diffusion à l’ouest), le
Leptotyphlops macrorhynque (nommons-le Couleuvre
vermiforme !), la Couleuvre-diadème du Maghreb (limite
d’aire) (à ne pas confondre avec la Couleuvre-diadème ou
Couleuvre de Clifford que l’on trouve au sud du Cap Juby),
la Couleuvre fouisseuse à diadème, la Couleuvre de
Montpellier, la Couleuvre de Moïla, la Couleuvre de
Schokar, le Cobra d’Égypte, la Vipère de Maurétanie (forme
pâle), la Vipère à cornes et rien de moins qu’une Vipère
des pyramides (genre Echis) :
l’Échidre à ventre blanc, présence absolument insigne pour
le Maroc. Cette riche association est plus ou moins celle
qui se manifeste dans les basse et moyenne vallées du Drâa.
L’Oued Tighzer : des traces contemporaines du
Crocodile
Au sud d’Assa, aux alentours de Tuisgui-Remz, la vallée
aval de l’Oued Tighzer, bordée au sud par le Djebel
Ouarkziz est d’une richesse floristique digne d’intérêt,
notamment jusqu’au secteur où un foum permet à l’oued de
rejoindre le Drâa. S’y manifestent
entre-autres : Hamada
scoparia (Salsolaceae),
Boerhavia
coccinea,
B.
verticillata (Nyctaginaceae),
Gymnocarpos
decander (Caryophyllaceae),
Farsetia
hamiltoni,
Zilla
macroptera (Brassicaceae),
Acacia
raddiana,
Acacia
ehrenbergiana (Mimosaceae),
Balanites
aegyptiaca,
Fagonia
glutinosa,
Zygophyllum
gaetulum (Zygophyllaceae),
Zizyphus
lotus (Rhamnaceae),
Argania
spinosa (Sapotaceae),
Pergularia
tomentosa,
Calotropis
procera (Asclepiadaceae),
Convolvulus
trabutianus (Convolvulaceae),
Trichodesma
calcaratum (Boraginaceae),
Lycium
intricatum (Solanaceae),
Antirrhinum
ramosissimum (Scrophulariaceae),
Lavandula
stricta (Lamiaceae),
Anvillea
radiata (Asteraceae),
Panicum
turgidum,
Pennisetum
dichotomum (Poaceae)(excellente
Graminée pastorale des lits d’oueds sahariens), qui forment
en partie une phytocénose saharienne pénétrée d’espèces
méditerranéennes, pour certaines aux limites de leur
plasticité écologique.
Si Pline disait le Crocodile présent dans la Vallée du Drâa
il y a donc deux mille ans, il y subsistait encore ici,
dans la Guelta de Tuisgui-Remz, à la moitié du siècle passé
(Geniez, 1996). Il a été
exterminé principalement au fusil ou à l’arme
automatique. Le Crocodile de
l’Afrique de l’Ouest (Crocodylus
suchus) a été retrouvé
en Mauritanie en 2000 alors qu’on le croyait éteint dans ce
pays. Un programme de réintroduction de ces Crocodiliens
pourrait être envisagé dans le futur Parc national du Bas
Drâa, peut-être à partir d’une souche de
Crocodylus
sahariens dont
les représentants se sont adaptés à des conditions très
rudes et sont nettement plus petits. Ils atteignent au
grand maximum deux mètres et demi alors que leurs
congénères d’Afrique tropicale peuvent mesurer cinq mètres.
La balanitaie d’Aït-Oumribet
Balanites
aegyptiaca (Zygophyllacées)
est un arbuste très rameux et épineux pouvant atteindre une
dizaine de mètres, aux fruits en drupe pulpeuse ayant un
goût fortement sucré et dont le jus fermenté donne une
boisson alcoolisée favorisant la digestion. Cet arbre, très
apprécié des dromadaires, est parfois nommé Dattier du
désert et développe un écosystème de brousse
particulièrement présent dans les régions sahéliennes de
l’Afrique occidentale. Au Maroc, il n’existe quasiment plus
sous forme écosystémique, sauf à Aït-Oumribet (région
d’Akka) où se maintient une balanitaie, confinée dans une
faible dépression entre l’extrémité occidental du Djebel
Bani et l’Oued Drâa.
+C10-143ter
Le site est constitué d’un reg parcouru par l’Oued
Tamanart, environné d’un système collinéen gréseux riche en
escarpements et en canyons. Quelques secteurs boisés
d’Acacia
raddiana et
d’A.
ehrenbergiana font partie
intégrante du paysage. Certaines années, le Petit Monarque
(Danaus
chrysippus), grand
Lépidoptère migrateur, vole nombreux autour des Pommiers de
Sodome, ou turja
(Calotropis
procera) qui poussent
dans cette région, notamment aux alentours d’Icht. Cette
aire protégée (Site d’Intérêt Biologique et Écologique)
reprend la conservation des espèces caractéristiques à
toute cette région saharienne, dont certaines ont hélas
déjà dû disparaître localement (Gazelle de Cuvier, Gazelle
dorcas, Lynx caracal, Ratel, Rat épineux pour les
Mammifères). Ici aussi, ponctuellement dans la Guelta
Tanzida, le Crocodile de l’Afrique de l’Ouest ne
disparaissait qu’en 1950. Idem un peu plus à l’est, au sud
d’Akka, dans la Guelta de Taffagount. Ces gueltas étaient
alors nettement plus en eau que maintenant.
L’oasis
de Tissint : une pharmacopée marocaine
A l’est de Tata, Tissint : un écosystème à Acacia, une
steppe à Chénopodiacées, l’une des plus remarquables
palmeraies à l'orée du désert, où les gens sont âpres au
travail, ingénieux et accueillants, où l’eau des
résurgences de l’oued pérenne abonde en cascades, un
aqueduc, la maison de Charles de Foucauld, le village
d’Akka-Sidi, l’agadir d’Akka-Igherm, avec les reliefs du
Bou-Moussi et le grand reg de Tamsraout à l’horizon.
Au cœur de la moyenne Vallée du Drâa, adossés au Djebel
Bani, chaîne modeste mais formidable frontière physique,
les alentours de la palmeraie de Tissint font l’objet d’une
herborisation ancestrale lui conférant une valeur
culturelle indéniable. D’excellents chercheurs
contemporains, marocains et étrangers, ont consacré de
louables efforts à ce site, à l’évaluation et à la
valorisation de sa biodiversité. Les plantes exploitées de
tous temps sont : Acacia
raddiana, A. ehrenbergiana, A. gummifera, Ammodaucus
leucotrichus, Anastatica hierochuntica, Androcymbium
gramineum, Anvellea radiata, Asphodelus tenuifolius,
Bubonium odorum, Calotropis procera, Capparis spinosa,
Centaurea pungens,
Cistanche
sp.,
Cleome
arabica,
Cotulea
cinerea,
C.
anthemoïdes,
Cressa
cretica,
Eruca
vesicaria,
Eryngium
illicifolium,
Euphorbia
calytrata,
E.
granulata,
Fagonia
glutinosa,
Forskahlea
tenacissima,
Hamoxylon
scoparium,
Imperata
cylindrica,
Launea
arborescens,
Maerua
crassifolia,
Mesembryanthemum
nodiflorum,
Nitraria
retusa,
Panicum
turgidum,
Peganum
harmala,
Pergularia
tomentosa,
Phoenix
dactylifera,
Plantago
sp.,
Reseda
villosa,
Retama
raetam,
Spergularia
marginata,
Tamarix
gallica,
Warionia
saharae,
Withania
adpressa,
Zygophyllum
gaetulum. L’une des
dernières corporations d’herboristes sahariens veille sur
ce capital indéniable. Autrefois palmeraie très productive,
renommée pour ses dattes, et comptoir d'échanges important
sur la route des caravanes allant au Soudan, Tissint a
depuis beaucoup périclité sur le plan agricole et
commercial en raison de la disparition du trafic des
caravanes, du déclin des centres spirituels de la région,
de l'émigration et de l’invasion du Bayoud. Le négoce des
plantes médicinales pourrait relancer l'économie de l'oasis
si les Tissintis savaient donner la mesure de leur génie
pour saisir cette nouvelle chance. Le pastoralisme (6000
têtes recensées il y a une dizaine d’années pour une
centaine d’usagers des parcours) y est hélas très
dévastateur et peu compatible avec ces ressources
végétales.
Le dernier rapport faunistique est l’oeuvre de F. Cuzin.
Onze espèces de Mammifères ont pu être recensées dans le
strict cadre des 31.000 ha des limites du Site (Plan
directeur des aires protégées du Maroc), dont les plus
remarquables sont : la Gazelle de Cuvier, la Gazelle
dorcas, la Genette, le Ratel, la Zorille, le Renard
famélique, le Porc-épic, le Rat épineux, l’Écureuil de
Barbarie et la Pipistrelle de Rüppell. Le même inventaire
livre trente-trois espèces d’Oiseaux nichant au sein du
périmètre du site, dont : la Tadorne casarca, l’Aigle
de Bonelli, le Percnoptère d’Égypte, le Faucon de Barbarie,
le Faucon lanier, l’Outarde houbara, le Courvite isabelle,
le Ganga de Lichtenstein, le Ganga tacheté, le Ganga
couronné, le Hibou Grand-duc ascalaphe, le Sirli du désert,
le Merle bleu, le Traquet deuil, le Merle noir, le
Cratérope fauve, etc. Une vingtaine d’espèces reptiliennes
est connue des alentours, cortège mêlant aux taxa sahariens
quelques méditerranéens très avancés tels que la Couleuvre
vipérine et l’Émyde lépreuse. Les espèces herpétologiques
les plus remarquables sont : la Tarente du Maroc, la
Tarente du Hoggar, le Gecko à paupières épineuses, le Varan
du désert, l’Érémias de Pasteur, l’Érémias à points rouges,
le Cobra, le Serpent-chat d’Afrique du Nord, le Crapaud de
Brongersma et quelques autres. Certains Coléoptères
indicateurs vivent ici, c’est le cas de Carabidae
carnassiers
comme les Calosomes : Calosoma
maderae (très fréquent
certaines années où abondent les chenilles dont il est
prédateur par excellence) et C.
algiricum, nettement plus
exceptionnel.
L’acaciaie de Mrhimima
+C10-144bis
+C10-144ter
Entre le revers du Djebel Bani au nord et la frange
septentrionale de la Hamada au sud, le Drâa et ses
affluents circulent dans une large vallée orientée d’est en
ouest, lors de crues de printemps aussi fournies
qu’occasionnelles. Les cultures aléatoires y sont donc
répandues. A l’est, la vallée est quasiment boisée par une
acaciaie d’un développement remarquable (notamment à
Mrhimima). Dans le Maader Bergat : Tamarix
pauciovulata et
Atriplex
halimus, et dans l’Oued
Khrouf : Acacia
ehrenbergiana,
Tamarix
sp.,
Lavandula
stricta,
Launaea
arborescens,
Panicum
turgidum sont trop
souvent broutés.
Plus au sud, aux confins de la frontière avec l’Algérie,
les mornes plateaux de la Hamada du Drâa, constitués de
terrains sédimentaires en dalles et en regs dépourvus de
sable, sont très froids en hiver. La végétation est très
diluée et seulement illustrée par l’Anabase
(Fredolia
arietioides), Chénopodiacée
endémique. Le Trident (Aselia
tridens), grande
Chauve-souris au pelage roux variable, notable par sa
feuille nasale dont la lancette élargie porte trois pointes
est signalée de cette région. L’étrange animal habite le
milieu aride depuis le Maghreb jusqu’en Arabie.
Le
Lac Iriki : l’ombre de la Gazelle dama
Entre Foum-Zguid et Mhamid, le célèbre Lac Iriki et 10.000
ha alentours sont, seront ou ne seront pas une réserve pour
les Oiseaux sédentaires et migrateurs. En période humide,
lorsque la nappe fait surface, c’est pour l’avifaune
spécialisée une escale très prisée. Une steppe chichement
arborée, une savane à Acacias et des milieux dunaires très
couverts de tamaris représentent les habitats d’une hyène
erratique, de quelques mouflons éperdus et de l’Outarde
houbara pourchassée et surchassée. Le Renard famélique,
dont l’aire est strictement saharienne, fait l’objet de
quelques signalements de cet habitat. Le Fennec et la
Zorille semblent s’y maintenir, mais le premier ayant la
sympathie des visiteurs étrangers, il est outrancièrement
dérangé. La Gazelle dorcas, perturbée par le tourisme
d’aventure et que certains guides tiennent à montrer,
s’évade de plus en plus du secteur. En 1993, une Gazelle
dama, autre espèce de la plaine saharienne, a été vu par
des nomades dans le lit du Drâa à peine plus à l’ouest, au
sud de Foum-Zguid (Cuzin, 1996). Les traces du Varan du
désert ne sont pas rares dans cette région.
Dans cette ambiance très continentale, entre la Hamada du
Drâa et l’Anti-Atlas oriental, on pourrait s’attendre à une
composition herpétologique quelque peu différente de celle
plus subocéanique du Bas Drâa. Il en n’est rien et le
cortège est assez fidèle dans son ensemble. Il faut
comparer les composants herpétologiques de la région de
l’embouchure avec celle du secteur de Ouarzazate pour noter
un relatif contraste. Dans la région de Foum-Zguid à
Zagora, la richesse est seulement nettement moindre que
dans les régions de Foum-El-Hassan, d’Assa ou de M’Sied, et
les apports ne se résument qu’à l’Acanthodactyle à longs
pieds (dit de l’erg) et à la ssp. laterimaculatus
du
Scinque officinal (le Poisson de sable). Le Varan du désert
est aperçu parfois, le Fouette-queue, certains Geckos,
quelques Couleuvres et la Vipère à cornes ainsi que celle
de l’erg sont en place.
Quand le niveau est exoréique, même très partiellement, les
conditions sont suffisantes pour observer dans sa course
rapide Megacephala
euphratica, une très belle
Cicindèle halophile dont c’est ici un habitat saharien. Les
années trop sèches, on se contentera du spectacle d’autres
Coléoptères carabiques très emblématiques des
dunes : Anthia
sexmaculata, noir et six
fois maculé de blanc, et moins fréquent Anthia
venator. Matin et soir,
ces Carabes, chasseurs redoutables, sortent de leurs abris
et circulent avec véhémence entre les grosses touffes
de Stipagrostis
pungens et de
Panicum
turgidum.
L’Oued Mird dans l’objectif de la durabilité
A une trentaine de kilomètres à l’est du Drâa, avant qu’il
ne fasse un coude dans la région de Mhamid, sur le versant
oriental des Djebels Tadrart et Rhart, l’un des paysages
les plus originaux de cette partie du Drâa est peut-être la
grande Vallée de l’Oued Mird, qui a creusé son lit au cœur
des hamadas, peuplée d’une acaciaie majeure encore
agrémentée de quelques phases en futaie. Fossile en
surface, le cours d’eau est permanent à une profondeur
d’une dizaine de mètres les années humides et permet le
maintien d’une végétation buissonneuse à base
de : Convolvulus
trabutianus,
Farsetia
hamiltoni,
Gymnocarpus
decander,
Retama
raetam,
Foleyola
billotii,
Launaea
arborescens,
Pergularia
tomentosa,
Zizyphus
lotus,
Panicum
turgidum,
Pennisetum
dichotomum,
Ephedra
alenda. La Gazelle
dorcas, la Zorille, le Porc-épic, l’Écureuil de Barbarie,
le Rat épineux sont quelques-uns des Mammifères contactés
sur ces 60.000 ha. On doit aussi mentionner les présences
pour l’avifaune de l’Aigle de Bonelli, du Faucon pèlerin,
du Faucon lanier, de la Tadorne casarca et de l’Outarde
houbara, et d’une herpétofaune affine à celle du secteur
d’Iriki.
Un projet-pilote déjà initié d’observatoires, commandité
par des ONG européennes, consiste en la conception et la
mise en oeuvre de l'intégration d'un suivi de la faune
sauvage dans un programme de surveillance à long terme de
la désertification en Afrique. La zone d'action couvre ici
notamment les terrains de parcours représentant plus de 80
% de la superficie concernée. Comme partout, l'aridité
climatique, le caractère très aléatoire des précipitations
et la mauvaise gestion des terrains de parcours ont
contribué à la dégradation de la végétation et du sol de la
région.Les actions dans
le domaine de la lutte contre la désertification visent à
réduire l'impact de la pression humaine sur ce milieu
sensible et à contribuer à sa restauration. L’objectif a
l’ambition d’être poursuivi en concertation avec la tribu
des Aït Zekri, principale usagère des lieux. Le système
tient compte des besoins et des traditions de la population
tout en préservant la pérennité de l'écosystème. Il tente
de définir un programme d'aménagement pastoral compatible
et durable, avec une veille sur la conservation des
ressources naturelles de base (eau, sol, végétation).
Les Oiseaux du Drâa sur le vif
Voici un rapport d’observations du groupe ornithologique
Clamator, datant d’un séjour dans cette région du Drâa
(alentours de Mhamid) en mars 2004. Ce groupe était composé
de Jean-Claude Beaudoin, Alain Fossé et Bruno Legendre.
Quelques notations extérieures à l’avifaune sont ajoutées.
On percevra de suite les nuances de ce cortège avec les
associations aviaires listées sur la frange océanique entre
Dakhla et le Cap Drâa.
Mardi
9 mars, fin de journée, R'Gabi/Oulad
Driss :
Engoulevent du désert (un chanteur dans la palmeraie de
R'Gabi et un, le même ?, vu en vol au crépuscule, vers
19 h 30), Fauvette mélanocéphale (au
moins un mâle dans la palmeraie de R'Gabi), Cratérope
fauve (une famille au même endroit).
Mercredi
10 mars, début de matinée, R'Gabi/Oulad
Driss :
Tadorne casarca (deux en vol), Chevalier culblanc,
Tourterelle turque, Tourterelle maillée, Faucon de Barbarie
(un adulte, probablement mâle, attaque timidement des
pigeons domestiques), Tourterelle des bois (au
moins un chanteur), Chevêche d'Athéna (chanteur à
nouveau au lever du jour), Cochevis huppé (un individu
pâle, probable macrorhyncha,
chantant au sommet d'un Palmier), Bulbul des jardins, Merle
noir, Pouillot véloce (au moins deux dont un à
aspect ibericus
(?),
silencieux…), Bruant striolé, Fauvette passerinette (au
moins huit).
Mercredi
10 mars, 9 h-14 h, marche vers un
point (puits Oumouzmou) situé dans la vallée de l'oued
Mezouaria (ca 29° 52' 52" N,
5° 46' 54" W, alt. 560 m), env.
13 km, à vol d'Oiseau, vers l'O.-N.-O. (295°) d'Oulad
Driss, puis, 15 h-18 h, env. 7,5 km, à vol
d'Oiseau, vers l'O.-S.-O. (257°) jusqu'au puits solaire de
l'Oued En N'am (ca 29° 51' 58" N,
5° 51' 32" W, coucher de soleil à
18 h 28) :
Cigogne blanche (traces de poses récentes entre les deux
oueds), Faucon crécerelle (migrateurs probables), Ammomane
isabelline, Alouette calandrelle (près d'une centaine
d'Oiseaux l'après-midi en plusieurs troupes s'alimentant au
sol ; au moins un chanteur au-dessus d'un secteur
fortement végétalisé près du puits solaire), Bergeronnette
grise (une alba
au
puits solaire), Traquet à tête blanche (quelques couples en
famille avec des juvéniles volants en cours d'émancipation
dispersés dans des secteurs de dunes basses avec buttes
consolidées par Tamarix
articulata), Traquet
motteux oenanthe,
Traquet oreillard, Traquet du désert, Fauvette à lunettes,
Fauvette passerinette (fréquents migrateurs à l'arrêt dans
les Tamaris ; apparente majorité de mâles), Fauvette
du désert (un mâle chanteur contacté dans l'après-midi à
près d'une heure de marche du puits, se tenait dans un
secteur plat occupé par une nappe sableuse colonisée par
une végétation éparse dominée par des touffes basses
d'Haloxylon
scoparium,
Chenopodiacae
arbustive à
rameaux articulés ; ce mâle émettait régulièrement son
chant du sommet de ces touffes ; capture une petite
Noctuelle ; approche tolérée seulement jusqu'à une
vingtaine de mètres), Pouillot de Bonelli (deux migrateurs
dans Tamaris), Pouillot véloce (quelques migrateurs),
Pie-grièche méridionale (une ssp.
-
algeriensis/elegans/dodgsoni
-
sur le seul Acacia
radiana rencontré entre
les deux oueds), Corbeau brun (au moins 2-3 ; un
individu capturant des gros Criquets et ravitaillant
peut-être au nid…), Moineau blanc (au moins 10 à
15 individus différents ; dispersés en petit
nombre - 2 à 5 individus ensemble - dans les secteurs
de dunes basses avec Tamaris et près du puits ; deux
couples achevant sans doute de construire des nids placés
dans des cavités de troncs de gros Tamaris articulés -
cavités provoquées par la chute de branches basses),
Roselin githagine.
Jeudi
11 mars
Du puits solaire
(temps beau, chaud et calme, 6-7 °C au lever du jour,
32-33 °C à l'ombre le midi) vers la vallée du Drâa
(direction S.-S.-E. 142°) avec déjeuner à 5,4 km à vol
d'Oiseau (ca 29° 49' 41" N,
5° 49' 26" W), pause de 12 h à
14 h 45 (ca 30 °C à l'ombre) puis
direction E. 98° sur 6 km où bivouac en
bordure nord de la palmeraie au milieu des dunes
(ca 29° 49' 14" N,
5° 45' 45" W) :
Cigogne blanche (vol de 43 à 10 h), Faucon crécerelle
(migrateurs à l'arrêt), Caille des blés (deux levées d'une
zone herbeuse), Œdicnème criard (un en vallée du Drâa),
Chevalier culblanc (un migrateur), Ganga tacheté (trois en
vol ; identifiés aux cris le matin), Huppe fasciée (au
moins trois dont un chanteur), Ammomane élégante (un
couple sur une étendue dénudée avec quelques cailloux),
Sirli du désert (deux ou trois dans le même secteur ;
au moins deux chanteurs), Alouette calandrelle
(fréquente dans des étendues planes assez végétalisées,
flore naturelle et parcelles de céréales ; à la fois
des groupes très mobiles et des Oiseaux manifestement
cantonnés ; un œuf attribuable à cette espèce trouvé
hors d'un nid dans céréales), Cochevis huppé (quelques
Oiseaux cantonnés dans es zones sableuses à tamaris plus ou
moins à l'écart de parcelles de céréales), Hirondelle de
cheminée (migrateurs), Hirondelle de fenêtre, Bergeronnette
grise (alba),
Traquet motteux (deux migrateurs), Traquet oreillard (deux
mâles), Traquet à tête blanche (comme la veille la plupart
des couples ont des juvéniles volants), Fauvette de l'Atlas
(un mâle dans des tamaris trouvé en début d'après-midi
s'est laissé approcher de près sans montrer de
nervosité ; a paru plus posé qu'une Passerinette mais
il faisait particulièrement chaud ! Silhouette de
Passerinette, n'évoque guère une Pitchou), Fauvette à
lunettes (au moins 5-6 Oiseaux concentrés dans un
secteur plat avec plages herbeuses denses où dominait une
Crucifère à aspect de Ravenelle, formant des touffes
épaisses, peut-être associée à une Graminée, dans un lit
d'oued un peu au sud du puits solaire ; des mâles
chantant activement dont un ou deux en vol et au
moins une femelle), Fauvette passerinette (quelques
dizaines de migrateurs dans Tamaris et Acacias), Pouillot
véloce (quelques migrateurs), Corbeau brun (au
moins un), Moineau blanc (contacté en petit nombre),
Roselin githagine (à l'abreuvoir du puits solaire
notamment).
Vendredi
12 mars C10-155
C10-156-DP
Route
vers l'E. 90° (7 h-12 h) pour déjeuner à
10,2 km, à l'O.-S.-O. d'Oulad Driss
(ca 29° 48' 33" N,
5° 39' 30" W), puis direction E.-N.-E.
63° sur 4,3 km où bivouac près d'une guelta en
amont du barrage de R'Gabi
(ca 29° 49' 47" N,
5° 37' 07" W atteint à 16 h 40),
temps chaud avec nuées et vent de sable sensible dans
l'après-midi :
Cigogne blanche (vol d'env. 110 en début d'après-midi
près d'Oulad Driss), Tadorne casarca (deux en vol le
matin et un couple sur la guelta le soir au crépuscule),
Aigle botté (un migrateur clair près d'Oulad Driss), Busard
des roseaux (deux fois un mâle en migration), Faucon
crécerelle (quelques migrateurs), Œdicnème criard, Échasse
blanche (cinq sur guelta), Petit Gravelot (un près d'Oulad
Driss, un sur le Drâa), Chevalier culblanc (trois et un et
un sur gueltas), Tourterelle turque, Tourterelle des bois,
Engoulevent du désert (un ou deux chanteurs en soirée),
Guêpier d'Europe (peut-être entendus brièvement près de
Mhamid), Huppe fasciée (au moins un migrateur),
Alouette calandrelle (sans doute quelques-unes en
déplacement), Cochevis huppé, Hirondelle de fenêtre,
Hirondelle de cheminée (petits groupes de migrateurs),
Pipit des arbres (deux), Pipit farlouse (un au barrage de
R'Gabi), Bergeronnette printanière (une en vol le matin
puis deux, dont un mâle flava,
sur gueltas), Bergeronnette grise (quelques
migrateurs alba,
une subpersonata
au
barrage de R'Gabi), Rouge-queue à front blanc (une
femelle), Traquet à tête blanche, Merle noir, Traquet
oreillard (un mâle le matin près du bivouac), Fauvette de
l'Atlas (une femelle brièvement vue avec des Passerinettes
dans la palmeraie à l'ouest de Mhamid le matin), Fauvette
passerinette (souvent contactée dont près d'une dizaine
ensemble dans la palmeraie à l'ouest de Mhamid ;
quelques femelles), Pouillot véloce (au moins un
migrateur), Cratérope fauve (une famille près du bivouac du
soir ; juvéniles de taille adulte avec commissures
jaunes ; zone sableuse en bord de Drâa avec nombreux
Tamaris et quelques Palmiers), Bulbul des jardins,
Pie-grièche méridionale, Pie-grièche à tête rousse, Corbeau
brun (au moins trois, dont un au barrage de R'Gabi),
Chardonneret élégant, Linotte mélodieuse, Moineau
domestique, Moineau blanc, Bruant striolé.
Samedi
13 mars
• route
vers le N.-O. 319° à travers une zone à Acacias pour
déjeuner à 5,1 km en limite de la vallée de l'oued Ben
Haki (ca 29° 51' 54" N,
5° 39' 12" W), puis direction
S. 183° sur 4 km où bivouac au camping
d'Oulad Driss, temps chaud plus calme que la veille mais
vent de sable dans l'après-midi :
Milan noir, Aigle botté, Chevalier culblanc (un sur guelta
près du bivouac le matin), Tourterelle turque, Tourterelle
des bois, Tourterelle maillée (palmeraie de R'Gabi en
soirée), Petit-duc scops (un à la nuit tombée perché dans
un Dattier de la palmeraie de R'Gabi ; s'est laissé
examiner, et photographier, durant une dizaine de minutes),
Coucou gris (un en migration dans les Tamaris des dunes),
Sirli du désert (au moins deux), Alouette calandrelle
(sans doute notée en vol), Cochevis huppé, Hirondelle de
rivage (au moins une avec quelques Hirondelles de
cheminée), Hirondelle de cheminée (petit passage),
Hirondelle rousseline (au moins une en soirée à Oulad
Driss), Bergeronnette grise, Bergeronnette printanière (au
moins deux dans la palmeraie d'Oulad Driss), Traquet
motteux (un le matin au bivouac, un dans la zone à Acacias,
un seebohmi
lors
de la pause du déjeuner), Traquet oreillard (un mâle au
nord d'Oulad Driss, deux dont un stapazin lors de la pause
déjeuner), Traquet du désert (un mâle au nord d'Oulad
Driss), Traquet à tête blanche, Merle noir (palmeraie),
Fauvette passerinette (au moins deux dizaines de
migrateurs dans les Tamaris), Pouillot de Bonelli (un
migrateur), Pouillot véloce (au moins un migrateur),
Cratérope fauve (bivouac le matin et palmeraie de R'Gabi),
Pie-grièche méridionale, Pie-grièche à tête rousse (au
moins deux), Moineau domestique, Moineau blanc (cinq
au bivouac le matin et au moins dix en bordure nord de
la palmeraie dans les dunes avec tamaris), Bruant striolé,
Corbeau brun.
Dimanche
14 mars
Barrage de Tidri
sur l'oued Drâa en amont d'Oulad Driss
(ca 29° 51' 02" N,
5° 33' 27" W)
(7 h 45-9 h 30) :
Aucun autre signe des Gangas que des traces dans la boue…,
Tadorne casarca (un couple), Milan noir (cinq
migrateurs quittant un dortoir), Busard des roseaux (un
mâle en migration), Faucon de Barbarie (un adulte en
chasse), Poule d'eau (une), Petit Gravelot (au
moins sept migrateurs et un couple paraissant
cantonné), Hirondelle de rivage (au moins deux),
Hirondelle de cheminée (petit passage), Bergeronnette
printanière (env. 6-7 dont trois mâles iberiae),
Bergeronnette grise (plusieurs dont au
moins une subpersonata),
Traquet du désert, Traquet à tête blanche, Fauvette
passerinette, Pouillot véloce (au moins 12),
Pie-grièche méridionale (deux dans les Acacias), Moineau
blanc (au moins 2-3), Roselin githagine (au
moins 4-5), Cochevis huppé (un), Corbeau brun (au
moins un).
La haute vallée : grandeur et décadence
Au-delà de Mhamid et du Tizi-Beni-Selmane, la haute Vallée
du Drâa ici exoréique (eau en surface), apparaît d’abord
comme un long corridor de palmeraies, de casbahs et de
ksour contenus de part et d’autre par les Djebels Bani,
Bou-Debgane, Tadrart, Amergou, Rhart, Azlag, Bou-Zeroual.
Peu avant Tamegroute et sa célèbre bibliothèque coranique,
les dunes de Tinfou ont été anéanties par une fréquentation
sans contrôle.
Au barrage de Tidri, on peut découvrir les traces de la
Loutre et avec beaucoup plus de chance, par exemple par une
nuit de pleine lune, surprendre le bel animal dans une
gorge du Drâa. Beaucoup d’Oiseaux sont observables plus en
aval, aux alentours du Djebel Azlag, tant en palmeraie que
sur les falaises, dans le lit et sur les rives du fleuve
que dans les défilés : Héron cendré, Héron pourpré,
Cigogne blanche, Chevêche d’Athéna, Faucon crécerelle,
Aigle de Bonelli, Faucon crécerelle, Chevalier aboyeur,
Chevalier culblanc, Pigeon biset, Tourterelle turque,
Tourterelle maillée, Ammomane isabelline, Cochevis huppé,
Hirondelle de cheminée, Bergeronnette grise, Rouge-queue à
front blanc, Traquet oreillard, Traquet du désert, Traquet
à tête blanche, Fauvette passerinette, Pouillot véloce,
Gobe-mouches gris, Bulbul des jardins, Moineau domestique,
Linotte mélodieuse, etc. Parmi les Batraciens qui avaient
pris la tangente plus au sud, on retrouve : l’Émyde
lépreuse qui était absente des habitats sahariens, ainsi
que la Tortue grecque (ou mauresque) qui se manifeste de
nouveau depuis Agdz ; tout comme pour les
Reptiles : le Lézard ocellé d’Afrique du Nord dont
Zagora est le site le plus avancé au sud.
En amont d’Agdz, on sort du long défilé linéaire du Palmier
dattier et le paysage minéral devient celui dantesque et
dénudé de l’imposant Djebel métamorphique Sarhro qui
culmine à 2712 m plus à l’est. A l’instar du Djebel Siroua,
c’est une autre frontière qui filtre implacablement la
flore et la faune paléarctique en vue d’une sélection
purement saharienne sur le revers méridional. Les habitats
sont autant diversifiés que dégradés et du Genévrier rouge,
du Thurifère, voire du Chêne vert qui d’antan présentaient
de belles formations, il ne reste que de rarissimes témoins
altérés, preuve qu’en hissant coûte que coûte les Camélidés
à cette hauteur et en renfort des Chèvres et des Moutons,
la mise à néant d’écosystèmes décrit comme paradisiaques il
y a moins d’un siècle, peut être mission accomplie. Triste
forfaiture de surpâturage sans souci légitime du lendemain,
complétée par une exploitation minière aux effets de
surface inconsidérés. Un mémorial au Mouflon (le dernier
isolé et esseulé date de la fin du XXe siècle), à la
Gazelle de Cuvier (encore abondante en 1981, elle devenait
non repérable ou s’éteignait en 1994 (Cuzin, 1996), au Lynx
(un rescapé en 1993), à l’Hyène (dernier spécimen vu en
1989) et a bien d’autres animaux climaciques peut être
édifié dans le Sarhro, où néanmoins fut constatée une
certaine l’abondance du Chat ganté lors de prospections de
1993 et 1994 (Cuzin, 1996). Ce siècle laissera ses traces
assassines en tous types d’écorégions, notamment celles
dont on ne parle jamais au grand public qui les croit
protégées parce qu’au bout du monde, oubliées, perdues mais
finalement non mieux à l’abri. Aux abords du
Tizi-n-Tinififft, la géomorphologie ne peut laisser
indifférent les amateurs de « natures mortes » et
chaque virage réserve ses surprises dans les improvisations
les plus fantaisistes de la masse rocheuse. A l’horizon des
gorges de roche noire du Djebel Tifermine, se dessine le
Djebel Toubkal qui émerge plus de six mois de l’année sa
haute croupe neigeuse. Sur les contre-versants les moins
dépouillés, de vastes pans de la belle Crucifère
pérenne Moricandia
arvensis colorie au
printemps les abrupts du violet de ses inflorescences.
C’est le temps de vol du Zébré-de-vert (Euchloe
falloui), Piéride
saharo-arabique spécialisée qui peuple les abords sahariens
de l’Adrar mauritanien jusqu’au nord de l’Arabie Saoudite.
Puis tout jauni, ce miracle florifère sombre dans le néant
jusqu’aux prochaines pluies, en automne, dans un an ou
deux, ou beaucoup plus tard. Ici, la nature sait attendre.
Autour de quelques pitons rocheux en proue au-dessus de cet
univers sélénique, vole l’exceptionnel Machaon du désert
(Papilio
saharae), dont la
présence est impliquée par quelques touffes de
Deverra,
cette étrange Ombellifère déserticole hôte de sa chenille
et qui permet à sa femelle de perpétrer l’espèce tant que
la tyrannie pastorale lui prêtera vie. Les enfants qui
par-ci, par-là proposaient au touriste des Fouettes-queues
morts ou vifs ont quasiment déserté les bermes des routes.
C’est une bonne chose et ce n’était pas trop tôt... A
Ouarzazate, la traversée prend fin dans un décor de bazars
et de parpaings. Il en faut pour tous les goûts, y compris
les plus suspects.
Le Tafilalt : le mirage du tourisme équitable
On peut arriver dans le Tafilalt depuis le nord par la
Vallée du Ziz, ses profondes gorges et ses palmeraies
linéaires annonciatrices d’oasis proches, c’est une
instructive progression vers le Grand Sud saharien. Depuis
l’ouest, Ouarzazate ou l’Atlantique, la route carrossable
est celle via Tinerhir et qui tombe à Erfoud, ses vraies
femmes drapées dans leur haïk noir, ses faux Hommes bleus
et ses fossiles du Dévonien qui font le trottoir et vous
donnent envie de retourner 370 millions d’années en
arrière ! Plus carrossable encore est la liaison
Tansikht-Rissani, avec l’avantage d’être à la fois 100 %
saharienne et un heureux itinéraire bis à l’harassante
Vallée dite des mille casbahs. Cette ancienne piste
« très légèrement nappée d’asphalte » longe les
piémonts méridionaux des Djebel Sarhro et Ougnaf,
constituant une remarquable traversée pour ceux qui démunis
de tout-terrain ne peuvent s’aventurer sur les pistes pour
y polluer la végétation. Ce « raccourci »,
permettant de multiples découvertes et escapades, conduit
presque tout droit de la Vallée du Drâa à Rissani, berceau
de la dynastie Alaouite et ancienne Sijilmassa, port
nord-saharien du Tafilalt médiéval fondé par les Berbères
Miknaça Kharijites au VIIIe siècle (757), avant même la
ville de Fès.
In memoriam l’Erg Chebbi
Coucher de soleil, lever de soleil, caravanes de Land-Rover
cassant les pistes à vive allure, poubelles,
Tokyo-Erfoud-Tokyo le temps d’une photo et d’un tour à dos
de Dromadaire, tout le monde fait auberge traditionnelle,
l’Erg Chebbi n’est plus qu’un tas de sable pour touristes
en culotte courte,
le seul désert sonore du Maroc. La façade
orientale reste peut-être fréquentable. Au sein du saharien
tempéré, cet erg qui doit l’essentiel de ses misères
écologiques à sa renommée touristique, est formé de
plusieurs massifs s’élevant à plus de 100 m au-dessus d’un
reg très âpre, ponctué de rares Acacias et Tamaris. Au
niveau de Merzouga, il est mitoyen du seul point d’eau de
la région : le Dayet Tamezguidat (ou Srji). Quand il
est en eau, ce lac temporaire constitue un précieux relais
pour quelques espèces d’Oiseaux migrateurs et le spectacle
des Flamands roses est du plus bel effet dans ce décor de
reg noir rehaussé du sable d’or des dunes majestueuses qui
s’y reflètent. L’aspect floristique de l’Erg Chebbi est nul
mais celui du lac assez notable lors des années pluvieuses,
avec notamment une ceinture de Cypéracées vivaces
(Scirpus
holoschoenus). Le Chat des
sables, espèce absolument remarquable, a pris la tangente
eu égard à la formidable pression anthopique et la Gazelle
dorcas ne donne plus signe de vie. Le charmant Fennec,
sévèrement persécuté, est en sursis. Entre autres présences
aviaires, le Moineau blanc, bien adapté aux conditions
extrêmes, y est ici l’objet d’observations ornithologiques
assidues. Le cortège reptilien n’est plus celui qu’il était
il y a un siècle (assertion documentée par la
bibliographie) et l’on peut encore citer quelques présences
qu’il serait judicieux de sauvegarder. C’est le cas
entre-autres de la Tarente du désert, du Gecko
d’Oudri, du Gecko à écailles carénées, de l’Agame
changeant, du Fouette-queue, du Varan du désert, de
l’Érémias d’Olivier, de l’Érémias à gouttelettes, de
l’Érémias à points rouges, de deux ou trois espèces
d’Acanthodactyles, du Seps ocellé, du Sphénops de
Boulenger, du Poisson de sable, du Scinque fascié (grosse
espèce répandue au sud du Sahara et contacté pour la
première fois au Maroc à Taouz), du Leptotyphlops
macrorhynque, de la Couleuvre algire, de la
Couleuvre-diadème du Maghreb, de la Couleuvre de Moïla, de
la Couleuvre de Schokar, de la Vipère à cornes et de la
Vipère de l’erg.
Un peu plus loin le village de Taouz marque la fin de la
descente au Sud, avec non loin la Hamada du Guir et
l’Algérie. C’est un peu le coin des paléontologues car les
découvertes d’ossements de Dinosauriens et de Crocodiliens
dans ce haut fond du Crétacé y ont été nombreuses. Là, il
suffit de se baisser pour ramasser des fossiles. Et si la
chaleur insupportable tenaille, des gravures rupestres
d’Herbivores sont là pour rappeler le temps du Sahara
humide et frais... En direction sud-ouest, une piste
audacieuse tente de suivre le cours ensablé de l’Oued Ziz
et de ses lagunes évanescentes. Attention ici aux
ensablements fatidiques dus au fech-fech, une
« farine » de sable pulvérulent qui recouvre le
sol, dépôt alluvial qui masque la mince croûte
superficielle et qui cède sous le poids du véhicule. Comme
la faune ne se manifeste que de nuit, c’est en bivouaquant
qu’au crépuscule ou à l’aurore on pourra apercevoir non
sans émotion un Fennec, un Fouette-queue, une Gerbille ou
une Gerboise, ou avec plus de chance suivre la ballade en
quête de proie d’une merveilleuse Vipère à cornes, d’un
Scorpion ou d’un Solifuge. Percevoir le jappement du Chacal
serait la récompense suprême. Avant de retrouver Zagora par
cette piste et avec le talent de ne pas se perdre, de
n’avoir pas sombré dans l’océan aréneux, ni supporté une
fatale tempête de sable mettant un terme à toute mobilité
durant deux ou trois jours, il ne faut pas négliger la
petite oasis d’Hassi-Remlia, là où le Ziz et le Rheris
assemblent leurs eaux pour donner naissance à l’Oued Daoura
qui entaille la région des Kem-Kem, puis disparaît dans le
vide, vers Tindouf. Non loin à l’ouest, les fins d’hivers
aux pluies providentielles, la Daya El-Maïder est un site
remarquable pour l’observation naturaliste. D’ordinaire,
une chape de plomb recouvre cette mer sèche et couve
quelques millions de semences qui feront le fugace tapis
florifère d’un jour. Leçon de patience, de résignation,
mais aussi de fuite des quelques familles qui avant
survivaient dans quelques douars isolés. Avant, il pleuvait
plus souvent...
Au sud de l’Oriental : le Djebel Grouz heureusement
oublié
La chaîne, frontalière avec l’Algérie, prend son origine un
peu à l’ouest de Figuig, s’étend sur 80 km et domine le
plateau avec 1839 m. Ce paysage calcaire est des plus
pittoresques avec de puissants contrastes de teintes et de
formes. L’accès n’est pas des plus aisé et sur la ligne de
faîte les risques de se retrouver en territoire algérien
sont grands... Les naturalistes n’ont pas de
frontière ! L’essence forestière insigne qui s’y
développe sous forme d’écosystème est le Genévrier rouge
(Juniperus
phoenicea) dont cet
isolat limitrophe du Sahara fut l’élément fondateur d’une
figure de protection de 60.000 ha de l’étage
thermoméditerranéen à bioclimat aride (et semi-aride), très
représentatif du type Atlas présaharien. En piémont, le
botaniste observe de nombreuses plantes spécialistes de
l’aridité : Anabasis
aretioides et
A.
aropediorum,
Hamada
scoparia,
Helianthemum
intricatum,
Launaea
arborescens et
L.
acanthoclada,
Diplotaxis
harra,
Echium
trigorrhizum. D’autres
espèces interviennent aux abords des oueds :
Olea
oleaster,
Zizyphus
lotus,
Ballota
hirsuta,
Micromeria
hachreutineri,
Centaurea
maroccana,
Stipa
parviflora,
Oryzopsis
miliacea,
Gallium
ephedroides. Quelques
pistaciaies présteppiques à Pistachier de l’Atlas doivent
leur survie aux « vibrations » maraboutiques...
Les nappes d’Alfa et d’Armoise, agrémentées de Romarin,
constituent le manteau végétal de cette zone d’où sont
recensés (peut-être un peu généreusement) l’Hyène, la
Genette, la Zorille, la Gazelle dorcas, le Mouflon à
manchettes, le Porc-épic, etc. Certains Rapaces de grand
intérêt semblent s’y maintenir, tels le Faucon lanier, le
Faucon pèlerin, le Percnoptère d’Égypte, l’Aigle de
Bonelli, l’Aigle royal et le Gypaète barbu, sans garantie
du présent immédiat pour les deux derniers cités.
L’herpétofaune de la région de Figuig, palmeraie, plaines
désertiques et tous djebels confondus (Grouz, Maïz,
Goulimina, Rhals) rassemble : le Crapaud de
Maurétanie, la Grenouille verte d’Afrique du Nord, la
Tortue mauresque, l’Émyde lépreuse, la Tarente du désert,
le Gecko d’Oudri, le Gecko à écailles épineuses de
Tripolitaine, l’Agame de Bibron et l’espèce voisine l’Agame
changeant, le Fouette-queue ou dob,
le Varan du désert, l’Acanthodactyle-panthère,
l’Acanthodactyle rugueux, l’Acanthodactyle de Duméril, le
Sphénops de Boulenger, l’Eumécès d’Algérie, la Couleuvre
d’Algérie, la Couleuvre de Schokar, le Cobra d’Égypte, la
Vipère de Maurétanie et la Vipère à cornes.
De nombreux autres paysages nord-sahariens peuvent être
visités au sud de l’Oriental et selon l’itinéraire Boudnib,
Bouânane, Bouarfa. Ils sont de valeurs inégales,
généralement riches quand la pression pastorale n’est pas
outrancière, le plus souvent peu prospectés. Théoriquement
et depuis 1967, 220.000 ha de la Réserve de Bouarfa doivent
porter secours aux Gazelles de plaine de ce secteur.
Les
marchands de sable
Déclaration
de principe
« A force de
suivre les itinéraires indiqués qui ne conduisent qu'à des
impasses,
il va finir par s'engager sans demander conseil à personne
sur son propre chemin. »
Yvan Audouard
« A l'heure du désert-business, des faux Touaregs
« made in Taiwan », habillés en bleu, guettant le
touriste dans tout le Sud du Maroc, les bivouacs-folklores
autour de Zagora, le non-respect permanent de
l'environnement fragile du désert et de la culture
ancestrale des nomades, le guet-apens des bazars ; il faut
agir avant que le désert de la Hamada du Drâa ne rejoigne
celui d'Erfoud où il y a plus de guides que de nomades,
plus de 4x4 que de chameaux, plus de stress que de
quiétude. Autour d'une équipe de nomades de la région de
Mhamid, le projet « Sauver la Hamada du Drâa »,
initié il y a quelques années, a besoin d'un second souffle
pour continuer cette expérience, encouragée par beaucoup
d'amis suisses, à travers les trois respects fondamentaux :
respect de l'environnement, respect du visiteur et respect
du visité. Les amis du désert, ayant eu l'occasion de le
découvrir avec Kada qui personnifie à lui seul toute la
noblesse des gens du désert, Janet dit Loretan, au sourire
lumineux, Mahmoud, la force tranquille, Bekkar, Mohamed,
Ali, le berger Hssain, l'ami des fennecs, et d'autres…, ont
pu mesurer tout le sens des ces trois
« respects » . Le but principal de ce projet
est de préserver la belle Hamada du Drâa, particulièrement
la rive gauche du fleuve, et permettre sa découverte à
travers le partage et le respect. La préserver de quoi ?
Des 4 x 4 bien sûr, des rallyes et autres marathons
dévastateurs, notamment le rallye du Dakar et le Marathon
des Sables, et assurer la quiétude de quelques espèces
rares tels le fennec, l'outarde houbara, la gazelle et le
varan du désert, sans parler de plusieurs espèces de
plantes d´une beauté exceptionnelle, hélas en voie de
disparition par une malédiction conjuguée de la sécheresse
et du tourisme de masse en véhicules tout-terrain. Le
dernier refuge, pour toutes ces espèces, est cette bande
étroite entre le lit du Drâa et la frontière
Maroco-Algérienne. Les magnifiques houbara et la gazelle du
désert ont pratiquement disparu de cette région,
pourchassées sans pitié par les princes du Golfe. Ignorant
toutes les normes de protection de la faune animale et
végétale, ils ont carte blanche pour chasser où ils
veulent, ce qu'ils veulent, quand ils veulent et comme ils
veulent, ne ménageant aucun moyen matériel ou humain. Leur
proie préférée étant la houbara à cause, paraît-il, de ses
vertus aphrodisiaques. Ils ont poursuivi le magnifique
Oiseau jusque dans les zones inaccessibles, près de la
petite chaîne d'Errich. Nous vous invitons à bivouaquer au
pied d'une dune, à prendre un thé sous un tamaris, à
préparer un délicieux pain dans le sable. Dans le désert,
l'Homme fait la part entre l'essentiel et la futilité. Le
désert ne se décrit pas, il se vit… »
(Zaïla, l'autre façon de découvrir le désert, Mahmoud
Darbali).
Allez savoir si « Zaïla » est sincère ou cherche
à s’accaparer un créneau du secteur ?
Stoïque, exemplaire, équitable mais illusoire, un super
écotouriste déserticole est attendu...
« Un
touriste se reconnaît au premier coup d’œil,
C’est un individu habillé d’une manière telle que,
s’il se trouvait dans son propre pays,
il se retournerait dans la rue en se voyant
passer. »
Philippe Meyer.
« Le tourisme
est la réalisation achevée d’un univers de la
désespérance. »
Chantal Thomas.
Les principes du tourisme durable ont été arrêtés par l'OMT
dès 1988 ; le tourisme durable se définit comme une façon
de gérer « toutes les
ressources permettant de satisfaire les besoins
économiques, esthétiques et sociaux et de préserver
l'intégrité culturelle, les écosystèmes, la biodiversité et
les systèmes de soutien de la vie ». Une
distinction nette peut être faite entre les notions
d'écotourisme et de tourisme durable : le terme même
d'écotourisme désigne une composante du secteur
touristique, alors que les principes de durabilité doivent
s'appliquer à tous les types d'activités, d'opérations,
d'entreprises et de projets touristiques, qu'ils soient
anciens ou nouveaux. En bref,
c’est un voyage « responsable » qui préserve les
environnements naturels et se soucie du bien- être des
populations locales. Le facteur « nature » y est
omniprésent.
« Les
marginaux sont les ramoneurs du
conformisme. »
André Larivière
Les voyageurs épris du Sahara existent et ont toujours
existé. Ils sont inhérents à ce milieu, épris de sa
civilisation, de sa magie et de ses beautés naturelles,
cultes, discrets, sous-équipés et respectueux, ne faisant
ni morale, ni prosélytisme, prêts à défendre et non à
saccager, individuels ou en groupuscules non fédérés, ils
sont généralement animés d’une initiative qui se conjugue à
l’éthique des initiés, et pratiquent avant la lettre et
avant qu’on le leur impose le voyage durable, solidaire,
équitable et tout ce qu’on voudra rajouter dans la
rhétorique emphatique du marketing récurrent. L’écotouriste
est ethnologue, archéologue, paléontologue, géologue,
botaniste, zoologue, photographe spécialisé ou simplement
amateur de découverte, de peinture, de contemplation, de
méditation. C’est un modeste voyageur du savoir. Vous en
êtes ?
Ces gens n’ont nul besoin d’être exhortés, recrutés,
sollicités et ne montrent guère de sympathie pour les ruées
touristiques et l’art de décevoir qui y
préside.
Il faut rappeler in primis un principe.
Il n’y a pas d’écotourisme dès l’instant qu’un voyage est
initié par voie aérienne : un gros avion
(type Boeing 747) brûle 15000 litres de kérosène à l’heure,
autant que 1500 voitures, c’est beaucoup trop pour aller
faire « respectueusement » cuire un pain dans le
sable ou déranger l’avant dernier fennec... S’il ne peut
utiliser un moyen de transport plus respectueux,
l’écotourisme reste l’un des nombreux idéoplasmes de
l’écoconscience, une invention gratuite (mais qui peut
rapporter gros...), une vue de l’esprit émanant de
corridors écotechnocratiques plus ou moins marchands... de
sable.
L’Aguerguer, le Drâa, le Tafilalt ne sont pas les Alpes ou
la Camargue françaises, définitivement vouées, à tort ou à
raison au tourisme vert, ni même les Andes (3000
visiteurs/jour au Machu Pichu !) ou le Népal déjà
sérieusement entaché par une empreinte touristique
excessive. Une liste des destinations porteuses de tourisme
naturel et culturel et déjà gravement saccagées pour la
cause serait sans fin. L’inverse n’est pas disponible ou se
réfère à l’échec. Mettre tous les « terroirs »
dans un même panier écotouristique relève du non-sens. Au
Maghreb, la trop grande disparité est exacerbée par
l’extrême proximité géographique : entre l’Andalousie
(qui n’est pas la région la plus riche d’Espagne) et Tanger
(qui n’est pas celle la plus pauvre du Maroc), il y a 14 km
et une perte de pouvoir d’achat de 14 % ! L’invité
occidental fait ainsi naître chez son hôte une inévitable
convoitise. La génération présente de l’amphitryon du Sud
marocain, par exemple, joue chaque jour sa vie dans le
Détroit de Gibraltar pour tenter de gagner un Eldorado
dérisoire et les touristes-aventuriers de pacotille
croisent ces candidats à l’exil forcé depuis le pont de
leur bateau, ceux-ci ayant le digne privilège de visiter à
satiété « le désert » que les premiers tentent de
le fuir à la nage et contre la perfidie des lois iniques.
Criante injustice. Comme il est proclamé que la pauvreté,
qui mène au déni de soi-même, constitue une atteinte aux
droits fondamentaux de l’être humain et qu’elle doit se
situer au cœur des préoccupations internationales, l’une
des stratégies de développement est donc de se rendre sur
place « pour dégustation », tout en poursuivant
l’édification de murs dans le sens inverse, des murs tout
de même un peu troués, de quoi avoir la main d’œuvre à bon
marché qu’il nous faut...
Les marchands de sable nous parlent...
« Le désert
est la seule chose qui ne puisse être détruite que par
construction. »
Boris Vian
« Les effets
conjugués de la croissance économique, de la pression
démographique, du développement du tourisme accentuent,
d’années en années, les menaces qui pèsent sur l’avenir
même de l’homme. »
Corinne Lepage
« Le tourisme
est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui
seraient mieux chez eux,
dans des endroits qui seraient mieux sans
eux. »
Jean Mistler.
Le Sahara représente selon les spécialistes une demande
nouvelle et comme il semble pour le moins judicieux de
sauvegarder le milieu, d’en gérer les ressources naturelles
et humaines dans la perspective du développement durable,
on nous fait accroire que l’on pourra limiter, doser,
filtrer le nombre de touristes, respectant un seuil de
compatibilité. C’est du moins ce qu’énoncent les grands
principes de l’UNESCO (Vers une stratégie pour un
développement durable du tourisme au Sahara, 2003), une
charte éthique d’organisateurs spécialisés et tant d’autres
annonces ou vœux pieux. Lutter contre le danger de la
massification reviendrait à demander à ceux qui
s’accrochent encore légitimement à leur oasis de nier tout
appât du gain. C’est illusoire. A des gens « qui ont
tout mais qui n’ont rien » (la notion de manque est
purement existentialiste et n’a pas sa place dans les
économies de subsistance ou autarciques...), on ne demande
pas de ne s’emparer que d’1 quand ils peuvent avoir 10, a
fortiori forts des leçons de consumérisme reçus par le
biais de la télévision satellite, en ces parages Oiseau de
mauvais augure. Nous avons une expérience du voyage dit de
nature au Maghreb et la litanie perçue à chaque étape est
celle d’une plainte de non-fréquentation, de chambres vides
et d’espoirs déçus, et ce, au cœur d’écosystèmes déjà
largement victimes des affres du tourisme. Et si la
population, soudainement « illuminée », résistait
à la tentation en se contentant d’un tourisme de découverte
minimum, on imagine bien mal le capitalisme obéir à une
telle prérogative et ne pas profiter du créneau. Du jamais
vu !
A l’exemple du mouton de Panurge, les terriens moyens
devenus touristes se suivent, cultivant la peur de
l’inconnu et ne font qu’enrichir quelques espaces déjà
privilégiés du secteur touristique, y compris dans le
domaine que l’on pourrait imaginer vierge du domaine
saharien. Quitte à parcourir des centaines de kilomètres en
ribambelles de véhicules 4 x 4 fortement polluants depuis
Agadir, Marrakech ou Ouarzazate, pour retrouver chaque soir
le confort et le conforme. Drôle d’évasion ! Les
autres, les « antitouristes » qui marchent
derrière les louables initiatives d’un grand nombre de
concepteurs d’itinéraires alternatifs et autres comptoirs
du désert, méritant au mieux le label d’écotourisme parce
qu’ils en ont l’habit, se suivent aussi. Leurs pollutions
sont plus modestes mais leur pénétration est maximale, tant
dans la culture de l’habitant que dans l’intimité des
écosystèmes. C’est peut-être cet aspect qu’il convient
d’encourager mais il n’est nullement susceptible de
satisfaire aux besoins économiques du secteur spontanément
inventé pour le recevoir. Les adhérents aux randonnées
pédestres ou chamelières restent un épiphénomène. Le flux
touristique mondial, toutes figures confondues, a été de de
l’ordre de 715 millions d’arrivées en 2002 (soit une
recette de 474 milliards de dollars), dont seulement 28,7
millions d’entrées pour le Continent africain, parent
pauvre du tourisme (Organisation mondiale du tourisme). Le
chiffre mondial prévu pour 2010 est de 8000 milliards de
dollars, soit 12,5 % dans le PIB mondial. Bon an mal an, le
Maroc reçoit quelques 2,5 millions de touristes. Outre les
destinations classiques (Agadir, Marrakech...), les
initiatives culturelles (villes impériales) existent depuis
longtemps. Au sein de ce panorama, la place de
l’écotourisme ne semble pas honnêtement définissable en
chiffres. Certains rapports avancent une part de 30 % du
global pour le tourisme culturel et naturel, mais ce
chiffre outrancier ne tient compte que de la nature des
sites et non de l’éthique des visiteurs. Tout touriste
traversant une ville impériale, un village de montagne, une
oasis présaharienne, visitant une cascade, une aire
protégée n’est pas un écotouriste ! Bien au contraire.
Il suffit de se poster au pied de l’Erg Chebbi pour le
comprendre !
C’est l’attitude qui fait l’écotouriste, non la
destination ! Tout touriste
allant admirer les ibis chauves par simple curiosité se
retrouve pris dans les statistiques du tourisme durable
alors que son activité va à l’encontre du souci durable de
l’Oiseau et de son écosystème. Le chiffre raisonnable des
touristes se voulant respectueux de l’environnement par
sensibilité à son égard ne doit pas dépasser 0,5 %.
C’est-à-dire 125.000 amateurs d’antitourisme pour le Maroc,
ce qui est insuffisant pour motiver un secteur. Et même si
ces visiteurs sont de bonne foi, cette modeste
fréquentation de la nature pèse déjà trop lourd dans la
balance écologique.
Concilier l’inconciliable
En l’hypothèse que sa promotion puisse en améliorer le
chiffre, celui-ci deviendrait ipso-facto incompatible avec
les critères sensibles du milieu ciblé. L’écotourisme
massif n’est plus de l’écotourisme. Le lien à la beauté et
à la dimension ressourçante du désert sont des choses
essentielles qui ne tiennent justement que par une
fréquentation bien en deçà du seuil de tolérance. La haute
montagne et le Sahara se ressemblent : havres de
silence et de paix, sanctuaires de la nature où toute
présence intruse est de très loin amplifiée comme par un
effet de réverbération. Mettre la biodiversité saharienne
en vitrine est pur anachronisme, il faut se montrer
vertueux, chaste et pudique de ces subtiles richesses aux
limites de l’immatériel, et les cacher (en y
veillant !) est la meilleure recette de préservation.
Pourrait-on, sinon, faire subir un examen de passage à
chaque candidat convié au voyage, avec code de conduite,
charte de déontologie, stage de sensibilisation, gestes et
paroles conseillés à l’acteur-voyageur ? Quant au
tourisme des aires protégées et hardiment présenté comme
tel, « avec circuits en profondeur » (sic), c’est
quoi sinon le comble de l’imposture et de la
récupération ? Si le tourisme les pénètre, sont-elles
toujours protégées ces aires ?
Les efforts internationaux actuellement entrepris pour
dynamiser ce type de voyage ont tout de la caricature, du
stéréotype, avec leurs fausses déclarations de principes
(auxquelles personne ne croit !) masquant bien mal
l’objectif toujours inavouable du gain qu’exacerbe le
« nouveau créneau », avec sa cohorte de clientèle
« gobe-tout »... Les citations des anachorètes du
désert, scientifiques ou religieux, ne manquent pas d’être
appelés à la rescousse pour racoler le touriste douillet en
mal d’aventure. Les offres de voyage à thèmes envahissent
tous les supports, on nous propose même de suivre les pas
de Charles de Foucauld et de ses disciples, de rencontrer
les descendants des familles berbères qui l’avaient
accueilli dans le « désert » du Sarhro...
« Ils » pensent à tout.
Les pièces à conviction de cette imposture verte sont déjà
engrangées : il suffit de se pencher sur le sort des
secteurs pionniers de l’affairisme saharien dont les
« arénapoles » marocaines se nomment par exemple
Zagora ou Erfoud. Surfréquentation, loisirs menaçants,
dunes défaites et jonchées d’immondices, ces sites sont
livrés sans la moindre retenue aux « marchands du
temple » et aux faux-guides (pas toujours
incompétents...). De leur capital écosystémique, il ne
reste pas grand chose, l’appauvrissement faunique est
extrême, l’érosion culturelle est manifeste et cette
promotion n’a même pas su mettre les casbahs et les ksour à
l’abri de l’enlaidissement du parpaing. Les populations
sont niées ou asservies, les enfants transformés en
mendiants. Si c’est cela la source d’inspiration et
l’exemple à poursuivre, voire à amplifier ! Le cas
d’Ouarzazate (cité cinématographique et réserve de
figurants pour films en carton-pâte), n’est guère plus
relevant, sauf que sa position de port saharien, un peu en
retrait des sites sensibles, induit apparemment moins de
dégâts. Quant à son rôle de levier dans la lutte contre la
pauvreté locale, il est difficile de parier sur une
redistribution locale de la manne touristique, mais plutôt
sur la naissance d’une impitoyable concurrence dont sont
sorties plus enrichies encore les classes dominantes. L’une
des répercussions de la promotion d’Ouarzazate comme
destination phare aux portes du désert est finalement
d’avoir provoqué la mutation du charmant itinéraire de la
haute Vallée du Drâa en celui d’un infernal circuit
automobile. Sa charge et sa constance ont su écarter la
totalité d’une faune perturbée par les caravanes de
voitures, de tout-terrains, de camions, de camping-cars
hors gabarits (chacun valant bien le prix de tout un douar
présaharien...), de motos grosses cylindrées, maintenant de
quads aux performances sonores, en une formation linéaire
ininterrompue, chapelet routier rehaussé de rallyes
d’aventure de tous les sexes (puisqu’il existe un rallye
féminin, on attend un rallye homosexuel...), suscitant un
mercantilisme de bord de route exacerbé. De quoi faire
avorter la dernière gazelle ! Au milieu de cette
grande parade se rendant à la curée des dunes, on devine
parfois l’ombre héroïque et militante d’un couple
d’écotouristes vrais en tandem. Ils y avaient cru mais on
ne les reprendra plus.
Quand l’écotourisme se mord la queue !
« Allons !
La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la
colère. »
Arthur Rimbaud.
Donc,
l’écotouriste existe, c’est un touriste
« souterrain » qu’il ne faut surtout pas
dénaturer en le réinventant. C’est un
voyageur qui aurait pour maître Théodore Monod et quelques
autres comme Panouse ou Heim de Balsac pour le Maroc.
Certains, déjà artériosclérosés, continuaient à arpenter le
reg tant ils y croyaient. « Là où il y a
la volonté, il y a un chemin » (Winston
Churchill) pourrait être une devise de l’explorateur
saharien, ascète et résigné, la passion au ventre,
archétype correspondant à une classe financièrement sans
pouvoir et dont les entreprises voyagistes se fichent comme
de leur première chemise. L’ennemi déclaré de ce
« drôle de zèbre » est le touriste que certains,
comme Haroun Tazieff, comparaient à une lèpre. Vouloir
maintenant, à grand renfort d’images et de communication,
travestir l’ « égotouriste » tout-le-monde dont
la mentalité semble « indécrottable » en faux
aventurier du désert serait jeter un définitif discrédit
sur l’image un peu « magique » des écosystèmes
sahariens, en achever le saccage de la flore, de la faune
et de ses habitants (même s’ils sont naïvement demandeurs),
et aboutir à faire fuir... les écotouristes innés. Mais cet
effet boomerang est un peu le modèle du système sociétal
animant les décideurs dont la vénalité et le court terme
qu’elle induit place la conservation non pas comme un
objectif essentiel mais comme une astuce de plus pour
parvenir à leurs fins.
L’écotouriste de toujours n’est pas un
« touriste », c’est un voyageur !
Depuis que le
tourisme a tordu le cou au voyage, il y a confusion. Pour
le voyageur, c’est le chemin qui est l’objectif, il ne
cherche pas spécialement à parvenir à une destination,
c’est sur la route qu’est le plaisir, la connaissance, la
rencontre. Le tourisme est farouchement dépendant d’un
« timing », il le faut pour faire
Paris-Erfoud-Paris en un bref (mais si enrichissant !)
voyage de fin de semaine. Le vrai voyageur n’est pas une
cible des services de communications des opérateurs, il
décide seul et voyage seul, là et comme il le veut. Le
voyageur protoécotouriste n’est pas une vache à lait, il
n’enrichit financièrement personne et partage sa survie
avec le quotidien des populations qu’il visite, ou bivouac
humblement, anonymement, invisiblement. Il cherche la paix
et la trouve. Il exècre la piscine, la pelouse et le golf.
Il n’est pas recruté en nombre et sur des catalogues aux
images archéotypées. Tout jeune, il portait déjà ses
voyages dans son cœur et dans son pur esprit. On ne peut
donc le séduire, le rabattre, le réduire, l’apprivoiser,
lui montrer le chemin. C’est en marchant qu’il fait son
chemin. La plupart du temps, le voyageur a quelque chose à
faire car c’est aussi un chercheur, il est maître de son
cahier de route et fréquente le Sahara depuis toujours. Il
a rendez-vous avec une trace, un os, une Araignée, l’arôme
d’une fleur... Ce milieu aride se mérite, demande une
préparation, une vocation. L’écotourisme jetté en pâture et
en offre promotionnelle est bien une forme d’excuse de
notre société quelque peu acculée à ses forfaits, au mieux
un projet d’amende honorable, au pire un montage de plus
dans le monde qu’on sait.
Des cités culturelles aux bleds du bout du monde, des sites
archéologiques aux réserves naturelles, des îles aux
glaciers, des pôles aux tropiques, les plages, les
montagnes, les forêts, les campagnes (terroirs) et
maintenant les déserts, tout doit être bradé par les
opérateurs touristiques et leur dernière trouvaille qu’est
l’écobusiness. Le droit au voyage est un fait nouveau, la
dégradation de la planète et la récession culturelle aussi.
Ça va de pair. Les systèmes arides sont les plus fragiles,
la régénération y met des siècles et la plupart des dégâts
y sont irréversibles. L’infecte pain industriel y a déjà
remplacé le pain du pays que l’on mangeait à genoux il n’y
a même pas dix ans à Zagora ou à Erfoud... Au fait de
l’érosion culturelle et du saccage de l’environnement
partout laissés par la fréquentation touristique, et
sachant que ça ne pouvait pas durer, l’invention du
« durable » a été proclamée comme une
incantation, sans que personne n’apporte la moindre
garantie de viabilité de ce second temps du tourisme rural.
Les touristes pionniers visitant Marrakech auraient-ils pu
penser qu’on en arriverait à une telle foire sans plus
d’authenticité ? Ils étaient de bonne foi, comme le
sont les premières émules écotouristiques qui déambulent
suréquipés dans l’oasis sans se poser la question du regard
qu’ils feraient, chez eux, dans leurs deux pièces-cuisine
ou leur jardin de Seine-et-Marne si subrepticement,
quelques berbères touristes à l’envers les y venaient voir,
ne serait-ce que pour apprendre comment avec tant d’argent
on peut faire si peu de belles choses et être tant
malheureux !
Le spectre d’un écotourisme exploité comme tel présente
dans le contexte saharien de trop grands risques de
dérapages et de dérives. Les exemples au bilan global
négatif déjà vécus sont édifiants : mise à sac des
composants de la biodiversité, nouvelles pollutions,
sur-utilisation de l’eau et des ressources au mépris d’un
tissu social pratiquant le génie de la parcimonie,
dégradation de l’habitat, folklorisation des coutumes,
mercantilisme, perte des repères culturels et des
savoir-faire, irruption de nouvelles modes perturbantes,
création d’un climat de dépendance sans aucune garantie
d’avenir, délitement des groupes et des parlers locaux, et
un long etc. A l’inverse d’autres formules, l’écotourisme
saharien est inné et ne demande rien. C’est d’ailleurs une
définition du tourisme solidaire.... et solitaire. C’est en
tout cas l’avis des écologistes et des naturalistes avisés,
experts qui bien évidemment entrent en lice sans n’avoir
aucune voix au chapitre, pas le moins désireux de se voir
initiés par « Robot sapiens
economicus » aux
arcanes lobbyistes du désert-business. Émules de René
Dumont, de Paul-Émile Victor, de Jacques-Yves Coustaud,
d’Haroun Tazieff, de Norbert Casteret, mais nullement
disciples de Gilbert Trigano ou de Jacques Maillot,
l’écologie reconnaîtra les siens. Le niveau d’incompétence
écologique des concepteurs de voyage est aussi bien
documenté que leur avidité. Mais leurs projets sont portés
au pinacle par les groupes de pression et le juteux système
des connivences, ce qui leur permettra d’atteindre leur
nouvel objectif qui est l’organisation de piètres cénacles
entérocolitiques et autres saturnales de pique-niqueurs
eunuques dans le silence désormais violé de cette terre de
dépouillement, jusqu’ici chargée de symboles, de magie et
de rêves. On ne peut pas toujours se taire, surtout à
l’heure où l’on compte les dernières Gazelles et les
ultimes Guépards, lesquels survivants semblant bien attirer
la convoitise voyeuriste.
Comme tous fantasmes apocalyptiques, les espèces en voie
d’extinction, en voilà un bon filon...
Il y a cent ans, le tourisme n'existait pas et cependant,
l'industrie touristique est le troisième secteur économique
du monde, après le marché du pétrole et celui des véhicules
à moteur. Mais toute médaille a son revers. Le
développement exponentiel du tourisme va de pair avec une
dégradation tout aussi exponentielle (et très souvent
irréversible) de l'environnement.
Quel qu’en soit la figure exploitée, le tourisme a été, est
et restera « un vandalisme sympathique » qui
participe à un écocide lent et certain. Cela crève
partout les yeux et ne pas en convenir confine à un
remarquable cynisme. Le tourisme de nature promet un
concept bien séduisant mais purement conceptuel.
L’application de ses projets, et tout particulièrement dans
le domaine saharien, va à l’encontre de sa profession de
foi. C’est donc un marché de dupes, une promesse
mensongère. La seule garantie offerte par l’offre
écotouristique est ainsi le détournement de son objectif.
« L’incrédulité
est le premier pas vers la
philosophie. »
Diderot