«
Ubi
solitudinem faciunt, pacem appellant.
»
(Où ils font un désert, ils disent qu’ils ont donné la
paix)
Tacite (Vie d’Agricola)
L’arganeraie victime
d’elle-même
A
la découverte de l’arganeraie
L’Arganier :
un arbre-providence « maltraité »
« Nous
comprenons la nature en lui résistant. »
Gaston Bachelard
« On ne
triomphe de la nature qu’en lui obéissant. »
Francis Bacon
L’Arganier, l’Arbre de fer ou l’Arbre de vie,
(Argania
spinosa) (noms
vernaculaires marocains : argan,
targant,
afias,
abâu,
zekmun)
est une espèce xérothermophile qui appartient à la famille
tropicale des Sapotacées (qui compte 600 espèces) dont elle
est au Maroc la seule représentante septentrionale dans la
région méditerranéenne. La derivatio
nominis de bien des noms
de villages et de lieux-dits du Sud-Ouest marocain, dont le
plus significatif est celui d’Argana, situé au nord-est
d’Agadir, a pour origine cet arbre. D’autres toponymes
constitués à partir du même taxon mais dorénavant situés à
l’extérieur de l’arganeraie (jusqu’au Sahara occidental),
témoignent ainsi de sa présence ancestrale. L’Arganier
accepte un étagement altitudinal de grande amplitude se
situant du niveau de la mer jusqu’à plus ou moins 1500 m.
Seconde essence forestière du pays après le Chêne vert, cet
endémique original qui n’est pas sans rappeler l’Olivier,
est
un arbre multi-usages (forestier-fruitier-fourrager),
dont l’espérance de croissance est d’une dizaine de mètres,
d’un port à cime arrondie, à l’écorce grise et crevassée
type peau d’éléphant ou de crocodile, aux rameaux épineux
et aux feuilles persistantes, alternes, elliptiques, à
pétiole court. C’est une espèce monoïque à fleurs
hermaphrodites et à fécondation de type allogame (par
pollinisation croisée). La fleur (mars à juin) est jaune et
axillaire. Le fruit (la noix d’argan), baie à péricarpe
charnu, est une drupe à noyau coriace renfermant deux à
trois amandes très riches en huile et qui se récolte entre
juin et août. Le limbe de la feuille, la tige et l’épine
ont été récemment identifiés comme très riches en
flavonoïdes. Ses racines en pivot sont traçantes dans le
substrat rocheux, aptes à chercher fort loin dans le sol
les millimètres d’eau annuelle nécessaire à sa vie. Pour
économiser les avaricieuses ressources hydriques,
l’Arganier peut sporadiquement se défolier, retrouvant à
l’aubaine de nouvelles précipitations, son aspect touffu.
C’est un arbre très protéiforme et tenter d’en rencontrer
deux spécimens de bonne ressemblance n’est pas chose aisée.
Hautement résistant,
il porte dans son habitus tous les stigmates de son dur
vécu, toutes les
séquelles des traitements néfastes et mutilants. Ainsi, on
rencontrera des sujets naniformes, prostrés, stressés et
mutilés, tous évocateurs d’un broutage précoce et
répétitif, d’un écimage ou d’un émondage réitéré et de
toutes autres atteintes à leur intégrité. Le stade extrême
et très spectaculaire est illustré par ces Arganiers
abroutis à l’extrême, rabougris, repliés sur eux-mêmes et
façonnés en «rochers verts», conséquence la plus tourmentée
de l’impact du pâturage suspendu. Hormis quelques modestes
indigénats dans le Sud-Ouest algérien, l’arbre d’argan est
cantonné au Maroc où, entre steppe désertique et Océan, il
constitue une véritable curiosité biogéographique liée à
des territoires ne recevant guère plus de 150 à 400 mm/an
de précipitations pour l’intérieur, 40 mm pour la frange
littorale la plus méridionale. Mais ces régions ont
néanmoins l’atout de brouillards et précipitations occultes
(ou pluies ascensionnelles) parfois très importantes.
Apparu au Tertiaire, Argania
spinosa fut refoulé en
Afrique berbérique sud-occidentale consécutivement aux
glaciations du Quaternaire. En cet extrême Nord-Ouest du
continent africain, l’Arganier couvrait originellement un
territoire nettement plus vaste. Il en demeure encore
quelques témoins permettant d’en comprendre la chorologie,
en des régions excentrées comme sur le Plateau central (sud
de Rabat) dans la Vallée de l’Oued Grou (une cinquantaine
d’hectares à Tsili) ou dans l’Oriental : région de
Debdou (une modeste surface entre Thuyas et Chênes verts)
et à l’ouest d’Oujda, tant dans les Monts de Beni-Snassen
(200 ha) où il est associé à la tétraclinaie, qu’aux
alentours d’El-Aïoun où nous avons répertorié des spécimens
vestigiaux en très mauvais état. Il n’y a pas si longtemps,
il s’étendait au nord jusqu’au-delà de Safi, et au sud
au-delà du Drâa jusqu’à la région de Tindouf. L’un des
affluents de la Seguiet-El-Hamra porte encore le nom d’Oued
Argane.
D’une estimation de 1.500.000 hectares boisés
d’Argania
spinosa
datant du début du XXe siècle, il ne demeure présentement
plus que 20 millions d’Arganiers sur une superficie de
quelque 800.000 ha (7 % de la superficie forestière du
Maroc), soit une perte de la moitié de sa surface. Le
rythme de ce compte à rebours est présentement de l’ordre
d’une éradication de 600 ha/an.
L’aire principale actuelle enveloppe tout le bassin versant
du Souss (Taliouine - Aoulouz – Taroudannt – Agadir), les
piémonts sud et ouest du Haut Atlas occidental, Haha et
Ida-ou-Tanane jusqu’à Essaouira et Argana au nord/nord-est,
les montagnes de l’Anti-Atlas sud-occidental (région du
Djebel Lekst) jusqu’à Sidi-Ifni au sud-ouest. Plus bas et
jusqu’à l’Oued Drâa, l’Arganier ne se rencontre plus en
formations mais éparsement et par petits groupes de sujets
généralement de port chétif. L’aire principale
habituellement donnée par les auteurs s’étend de
l’embouchure de l’Oued Tensift au nord à celle de l’Oued
Souss au sud, entre 29 º et 32 º de latitude nord.
La
Vallée du Souss en est la région charnière. Le Souss, formé
de riches alluvions arrachées à l’encadrement montagneux,
est actuellement un oued sub-fossile, un peu à l’instar des
fleuves sahariens que sont le Ziz et le Drâa, avec de
longues périodes d’étiage ne conservant qu’un lit
souterrain, mais susceptible de crues d’une rare violence
quand surviennent des orages orographiques. Rarement encore
sauvage en forêt claire de l’arrière-pays collinéen ou plus
fréquemment cultivé dans les plaines et sur le littoral
océanique, l’Arganier est l’essence forestière
incontournable du grand Sud-Ouest marocain, qui en peuple
l’essentiel de ses paysages arides aux brumes fréquentes et
lui imprime une physionomie bien particulière. La région
supportant l’arganeraie offre des structures géologiques de
sédiments néogènes et quaternaires (Souss-Massa), du type
Jurassique et Crétacé (partie la plus occidentale du Haut
Atlas), du Paléozoïque (essentiel de l’Anti-Atlas) avec
quelques traces de Précambrien. La formation à
Argania
spinosa se manifeste
généralement sur des sols bruts, à croûtes ou peu évolués,
très souvent érodés par disparition de la couverture
végétale, voire sur des sols isohumiques sur alluvions dse
types marrons ou châtains.
On trouve les premières relations de l’Arganier dans divers
écrits de géographes et médecins arabes ayant visité et
étudié le Maghreb. En 1219, le médecin égyptien Ibn Al
Baytar le citait dans son ouvrage « le Traité des Simples
». On en retrouve une référence explicite dans «
Description de l’Afrique » de Jean Léon L’Africain (1515).
Ces auteurs en relataient déjà la plupart des atouts. Les
Phéniciens commerçaient son huile dans leurs comptoirs
établis tout au long de l’Océan atlantique. Plus récemment,
comme au XVIIIe siècle, bien des voyageurs et diplomates
anglais donnent dans leurs récits des rapports documentés
de la densité de l’arganeraie d’alors.
Les fonctions tant économiques qu’environnementales de cet
arbre sont telles que plusieurs pays l’ont introduit ou ont
tenté de l’introduire pour l’enrichissement de leur
patrimoine. Ce fut le cas d’antan de l’Angleterre, des
Pays-Bas, de la France et des États-Unis ; plus
récemment d’Israël, de la Libye et de la Tunisie.
L’Arganier, brumisateur de la steppe
Envoyant son
système radiculaire à grande profondeur, l’arbre d’argan
élève l’eau qu’il restitue à la couche superficielle du sol
par le jeu de la condensation, procurant un bienfait
certain à toute la végétation mitoyenne. Prêter des larmes
à l’Arganier n’est pas que le fruit de notre l’imagination
face au drame de sa disparition annoncée ! Certains
petits matins, il est loisible de le voir transpirer et
ruisseler l’eau produite la nuit par ses cimes. Bien qu’il
s’agisse d’une essence xérophile dans un univers steppique,
les contrastes thermiques sont ici accentués par
l’influence atlantique (hygrométrie forte de 80 %). Son
besoin en eau est attesté par le fait qu’au-delà la courbe
isohyète de 150 mm/an, quand l’Arganier est encore présent
dans le pré-Sahara, il montre une identité ripicole en se
confinant le long des oueds fossiles et des cours d’eau
temporaires. L’importance climatique de cet arbre est donc
parfaitement perçu dans le contexte de la régulation de le
rosée, du brouillard, de la nébulosité en général ou alors
des vents : la nébulosité limite l’évapotranspiration,
le vent l’aggrave.
L’archipel de
l’arganeraie
« Les
gens sont fonction des lieux.
Les lieux sont fonction des gens. »
Anonyme
L’emblème d’une civilisation
Végétal prééminent d’une région homogène, la formation
d’Arganiers imprime partout au paysage la discontinuité des
taches vertes de ses boisements, copiant ainsi le modèle
d’un archipel. C’est, en prise directe sur la steppe
désertique puis le Sahara immédiatement plus au sud,
l’ultime strate arborescente de protection,
le tout dernier rempart de verdure. Épargné par
l’Homme, l’Arganier peut offrir des densités fortes, y
compris dans des milieux écologiquement très rudes. Mais
sous la pression de l’exploitation humaine et du
défrichage, il n’y a plus guère de concurrence et les
sujets ne sont plus aptes à exercer la moindre
auto-élimination les uns vis à vis des
autres.
L’arganeraie couvre très irrégulièrement les trois millions
d’hectares de ces régions caractérisées par des conditions
difficiles qui sont celles de l’aridité, du climat, de
l’irrégularité topographique, de la diversité pédologique
et de la rareté de l’eau.
Deux millions d’habitants vivent dans cette région
(densité de 46
habitants/km2 pour le Souss) et sont
directement ou indirectement concernés par ce vaste
écocomplexe. La formation à Argana
spinosa calque
sensiblement le territoire originel de l’obédience soussi
du dialecte tachelhit (parler berbérophone également nommé
chleuh) et même si les souassa (ou soussis, natifs du
Souss sensu
lato) sont désormais
majoritairement arabophones, on pressent ainsi l’Arganier,
arbre tout autant endémique qu’économique, comme un réel
symbole ethnique d’une civilisation première. La symbolique
de cet arbre, abritant bien des rituels, a donné lieu à de
nombreuses études. Son existence induit une loi divine
engendrant une subordination spirituelle. Cette sacralité
lui attribue un rôle lié tant à la vie qu’à la mort, au
mariage, à la fertilité et à la naissance (nomination de
l’enfant), à la sainteté (pèlerinages), à la baraka et aux
jnoun (démons).
A la frontière de l’aride, cet écosystème original a subi
depuis un siècle une perte de la moitié de sa surface, sous
des facteurs cumulés à la fois anthropogènes (surpâturage,
agriculture intensive et déboisement) et climatiques qui en
découlent (sécheresse, désertification).
Comme l’Arganier s’avère être tout autant la victime de
l’érosion des sols que son meilleur remède, la
problématique consiste à en ralentir l’éradication.
Géographie de l’Arganier
Depuis l’embouchure de l’Oued Tensift au nord jusqu’à celui
de l’Oued Drâa au sud, pénétrant l’arrière-pays dans les
plaines du Haouz, des Rehamma, du Souss et du Drâa en amont
jusqu’a Tata, individualisée par une identité climatique
adoucie par la proximité atlantique, l’arganeraie se
définit comme une écorégion de formations arborées
macaronésiennes à éléments floristiques crassulescents et
aphylles. Elle se développe aux étages infra et
thermoméditerranéen où l’arbre individualise un certain
nombre d’associations phytosociologiques conférant aux
paysages une grande particularité. A partir de 1400 m,
c’est généralement le Thuya qui le relaye.
Cette unité écosystémique originale peut se catégoriser en
deux formations assez distinctes : l’arganeraie-verger
de plaine (tendance à la forêt dite trouée, véritable
forêt-parc) et l’arganeraie-forêt (tendance à la forêt
claire) de montagne. Dans les deux cas, son rythme actuel
est toujours plus proche de la steppe arborée que d’une
forêt sensu
stricto. Sa dégradation
accélérée indique que cette formation se dirige vers un
type de boisement très lâche, propre à celui des Acacias
sahéliens.
L’arganeraie du littoral et de plaine (notamment Vallée du
Souss) appartient aux bioclimats saharien côtier (à
l’extrême sud) et aride chaud-tempéré sur les portions
côtières moyenne et septentrionale, ainsi que dans le
Souss. C’est l’essentiel de la figure cultivée mais aussi
celle correspondant floristiquement et sur le littoral à
l’association aux Euphorbes cactoïdes (Euphorbia
echinus,
E.
regis-jubae,
E.
beaumeriana),
à Senecio
anteuphorbium et à des
Chénopodiacées (Salsola
spp.),
la plus influencée par la mitoyenneté océanique. Entre les
embouchures des Oueds Tennsift et Drâa, le paysage est
imprimé d’un cachet floristique macaronésien extrêmement
original.
Subséquemment à
une pression agropastorale séculaire devenue
quasi-intensive, c’est la formation la plus dégradée et la
strate arborescente est le plus souvent réduite à des
individus torturés, voire à de basses souches abrouties. Le
sous-bois y a été radicalement biffé, sans aucun signe de
régénération décelable sur un sol décapé et squelettique.
Des sujets vétérans d’une dizaine de mètres s’y rencontrent
tout de même encore. Mais en plaine, l’arbre est surtout
éliminé pour gêner l’intensification agricole et sa
disparition génère l’érosion notamment éolienne des sols,
voire l’apparition de dunes mobiles. L’une des plus belles
arganeraies fut celle de la Forêt d’Admine, dans le Souss,
avec jadis 22.000 ha, mais au cours des quinze dernières
années elle a dû s’amenuiser de plus de 10.000 ha au profit
de cultures irriguées, notamment sous serres. Elle apparaît
désormais comme une formation totalement éreintée et dont
le reliquat est fortement dénaturé.
L’arganeraie de l’arrière-pays (vallées en ressaut du Haut
Atlas, montagnes de l’Anti-Atlas d’Aït-Baha à Tafraoute,
etc.) répond au bioclimat semi-aride chaud et tempéré. Elle
organise des formations plus variées, parfois de forte
densité, et selon les aléas de proximité anthropique, on y
compte encore ou non la strate sous-jacente d’un cortège
floristique parfois remarquable, la topographie difficile
mettant certains sites à l’abri partiel d’une pression
excessive. Les fleurons de l’arganeraie sont peut-être les
sujets en immixtion avec le fameux peuplement du Dragonnier
(Dracaena
draco ajdal), élément
paléotropical bien connu des Canaries et du Cap Vert,
récemment découvert avec Laurus
azorica sur quelques
hautes falaises sauvages de l’Anti-Atlas sud-occidental.
D’une manière générale, cet aspect proche du climax serait
celui de meilleure conservation. Quand l’arganeraie est
éradiquée de la montagne, c’est sous la pression du
pastoralisme et cela entraîne alors le tassement des sols
et leur perte par érosion hydrique.
L’Arbre des Femmes
Écosystème
résultant d’un subtil équilibre entre l’Homme et la
nature, Louis Emberger
qualifia l’Arganier de « providence ». L’arganeraie
présente un caractère fortement social, précisément
familial, affectivement associé au quotidien de régions
très pauvres que cette « armature de bois » protège du
désert. L’appropriation humaine de cet arbre est tout
spécialement le fait de la sphère de l’unité domestique
conjugale, avec une division sexiste des savoirs et des
usages, parfaitement traduite par la subtile distinction
taxinomique que sont les vocables argan
et
targant.
Argan
(masculin)
désigne le sujet vétéran, isolé sur des terres cultivables
et traduit en l’occurence le champ de l’Homme et l’honneur
au masculin. Targant
(féminin) est
illustré par les groupements plus forestiers et de taille
ordinaire, soit la forêt des femmes, ainsi que la
baraka
(grâce, pouvoir
surnaturel qui donne la chance) dont elles auraient la clé.
C’est ainsi que l’essentiel des tâches liées à l’Arganier
fut depuis toujours l’objet des femmes, l’homme se
réservant les autres travaux des champs. Et si l’honneur
des hommes reste sauf, les femmes y trouvent largement leur
compte en indépendance et en liberté. Dans la pratique
rituelle, on note une grande proximité, voire intimité, des
femmes envers l’Arbre de vie. Ce sont elles qui nouent aux
branches des ex-voto (souhaits amoureux, vœux de fécondité)
de tissus, le plus souvent des parties effrangées de leurs
habits, témoignant même enlacements et embrassades avec
l’arbre sacré. Certains moussem officiant dans l’arganeraie
sont exclusifs aux femmes.
Cette mosaïque de taches vertes sur un sol squelettique est
absolument « miraculeuse » puisqu’elle organise la vie de
quelques 6 % de la population marocaine. A la frontière de
l’aride, l’Arganier fournit « tout » : excellent
combustible, son bois très dense est une ressource tant
pour la cuisine et le chauffage (y compris charbonnage)
durant les froides nuits hivernales, que pour la
charpenterie (poutres, solives), la menuiserie (fenêtres,
contrevents, seuils, portes, etc.) ou la confection
d’instruments, d’outils ménagers et agricoles (araire,
attelle, charrue) ; c’est un pâturage suspendu pour
les Chèvres, et de ses feuilles, fourrage de premier ordre,
dépend un cheptel majoritairement caprin, compte-tenu des
capacités de la Chèvre à la pratique du pâturage aérien,
mais aussi Ovin-Bovin-Camelin (320 millions d’unités
fourragères qui équivalent à 320.000 tonnes d’Orge). On
doit à l’Arganier la célèbre huile d’argan aux qualités
intrinsèques.
Des amandes de la noix d’argan, on extrait une belle huile
orangée et parfumée, hautement nutritionnelle, et dont les
valeurs indicatives de sa composition sont : 35 %
d’acide linoléique (poly-insaturé) ; 45 % d’acide
oléique (mono-insaturé) ; 62 mg/100 g de
tocophérols ; 5,6 mg/100 g d’olyphénols ; 300
mg/g de carotènes ; 160 mg/g de stérols ; 150
mg/g d’alcools terpéniques. Il faut 100 kg de fruits mûrs
et quinze heures de
concassage-torréfaction-moulinage-malaxage-pressage de la
pâte obtenue pour l’obtention d’un litre. L’huile sert tout
autant à l’alimentation qu’en cosmétologie traditionnelle
et moderne. Sa finesse de texture et son goût de noisette
en font une huile des plus prisées pour aromatiser les
salades, le couscous, comme touche finale sur les fromages,
les soupes, voire pour relever les plats à base d’œufs. Le
mélange huile d’argan, d’amandes pilées et de l’excellent
miel de Thym régional est connu sous le nom d’amlou pour
accompagner délicieusement le pain du petit déjeuner. La
composition spécifique de l’huile d’argan la prédestine aux
usages diététique, cosmétique et médical. Elle est une
excellente source de vitamine E. Les habitant du Sud-Ouest
marocain l’utilisèrent de tous temps pour soigner la
varicelle chez l'enfant, l'acné juvénile et prévenir les
vergetures chez les femmes enceintes. Confirmées par les
récentes études scientifiques, d'autres propriétés
justifient cette utilisation pour ses effets
anti-inflammatoires et analgésiques. L'acide linoléique
qu'elle contient est déterminant dans la prévention de
l'infarctus du myocarde, pour la réduction du taux de
cholestérol et dans la participation au développement
cérébral. Une chercheuse de la Faculté des Sciences de
l'Université Mohamed V de Rabat, Zoubida Charrouf, vient
d’en décrire très récemment certaines substances aux
propriétés antimicrobienne et antioxydante nouvelles.
Au terme des phases de fabrication, les tourteaux sont
utilisés pour la nourriture du bétail durant l’hiver.
Parallèlement à des programmes de recherche sur la
valorisation d'Argania
spinosa et à des études
sur la composition chimique et l'activité biologique des
produits, quelques projets pilotes d'extraction mécanisée
d'huile d'argan voient le jour. Sous l’impulsion de
bailleurs de fonds, la coopérative de Tamanar, au sud
d’Essaouira, tente par exemple depuis 1993 l’expérience
d’une mécanisation de la chaîne d'extraction (décortiqueur,
séparateur d’amandon, briseur de coque, grilleur rotatif
des amandons,
mixeur-broyeur,
cuiseur-malaxeur,
pressoir,
moulin a
mariaux), mais toutes les étapes ne sont pas encore
résolues. La production et la commercialisation sont
l’affaire d’un très grand nombre de coopératives
territoriales et les membres constituant de ces entités
sont des femmes rurales. Toutes expérimentées, elles
assurent l’intégralité de la chaîne du produit, depuis la
cueillette jusqu’au moulin (azerg ou r’ha). Désireuses de
développer leur outil de travail pour améliorer leur
situation socio-économique et par ricochet leur
émancipation, elles réalisent des produits nobles et
qualitatifs répondant aux normes internationales. Toutes
ces coopératives respectent une rigoureuse déontologie et
garantissent la véracité de leurs produits, ce qui est
essentiel face aux nombreux risques de contrefaçons. Une
appellation d’origine est en phase de concertation. Pour
exemple, la coopérative de Tamanar traite 300 tonnes de
fruits de l'Arganier par an pour en extraire principalement
de l'huile 100 % naturelle commercialisée sous label,
l'amlou et des produits cosmétiques pour la peau, les
cheveux et les ongles.
Autre argument au bénéfice de l’Arganier : il est
ainsi et traditionnellement l’Arbre des Femmes.
Le
Maroc sud-occidental est pionnier en ce qui concerne le
nombre de centres voués au développement de la femme rurale
(alphabétisation, qualification, insertion économique,
santé maternelle et infantile). Ces activités sont
soutenues par de nombreux acteurs associatifs issus d’un
panel multisectoriel. C’est sans nul doute l’aspect
socio-économique de l’Arganier qui fut le fer de lance
d’une telle dynamique.
Phytocénose
C’est à l’intérieur de la classe des Quercetea
ilicis, largement
définie pour contenir les groupements forestiers et
présteppiques non montagnards du biome méditerranéen, que
s’individualise l’ordre des Acacio-Arganietalia,
réunissant le Gommier du Maroc (Acacia
gummifera) et l’Arganier.
Il participe à la définition du secteur macaronésien
marocain, lequel ordre s’encarte dans l’infra et le
thermoméditerranéen sous les distinctions de deux
alliances : Senecio
anteuphorbii-Arganion spinosae et
Acacion
gummiferae, enveloppant
chacune de nombreuses associations locales. (Benabid,
2000).
L’Arganier correspond à de nombreuses séries et sous-séries
de structures phytodynamiques dont on peut citer les
primordiales : série inframéditerranéenne à
Thuya-Arganier, avec ses sous-séries à Olea
maroccana (Ida-Outanane),
à Juniperus
phoenicea (ressaut
méridional du Haut Atlas occidental), à Euphorbia
echinus (Anti-Atlas
occidental) ; série de l’Arganier et de l’Euphorbe oursin
(marge occidentale de l’Anti-Atlas et littoral au nord de
Tiznit) ; série inframéditerranéenne de l’Arganier et
de Hamada
scoparia (remt,
assay)
(plaine du Souss central, revers septentrional de
l’Anti-Atlas occidental) ; série inframéditerranéenne
de l’Arganier et de l’Euphorbe de Baumier (entre Agadir et
Cap Rhir) ; série thermoméditerranéenne de l’Arganier
(Anti-Atlas sud-occidental et versant méridional du Haut
Atlas occidental) (Benabid, 2000).
Les essences majeures pouvant accompagner
Argania
spinosa du nord au sud
et du littoral à la montagne sont :
Acacia
gummifera (Gommier du
Maroc, taddut),
Acacia
raddiana (amrad,
talha),
Tetraclinis
articulata (Thuya,
ârâar,
azuka,
amelzi),
Juniperus
phoenicea (Genévrier
rouge arâar,
l-horr,
aifs)
(surtout Haha et Ida-Outanane), J.
oxycedrus (Oxycèdre,
taqqa,
tiqqi)
et Rhus
tripartita (Sumac,
jdâri),
ainsi que très étroitement le Dragonnier paléotropical. Le
précieux Pistacia
atlantica (Pistachier de
l’Atlas, btem,
drou)
a encore sa place dans ce paysage, le plus souvent hélas
sous préservation maraboutique.
Les principaux endémiques, dont beaucoup sont communs à ce
Sud-Ouest et aux îles macaronésiennes, sont :
Caralluma
burchardii,
Andryala
canariensis,
Artemisia
reptans,
Nauplius
schultzii et
N.
graveolens odorum,
Sonchus
bourgeani et
S.
pinnatifidus,
Polycarpea
nivea,
Bassia
tomentosa,
Helianthemum
canariense,
Coronilla
ramosissima,
Laurus
azorica,
Bupleurum
dumosum,
Drusa
oppositifolia et bien
d’autres. Au sein des espèces très significatives, citons
encore : Periploca
laevigata,
Senecio
anteuphorbum,
Launaea
arborescens et
L.
acanthoclada,
Warionia saharae,
Euphorbia
beaumierana,
E.
echinus
et
E.
regis-jubae,
Salsola longifolia et S. vermiculata, Genista
ferox,
Cytisus
albidus,
Teline
segonnei. Parmi les
raretés de la flore marocaine de la veine du Dragonnier,
c’est aussi dans ce secteur macaronésien marocain que
figurent Kalanchoe
faustii,
Commelina
rupicola,
Leptochloa
ginae et
Enteropognon
rupestris.
Ces peuplements abritent d’autres xérophiles et
thermophiles comme : Ballota
hirsuta,
Whitania
frutescens,
Asparagus
stipularis,
Ephedra
altissima,
Lavandula
dentata, L. mairei, L. multifida et
L. stoechas,
Salvia aegyptiaca, Androcymbium gramineum, Polycnenum
fontanesii,
Convolvulus
trabutianus, Linaria sagittata,
Gymnosporia
senegalensis. Dans les
associations intérieures, les éléments floristiques sont
souvent : Ceratonia
siliqua,
Olea
maroccana,
Ziziphus
lotus,
Polygala
balansae,
Chamaecytisus
albidus,
Ephedra
cossonii,
Haplophyllum
broussonetianum,
Hesperolaburnum
platycarpum,
Eryngium
ilicifolium, Globularia
arabica,
Withania
adpressa,
Jasonia
hesperida,
Fagonia
zilloides,
Bryonia
dioica, Cymbopogon schoenanthus, Aristida coerulescens,
Cenchrus ciliaris, Scilla undulata,
etc.
Enfin, plus au sud, dans le Saharien tempéré où sur les
oueds graveleux et les regs caillouteux s’élèvent quelques
savanes désertiques unissant l’Arganier aux Acacias
(A.
raddiana
et
ehrenbergiana)
et à Balanites
aegyptiaca, se
joignent alors : Panicum
turgidum, Pennisetum dichotomum, Lavandula stricta,
Seetzenia orientalis, Boerhavia coccinea, Boetbellia
hirsuta, Zilla macroptera, Anvillea radiata, Antirrhinum
ramosissimum, Pergularia tomentosa, Lycium intricatum,
Trichodesma calcarata, Farsetia hamietonii, Gymnocarpos
decanter, Zygophyllum gaetulum, Hamada scoparia, Tourneuxia
vanifolia, Fagonia glutinosa et d’autres
espèces précitées.
Nous ne citons « rien » car au sein d’une aire aussi vaste
et variée, selon les étages, les bioclimats, la topographie
et les substrats, l’arganeraie implique un cortège d’un
millier d’espèces et de sous-espèces vasculaires, dont 140
sont endémiques ! Le cortège malherbologique est
également très fourni. Dès la sortie des hivers bien
arrosés, dans les jachères des arganeraies cultivées ou
dans le domaine de celles en processus de dynamique
régressive (dégradation), la strate inférieure se garnie
d’un tapis multicolore de Légumineuses thérophytes qui
germent, fleurissent et grainent en quelques semaines,
ainsi que d’Iris (Iris
sisyrinchium) surnuméraires
dont l’effet bleu-violet-pourpre est tout à fait
remarquable.
Le Dragonnier, l’arbre que cachait la forêt
C’est tout de même surprenant, l’histoire de la récente
découverte d’une plante hirsute pouvant atteindre quinze
mètres de haut, passée inaperçue non loin d’Agadir,
jusqu’alors jamais appréhendée par les grands botanistes,
prospecteurs pionniers du Maroc ! Tout se passe comme
si l’Anti-Atlas du Djebel Lekst était un bout du
monde ! C’est en 1996 que F. Cuzin et A. Benabid
révèlent et décrivent leur fabuleuse mise à jour d’une
sous-espèce marocaine d’une forme du Dragonnier des
Canaries : Dracaena
draco ajgal. Selon les
temps et les auteurs, cette plante se classe avec les
autres espèces tropicales de Dragonniers dans une famille
propre qui est celle des Dracaenaceae, voire plus
communément dans celle des Agavaceae dont elle est fort
proche, mais on la retrouve aussi dans les Amaryllidaceae,
réunissant alors d’autres bulbeuses ou rhizomateuses
ornementales comme les Narcisses, parfois plus globalement
dans les Liliaceae.
Depuis la nuit des temps, une formation relictuelle de
cette plante investissait discrètement les vires, les
rocailles et les sommets des versants nord des falaises
rocheuses du Djebel Imzi et du Djebel Adad Medni, dans les
gorges de la vallée de l’Oued Oumaghour (Haut Massa), à
l'est de Tiznit. Avant cette révélation que cachait en son
sein l’arganeraie, ce Drago
n’était connu
que des Iles Canaries et du Cap Vert. Mais si le monde
scientifique en ignorait l’existence, une autre culture
l’appréhendait parfaitement, si l'on en juge par les
dessins rupestres d'animaux laissés en témoignages sur les
rochers de ces djebels marocains par les ancêtres et
exécutées avec le « sang » du Dragonnier. Une
liqueur rouge à base de la macération des fleurs du
Dragonnier, agréable à boire paraît-il, rappelle que de
tous temps, sa sève (rouge quand elle s'oxyde à l'air) fut
non seulement utilisée comme pigment dans l’art rupestre,
mais aussi à l’usage d'applications médicinales,
cosmétiques et tinctorales. Les Romains commercialisaient
cette sève sous le nom de « sang de dragon ».
Actuellement, les habitants de cette région exploitent les
troncs évidés de l'intérieur pour l'apiculture, d'où son
nom vernaculaire « ajgal »,
signifiant localement rucher.
Cette espèce de Dragonnier est un des symboles des
Canaries. Il en reste fort peu à l'état sauvage, mais la
plante est fréquemment cultivée. Les pieds ne se ramifient
pas avant la première floraison et ils sont d’un aspect
assez gauche, avec un tronc épais surmonté d’une touffe
sommitale de feuilles persistantes, rigides et dressées,
disposées en spirales. Cette plante semble vivre longtemps,
mais compte tenu de la structure de son bois, il est
impossible de la dater. Chaque ramification est supposée
correspondre à une dizaine d’années. Les récits des
premiers voyageurs aux Canaries mentionnent des géants
supposés plurimillénaires. Le Dragonnier millénaire d’Icod,
petite ville de la rive nord de l’Ile de Ténériffe, doit sa
célébrité historique à la visite d’Humbolt, le grand
botaniste allemand, qui le premier au XVIIIe siècle attira
l’attention du monde scientifique sur l’âge évalué alors à
deux mille ans que semblait avoir cet extravagant sujet.
Aux Canaries, la longévité les plus vieux Dragonniers
résulte de leur proximité d’un lieu saint (église,
cimetière) qui les a protégés de l’industrie, alors
florissante, de la fabrication du charbon de bois.
Zoocénose
Les
Mammifères et la grande faune relictuelle
Le Chacal (uccen
en
parler local) toujours présent, voit ses effectifs très
atteints par les campagnes d’empoisonnement, celles
antiacridiennes et la « guerre aux nuisibles »
chronique, dans l’objectif de limiter les attaques des
troupeaux. La faune des Mammifères carnivores de
l’arganeraie se réduit au Renard roux (abaghugh,
arakka,
arakkuk,
abayrru
en
berbère variante chleuh
local), au Ratel
(non signalé depuis longtemps mais au maintien probable), à
la Genette (dont la peau est toujours utilisée en
sorcellerie), à la Mangouste ichneumon (tazeldamane
en
tachelhit du Souss) (également persécutée pour le même
usage), au Chat ganté (nommé localement arksim),
au Lynx caracal (wizrane)
(au bord de l’extinction) et à la Loutre (Massa). L’Hyène
rayée (ifis)
de raréfaction récente en Afrique du Nord, ne bénéficie
plus de signalements de cette région alors qu’elle est
encore vue dans l’Oriental, ainsi que plus au sud, le long
de la frange atlantique. Le Sanglier (ahallouf,
halouf,
ilf,
bou-tagant) (en abondance)
et la Gazelle de Cuvier (Tafingoult, Ida-Outanane, en
raréfaction) complètent le tableau des espèces plus ou
moins climaciques
Le sympathique Écureuil de Barbarie (abgour,
aghour
ou
agbur,
aussi anzil
en
parlers berbères locaux) (Atlantoxerus
getulus) est
parfaitement dans son élément sur ce sol écorché et les
familles investissent tous les repaires rocheux possibles
avec comme préférences les ponts d’oueds et autres
canalisations en ciment. Le Souss illustre l’unique
indigénat maghrébin d’une espèce très ressemblante qui lui
est sympatride : l’Écureuil terrestre du Sénégal
(Xerus
erythropus), de taille à
peine plus forte et à la tête plus allongée. De nombreux
autres Rongeurs peuplent cette immense écocomplexe :
le Porc-épic (appelé aruc)
(encore assez répandu puisqu’on en trouve ça et là des
épines perdues), le Mérione de Shaw (il pullule parfois,
causant quelques dégâts aux récoltes céréalières), le
Mérione à queue rouge, la Gerbille du Souss (petit animal
au pelage remarquable et qui investit des biotopes
sableux), la Gerbille hespérine (ne pénètre par
l’arganeraie dont elle est mitoyenne et exclusive aux dunes
de sables d’Essaouira), la grande Gerbille du sable, la
petite Gerbille du sable, la Gerbille champêtre, la petite
Gerboise, le Rat de sable diurne, le Lérot, la Souris
sauvage, la Souris grise, le Mulot, le Rat rayé, le Rat à
mamelles multiples, le Rat noir (c’est le Rat le plus
ancien, notre premier commensal, vecteur de la peste en
occident antique et médiéval) et le Surmulot (importé
d’Asie centrale et installé seulement depuis le XVIIIe
siècle). Les petits Mammifères insectivores sont
représentés par : le Hérisson d’Algérie (se dit
insi
et
bumhend
ou
boumehand
selon les
régions), la Musaraigne de Whitaiker, la Musaraigne de
Tarfaya, la Musaraigne musette et quelques autres. Actif de
jour et jusqu’au crépuscule mais difficilement repérable,
un curieux animal fréquente aussi le Sud-Ouest
marocain : c’est le Rat à trompe (Elephantulus
rozeti), un
Macroscélide de très petite taille, au pelage dorsal roux
lavé de noir, aux oreilles démesurées et dont la tête porte
un nez très long, épais et mobile (telle une trompe
d’Éléphant). Les Chiroptères (Chauve-souris se dit
ici ifrtitu)
les
plus notables du Souss-Massa en particulier et de
l’arganeraie en général sont : le Nyctère de la
thébaïde (région d’Agadir), le petit Rhinolophe fer à
cheval, le grand Rhinolophe fer à cheval, le Rhinolophe
euryale, le Rhinolophe de Cafrerie (Essaouri et réserve de
Souss-Massa), le petit Murin (très fréquent), la
Pipistrelle de Kuhl, l’Oreillard gris et le Minioptère.
Une avifaune de bonne augure
« Dans la
hiérarchie artistique,
les oiseaux sont les plus grands musiciens qui existent sur
notre planète. »
Olivier Messiaen
Le cortège ornithologique reste assez remarquable et doit
bénéficier d’une
veille permanente en raison des
menaces. En voici un relevé « terrestre » exhaustif. Sont
exclues les espèces liées aux milieux aquatiques (telles
que côtes maritimes, lagunes, mares temporaires ou rives
d'oueds éventuellement présents dans la zone), pour
n’inventorier que celles qui caractérisent l’arganeraie,
voire visibles en milieux rocheux ou semi-cultivés.
Abréviations : NS = Nicheur sédentaire ; VE = Nicheur
visiteur d'été ; H = Hivernant (le plus souvent d'origine
européenne) ; P = espèce de passage (migrateur de printemps
et/ou d'automne). Certaines espèces peuvent cumuler
plusieurs de ces statuts.
Cigogne blanche (VE, P, NS ?) ; Cigogne noire
(P) ; Ibis chauve (NS) ; Vautour chauve
(P) ; Percnoptère d’Egypte (P) ; Balbuzard
pêcheur (P, H) ; Aigle royal (erratique, très
rare) ; Aigle ravisseur (NS, en déclin) ;
Circaète Jean-le-blanc (VE, P) ; Aigle botté (VE,
P) ; Aigle de Bonelli (NS, erratique) ; Milan
royal (P, H ?, très rare) ; Milan noir (VE,
P) ; Élanion blanc (NS) ; Busard des roseaux (P,
H) ; Busard Saint-Martin (P rare, H rare) ;
Busard cendré (P) ; Busard pâle (P printemps,
accidentel) ; Buse féroce (NS) ; Bondrée apivore
(P) ; Épervier d’Europe (NS, H) ; Autour chanteur
sombre (NS, en voie d’extinction) ; Faucon crécerelle
(NS) ; Faucon crécerellette (P, H potentiel) ;
Faucon kobez (P printemps, accidentel) ; Faucon
hobereau (VE, P) ; Faucon d’Éléonore (P rare) ;
Faucon pèlerin (NS, H) ; Faucon de Barbarie
(NS) ; Faucon émerillon (H rare) ; Faucon lanier
(NS) ; Perdrix gambra (NS) ; Caille des blés (VE,
H et/ou NS partiel) ; Odicnème criard (NS,
erratique) ; Courvite isabelle (NS, erratique) ;
Bécasse des bois (H rare) ; Ganga unibande (NS
local) ; Ganga cata (NS local) ; Ganga tacheté
(NS, local) ; Ganga couronné (NS local) ; Pigeon
ramier (NS) ; Tourterelle turque (NS, en expansion
près des agglomérations humaines) ; Tourterelles des
bois (VE, P) ; Coucou gris (VE, P) ; Coucou-geai
(VE parasite rare des nids de Pies bavardes, P printanier
hâtif) ; Grand-Duc ascalaphe, dit Grand-duc du désert
(NS) ; Chouette chevêche, dite Chevêche d'Athéna
(NS) ; Chouette effraie, dite Effraie des clochers,
nom mal porté au Maroc ! (NS) ; Chouette hulotte
(NS) ; Hibou petit-duc (VE, P) ; Engoulevent
d’Europe (VE rare, P) ; Engoulevent à collier roux
(VE, P) ; Martinet noir (P) ; Martinet pâle (VE
en agglomérations, P) ; Martinet à ventre blanc
(P) ; Martinet à croupion blanc (NS en
agglomérations) ; Martinet unicolore (H potentiel
rare, N, S ? probable dans les falaises côtières notamment
vers Taghazoute et au Cap Rhir) ; Huppe fasciée (VE,
P, H rare) ; Guêpier d’Europe (VE, P) ; Rollier
d’Europe (VE, P) ; Pic de Levaillant (NS possible très
localisé) ; Pic épeiche (NS possible localisé) ;
Torcol fourmilier (P, H très rare) ; Cochevis huppé
(NS) ; Cochevis de Thekla (NS) ; Alouette des
champs (H, P) ; Alouette calandre (NS locale) ;
Alouette lulu (NS possible) ; Alouette calandrelle
(VE, P) ; Hirondelle de rivage (P) ; Hirondelle
paludicole (NS locale, erratique) ; Hirondelle des
rochers (NS, erratique hivernale) ; Hirondelle
rustique (VE, P, H très rare) ; Hirondelle des
fenêtres (VE locale, notamment en agglomérations, P, H très
rare) ; Hirondelle rousseline (VE, P) ; Pipit
rousseline (VE, P) ; Pipit farlouse (H) ; Pipit
des arbres (P) ; Pipit à gorge rousse (P et H très
rare) ; Bergeronnette grise (NS, P, H) ;
Bergeronnette printanière (NS locale, P, H locale) ;
Bulbul des jardins (NS) ; Tchagra à tête noire (NS
local) ; Rouge-gorge familier (H) ; Rossignol
philomèle (VE, P) ; Agrobate roux (VE, P) ; Gorge
bleue à miroir (P, H très local) ; Rouge-queue à front
blanc (P) ; Rouge-queue noir (H) ; Rubiette de
Moussier (NS) ; Traquet motteux (P) ; Traquet du
désert (NS local) ; Traquet oreillard (VE, P) ;
Traquet deuil (NS très rare et très local) ; Traquet à
tête blanche (NS local) ; Traquet rieur (NS
local) ; Traquet à tête grise (NS local) ; Tarier
des prés (P) ; Tarier pâtre (NS local, P, H) ;
Merle bleu dit Monticole bleu (NS local) ; Merle noir
(NS) ; Grive musicienne (H) ; Grive mauvis (H
rare) ; Fauvette des jardins (P) ; Fauvette à
tête noire (P, H) ; Fauvette Orphée (VE typique,
P) ; Fauvette babillarde (P rare, surtout
printemps) ; Fauvette mélanocéphale (NS, P, H) ;
Fauvette grisette (P) ; Fauvette passerinette (VE
locale, P) ; Fauvette à lunettes (NS locale, P) ;
Fauvette pitchou (H) ; Fauvette de l’Atlas (H, NS
très locale à une certaine altitude) ; Phragmite des
joncs (P) ; Locustelle tachetée (P rare) ;
Bouscarle de Cetti (NS rare et locale) ; Rousserolle
effarvatte (P locale) ; Hypolais polyglotte (VE,
P) ; Hypolaïs icterine (P surtout de printemps, très
discrète et dite accidentelle) ; Hypolaïs pâle, dit
Hypolaïs maghrébin ou Hypolaïs occidental (VE, P) ;
Pouillot fitis (P) ; Pouillot véloce (P, H) ;
Pouillot de Bonelli (P) ; Pouillot siffleur (P surtout
de printemps, rare) ; Pouillot ibérique, ex-Pouillot
véloce espagnol (H probable) ; Gobe-mouches gris (VE,
P) ; Gobe-mouches noir (P) ; Gobe-mouches de
l’Atlas (P probable) ; Mésange charbonnière
(NS) ; Mésange bleue (NS) ; Pie-grièche à tête
rousse (VE, P) ; Pie-grièche méridionale (NS) ;
Craterope fauve (NS local) ; Pie bavarde (NS) ;
Grand corbeau (NS) ; Crave à bec rouge (NS, erratique,
à une certaine altitude, sud du Tizi-n-Test) ;
Étourneau sansonnet (H) ; Étourneau unicolore (NS, en
agglomérations surtout) ; Loriot d’Europe (P) ;
Moineau domestique (NS) ; Moineau espagnol (NS,
erratique) ; Pinson des arbres (NS, P, H) ;
Linotte mélodieuse (NS) ; Chardonneret élégant
(NS) ; Verdier d’Europe (NS) ; Tarin des aulnes
(H rare) ; Serin cini (NS) ; Gros-bec
casse-noyaux (NS possible, à une certaine altitude au
moins) ; Bouvreuil githagine (NS) ; Bruant
ortolan (P) ; Bruant zizi (NS) ; Bruant proyer
(NS local en zones cultivées) ; Bruant fou (NS local
en zones rocheuses) ; Bruant striolé (NS local en
agglomérations des villes et des villages, ainsi qu’en
zones rocheuses).
Du large !
Le territoire assigné à ce livre est le plancher des
Vaches, enfin des Moutons..., et les écosystèmes côtiers et
marins, d’un intérêt considérable au Maroc, ne sont pas
pris en compte car ils répondent à une toute autre
thématique d’approche. Mais l’arganeraie s’ouvre sur
l’Océan par des sites particulièrement féeriques que sont
les entrelacs de barkhanes littorales en arabesques,
les caps et les embouchures : Cap Sim, Cap Tafelney, Cap
Rhir, embouchure du Souss, du Massa, du Drâa, et plus
encore en longeant la côte atlantique saharienne et
ses lagunes de sable d’or. De la terre ferme, ou du rebord
d’une de ces vertigineuses falaises atlantiques balayées
par de puissants alizés et sur lesquelles déferle la houle,
volent en très grand nombre les Oiseaux du large, et le
naturaliste est alors interpellé par le phénomène des
migrations. Le long de cette côte encore si pure et si
sauvage, défilent les Oiseaux de mer qui se rendent vers
les eaux riches du courant du Benguela, au large de
l'Afrique occidentale : Sterne caugek et Sterne
pierregarin, accompagnées des Labbes qui vivent à leurs
dépens, Sterne voyageuse, Puffins, Fous de Bassan, Goéland
d’Audouin, Grand Cormoran, Cormoran huppé et tant d’autres.
Entre Afrique et Europe, le Maroc est un grand centre de
passages. Dans ses plaines et ses montagnes, le plus vert
des pays du Maghreb offre aux Oiseaux une infinie mosaïque
d’écosystèmes. Les amateurs d’avifaune ont ainsi élu le
Maroc comme l’une des terres les plus favorables à leurs
observations passionnées. Les 450 km de littoral
méditerranéen et 2200 km de façade atlantique, agrémentés
de très nombreuses zones humides sont aussi de grands
atouts pour ce paradis aviaire, pays de cocagne des
ornithologues. Sur les 451 espèces d’Oiseaux
bibliographiées au Maroc, 317 espèces répondent présentes
comme nicheuses, estivantes-nicheuses, hivernantes et/ou
migratrices. Les autres références portant sur des
observations accidentelles et des espèces désormais
disparues.
Migrations au longs cours ou déplacements plus modestes,
l’aptitude au vol des Oiseaux leur permet de compenser un
climat devenu excessif, rigueurs hivernales le plus
souvent, ou une carence saisonnière de nourriture (la
plupart des Insectivores migrent) en rejoignant des
conditions de vie plus favorables. La plupart de ces
migrateurs se déplacent entre une aire de reproduction et
une aire d’hivernage, selon un mouvement saisonnier qui
confère à un immuable mouvement d’horlogerie. Entre ces
deux destinations, il est alors possible de voir séjourner
en transit des espèces inhabituelles. Avant le grand
voyage, les Oiseaux doivent accumuler des réserves
d'énergie sous forme de graisse, qui leur permettront
d’accomplir l’effort et quand les conditions sont
favorables, la prise de poids qui peut être double est
rapide. Certains Oiseaux de mer stockent une telle graisse
que quand ils quittent la colonie, les jeunes pèsent bien
plus que leurs parents. C’est le cas de certains Puffins,
comme le Puffin fuligineux (Puffinus
griseus) et le Puffin
majeur (Puffinus
gravis), qui migrent
en boucle dans l’Atlantique et longent des côtes
marocaines. La distance accomplie par certains de ces
exilés peut s’avérer considérable. Le Sterne arctique que
l’on observe exceptionnellement au large, parfois à
l’embouchure de l’Oued Souss, est le champion des
distances, avec 36.000 km par an, volant du nord au sud en
franchissant l’équateur entre les étés arctique et
antarctique. Le Traquet motteux, qui séjourne dans
l’arganeraie, n’est pas en reste avec un voyage entre
l’Alaska et l’Afrique. Quand il migre, le Martinet noir
franchit chaque jour 750 km à tire d’aile !
Cervelle d’Oiseau, cervelle de Papillon !
Les raisons physiologiques du phénomène migratoire restent
peu expliquées mais la photophase semble jouer un rôle
déterminant en induisant les sécrétions de l'hypophyse. Il
a été démontré que certaines espèces s'orientent à l'aide
des étoiles et du soleil, mais elles attestent aussi d’une
connaissance géographique locale leur permettant de revenir
chaque année de leur vie sur le même site.
Comment le cerveau des Oiseaux traite-t-il les sons et les
images pour leur procurer ce sens inouï de
l’orientation ? Le professeur Frost, chercheur et
vulgarisateur scientifique enthousiaste de
l'Université canadienne McGill, s'est toujours
intéressé au concept de la navigation chez les animaux, et
grâce à son ingéniosité technique, il effectue des
expériences qui révolutionnent les connaissances sur la
migration des Oiseaux et des Insectes. Il a mis au point un
appareil GPS miniature pour suivre la migration annuelle du
Puffin fuligineux, un Oiseau qui parcourt chaque année un
trajet faramineux. Il est aussi l’inventeur d’un simulateur
de vol remarquable destiné à ces autres grands migrateurs
que sont les Monarques et dont la région du Souss-Massa, et
notamment de Taroudannt, est une station adoptée par le
Petit Monarque, qui par ailleurs est partout observé
divaguant sur le territoire marocain. Le professeur Frost a
ainsi démontré que ces Papillons volateurs possèdent une
boussole interne qui utilise la position du soleil et le
temps pour s'orienter, et non une boussole magnétique. Cet
équipement performant leur permet de réaliser un voyage
annuel atteignant 4000 km.
Au Pays des Aïssaoua
« Là où va le
serpent, un dieu le précède. »
Klaus Wentz
L’herpétofaune marocaine bénéficie d’une bonne connaissance
mais on manque de données récentes sur le rythme de sa
raréfaction, si ce n’est à propos des espèces les plus
spectaculaires comme le Cobra ou la Vipère heurtante, cette
dernière justement emblématique de la Vallée du Souss et
victime d’un harcèlement fatal qui la met actuellement en
tête de liste des éradications de la faune marocaine, non
loin du Crocodile de l’Afrique de l’Ouest, éteint des
gueltas du Bas-Drâa au milieu du XXe siècle à force de tirs
répétés. Sans aborder ici les causes fondamentales
responsables de cette régression dont le dénominateur
commun est le chambardement écologique du milieu et sur
lequel on argumentera dans un chapitre suivant, les
prélèvements directs sont un facteur essentiel quand il
s’agit de grands animaux. Le touriste gobeur de folklore et
qui s’émeut un peu facilement devant les charmeurs de
Serpents de la Place Jemaa-El-Fna à Marrakech ne le sait
pas assez. Les Aïssaoua, fins spécialistes dans la capture
et l’approvisionnement, opèrent notamment dans la plaine du
Souss et sur toute la frange littorale au sud d’Agadir. Les
Reptiles en cause sont normalement tous protégés par
conventions internationales et leur exhibition comme leur
commerce sont interdits. Les charmeurs ne se résument pas à
ceux de Marrakech mais c’est une tradition bien vivante en
de nombreuses régions marocaines et ils fréquentent la
plupart des souks hebdomadaires des villes et des villages,
exhibant Cobra, Vipère de Mauritanie, Vipère heurtante,
Couleuvre à diadème, voire Varan du désert. Quant aux
espèces employées tant dans la pharmacopée traditionnelle
que consommées localement, il s’agit du Caméléon et du
Fouette-queue pour le Sud-Ouest, auxquels s’ajoutent le
Scinque officinal, ou Poisson des sables, et le Varan du
désert en d’autres régions subsahariennes. Encore qu’il
nous paraisse hasardeux d’imaginer que la dégustation du
filet de Varan puisse être la cause de sa raréfaction et
qu’en tout cas il ne puisse que s’agir d’une « gourmandise
» peu accessible. Poser la question dans un petit
restaurant « auriez-vous du Varan ou du Fouette-queue au
menu ? » serait une stupide provocation !
D’autres causes sont la prédation par les enfants, la vente
aux citadins et aux touristes, ainsi que l’exportation
(cependant très réprimandée à l’extérieur) aux fins du
regain actuel pour la terrariophilie, cette détention de
mascottes, nostalgiques petits bouts de nature détenus « à
la maison ». Les autorités locales ont témoigné d’un grand
effort ces dernières années et la vente des Tortues d’eau
ou de terre (« élégamment » ligottées et suspendues en
étages par ordre de taille), du Fouette-queue (aux lèvres
cousues et lamentablement traîné comme jouet au bout d’une
ficelle), du Caméléon vif ou séché et autres Écureuils se
fait de plus en plus accidentelle. Quant à la destruction
systématique par crainte de morsures ou par pure phobie,
elle n’est hélas pas en régression de la part des
populations locales. Enfin, la circulation automobile revêt
un impact catastrophique sur certaines espèces et le cas du
Fouette-queue trouvant durant sa période nuptiale une mort
surnuméraire sous les roues des véhicules est tristement
édifiant.
Les plaines et les montagnes à Argania
spinosa, régions bien
connues des herpétologues, recèlent toujours de bons
habitats mais proportionnellement à l’étendue, la diversité
s’avère être assez pauvre. C’est la conséquence d’une assez
forte densité d’habitants et d’une grande persécution des
faunes reptilienne et Amphibienne. Outre la conservation de
quelques endémiques et l’existence de certains habitats
très riches, la valeur de l’arganeraie est ici constituée
par le panel très varié des affinités en place :
macaronésienne, méditerranénne, saharienne et tropicale. Ce
résultat est l’expression des modifications - migrations
verticales et horizontales - engendrées par les changements
climatiques (notamment glaciations) et topographiques des
continents.
Inventaire herpétologique de l’arganeraie
Discoglosse peint (la plaine du Souss marquant sa
géonémie méridionale) ; Crapaud commun (même remarque
que pour le précédent) ; Crapaud de Maurétanie ou Crapaud
panthérin ; Crapaud vert ; Crapaud de
Brongersma ; Rainette méridionale ; Grenouille
verte d’Afrique du Nord (forme du Sud marocain) ;
Tortue grecque ou Tortue mauresque (nommée
Ifkr
ou
Butgra
en
dialecte berbère local) ; Émyde lépreuse ou Clemmyde
lépreuse ; Tarente commune ou Gecko de
Mauritanie ; Tarente de Böhme ou Tarente du
Maroc ; Gecko à paupières épineuses ; Ptyodactyle
d’Oudri ; Gecko casqué (hôte des formations
littorales d’Euphorbes cactoïdes) ; Sténodactyle
commun, ou Sténodactyle de Maurétanie ; Saurodactyle
de Brosset ; Gecko à écailles carénées de Tripolitaine
(ssp.
algericus) ;
Caméléon commun ; Agame de Bibron (présence
considérable) ; Agame changeant ;
Fouette-queue ; Lézard ocellé d’Afrique du Nord ;
Psammodrome algire ; Éremias d’Olivier ; Éremias
à gouttelettes ; Acanthodactyle commun ;
Acanthodactyle de Busack ; Acanthodactyle doré ;
Seps de Manuel ; Seps à écailles nombreuses ;
Seps mionecton ; Sphénops occidental ; Eumécès
d’Algérie ; Orvet du Maroc ; Amphisbène
cendré ; Trogonophis mauve ; Couleuvre fer à
cheval ; Couleuvre-diadème du Maghreb ; Couleuvre
à capuchon (ssp.
brevis) ;
Couleuvre commune d’Afrique (Vallée du Souss, très
rare) ; Serpent mangeur d’œuf (région d’Anezi,
rarissime) ; Couleuvre vipérine ; Couleuvre de
Montpellier ; Couleuvre de Schokar, dit Psammophis
(formes rayée et unicolore) ; Cobra d’Afrique du Nord
ou Cobra d’Égypte, dit Naja (le plus long Serpent d’Afrique
du Nord, en voie d’extinction) ; Vipère de Mauritanie
(atteint 1,80 m) ; Vipère heurtante (ses glandes
peuvent contenir 350 mg d’un venin cytotoxique
redoutable ; en voie d’extinction.) En langue
berbère soussi,
Serpent se dit ablinka
ou
algmad.
L’importance des plus petits
Représentant 80 % de tous les animaux à ce jour décrits
(1.250.000 espèces), les Arthropodes ou Invertébrés sont
évidemment une pléiade dans le petit monde de l’arganeraie,
quand le biome est adéquat à fournir les niches écologiques
respectives. L’Arthropode le plus ancien connu (500
millions d’années) serait le Trilobite, de mœurs marine,
fossile très fréquent au Maroc.
Les Arachnides ont une préférence pour cet univers sec au
sol écorché et outre une multitude d’Aranéomorphes aux
toiles aériennes (Araignée se dit taysusut
dans
le Haut Atlas occidental et tabghaynoust
ou
taghaynoust
dans
la région d’Agadir), nombreuses y sont les grandes espèces
strictement terricoles, réfugiées sous les pierres ou
nichées dans des puits tubulaires, répondant au nom
générique de Mygalomorphes (genres Nemesia,
Pachylomerus,
Eresus,
Dysdera,
Filista,
Phrita,
etc.) dont celles du genre Ischnocolus
avec
mogadorensis
comme vraie
« Mygale marocaine ». Latrodectus
tredecimguttatus n’est pas rare
sous les pierres situées au pied des arbustes : c’est
une Veuve noire. D’autres Araignées à valeur sociale
importante et en place dans l’univers semi-aride et inculte
de l’arganeraie sont les Tarentules (Lycosa).
Un habitant spectaculaire du Souss et de sites steppiques
plus au sud est une très grande espèce de Solifuge (=
fuyant le soleil) (Galeodibus
olivieri), aussi appelée
Galéode ou Scorpion du vent. De plus de sept à huit
centimètres, l’habitus est un peu intermédiaire entre celui
de l’Araignée et du Scorpion, le corps hérissé de longs
poils, l’abdomen souvent très ventru (au prorata des prises
ingérées) et la tête est équipée d’impressionnantes
chélicères portées très en avant et aptes à broyer le corps
des victimes (Insectes, petits Lézards) pour en extraire
toute la substance liquide. Les morsures infligées par ces
puissants chélicères sont réputées très douloureuses mais
le Galéode est inoffensif puisque non muni de glandes
vénéneuses. Particulièrement vif, l’étrange bestiole est
capable de foudroyantes accélérations et les bergers qui
s’en méfient se plaisent à jouer de dextérité pour le tuer
d’un rapide coup de couteau cruellement planté dans le gros
abdomen.
En matière de mauvaise renommée, en Afrique du Nord et
notamment dans cette région dont les paramètres
écoclimatiques leurs sont favorables, les Scorpions
(Scorpion se dit ici igherdm
et
c’est sans doute l’origine des variantes de ce vocable
qualifiant de nombreux villages) se taillent la part du
lion ! Ils ont même été taxés de
« symbole du
sous-développement » en 2001 par un
récent Ministre de la Santé (Thami El Khiary), sans doute «
ulcéré » par les 300.000 piqûres annuelles qu’on leur
attribue, cause première de mortalité devançant celle des
intoxications alimentaires, paraît-il. Cela mériterait
vérification car en Tunisie, où l’essentiel de la
population est tout autant concerné par le scorpionisme, un
récent rapport de la direction des soins de santé de base
(DSSB) ne situe qu’entre 30 et 40.000 le nombre de piqués
annuels, résultant en l'hospitalisation d'environ 600 à
1000 patients chaque année, d’une centaine de décès annuels
jusqu’en 1990 et une d’une vingtaine seulement ces deux
dernières années. Ce qui laisse bel et bien en avant les
intoxications alimentaires, la nicotine et la circulation
automobile... Tous les Scorpions sont venimeux mais ils
sont inégalement dangereux pour l'Homme. L'envenimation
scorpionique est un accident qui sévit à travers les cinq
continents. Sa fréquence et la morbidité qui lui est
rattachée en font un problème de santé publique dans de
nombreux pays d'Afrique du Nord, en Inde et au
Moyen-Orient. Le venin de Scorpion a une composition
extrêmement complexe. On y retrouve des
mucopolysaccharides, de la sérotonine mais également des
peptides constitués de chaînes d'acides aminés plus ou
moins longues. Les toxines scorpioniques ont une
spécificité d'espèce. En effet, on en connaît qui sont
actives contre les Mammifères et d'autres qui sont actives
contres les Insectes ou les Crustacés. Ce sont les toxines
longues (mini-protéines composées de 60 à 70 résidus
d'acides aminés) qui sont responsables de la toxicité chez
les Mammifères. Les composés actifs responsables de la
toxicité des venins ont pour cibles biologiques les canaux
sodium des cellules excitables dont ils perturbent les
fonctions en ralentissant la transmission de l'influx
nerveux à leur niveau. C'est donc des neurotoxines qui
entravent les fonctions vitales régulées par le système
nerveux sympathique principalement. Les toxines courtes
(composées d'environ une trentaine d'acides aminés) sont
actives sur les canaux potassium et chlore.
On rencontre dans la forêt d’Arganiers et ses alentours
plus ou moins désertiques plusieurs espèces de Scorpions
jaunes et de Scorpions noirs. Le premier groupe contient
des espèces de Buthidae du genre Buthus
qui
peuvent atteindre 7 cm, et plus. Ces Scorpions étaient
auparavant classés comme sous-espèces de
Buthus
occitanus (le Scorpion
languedocien), qui à la lumière des données contemporaines
n’existe pas en Afrique du Nord. Plusieurs sous-espèces
de Buthus
atlantis ont des
preferenda qui ne les éloignent guère du littoral. Parmi
les Scorpions noirs résidant dans l’arganeraie, on dénombre
des Buthidae des genres Hottentota
et
Androctonus :
Hottentotta
franzwerneri (10 cm), dont la
piqûre est bénigne ; Androctonus
mauritanicus, espèce
supposée être coupable au Maroc du plus grand nombre de
décès ; A.
sergenti, localisé à
l’Anti-Atlas ; et A.
liouvillei, une nouvelle
espèce propre aux zones franchement subsahariennes.
Parmi les Coléoptères, les nobles décomposeurs que sont les
coprophages (Geotrupidae, Scarabaeinae, Aphodiinae)
jouissent d’une représentation qualitative (diversité
d’espèces) et quantitative (effectifs) à la hauteur des
quelques trois millions de têtes d’Ovins, de Caprins, de
Bovins et de Camelins qui font la richesse
« excrémentale » du Sud-Ouest marocain. Les
contemplateurs des bousiers aux mœurs si remarquables, tout
comme les adeptes d’une certaine bionique élémentaire,
auront ici un vaste champs d’observation et de quoi
observer des prouesses aux relativités encore peu
expliquées. Les saprophages, saproxylophages et autres
détriphages (dont une prééminence de Tenebrionidae)
sont communément aperçus, les saproxyliques interviennent
en l’occurrence du bois mort, de nombreux floricoles
(particulièrement Cetoniinae)
hantent les espaces florifères et attestent d’un certain
maintien floristique au printemps, dans les vergers les
moins bien « entretenus » de la région de Taroudannt ou de
Tafraoute. De nombreux Carabiques (familles des
Nebriidae,
Siagonidae,
Scaritidae,
Clivinidae,
Apotomidae,
Trechidae,
Pterostichidae,
Harpalidae,
Callistidae,
Masoreidae,
Lebiidae,
Dryptidae...)
aux spécialités respectives (ripicoles, psammophiles,
halophiles, etc.) sont tributaires des berges, des
ripisylves à Tamarix,
des plages alluvionnaires de fleuves sahariens, des lits
d’oueds ensablés ou graveleux et des écosystèmes
sublittoraux à halophytes. Sur le cordon océanique,
certains sont étroitement liés au niveau des laisses de
haute mer ou aux zones de balancement des marées. Enfin, un
bien curieux Carabe psammophile uniformément noir
luisant : Carabus
stenocephalus, hante les
sables littoraux de cette côte Atlantique et s’immisce dans
les groupements des séries inframéditerannéenes tant de
l’Arganier et de l’Euphorbe de Beaumier (notamment région
du Cap Rhir), que de l’Arganier et de l’Euphorbe oursin
(sud d’Agadir), là où les brumes sont essentielles.
Endémique strict du « peuplement atlantidien » du
Maroc, il appartient à un sous-genre (Cathoplius)
phyllogéniquement ancestral et tout aussi indigène de cette
frange océanique (l’autre espèce habite le cordon littoral
entre El-Jadida et Larache). On peut considérer ces
représentants comme des « Calosomiens carabomorphes
aptères », c’est-à-dire caractéristiques de la
dichotomie Calosomes / Carabes. Carabus
stenocephalus atteste comme
tous les Carabes d’une certaine endogamie résultant de
l’isolement de ses populations et son étrange forme
cychrisée (rostre permettant une pénétration plus aisée
des Helix
dont
il se nourrit partiellement) va s’accentuant du nord au sud
de son aire littorale, attestant alors une malacophagie
plus prononcée en ses limites géonémiques du Sahara
marocain côtier (de l’embouchure du Drâa au Cap Boujdour).
La race la plus svelte s’observe au-delà de l’embouchure du
Massa. Ce Carabe est souvent associé, notamment dans le
Parc du Souss-Massa, à un autre halophile aux
puissantes mandibules : Scarites
buparius. Quant aux
Calosomes, ces grands prédateurs de chenilles et
d’Orthoptères, les espèces présentes dans l’arganeraie
sont Campalita
maderae et
C.
olivieri.
Mais les Coléoptères les plus emblématiques des groupements
végétaux auxquels contribue Argania
spinosa sont sans nul
doute les Julodis,
ces resplendissants Buprestes à la livrée chromatique
métallisée et arborant souvent une pilosité blanche en
pinceaux hirsutes. On les rencontre depuis l’étage
inframéditerranéen jusqu’au supraméditerranéen où ils
s’échappent de l’arganeraie, dans les habitats arborés ou
non, parfois même dans la steppe la plus absolue, de
préférence en zone rudérale ou près des lits d’oueds.
Plusieurs espèces sympatrides et même syntopiques, aux
coloris tout aussi chatoyants les unes que les autres,
peuvent se manifester abondamment en mai-juin les années
favorisées par un hiver suffisamment arrosé ou passer
inaperçues durant celles de stress hydrique. Les adultes
ont un vol lourd, haut et rectiligne, et dévorent les
feuilles de nombreuses plantes et arbustes, comme les
Jujubiers autour desquels ils organisent parfois
d’impressionnants congrès. La larve se développe librement
dans le sol et vit aux dépends de racines de végétaux
variés. D’autres Buprestes sont propres à cette contrée,
notamment aux confins du versant méridional du Haut Atlas,
comme Acmaeoderella
spp.,
Buprestis
atlas (rarissime sur
le Thuya) et Anthaxia
lecerfi sur les
Genévriers. Le géant de la famille et grande rareté pour
les spécialistes est Steraspis
ceardi à la livrée
hyperchromatique et qui parasite le bois moribond des
Acacias (et peut-être aussi de l’Arganier).
Se développant dans les puits et les seguias, les Odonates
ou Libellules sont partie intégrante des paysages agricoles
extensifs et symbolisent la présence bienfaitrice de l’eau.
Une diversité de Diptères, d’Hyménoptères, d’Hémiptères et
d’Orthoptères spécialisés peut aussi être recensée et cette
région compte beaucoup d’espèces endémiques dans ces
groupes et tout particulièrement en Hyménoptères. Au sein
des Orthoptères, une créature extravagante peut envahir
l’arganeraie : c’est Eugaster
guyoni, lourde et
grasse éphippigère cuirassée de spectaculaires
excroissances, comble du « bluff » pour dérouter
l’ennemi. Incontournable de l’épigénie locale, cette drôle
de Sauterelle émerge de partout au moindre degré
hygrométrique d’origine océanique qui vient rafraîchir
brusquement les fins de journées printanières. C’est un
spectacle inouï de les voir spontanément sortir de leurs
cachettes au moindre « coup » de rosée et
coloniser les bermes des routes où, cannibales
d’opportunité car végétariennes à l’accoutumée, elles sont
alors d’autant plus nombreuses qu’attirées par les cadavres
de leur congénères écrasées. Certaines portions de l’axe
routier Taroudannt-Tazenahkt, notamment vers Aoulouz,
pourraient être parfois classées glissantes en raison du
charnier d’Eugaster
écrabouillés...
Quant au Criquet pèlerin (tamourghi),
autre « symbole » des pays émergents pour parodier la
citation ministérielle susdite, les plaines culturales du
Maroc sud-occidental sont au premier rang des invasions
sporadiques. Mais en dépit d’une gesticulation tant des
populations que des autoirités, et d’épandages malheureux
dont l’aspect dit inoffensif reste suspicieux, la rémission
est le plus souvent de mise et l’Orthoptère ne se rencontre
le plus souvent qu’en individus solitaires. Il est alors
d’une présence paisible et habituelle dans les vergers, les
cultures vivrières ou les domaines agricoles de cette
région. Des alertes signalent des résurgences ou des
infestations dans les pays du Sahel (Mauritanie, Mali,
Niger, Soudan) lors de chaque saison pluvieuse
correspondant au pic reproductif de l’Insecte. C’est à la
suite de cette période que les formes grégaires prennent
leur envol à la recherche de nourriture, pouvant couvrir
des distances atteignant 5000 km. Les avant-derniers
ravages d’essaims de Schistocerca
gregaria datent de 1987
et 1989, puis les derniers de 2004, années de phases
grégaires, c’est-à-dire d’une surpopulation surprise par un
espace vital trop exigu et effectuant des déplacements à la
faveur des conditions météorologiques, notamment des vents.
Il fallut alors faire face à des essaims de 50 millions de
Criquets au km2. Un grand essaim peut couvrir 1000 km2,
contenir 40 milliards de sujets, dévorer jusque 40.000
tonnes de verdure par jour, ce qui selon les normes
humaines, représente l’alimentation d’une ville de 400.000
habitants pendant un an. C’est dire la stoïcité dont il
faut témoigner pour ne pas s’affoler devant un tel
spectacle ! L’aire potentielle d’invasion couvre une
superficie de 25 millions de km2 de terres cultivables
réparties dans les cinq continents. La lutte antiacridienne
à base d’épandages chimiques aériens laisse sur place et
par l’effet des vents, des séquelles qui perdurent à très
long terme au niveau des biocénoses. Pendant des années, le
produit choisi pour mener cette lutte était la Dieldrine,
un pesticide organo-chloré bioaccumulatif et à toxicité
aiguë, connue pour résister à des processus bactériens et à
la décomposition chimique dans l'environnement, persistance
qui était jugée comme bien adaptée aux traitements de
barrière. Dans le souci de préserver l'environnement de ses
effets néfastes, la Dieldrine fut interdite dans la plupart
des pays. Les pesticides modernes de substitution semblent
moins persistants et sont alors appliqués plus fréquemment
dans les traitements de couverture. Bien que leur toxicité
soit moindre, leurs effets sur l'environnement restent
graves. Pendant l’avant dernière invasion du Criquet
pèlerin de 1986 à 1989, les bailleurs de fonds ont dépensé
300 millions de dollars et 1,5 millions de litres de
pesticides ont été appliqués. En 2004, le budget global
avoisinerait 500 millions de dollars. La communauté
internationale, de plus en plus préoccupée par cette
situation, encourage désormais la mise au point d'autres
méthodes de lutte. Le Champignon entomopathogène,
Metarhizium
anisopliae acridum,
obtenu à partir des spores d'un Insecte mort, a permis
l’obtention d’excellents mycopesticides. Ce Champignon,
spécifique aux espèces de Sauteriaux à antennes courtes
(Acridoidea :
Acrididae et
Pyrgomorphidae),
est largement répandu en Afrique et cause des épidémies
locales dans des populations d’Acridiens. Les propriétés
biologiques et physiques de ce Champignon font de lui un
candidat idéal pour la lutte biologique augmentative et les
spores de M.
anisopliae acridum peuvent être
facilement produites en masse. On pouvait espérer qu’en cas
de nouvelles menaces, le recours à des interventions
préventives inhérentes à la lutte intégrée (précisément à
ces mycopesticides) serait éventualisé, mais une fois de
plus il n’en fut rien. La lutte biologique reste un thème
de recherche et de propagande dont on ne parle que durant
les périodes de rémission. Après l’hiver 2003-2004, très
pluvieux en Afrique de l’Ouest, une remontée massive
d’essaims pressentie et signalée en provenance de
Mauritanie par des équipes de surveillance mais non
combattue préventivement, s’abattit en février-mars 2004
sur le Sud marocain. Les services de lutte antiacridienne
auraient alors traité par moyens terrestres et aériens
quelques 300.000 ha jusqu’au mois de mars, puis de nouveau
en octobre-novembre pour un total de 1.500.000 ha. Savoir
avec quel type de produits n’est jamais chose facile dans
la presse où cette information essentielle semble négligée.
Il s’avère que les substances utilisées furent « le
Décis EC dans les périmètres cultivés et le Malathion ULV
ou le Décis ULV dans les terrains incultes », et donc
nullement des produits de lutte biologique.
Les Papillons bioindicateurs de
l’arganeraie
Agents essentiels des cycles biologiques, réagissant
ipso-facto
par
un recul ou une extinction au moindre effet nocif
(notamment au niveau des plantes-hôtes dont ils sont
tributaires), les Papillons de jour ou Rhopalocères sont
les véritables révélateurs pour tout diagnostic, tant pour
la gestion et la sélection des sites à protéger, que pour
l’évaluation de l’incidence biologique des surfaces
menacées, en un mot pour la conservation du patrimoine
naturel au service des populations rurales fragilisées par
de nouvelles donnes économiques.
Ils ne sont pas aptes à témoigner pour ou contre
l’évolution intrinsèque du paysage comme certains animaux
majeurs (valeurs
climaciques, dégradation des formations arborées
originelles, stades de transformation) car même pour les
plus sténoèces, leur valence équivaut tout de même au
minimum d’adaptation de leur plante-hôte. L’Homme a
toujours façonné les paysages et il serait sot de réclamer
des écosystèmes d’une naturalité à l’identique de
l’original. Les Papillons nous ont suivi tout au cours de
notre évolution et de nos civilisations, ils ont même
profité de nos défrichements lors de la grande mutation du
nomadisme chasseur-cueilleur à la sédentarité agricole. Ils
ont ainsi investi la plupart des formations secondaires et
de transformation.
Les Papillons « ne nous parlent » que d’une
certaine « salubrité » du milieu au jour le jour,
d’un seuil d’acceptabilité au-delà duquel il y aurait lieu
de s’inquiéter. C’est pour cela
qu’ils représentent une indication fiable et pratique parce
que quasi instantanée.
Seulement aptes à se développer dans des niches de bonne ou
moyenne conservation, originelles ou de transformations,
toute altération grave biffe irréversiblement du paysage
ces Insectes, que ce soit l’agriculture chimico-intensive,
l’excessive pression pastorale avec éradication de la
strate végétale, l’excès de fréquentation anthropique avec
piétinement, l’aménagement incisif du territoire et tout
autre type d’agression de la biosphère. L’utilisation de
ces données entomologiques pour une gestion à long terme
exige évidemment un suivi dans un concept scientifique.
Pour une meilleure identification, des données plus
complètes concernant les espèces ci-dessous nommées, on se
reportera à tout guide d’identification des Papillons de
Jour d’Europe et d’Afrique du Nord.
Famille des Papilionidae
Papillons spectaculaires, de grande esthétique car vivement
colorés et parfois caudés, trois des quatre espèces qui
peuplent ça et là le territoire de l’arganeraie sont d’un
intérêt majeur car il s’agit d’« espèces-clés de
voûte », ou « espèces-ombrelles ». Leur présence
est quasiment toujours un indicateur du caractère indemne
des lieux et s’ils hantent parfois les espaces culturaux,
rudéraux ou autres lieux transformés par l’Homme, ils en
attestent alors d’une certaine « propreté ». La
Proserpine oasienne (Zerynthia
rumina tarrieri), de
distinction récente, est la sous-espèce de la Proserpine
peuplant tout le Maroc sud-occidental, bien isolée
de Z. rumina
africana qui vole de
l’autre côté du Grand Atlas et dans tout le Nord jusqu’en
Tunisie. Ce splendide Rhopalocère est
l’ « espèce-signal » de l’arganeraie,
peuplant presque toutes les cultures vivrières non traitées
répondant au sens large au caractère oasien, à savoir une
formation végétale d’origine spontanée, respectueusement
gérée par l’Homme au bénéfice d’une nappe phréatique et
surgissant au milieu d’un paysage aride, avec ou sans
Palmiers-dattiers. Là où se fourvoie l’Aristoloche, sa
plante-hôte, la Proserpine vole au printemps sur les taches
vertes des légumes et des céréales, non loin de l’eau qui
coule dans les étroites rigoles de terre de ces havres de
paix et de silence. Le Voilier blanc (Iphiclides
feisthamelii) n’est souvent
pas loin de la Proserpine, à la condition que des arbres
fruitiers de qualité biologique permettent à la femelle de
ce grand volateur de déposer ses œufs. Et nul Papillon se
sera trompé par la qualité ! Le Voilier blanc signe
donc le vrai label écologique d’un verger. Le Machaon
(Papilio
machaon) est tributaire
d’un grand nombre d’Apiacées (Ombellifères) sauvages,
rudérales ou cultivées, comme le Fenouil
(besbas,
nafaâ,
amsa),
la Carotte, et des Rutacées comme la Rue
(Haplophyllum
tuberculatum)
(ifeyjel,
lfijll).
Assez erratique dans l’arganeraie cultivée, des colonies
plus denses sont localisées dans des oueds fossiles de
l’arganeraie sauvage où pousse abondamment le Fenouil,
comme aux alentours du Parc de Souss-Massa. Le Machaon du
désert (Papilio
saharae) n’est plus
vraiment un résident de cet écosystème mais un riverain qui
le côtoie aux limites alticoles de l’aride, dans la plupart
des massifs de l’Anti-Atlas.
Famille des Pieridae
Ce sont les Papillons Blancs ! La plupart sont
inféodés aux Crucifères, certains sont des éléments
endémiques ou très rares. Laissons voler un peu partout
dans les jardins, les cultures, les ermes, les bermes et
les friches la Piéride de la Rave, grande ubiquiste, pour
nous apercevoir déjà que dans le Sud-Ouest marocain, la
grande Piéride du Chou n’est pas si commune que cela et
possède donc quelques exigences. Dans les zones plus
écorchées et au profit très temporaire du tapis multicolore
que forment les inflorescences de Crucifères peu après les
pluies hivernales (milieu nommé âcheb
par
les Sahariens), mais aussi en lisières des cultures en bour
ou en irrigué, on verra voler le Marbré-de-vert
(Pontia
daplidice), la Piéride
des Biscutelles (Euchloe
crameri), la Piéride du
Sisymbre (Euchloe
belemia), un Papillon
jaune souffre qui est la très délicate Piéride de la Cléome
(Euchloe
charlonia) et le Souci
(Colias
crocea). Quand les
bermes des chemins ou des routes sont bordées d’une
magnifique Brassicacée violette (Moricandia
arvensis)
(korreb),
un Papillon blanc au revers strié de vert pourra y voler
très activement en zigzag, c’est le Zébré-de-vert
(Euchloe
falloui), élément
afro-érémien au comportement opportuniste et très rudéral.
Dans les gorges d’oued temporaires, sur quelques falaises
abruptes et dans les éboulis de bord de route, là où pousse
une plante épineuse très rupicole, le Câprier
(kebbar,
taylulut, amsilikh, afsas), il y aura
toujours des nuées de Colotis
evagore, une petite
Piéride déserticole dont l’angle supérieur de l’aile
antérieur est garni d’un bel orange. Attention ! Il
s’agit là d’une espèce invasive et d’un indicateur de la
désertification identifiant un processus absolument inverse
à la bonne conservation de la formation ! Ses flux
migratoires du sud au nord sont interceptés certains
automnes jusqu’en Andalousie. Quand la couverture végétale
s’amenuise et affleure le rocher, on a toutes les chances
de voir apparaître presque spontanément ce binôme
Câprier-Colotis
en
parfaite co-évolution. L’Aurore de l’érémial
(Anthocharis
belia androgyne), dont la
femelle est dans le Sud-Ouest marocain exceptionnellement
ressemblante au mâle, est l’un des bioindicateurs insignes
du bon état de la forêt d’Arganiers et de la conservation
de son sous-bois. Elle déserte toujours la «
forêt-parc » et sa tendance abiotique. Elle peut se
fixer dans les cultures si celles-ci sont riches en plantes
de fourvoiement et enrichies de haies vives ou
d’inextricables halliers protecteurs de tout un cortège
floristique. Les Piérides pré-citées volent essentiellement
à la sortie de l’hiver.
Famille des Lycaenidae
C’est une vaste famille de Papillons modestes en taille
mais d’une très riche ornementation, dont font partie les
célèbres « Petits Bleus ». Certains vivent sur des plantes
basses, d’autres sont tributaires d’arbustes. Citons pour
l’arganeraie : Cigaritis
allardi estherae (une sous-espèce
très caudée du splendide Faux-Cuivré mauresque), Lycène
très sensible, dont les dèmes sont peu nombreux et dont la
femelle pond surtout sur des Genista
et
des Cistus ;
Tomares
mauritanicus amelnorum (une race du
Faux-Cuivré du Sainfoin) qui ne vole qu’en janvier-février
sur des pelouses mésophiles riches en annuelles thérophytes
et dont la forte fréquence du cheptel est une
contre-indication ; le Cuivré de l’Atlas
(Thersamonia
phoebus), délicat petit
Papillon rouge bronzé aux mœurs ripicoles, endémique
exclusif au Sud-Ouest marocain, qui ne quitte guère les
rives d’oueds et les plages alluvionnaires des arganeraies
les plus sauvages où il est tributaire des
Polygonum ;
Lampides
boeticus,
Leptodes
pirithous et
Zizeeria
knysna, tous trois
minuscules Azurés fréquents dans les cultures vivrières
irriguées et dénuées de la moindre pollution ;
Tarucus
theophrastus et
T.
rosaceus, deux Azurés
parasites du Jujubier (Ziziphus
lotus)
(sedra,
azuggwar,
nbeg)
et qui abondent dans la steppe arbustive qui se forme dans
les trouées de l’arganeraie ; l’Azuré du Mimosa
(Azanus
jesous), afro-érémien
qui survole fébrilement la plupart des espèces d’Acacias
(talha,
amrad,
taleh,
qiqlan,
tamat)
servant de clôtures aux propriétés ; le rarissime
Azuré de l’Anti-Atlas (Plebeius
antiatlasicus), révélateur de
la présence d’Astragalus
caprinus, une très belle
et rarissime Légumineuse bien nommée parce que partout
victime de la dent des Caprins ; et quelques autres
Lycènes fragiles comme Pseudophilotes
abencerragus,
Aricia
agestis,
Polyommatus
icarus et
P.
punctifera.
Famille des Nymphalidae
Le Petit Monarque (Danaus
chrysippus) est installé
dans les vergers de Taroudannt depuis les années 50. C’est
un grand migrateur cosmopolite (Afrique, Asie tropicale,
Australie) établit dans le Souss au bénéfice de sa plante
élective Asclepias
curassavica, qui pousse le
long des irrigations traditionnelles. En sa qualité de
résident, c’est un indicateur très marginal. Divaguant plus
au sud, la femelle du Petit Monarque pond sur une autre
Asclépiadacée très spectaculaire, Calotropis
procera,
(tourza
ou
turja
dans
les provinces sahariennes), arbuste au latex toxique qui se
développe dans les lits d’oueds désertiques. Aucune grande
Nymphale ne peuple cette région car elles sont toutes plus
ou moins sylvicoles ou alticoles, même observation pour les
Nacrés et les Mélitées (ou Damiers) dont les préférences
sont praticoles, sauf deux exceptions rupicoles et
érémicoles des habitats écorchés : la Fausse
Mélitée orangée (Melitaea
didyma interposita) et la Mélitée
de l’érémial (Melitaea
deserticola). Ces espèces
très résistantes et spécialistes des biotopes érodées, ne
sont pas des « outils » fiables pour une estimation de la
conservation du substrat végétal de l’arganeraie, leurs
plantes-hôtes qui plus est n’étant pas consommées par le
bétail. Enfin, un Papillon sténoèce tardif qui ne vole
qu’en septembre, la Fausse Coronide (Hipparchia
hansii), et qui
possède une pulvérisation de colonies dans bien des
arganeraies de montagne, identifie des sites de bonne et
moyenne conservations et sans trop de parcours, bien que
ses Graminées-hôtes soient assez résistantes.
Les régions identifiées
Sous l’angle témoin de ces joyaux ailés, allons donc à la
découverte des Lépidoptères diurnes de l’arganeraie tant
sauvage qu’anthropisée et de ses formations associées ou
mitoyennes, comme la tétraclinaie ou callitraie (Thuya de
Berbérie), la juniperaie (Genévrier rouge aux Pays
Ida-Outanane et Haha), les marges de l’oxycédraie
(Genévrier oxycèdre), l’Acaciaie (notamment à
Acacia
gummifera et
raddiana),
la rhussaie (Sumac à trois feuilles), la steppe arborée de
Jujubiers ou à cactiformes, voire même la garrigue dans une
version bien particulière. La visite se fait par région
naturelle de manière à mieux appréhender la mosaïque de cet
archipel continental que forme l’écocomplexe de
l’arganeraie.
Les relevés ont nécessité plusieurs saisons car les
Papillons de ces régions ne sont repérables qu’à la suite
de conditions atmosphériques favorables, à savoir à la
faveur des années de pluies abondantes ou au moins à la
suite de précipitations orographiques intervenant de
concert avec la phénologie des imagos. Adaptés aux
variations climatiques extrêmes, leur dépendance des
précipitations, tout comme celle concomitante de leurs
plantes-hôtes, est absolue. Insectes éminemment
opportunistes et à l’affût des meilleures conditions
possibles, quand un taux d’accroissement exponentiel n’est
pas déclenché (pics populationnels) en vue d’une forte
fécondité, ils ont une capacité adaptative de diapause lors
de leurs différents stades (œuf, larve, chrysalide).
L’effet pluvial est donc une condition sine qua
non pour
l’observation.
Dans l’arganeraie littorale d’Agadir à Essaouira
Bien que le couvert végétal de certaines stations du
littoral immédiat, essentiellement garni d’un matorral à
xérophytes cactoïdes récalcitrants, soit favorable au
maintien de nombreuses plantes-hôtes, la proximité
atlantique n’est jamais un facteur très propice aux
Rhopalocères, d’où la paucité dans les biotopes de la
frange maritime. Les propriétés agricoles de monoculture
intensive et autres espaces abiotiques ont été évidemment
ignorés dans ce travail et les prospections orientées vers
des friches de l’arganeraie résiduelle des alentours de la
ville d’Agadir, principalement au nord et à l’est. Très
fleuries à la faveur des fins d’hivers bien arrosés, ces
friches ont révélé une certaine valeur écologique sur le
déclin, très certainement héritée du temps où régnait
l’arganeraie. Les meilleurs indicateurs furent
ici : Zerynthia
rumina tarrieri,
Anthocharis
belia androgyne,
Euchloe
belemia,
Cigaritis
allardi estherae,
Tomares
mauretanicus amelnorum et
Melitaea
didyma interposita.
Dans la région du Cap Rhir, l’arrière-pays conserve une
entomofaune résiduelle dans une arganeraie très disséminée
alternant avec la tétraclinaie, lesquelles sont pénétrées
de pans de chênaie verte en taillis, de Genévrier oxycèdre,
plus rarement de Pistachiers de l’Atlas et de Gommiers. Dès
février, les inflorescences de Lavandula
stoechas fixent les
imagos de Zerynthia
rumina et de
Glaucopsyche
melanops qui sont les
deux Papillons marqueurs de ce secteur.
Dans les montagnes de Tamanar, nous sommes au même étage
bioclimatique que précédemment (thermoméditerranéen
semi-aride tempéré) et dans l’anticlinal calcaire du
Jurassique de tous les plateaux de cette région des Haha et
Ida-Ou-Tanane. L’Arganier y façonne totalement le paysage,
par places en association avec Tetraclinis
articulata, mais le sol
est ici majoritairement dépourvu de ses valeurs chimique et
physique, quand il ne fait pas place à la roche-mère,
érosion extrême et conséquente à une pression pastorale
excessive souvent conjuguée à des périodes de stress
hydrique tenace. Quand le substrat n’est ni trop rocheux,
ni trop pulvérulent, un regain a été observé au bénéfice de
fins de printemps pluvieux, donnant naissance à quelques
planches de Légumineuses ou de Crucifères, notamment dans
les parties lacunaires des trouées bien exposées ou des
parties tabulaires déboisées. Y volent alors le cortège
habituel des Euchloe,
en compagnie d’Anthocharis
belia et de quelques
vétilles. En tout état de cause et compte-tenu du peu
d’indicateurs de valeur pour une telle étendue de
montagnes, la fragilité constatée engendre de sérieuses
inquiétudes pour une région déterminée à vivre de
l’Arganier.
Tempérée à l’année par les vents alizés, la région de
l’ancienne Mogador (aujourd’hui Essaouira) est un assez bon
terrain pour les Papillons. Les alentours d’Ounara et
l’immense matorral arboré de Thuyas situé immédiatement au
nord vers le Djebel Hadid (secteur de la maison forestière
Inspecteur-Watier) sont des sites entomologiques connus
depuis des lustres. Mais ils ne sont plus proprement dit
référentiels à l’arganeraie. Nous avons donc prospecté les
formations idoines existant au sud et couvrant les Djebels
Amsittene et Amardma. Les résultats sont assez disparates
selon les points de prélèvements, mais pas mal de biotopes
sont encore en place
Dans les vallées des contreforts occidentaux du Haut Atlas
La longue vallée enchanteresse qui monte depuis la côte
jusqu’à Imouzzèr constitue encore un réel pays de cocagne
pour le naturaliste, surtout lors de l’éveil glorieux du
printemps. Il est intéressant de noter que la biodiversité
y gagne quand l’arganeraie – par places très altérée - cède
l’espace à de modestes cultures ou à des amandaies et
oliveraies, et notamment comme ici à une palmeraie
agrémentée de jardins. S’il y a 20.000 ans, la température
plus fraîche et l’humidité plus grande étaient suffisantes,
la plupart des Lépidoptères s’épanouissent dorénavant mieux
dans les habitats façonnés par l’Homme, dont l’apport
hydrique (irrigation) et l’attrait scyaphile ont un effet
d’appel certain. Cette cohabitation est rendue possible par
l’aspect respectueux de cultures vivrières indemnes de
substances phytosanitaires. Ces Papillons y sont devenus de
véritables rudéraux et de réels commensaux. On peut
vraiment parler ici d’espèces hémérochores, s’épanouissant
désormais grâce à une intervention humaine bienfaisante.
Cette brève analyse sera valide pour pas mal d’autres
localités suivantes où l’arganeraie originelle se retrouve
mitoyenne de l’agriculture douce. En compagnie de quelques
espèces plus éclectiques comme Iphiclides
feisthamelii, c’est
Zerynthia
rumina tarrieri et son
Aristolochia
baetica-hôte qui
apparaissent comme le menu « clé de voûte » de cette
association.
Aux alentours d’Imouzzèr-des-Ida-Outanane, entre 500 et
1000 m, c’est une version d’altitude de la précédente
localité où l’arganeraie ponctuée de Thuyas de Berbérie
alterne avec des espaces culturaux sur un lacis dense de
terrasses et de belles oasis de montagne, parfois arrosées
d’asifs aux eaux vives jusqu’en mai-juin. La biocénose est
similaire mais nettement plus riche. Au tout premier
printemps, des tapis de Biscutelles et d’autres annuelles
impliquent Anthocharis
belia,
Euchloe
crameri et
charlonia.
Zerynthia
rumina
y
est discret, mais partout. Aux alentours de 1000 m, quand
l’arganeraie se développe sur un substrat assez nu, voire
sur quelques plateaux karstiques assez tourmentés, à la
condition que les Graminées sauvages y soient respectées,
on y compte le tardif (septembre-octobre) et
rupicole Hipparchia
hansii, excellent
bioindicateur local.
Dans le finage d’Argana, l’arganeraie exclusive y est très
pauvre et la présence de nos bioindicateurs n’est plus que
très résiduelle. Un repli populationnel se constate dans
les petites oliveraies et oasis comme celles de Tassademt
et Bigoudine où quelques bonnes espèces se sont
reconverties.
Dans la Vallée du Souss
Dans les campagnes de Taroudannt, nous nous sommes
évidemment détournés des grandes exploitations agricoles,
mais vivement intéressés aux espaces de cultures vivrières
ponctués d’Arganiers, parfois en orée d’unités plus
intensives mais dépourvues du moindre esprit de
remembrement, conciliant haies vives, flore des bermes de
chemins, frondaisons, irrigation par seguias
traditionnelles : véritable « bocage du Sud » au
milieu de l’ « archipel de l’Arganier »… Deux types de
Papillons indicateurs ont été utilisés ici : ceux
respectifs à la santé de l’écosystème (Zerynthia
rumina et
Danaus
chrysippus sont les tenants
de liste) et ceux attestant de la qualité naturelle des
fruitiers et des cultures (Iphiclides
feisthamelii et tout un
cortège de Lycènes dits « parasites »).
Peu au-dessus de Tafinegoult et en ressaut du Haut Atlas
méridional (nous sommes ici à la base du célèbre
Tizi-n-Test reliant Taroudannt à Marrakech), le charmant
hameau berbère de Tachguelte conserve dans ses jardins de
beaux pans d’Aristolochia
baetica et
Z.
rumina atteste de la
qualité des lieux. On retrouve cet excellent et presque
incontournable indicateur en remontant les grands ravins
vers l’arganeraie de montagne où d’autres marqueurs
témoignent de l’excellent travail de conservation ici
accompli par les forestiers : Cigaritis
allardii estherae,
Glaucopsyche
melanops,
Pseudophilotes
abencerragus,
Polyommatus
punctifer, le
binôme Melitaea
didyma et
deserticola,
Hipparchia
hansii et des Zygènes
indicatrices dont nous ne traitons pas ici. En aucun cas
nous atteindrons plus au nord la zone du Cyprès de l’Atlas,
élément déjà externe à l’arganeraie.
Dans la région d’Aoulouz, en côtoyant toujours une altitude
moyenne de 1000 m, sur une terre qui tient compte du Haut
Atlas au nord et de l’Anti-Atlas oriental (Djebel Siroua) à
l’est, l’arganeraie (par places très torturée) est ici
ponctuée par un chapelet de jachères (assolement biennal),
d’ermes dégradées à Asphodèles (revêtues dès février d’un
manteau d’annuelles pionnières), d’espaces céréaliers, de
modestes cultures d’autoconsommation en zones irriguées et
de vergers paradisiaques (Oliviers, Amandiers, Caroubiers,
Grenadiers, Figuiers, etc.) La richesse écologique réside
en partie dans le fabuleux réseau de haies épineuses
constitué à base de rameaux morts d’Acacias et de Jujubiers
en guise de clôtures à effet pour le moins dissuasif. A
l’intérieur de ces ourlets d’enchevêtrements inextricables
et récalcitrants, à l’abri du piétinement, des Herbivores
et des Humains, se développe très vite une végétation
interne dominée par des espèces en lianes, favorisée aussi
par l’ombre et l’apport hydrique d’un réseau très
sophistiqué de seguias. Les Papillons significatifs
sont Zerynthia
rumina,
Euchloe
belemia et
charlonia,
Gonepteryx
cleopatra,
Anthocharis
belia,
Melitaea
didyma et quelques
Lycènes.
Aux environs nord-ouest d’Iouzioua-Ounneïne, au cœur de la
forêt d’Arganiers, tant à la faveur des pluies de fin
d’hiver ou d’un « été indien » qu’au profit des aléas de la
topographie, nous avons rencontré de belles surfaces
herbifères agrémentées d’un cortège de Légumineuses, de
Crucifères, et de la permanente vernale de ce type d’erme
arborée proche de la thérophytisation : l’Asphodèle
fistuleuse. Les Papillons présents les plus notables sont
les Euchloe
(trois
espèces), Tomares
mauretanicus et
Melitaea
phoebe.
Dans l’Anti-Atlas sud-occidental
Au
sud-ouest d’Aït-Baha (piste 7108 à
Souk-El-Had-de-Targa-n-Touchka), quand l’arganeraie profite
de petites plaines alluvionnaires, les plages des
dépressions d’oueds temporaires reçoivent des ermes à
Figuiers de Barbarie à l’intérieur desquelles se complaît
une flore diversifiée, support de quelques marqueurs parmi
ceux déjà cités.
Au sud-est d’Aït-Baha (S 509), c’est ici un boisement
quasiment steppique, sur substrat rocheux, avec souvent
le darhmouss
(Euphorbia
echinus) en sous-bois,
parfois accroché aux crêts en surplomb des immenses combes,
voire de hautes falaises. Nous avons recensé pas mal de
ravins transversaux dont la biocénose est riche et les
effectifs fournis : Anthocharis
belia androgyne,
Tomares
ballus et
T.
mauretanicus
amelnorum (les colonies
les plus étoffées de la très exigeante sous-espèce
amelnorum
sont
ici), Melitaea
didyma,
Hipparchia
hansii tansleyi, etc. Signalons
pour l’anecdote la rencontre matinale en mars 1994 avec un
Cobra assez « endormi », au plus bas d’un
étagement de terrasses en surplomb.
Plus loin en direction de Tafraoute, entre Tioult et
Agard-n-Tzak, entre Arganiers, Caroubiers et Pistachiers,
volent quelques indicateurs d’origine afro-érémiennes,
comme près des falaises où pousse la Deverra
le
rare Papilio
saharae (son aire
régionale est plus nettement celle aride d’Aït-Abdallah),
ou tout au long des bermes garnies de Moricandia
arvensis, la Piéride de
l’érémial Euchloe
falloui. Les
accompagnent Tomares
mauretanicus et
l’exceptionnel Plebeius
antiatlasicus quand le
fragile Astragalus
caprinus fait sa timide
irruption dans une jachère annuelle. C’est un cortège de
haute valeur qui indique une conservation moyenne du site
où l’Arganier n’est plus en réelle formation.
Sur la pittoresque piste qui depuis
Souk-Khemis-des-Ida-Ou-Gnidif s’élève vers le puissant
Djebel Lekst, l’Arganier n’est plus qu’une des composantes
éparses du paysage dont la tendance près des contreforts
est celle du matorral d’arbrisseaux xérophytes ligneux.
Cette station est aux portes d’un autre écosystème de
grande qualité qui est celui du Lekst où nous avons noté
des plantes aussi significatives d’un passé plus humide
qu’Aristolochia
longa (qui cohabite
avec A.
baetica, espèce plus
xéricole) ou Colutea
atlantica (le Baguenaudier
de l’Atlas, qboura).
Les bioindicateurs les plus emblématiques constituant le
florilège de cette belle localité sont :
Papilio
saharae,
Iphiclides
feisthamelii,
Zerynthia
rumina,
Anthocharis
belia,
Gonepteryx
cleopatra,
Cigaritis
allardi,
Thersamonia
phoebus (près des
asifs), Cupido
lorquinii, le
précieux Iolana
debilitata (moins de cinq
stations au Maroc !), Melitaea
phoebe et
didyma,
et quelques autres.
Dans le bassin de Tafraoute (et sa vallée des Ameln), vers
1000-1200 m, l’arganeraie est très clairsemée mais on y
trouve de très beaux sujets. Les jardins des oasis sont les
gardiens d’un maintien élevé de la qualité écologique.
Aux environs nord-ouest de Tafraoute, sur la petite piste à
Anirgi, 1200-1500 m, c’est à la faveur d’un immense
ravin-refuge que l’arganeraie nous a procuré un intéressant
cortège de Rhopalocères, dominé par Zerynthia
rumina,
Anthocharis
belia et
Cigaritis
allardi. Les pentes,
victimes de translocation subséquente au piétinement du
cheptel caprin, ne recèlent plus rien.
A l’est de Tafraoute, plusieurs localités au sud du
Tizi-M’lil (Tagarzout, Tazalarhite…) situées à 1200-1400 m,
sont certainement plus prolixe pour les Reptiles et
l’arganeraie steppique est ici ponctuée d’un matorral en
brosse formé de doum
(Chamaerops
humilis) et de
cactoïdes (Euphorbia
echinus).
Dans les longs corridors des ravins protecteurs des ardeurs
solaires, se manifestent : Thersamonia
phoebus,
Melitaea
didyma,
M.
phoebe,
Melanargia
ines et quelques
autres.
Aux environs nord-ouest de Tafraoute : de Tizourhane à
Tiffermit, les Lépidoptères les plus vulnérables tirent
parti des reliefs et les oueds, cuvettes et ravins
conservent Zerynthia
rumina,
Thersamonia
phoebus,
Cupido
lorquinii et même
Pyronia
cecilia (seule référence
de l’Anti-Atlas !).
Au fameux et très aéré Col du Kerdous, sur le versant
favorable à l’ouest, c’est une zone écotone entre la
végétation dite forestière et celle steppique. La région
appartient au Maroc cisatlasique, recevant de plein fouet
les perturbations du front polaire quand celui-ci descend
en hiver vers le sud. Le secteur bénéficie localement d’une
fréquente, tenace et forte nébulosité, notamment estivale
et liée à la proximité océanique. Nonobstant la modeste
altitude de 1000 m du col, on se croirait certains jours
dans les nuages des plus hauts sommets alpins ou pyrénéens.
L'apport radiatif solaire y est donc très réduit et les
journées à fort rapport d'insolation se situent en hiver et
non pas en été. Ces chocs thermiques induisent ici une
végétation dominée par des espèces à fort pouvoir de
résilience. Les indicateurs qui font l’apanage de ce site
sur sol granito-schisteux en pentes vives, très connu des
naturalistes, et notamment du versant moins squelettique de
Tiznit, sont : Zerynthia
rumina,
Anthocharis
belia,
Cigaritis
allardi,
Melanargia
ines, ainsi qu’un
cortège appréciable et multicolore de Zygènes. Les
terrasses aménagées par les forestiers dans le cadre d’un
ancien périmètre en défends motivé par un reboisement, ont
permis le développement d’une flore très variée, support
d’une entomofaune tout aussi diversifiée. L’étage inférieur
de l’arganeraie pure est bien moins fécond.
Anezi et sa région, installée sur une puissante formation
détritique à base de grès, de conglomérats plissés et
schistosés, de pélites, de varves et de tillites, s’inscrit
dans la continuité de la précédente localité. Des oueds s'y
encaissent en gorges profondes. Les djebels définis par la
région d’Anezi sont assez contrastés et porteurs d’une
arganeraie très clairsemée, surtout présente en ripisylve
des cours d’eau temporaires. La végétation ouverte est
empreinte des espèces suivantes : Euphorbia
echinus,
Senecio
anteuphorbium,
Periploca
laevigata,
Launaea
arborescens,
Warionia
saharae sur les adrets
pentus, Haloxylon
scoporium qui dénonce
alors la forte aridification, Pollycnenum
fontanesii et
surtout Genista
ferox (=
G.
ifniensis) et son
cortège : Asparagus
albus, Teucrium collinum, Phagnalon
saxatil. L’ensemble est
çà et là pénétré de
Thuyas, de Caroubiers, de Lentisques, de
Rhamnus
lycioides, d’Oléastres et
de rares Chênes verts. Certains groupements sont parfois
dominés physiologiquement par l'Armoise blanche
(Artemisia
elba), comme dans la
cuvette du Tazeroualt. La diversité des habitats permet le
maintien d’espèces animales rares comme l’Outarde houbara,
de nombreux Rapaces dont l’Aigle royal, la Gazelle de
Cuvier, l’Hyène (mention récente), ainsi qu’une grande
richesse en Reptiles, dont certains très rares comme le
Serpent mangeur d’œufs (station connue de Dar Lahoussine).
Les configurations de terrain les plus propices, tout comme
les cultures vivrières et leurs friches, conservent
quelques Rhopalocères héliophiles sensibles repris de
l’inventaire du Col du Kerdous et ce sont les ubacs
défrichés et mis en cultures aléatoires qui génèrent les
meilleures niches lépidoptériques. Plusieurs Lavandes
(dont Lavandula
dentata et
Lavandula
pedunculata) représentent,
avec Cistus
villosus,
les
principales sources nectarifès disponibles.
Dans
la région de Sidi-Ifni
Au sud de Mesti, à 500-600 m, en traversant les massifs
d’Ifni qui forment le vaste bombement qui achève
l’Anti-Atlas avant les plateaux dolomitiques de la plaine
de Guelmim, une succession d’ermes à Opuntia
ficus-indica (zaâboul,
hindia) (cultures ou
fixation des sols ?) sur un paysage collinéen à
Arganiers, entrecoupé d’oueds fossiles et d’horizons
de Senecio
anteuphorbium et d’Euphorbes
(Euphorbia
beaumierana et
E.
regis-jubae) attestent lors
de saisons ayant bénéficié de pluies « utiles »
d’un cortège vernal remarquable. C’est la limite géonémique
sans appel de la plupart des espèces paléarctiques et les
marqueurs sont : Papilio
saharae, trois espèces
d’Euchloe,
Anthocharis
belia en abondance
(excellent indicateur pour le Sud) et Tomares
ballus.
Il n’a pas été possible de prospecter quelques autres
habitats d’apparences propices dans l’arganeraie mixte
(chênaie verte et tétraclinaie vestigiale) et résiduelle
des massifs d’Ifni.
Un premier bilan
Plus de 90 % des
boisements visités se sont révélés comme victimes de
dysfonctionnements et stériles en Rhopalocères. Dans la
part restante, où il fut possible de sélectionner des
stations favorables à nos prélèvements, sur les 24
localités retenues (d’une ou plusieurs stations chacune),
18 n’ont pu recevoir une note (appréciation) égale à la
moyenne (5/10) : à savoir que ces habitats conservent
une biocénose mais de nature déjà résiduelle, sans la
trilogie qualité-quantité-diversité. La moyenne a pu être
décernée à 4 localités : la vallée
d’Imouzzèr-des-Ida-Ou-Tanane, l’arganeraie qui couvre le
bas versant méridional du Tizi-n-Test (Tachguelte et
au-dessus), le bassin de Tafraoute et le Col du Kerdous.
Deux sites se sont avérés très féconds : la région
d’Aoulouz, avec notamment les stations rudérales du piémont
occidental du Djebel Siroua et la vallée des Ida-ou-Gnidif
dans la Massif du Djebel Lekst.
On constate qu’une meilleure naturalité est propre aux
biotopes : 1) Compris dans l’arganeraie de montagne et
bénéficiant des bienfaits écoclimatiques dispensés par une
situation en ressaut de contreforts, à l’abri de falaises,
dans une dépression ou sur un versant atlantique ; et
2) N’incluant aucune pression pastorale agressive puisque
soit dans le finage de villages (avec apport de jardins et
cultures vivrières excluant le cheptel), soit bénéficiant
ou ayant bénéficié d’une mise en défends de la part de
l’administration de tutelle des Eaux et Forêts.
Le Parc national de Souss-Massa ou la protection à
géométrie variable
Les embouchures
des grands fleuves ayant été investies de longue date par
l’Homme pour les valeurs qui leurs sont associées
(notamment alluvionnaires), la tâche n’est jamais facile
d’y promouvoir subséquemment la figure de protection
qu’impose par ailleurs les richesses naturelles et
notamment ornithologiques de tels lieux. Dans l’univers des
zones humides, cette problématique est une constante,
citons seulement la Camargue provençale (Rhône) ou la
Doñana andalouse (Guadalquivir) où la conservation
s’affronte sporadiquement aux velléités de l’emprise
agricole et de la croissance touristique. Il en va de même
des embouchures du Souss et du Massa où il faut tenter de
soustraire un exceptionnel réservoir génétique à
l’expansion d’une grande ville qui plus est vouée au
tourisme de masse, aux nécessités et retombées néfastes
d’une activité agricole non moins intensive, quand ce n’est
pas aux effets pour le moins perturbant d’un champ de tir
militaire.
C’est sur ce rivage atlantique qu'au VIIe siècle et selon
la légende, Oqba Ben Nafi, conquérant arabe du Maghreb,
aurait poussé son cheval jusque dans les flots, montrant
ainsi qu’au nom du Prophète il avait poursuivi sa conquête
« jusqu'au bout de la Terre ». Ce lieu est
actuellement tout aussi mythique pour les naturalistes par
la présence de la dernière colonie mondiale d'Ibis chauves.
Le cordon dunaire du littoral atlantique situé entre l’Oued
Souss et Tiznit, enveloppant l'embouchure de l’Oued Massa,
ses roselières et ses salines, aux bioclimats arides et
semi-arides de l’étage inframéditerranéen, fut homologué
Parc national en 1991 avec la mise en protection de 34.000
ha. L’espace aux qualités paysagères incontestables
constitue une halte migratoire et un lieu d'hivernage pour
beaucoup d'Oiseaux circulant entre l'Europe et l'Afrique
via Gibraltar. Les limicoles en sont les premiers
bénéficiaires dont certains, au bord de l'extinction, ne
sont plus observés qu'au Maroc, tel l’Ibis chauve qui y
possède une colonie fractionnée et dont la protection
rigoureuse est la mission prioritaire du cahier des
charges. Fin octobre 94, un Courlis à bec grêle, espèce au
bord de l’extinction, a par exemple été noté à Massa.
Spatules et Flamants fréquentent régulièrement les eaux
saumâtres et quelques Grues cendrées connaissent ici le
point le plus méridional de leur aire d'hivernage. Le Parc,
géré par l'administration des Eaux et Forêts, s'organise.
Une garderie se met en place et certains des agents
techniques ont de solides connaissances naturalistes, ce
qui permet un bon suivi des populations d'Oiseaux. Depuis
certains postes d'observation, il est désormais possible
d'observer les mouvements de l’avifaune en fonction des
marées et à toute heure de la journée les ébats de nombreux
sangliers dans les vasières. Avec plus de chance on pourra
apercevoir au crépuscule un couple de Mangoustes ichneunon
ou un furtif Chacal doré.
En amont de la réserve intégrale, sur les coteaux de la
vallée de l'Oued, s'étalent les jardins irrigués de Massa
et de nombreux douars. Un va et vient d'ânes chargés de
Luzerne, de Maïs ou de fèves, circulent entre les nombreux
chemins creux servant de canaux d'irrigation lors de
l'inondation des parcelles. Il se produit alors un
véritable festival de plumes ! Dès qu'une parcelle est
inondée les Hérons gardes-bœufs, les Guifettes migratrices,
les Bergeronnettes de toutes espèces, des Glaréoles et
autres limicoles se précipitent pour happer les Insectes et
les larves essayant d'échapper à la noyade. Parfois, un
Aigle de Bonelli ou un Faucon lanier attaque sans prévenir.
Une population d'Ibis falcinelle (environ 60 individus)
fréquente depuis quelques années ces jardins et un heureux
événement intervint au printemps 94 : la découverte de
trois nids dans une héronnière de Gardes-boeufs. C’est un
nouveau site de nidification pour cette espèce et une
avancée très marquée vers l'est par rapport à ses lieux de
nidifications habituels situés dans les Balkans.
Dans cet immense éventail d’habitats, depuis la grève aux
Laridés jusqu’à l’arganeraie où l’Oedicnème criard et le
Courvite isabelle apprécient les étendues au sol dépouillé,
et y compris le finage des villages essentiel pour les
espèces rudérales, le cortège aviaire est un must pour
l’ornithologue : Fous de bassan , Grand Cormoran,
Héron garde-bœuf , Aigrette garzette, Héron cendré, Ibis
falcinelle, Spatule blanche, Flamant rose, Marmaronette
marbrée, Tadorne casarca, Canard colvert, Sarcelle d’été,
Canard souchet, Fuligule milouin, Barge rousse, Courlis
cendré, Courlis corlieu, Chevalier gambette, Chevalier
aboyeur, Bécasseau corcoli, Chevalier cul-blanc, Bécasseau
sanderling, Bécasseau minute, Bécasseau variable, Pluviers
de plusieurs espèces, Huîtrier pie, Échasse blanche,
Avocette élégante, Sterne caugek, Sterne royale, Ganga
unibande, Goéland d’Audouin, Labbes pomarins, Mouette
mélanocéphale, Goéland leucophée, Goéland argenté, Perdrix
gambra, Tarin des aulnes, Pie bavarde, Pie-grièche à tête
rousse, Rouge-queue de Moussier, Fauvette mélanocéphale,
Bergeronnette printanière, Bergeronnette des ruisseaux,
Linotte mélodieuse, Chardonneret élégant, Bulbul des
jardins, Cisticole des joncs, Hirondelle paludicole,
Martinet à ventre blanc, Faucon pèlerin, Alouette
pispolette, Cochevis de Thékla, Pie-grièche méridionale,
Pigeon ramier, Tourterelle maillée, Tchagra à tête noire,
etc. (liste non exhaustive).
Le mérite de la création de ce Parc revient à sa position
géographique méridionale, à la diversité de ses biotopes au
sein du grand écosystème de l’arganeraie, à la richesse, à
l'originalité et au fort taux d’endémisme de sa faune et de
sa flore. La végétation du parc, à affinités
macaronésienne, tropicale, saharo-sindienne et
méditerranéenne, est très typique. Elle est composée d'une
steppe littorale, d'une steppe à Euphorbes cactoïdes et
dendroïdes, d'une végétation dunaire à base de
Traganum,
d'Arganiers issus de la formation originelle sur les
terrains rocheux, d’Acacia
gummifera, de
Tamarix
spp.
et d'espèces aquatiques comme le Typha,
les Phragmites et les Joncs colonisant les rives de l'oued.
Quelques 250 plantes vasculaires y ont été recensées. La
série à Traganum
moquinii et
Rhus
albida reste liée au
cordon dunaire. Quant à celle à Argania
spinosa et
Euphorbia
echinus, quasiment
climacique, elle est nettement plus extensive et investit
l’arrière pays (flancs de l’Anti-Atlas occidental) depuis
la frange littorale. Deux associations dominent le paysage
végétal du Parc : le Retamo
monosperma-Helianthemetum australis, haut matorral
peuplant l’essentiel du secteur dunaire et qui illustre un
paraclimax préforestier de l’arganeraie ; et
l’Euphorbio
echini-Arganietum spinosae, groupement
dense de trois Euphorbes parfois arboré d’Arganiers, et qui
n’est que la représentation vestigiale de l’ancienne
arganeraie.
Le Parc sert actuellement de lieu privilégié pour la
reconstitution de troupeaux de base de certaines espèces
sahariennes disparues du Maroc, notamment la Gazelle dama
mhorr, l'Oryx, l'Addax et l'Autruche à cou rouge, dans
l’hypothétique perspective de leur réintroduction dans les
biotopes sahariens d'origine de Dakhla, du Bas Drâa et du
Lac temporaire Iriqui. On y rencontre aussi des hardes de
Gazelles dorcas. Le parc abrite 257 espèces d'Oiseaux à
majorité de limicoles, 46 espèces de Mammifères, 40 espèces
de Reptiles et Amphibiens et 9 espèces de Poissons, ainsi
qu’une grande diversité d’Invertébrés dont un précieux
cortège de Papillons Rhopalocères et surtout d’Hétérocères
spécialisés, ainsi qu’un fort contingent coléoptérique. Les
embouchures des oueds Massa et Souss, situées dans le parc,
constituent des zones humides d'importance internationale
pour les Oiseaux migrateurs.
L’avantage d’un défaut de fabrication
Nichant sur les falaises atlantiques du Maroc jusqu’au
littoral saharien et notamment présent avec la Cormoran
huppé dans les estuaires du Souss et du Massa, le Grand
Cormoran n’est jamais une rencontre banale : 80 à 90
cm de taille, 130 à 160 cm d’envergure, 2000 à 2500 g de
poids pour un adulte de 4 ou 5 ans et qui vivra bien une
vingtaine d’années. Les pattes portent d'énormes palmes et
la queue est raide et cunéiforme. Son bec de corne en
crochet et aux tranchants légèrement dentelés, parfaitement
adapté au mode de nutrition piscivore, est observable chez
d’autres Oiseaux au même régime alimentaire. Le Grand
Cormoran consomme quotidiennement entre 400 et 500 g de
Poissons, d’Annélides et de Crustacés. Uniformément noire à
distance, sa livrée est austère et seules quelques touches
de blanc aux joues et à la gorge apportent quelque éclat à
cette longue silhouette de cerbère des mers. Mais une
observation rapprochée permet de découvrir un plumage d’une
inattendue richesse, le noir des adultes offrant un superbe
reflet vert métallique et les ailes portant un motif
en forme d'écailles couleur bronze.
Son corps est particulièrement bien adapté à la nage
sous-marine et pourtant, le plumage des Cormorans est le
seul qui ne soit pas imperméable à l'eau. Cette carence est
liée à une déficience de la glande uropygienne. Située à la
base du croupion, cette glande produit la sécrétion qui
sert tout spécialement aux Oiseaux marins à graisser les
plumes pour les rendre imperméables. Défaut de fabrication
pour le bel Oiseau aquatique ? Il en n’est rien, bien
au contraire. La perméabilité à l'eau de son plumage se
révèle être un avantage car elle lui permet d'éliminer
l'air emprisonné dans ses plumes et diminue ainsi la
poussée ascensionnelle lors de la plongée. Un inconvénient
tout de même : les Cormorans doivent consacrer
beaucoup de temps à se sécher les ailes en les étendant
entre deux plongées de pêche.
L’agonie de l’Ibis chauve pouvait s’achever au Club
Méditerranée...
Les lois, directives et bonnes intentions ne servent à rien
quand il s’agit de la priorité économico-récréative, plat
de résistance de nos sociétés contemporaines, tous formats
confondus. Il est donc de toute première instance
d’apprécier à sa lamentable mesure la notion de
protection symbolique, seule attitude
de fait possible, toutes les preuves ayant été données tous
azimuts pour que l’initiative de
protection effective apparaisse
dénuée de tout recours face à de plus puissants et souvent
dérisoires lobbies. La protection cosmétique, sur mesure,
objet de tous les gargarismes actuels, « ne mange pas
de pain » et revêt en effet tous les avantages du
compromis politique (effets d’annonce, rhétorique et
verbalisme d’apparat, tautologie, incantations, pathos,
vœux pieux), sans présenter les inconvénients et les
contraintes de la protection volontariste et
effective. Vox
populi s’en contente
puisque, dans sa joyeuse ignorance de véhémente
consommatrice aveugle, la foule gobe tout et le contraire
de tout. Quant à la biotechnocratie, quelle autre éthique
peut-elle bien avoir que celle du rapport de force transmis
comme formation suprême par ceux qui la rémunèrent ?
Il n’y a pas si longtemps, dans bien des pays notamment
européens, dans l’imposture ignorante d’une urgence toute
politique, on assista à l’émergence d’une génération
subitement « verte » de décideurs soucieux
d’apparaître écologiquement corrects. Ils mirent en oeuvre
un ersatz de protection qui ne trompa pas les
initiés : la protection à la pièce. Cette pantomime
qui prétendait
protéger une espèce sans conserver son espace,
sauvegarder
l’habitant d’un écosystème tout en faisant main basse sur
son habitat, en un mot protéger le fruit tout en coupant
l’arbre, n’était pas sans rappeler que
« quand le
sage montre la lune l’idiot ne voit que le
doigt. » Le subterfuge
fonctionne encore, par exemple en Espagne du Sud où l’on
continue à « déménager » des colonies de
Caméléons « protégés » pour pouvoir investir et
bétonner leur biotope. Sans l’alerte des ornithologues, les
dangers de cette dérive ont bien failli frapper les Ibis
chauves du Parc du Souss-Massa, pourtant promulgué
in
primis pour les
protéger, ainsi qu’on va le voir plus loin.
Le mot «
néantisation » est désormais
proposé pour désigner cette véritable philosophie sociétale
de la profanation des valeurs naturelles. Il est à inscrire
au vocabulaire du XXIe siècle, pour la première fois dans
l’histoire de l’Homme. Et même si nous croyons pouvoir –
parfois – recourir à quelques ultimes et drastiques mesures
pour tenter, dans l’aboulie générale, de sauver ce qui
reste, nous sommes la dernière génération à pouvoir le
faire. Depuis notre enfance, ne sommes-nous pas accoutumés
à prendre note de cette constatation et à entendre
dire « de mon
temps, il y avait... » ? Il y
avait... « des
grenouilles », «
des
hannetons » ou «
des
papillons »... Il est peu
probable que cet état d’âme puisse être transmis à la
génération suivante, faute de mémoire collective et de
références vécues. Les « vieux » de la vallée du Ziz vous
disent : « de mon temps
il y avait une forêt de genévriers...
»,
ceux du Souss : « il n’y a pas
si longtemps, on voyait encore des ibis
chauves... »
L'Ibis chauve (Geronticus
eremita) est un Oiseau
bien étrange. Échassier paisible et peu farouche, lourd et
courtaud (70-80 cm de hauteur), au plumage entièrement noir
irisé, au long bec courbe et rouge, il a vraiment « une
drôle de gueule » ! Totalement nue, elle lui vaut ce
qualificatif de « chauve ». Mais comme elle est plantée à
l'arrière d’un toupet de longues plumes hirsutes, le nom
d’Ibis chevelu lui est aussi appliqué. Comme la plupart des
Ibis et des Spatules, c'est une espèce migratrice. Mais il
diffère éthologiquement des autres membres de sa famille
fréquentant les zones humides et recherchant les arbres
pour nidifier, en nichant quant à lui dans les falaises de
milieux arides ou steppiques, s’y nourrissant d'Insectes,
de Scorpions et de Reptiles. Des hiéroglyphes de l'Égypte
ancienne nous rappellent son appartenance à l'avifaune de
ce pays. L'Ibis chauve a vécu en Europe centrale d’où il
fut décrit des Alpes au milieu du XVIe siècle, avant d’en
disparaître suite au refroidissement climatique. Victime
d’une méconnaissance totale, il fut longtemps considéré
comme une espèce mythique, jusqu'à sa redécouverte en
Afrique du Nord (Maroc, Algérie) et au Proche-Orient
(Turquie, Syrie) au début du XIXe siècle. Au milieu du XXe
siècle, face au saccage de ses habitats, on ne le retrouve
plus qu’au Maroc et en Turquie, où l’ultime colonie fut
décimée par un empoisonnement dû aux pesticides
antiacridiens, les Criquets étant une des proies favorites
de l’espèce. Gageons que les actuels épandages aux
pesticides d’identité peu divulguée qui surviennent dans la
région d’Agadir-Tiznit en cet octobre 2004 où nous
rédigeons ces lignes, n’auront pas les mêmes effets
néfastes que ceux de Turquie.
Les colonies marocaines étaient jadis réparties sur
l'ensemble du territoire : Maroc oriental, Moyen Atlas,
Haouz, Haut Atlas, Souss et Côte atlantique, avec un
effectif global estimé jusqu’en 1940 à 1500 individus. En
1975, il restait encore 21 colonies d’un maximum de 250
couples couvant et peut-être 100 à 150 individus non
nicheurs, pour la plupart immatures, dans le Moyen et le
Haut Atlas, la plaine de Marrakech, le Sud du Haut Atlas et
la Côte atlantique. Au cours de la période 1975-79, la
raréfaction fut telle que les autorités marocaines
élaborèrent, avec l'aide des représentants du WWF/UICN, un
projet de sauvegarde visant à la création du Parc national
de Souss-Massa, mis sur pied en 1991, avec comme mission
prioritaire la préservation de cet Oiseau cardinal. On
constate en 1981 l’extinction des colonies du Moyen et du
Haut Atlas. Cette année-là, sur 34 sites marocains connus
pour abriter ou avoir abrité une colonie, seuls 12 restent
occupés, dont seulement 8 par des nicheurs. Le printemps
1982 voit les effectifs chuter à 380 individus répartis sur
15 sites, dont 93 couples nicheurs. En 1985, l'une des plus
importantes colonies, celle d'Aoulouz, dans le Souss, qui
comptait une quarantaine de couples nicheurs en 1924, et
encore une vingtaine jusqu'en 1981, s’effondre à 5 couples
suite au fort dérangement des travaux engendrés par le
chantier du barrage en amont. Depuis, aucune preuve de
nidification n'a plus jamais été enregistrée sur ce site de
longue date favorable à l’énigmatique Oiseau. C’est en 1995
que le glas commence vraiment à sonner pour l’Ibis chauve
dont ne subsistait déjà plus que les deux colonies
actuelles : celle fractionnée en plusieurs
sous-colonies du Parc national de Souss-Massa et l’autre de
Tamri, à 60 km au nord d'Agadir, non protégée, soit 250 à
300 Oiseaux au maximum, effectif depuis peu en légère
augmentation, qui exploitent pour leur alimentation les
steppes côtières et les lisières de l’arganeraie, notamment
vers Tamri et Taghazoute.
L’Ibis chauve ne subsiste donc plus à l'état sauvage dans
le monde que dans cette dernière zone des falaises
maritimes de la région d'Agadir. Ce qui signifie que sa
disparition de ces derniers refuges équivaudrait à
l'extinction définitive de l'espèce, si l’on excepte
quelques récentes observations de petites populations
sporadiques dans la péninsule Arabique et la corne de
l’Afrique. Les causes de ce déclin catastrophique semblent
être d’abord liées à la sécheresse récurrente qui se
manifeste au Maroc depuis une vingtaine d'années et qui, en
engendrant une réduction des ressources alimentaires,
perturbe gravement la reproduction. Toute une panoplie de
nuisances humaines convergent aussi sur les derniers
représentants de cet Oiseau. La transformation des habitats
potentiels, par exemple en lieux de gagnage, et les
épandages de pesticides (dont le DDT), sont des causes
majeures auxquelles il faut ajouter le harcèlement hors et
dans les colonies, avec tirs d'adultes au nid et
consommation des poussins, donc un trop grand relâchement
dans la surveillance rapprochée. Sur le site de Tamri, les
Oiseaux sont trop souvent perturbés par des enfants qui les
font sciemment envoler pour les montrer aux touristes
ébahis dans l'espoir d'une modeste rémunération.
Suite aux efforts déployés en faveur de l'espèce par
BirdLife International depuis 1993, en collaboration avec
les responsables du Parc national de Massa (engagement de
deux gardiens pour surveiller les colonies, creusement de
cavités artificielles dans les falaises afin de compenser
l'effet des éboulements naturels, identification des zones
de nourriture dans le périmètre du Parc, etc.), la
population a amorcé pour la première fois depuis le début
de son déclin historique, une très légère reprise de ses
effectifs. C’est ainsi qu’au cours de la saison de
reproduction 2001, on a pu comptabiliser un total de 65
couples nicheurs, répartis environ pour moitié dans le Parc
national et pour moitié à Tamri. Mais, avec moins de 250
Oiseaux dans la nature, il n'en reste pas moins que
l'espèce est toujours classée en réel danger d'extinction
imminente par l'UICN. Il subsiste moins d'Ibis chauves dans
ses derniers bastions marocains (360 Oiseaux en 1982, 220
en 1990) que dans les zoos du Monde (408 en 1982) !
Affligeant !
Quand un répit très relatif semblait se présenter pour
sauvegarder, dans l’énergie du désespoir, cet
extraordinaire Oiseau, véritable fossile survivant, une
menace tout autant damoclésienne qu’inattendue vint en
compromettre le sursis en juillet 2001 : l’annonce
d’un projet d'édification d'un Club Méditerranée de 7000 à
9000 lits à Tifnit, sur une superficie de 260 ha, en partie
sur le territoire même du Parc national et sur des steppes
constituant les zones de chasse de plus de 65 % de la
population mondiale des ibis durant une grande partie de
l'année ! Le Groupe d'Ornithologie du Maroc (GOMAC) rédigea
immédiatement une lettre de dénonciation de l’ahurissant
projet aux autorités nationales concernées, puis une
pétition internationale fut ensuite engagée. Il fut
instamment demandé au Club Méditerranée de revoir
l’initiative incongrue en recherchant un site alternatif
hors du Parc national de Souss-Massa, dont l’objectif
premier est « quand même » la sauvegarde de l’Oiseau et non
la promotion d’un centre de vacances tapageuses. Peut-être
soucieux d’allier économie et écologie, seule politique
viable pour tenter d’assurer un tourisme durable sur une
planète préservée dans sa biodiversité, aux dernières
nouvelles (2004), le Club MED semblerait devoir renoncer à
son projet de complexe hôtelier en plein Parc national et
au détriment du dernier sanctuaire de l’Ibis chauve. Mais
la vigilance est de mise et la communauté scientifique a de
quoi continuer à se « faire des cheveux blancs »... pour
l’Ibis chauve car son statut actuel préfigure une mort
annoncée, et la menace est permanente.
Dès 2003-2004, sous l’impulsion conjuguée de toutes les
associations ornithologiques marocaines et de BirdLife
International, une surveillance effective et efficace se
tient sur place pour parer tant aux perturbations émanant
des dérangements de visiteurs non accrédités, qu’à d’autres
méga menaces plus pernicieuses et radicales pouvant être
concoctées par des décideurs capitalistes dont le rêve non
avoué est de ne faire qu’une bouchée de pain de la région
d’Agadir, quitte maintenant à avancer avec le masque facile
de l’écotourisme ou de toute autre figure émanant de
l’imposture verte.
D’autres combats sont menés en Europe pour la
réimplantation de cet Oiseau, sur la brèche de la
disparition depuis 400 ans. Par exemple, la station
autrichienne de recherche Konrad Lorenz basée a Gruenau,
entreprend avec des moyens très sophistiqués, des lâchers
progressifs d’Oiseaux nés dans des zoos dans une vallée de
la Haute Autriche. Après un suivi très rapproché, 24 sujets
mis en liberté surveillée semblent s’adapter, les soins
sont alors de plus en plus réduits et l’expérience en bonne
voie de succès. Mis en volière en automne, ils sont encore
et momentanément privés de migration. La reproduction en
captivité, en particulier dans les zoos d'Innsbruck et de
Vienne, reste un bon palliatif. Un projet commun avec le
zoo espagnol de Xeres prévoit de relâcher un contingent
dans la baie de Cadix.
Chaque
espèce végétale ou animale compte, toute disparition
affecte la biodiversité.
Les
problématiques de l’arganeraie
Main
basse sur l’arganeraie, la nature dénaturée et au diable
les préjudices !
« C’est
une triste chose de penser que la nature parle
et que le genre humain n’écoute pas. »
Victor Hugo
Silence : on coupe !
Traditions usagères d’hier à aujourd’hui
« Comment les
gens réagiraient-ils si les animaux passaient le bulldozer
sur leurs maisons pour planter des arbres
? »
Bill Watterson
« Si tu
détruis l'ombre de ton arbre, tu chercheras celle des
nuages qui défilent. »
Proverbe malien
« La forêt
est, depuis le protectorat, un espace de conflit entre les
communautés et l’État.
Cela a entraîné une gestion anarchique des
forêts. »
Ali Amahan
Depuis la mise en place (1917) par le protectorat français
d’un code forestier, la forêt est domaniale et propriété du
Royaume, les populations ne jouissant que de certains
droits d’usage. Un peu plus tard (1925 et 1938), en raison
de la prépondérance usagère de l’arganeraie, une
législation plus affinée fut mise en place pour cette
région. Mais par ailleurs et pour esquiver toute
revendication de propriété, la plantation d’arbres au sein
de l’arganeraie est chose proscrite. Conjointement à la
juridiction de l’État, le droit coutumier (azrf) régit la
forêt d’Arganiers, organisant notamment la répartition des
parcelles. Les relations entre la jemâa et le
garde-forestier sont ainsi tout autant complémentaires que
conflictuelles, et en raison de l’aspect coopératif de ce
terroir, l’appropriation individuelle qui domine de fait se
trouve atténuée par les pratiques collectives dont le
pastoralisme. D’Essaouira à Sidi-Ifni, le territoire de
l’Arganier est donc domanial ou « présumé
domanial ». Cette propriété de l’État se décline selon
des règles coutumières entérinées par l’usage et qui
impliquent, entre-autres, une jouissance privée des arbres
aux habitants. A savoir que l’usage des Arganiers est
divisé comme des lopins de terre en parts d’héritage aux
ayants-droits de chaque famille : deux pour le garçon,
un pour la fille. Il en résulte une parcellisation extrême.
Il est aussi implicitement interdit aux Chèvres des uns de
grimper sur les arbres des autres. Dans la pratique,
l’exercice de ces droits d’usage fait que la domanialité
apparaît comme très relative et ce partage par les usagers
aboutit purement et simplement à une figure de
privatisation. Les dahirs de 1917 et 1925 définissent déjà
les fondements juridiques de tels droits, celui de 1938 en
profilait un désir de protection face aux abus de
jouissance des tribus usagères de l’époque, précisant
notamment : « toute
transaction ou cession entre les indigènes de ces tribus et
des étrangers à ces tribus est
interdite. » Tout
défrichement et coupe de rejets étaient aussi prohibés,
exception faite des arbustes non forestiers comme le
Jujubier, sauf sur les pentes et versants où l’extraction
était opportunément interdite. Il était autorisé de
cultiver les vides et même de mettre les troupeaux à l’abri
d’une clôture temporaire dans les parcelles usufruitières.
La présence inopinée de l’eau n’excluait nullement une
irrigation.
Ce sont là toutes les tendances qui, face à
l’intensification agricole et à la montée des profits, ont
suscité les convoitises et la tradition usagère eut ainsi
bon dos... L’institution en
1983, par l’administration des Eaux et Forêts, d’un octroi
pour toute mise en culture sous Arganier n’a fait que
déclencher une ruée de nouveaux intérêts et de sournoises
transactions avec des investisseurs agricoles allochtones à
la zone et avides de spéculations. Une multitude de droits
d’usage et de passations en cascade par la voie de
l’héritage ou par transactions avec des étrangers font que
le système juridique de la domanialité n’a plus guère
d’emprise sur le pays des Arganiers.
La
législation qui se voulait garante d’une sauvegarde de
l’arganeraie est devenue pernicieusement l’instrument légal
de sa dégradation. L’appât de la
vente aux enchères des droits d’usages est souvent
irrésistible face à la masse monétaire mise en jeu. A cela
s’ajoute un certain laxisme, ainsi que toute une panoplie
de petites et grandes corruptions car les défrichements,
les coupes et les creusements illicites de puits se font au
quotidien,
en toute impunité. Ils sont le
plus souvent le fait de très gros propriétaires et
investisseurs, voire de groupes financiers nationaux ou
étrangers, et opèrent sur des terrains immenses et
sciemment déboisés, profitant du couvert des activités
régulières en place.
La dent longue
Le
mode de gestion de l’arganeraie par les populations
riveraines se fait sur un modèle agro-sylvo-pastoral
tripolaire dont les trois dimensions sont : la
production de cultures annuelles dont la céréaliculture
traditionnelle (notamment Orge) et de plantes herbacées, la
production fruitière (et ligneuse) et la production
animale, désormais la plus problématique.
Depuis longtemps prohibé sur le revers nord de la
Méditerranée pour ses effets néfastes (élimination des
régénérations, des rejets et des basses branches par
broutage, piétinement entraînant tassement et solifluxion
des sols), le parcours forestier – en pricinpe extensif -
est une tradition encore vivace dans les pays du Maghreb et
l’arganeraie entre-autres en subit pleinement les
dramatiques et irréversibles conséquences. Du temps où les
effectifs restaient dans des limites acceptables, où les
éleveurs veillaient à la mise en réserve pastorale
saisonnière d’une partie de l’espace (cas de l’agdal en
montagne avec interdiction de pâturer durant la période la
plus sensible pour les plantes), disons jusqu’au début du
siècle passé, un équilibre existait entre la pression du
cheptel et la dynamique des peuplements, tant bien que mal
la forêt et le sous-bois parvenaient à se reconstituer.
Conséquence démographique, l’accroissement presque
insidieux du nombre de têtes n’a cessé depuis et condamne
irréversiblement toute chance de régénération.
Selon la règle coutumière, il n’y a pas de limitation
d’effectifs. Outre l’excès
numéraire, les séjours s’allongent. Les arbres sont
mutilés, ébranchés souvent jusqu’à la cime. A la charge
pastorale locale de l’arganeraie, s’ajoute fréquemment la
lourde contrainte d’une concentration de troupeaux caprins
et camelins des nomades Sahraouis remontant du grand Sud en
période estivale de disette.
« Ne fais pas
d'une Chèvre ton jardinier. »
Proverbe hongrois
La Chèvre, bien trop prééminente dans le paysage du Maroc
sud-occidentale, est certes championne de la lactation
(bien soignée, les bergers rapportent qu’elle peut
conserver sa lactation sans la renouveler par une nouvelle
gestation pendant deux, voire trois années successives)
mais tout aussi championne de la destruction. Voraces, ces
ruminants artiodactyles, probables descendants de la Chèvre
à bézoard (Capra
aegagrus) ne laissent
rien sur leur passage. Bien qu’elle ne soit pas toujours à
exclure radicalement et qu’un effectif
« homéopathique » puisse être judicieux,
notamment dans la lutte contre les ligneux pyrophytes, la
Chèvre domestique (Capra
hircus) s’est donc
toujours attiré les foudres des autorités ou des
protecteurs de la nature. Le problème est d’autant plus
pénible que c’est par tradition la « Vache du pauvre » et
que sa limitation revêt un évident et délicat problème
social. Encore qu’en connaissance du terrain, on comprend
vite que dans la plupart des cas, l’élevage caprin
représente aussi une source de prestige et un signe de
richesse, peut-être tout relatif, mais constituant
finalement un capital plutôt symbolique, une
« économie de consomption » (G. Bataille) qui
n’est plus de mise. Déjà dès 1669 en France (nous devions
pourtant être encore loin des risques de désertification
actuelle ou des prémices d’une quelconque
écoconscience...), des mesures conservatoires édictées par
une ordonnance des Eaux et Forêts vont se traduire par une
série d'arrêts dirigés contre les usages immémoriaux de
« parcours et
de vaine pâture », visant
notamment à exclure les Caprins « de tous les
lieux où les arbres d'espérance doivent être préservés de
leurs dents venimeuses». Durant tout
le XVIIIe siècle français les troupeaux communaux vont se
heurter à l'opposition systématique de l'État, gestionnaire
de la plupart des forêts. Le lyrisme de Jules Michelet
(1798-1874) assistera plus tard la pensée des puissants et
« tirera » à son tour sur Capra
hircus : «
À la
Révolution, toute barrière tomba ; la population pauvre
commença d'ensemble cette œuvre de destruction... Le petit
bétail, se multipliant sans nombre, s'établit dans la
forêt, blessant les arbres, les arbrisseaux, les jeunes
pousses, dévorant l'espérance. La Chèvre surtout, la bête
de celui qui ne possède rien, bête aventureuse qui vit sur
la commune, fut l'instrument de cette invention
démagogique. »
La réduction de la charge pastorale notamment caprine est
une mesure incontournable si l’on veut sauver ce qu’il
reste de la formation à Argania.
Quand le cheptel
outrepasse la capacité herbage-fourrage, cela se nomme
« surpopulation », et rompt évidemment l’équilibre
écologique d’un écosystème sensibilisé par un stress
climatique puisque aux frontières de l’aride. La Chèvre,
animal très rustique, est le plus nuisible puisque se
nourrissant du feuillage des arbres et des arbustes, elle
porte atteinte à l’ossature même d’un écosystème forestier.
Et comme la Chèvre est par excellence l’animal adapté
depuis des lustres aux zones arides, ménager ce mariage
endémique est une problématique qui n’est pas sans rappeler
la dualité de la Chèvre et du Chou ! Le surpâturage
(au sol ou « aérien ») est
un écocide lent et
« efficace », qui a déjà largement fait ses « preuves
». Ses effets sont irrémédiables. Un sol perdu, étrépé,
sans plus d’édafaune, de litière et de décomposition, l’est
pour toujours et relève de la pénurie grave.
Il faudrait peut-être choisir entre la Chèvre et
l’Arganier ! Un seuil de
tolérance a été fixé par la FAO en 1981. Il est de 0,8 tête
de petit ruminant à l’hectare. Dans l’arganeraie, la charge
moyenne est multipliée par 3 ou 4. Une dérive si aberrante
n’autorise aucune remontée biologique et si mal gérée,
l’arganeraie ne peut déjà plus faire face aux besoins des
populations et de leurs troupeaux. Le parcours en forêt,
véritable anachronisme, est désormais le plus dangereux des
droits d’usage. Il en va de même pour les autres formations
d’autres régions marocaines comme celles du Chêne-liège, du
Chêne vert, du Cèdre et du Thuya. Mais le Souss-Massa
supporte un nombre de 2.858.000 têtes, soit 12 % de
l’effectif national. Ce n’est pas rien.
Le processus de désertification déclenché notamment par le
surpâturage suit un mode régressif en plusieurs phases. La
dégradation s’annonce par un envahissement d’espèces
xérophiles bien adaptées aux sols écorchés et à croissance
rapide. Ce matorral donnera ensuite naissance à une
steppisation assez rapide, due à l’ensemencement tenace de
plantes très adaptées à la xéricité (Spartes, Artemises,
Thyms, etc.) et qui vont dominer les groupements ligneux
précédents. Intervient ensuite l’érosion qui, sur un sol à
maigre recouvrement, conduit vite au déchaussement des
éléments floristiques, exception faite de quelques arbres
épars. Sur ce substrat scalpé, ne pousse plus alors qu’une
invasion d’espèces annuelles opportunistes tirant leur
avantage de la brièveté de leur cycle. C’est ce que les
spécialistes nomment la thérophytisation. L’ultime figure
est enfin la désertification identifiée par la mort des
vieux arbres, faute d’eau et d’éléments nutritifs. Cette
description s’applique à l’essentiel des forêts
méditerranéennes mais il convient de préciser que le
processus est encore plus vif dans la formation semi-aride
à Arganier car en raison de la pauvreté du sol qui ne
correspond le plus souvent qu’à une strate lapilleuse, elle
se passe souvent des phases de matorallisation et de
dématorallisation, pour ne comporter qu’un passage brutal à
la thérophytisation.
Mais que faire pour tenter d’esquiver ces menaces émanant
du cheptel, quand même les quelques figures consensuelles
et légitimes de mises en défends ne sont pas
respectées ?
Toute prédication contre les risques de désertification
équivaut à prêcher dans le désert !
Surpompage et déserts agraires : « eau
secours ! »
Au surpacage s’est allié ces dernières décennies un
défrichement amplifié pour le gain de nouveaux espaces
voués à la production intensive du maraîchage sous serres,
ainsi qu’à l’agrumiculture exigeante de la basse vallée du
Souss, car il n’y a pas que le cheptel qui ait ici « la
dent longue », les agriculteurs aussi ! Avec comme
objectif l’adaptation forcée aux exigences de l’exportation
à destination du marché européen, il a fallu
désaisonnaliser en cultivant sous serres plastiques
tomates, aubergines, fraises, melons, etc. Les cultures
sous abris connaissent au Maroc une expansion considérable.
Au cours des vingt dernières années, les superficies
couvertes sont en effet passées de quelques dizaines
hectares expérimentaux (1974) à plus de 10.000 ha. 62 % de
la superficie couverte sont réservés aux primeurs, 34 % aux
bananes, 3,5 % aux fleurs et les 0,5 % restants à diverses
autres cultures. Dans le Sous-Massa l’essentiel de
l’arganeraie mis en culture occupe plus de la moitié de
cette surface plastifiée. Cette technique présente
l’avantage d’économiser sensiblement l’eau mais comme il y
a toujours un tribut à payer, sa gourmandise en engrais
n’est pas sans provoquer d’irréversibles altérations des
équilibres écologiques mitoyens et pour y remédier on
commence maintenant à irriguer avec des eaux enrichies de
fertilisants solubles. Pour lutter dans ce milieu fermé
contre les parasites, certains agronomes conseillent d’y
développer la protection biologique intégrée (PBI pour les
initiés) et raisonnée, c’est-à- dire la lutte biologique
sous serres, à l’usage de laquelle l’agriculteur dispose
d’une armée d’une trentaine d’auxiliaires, prédateurs ou
parasitoïdes, avec implantation sous les serres de plantes
relais comme par exemple l’Orge, plante-hôte de Pucerons
auxiliaires. La technique s’inscrit dans la nécessité
d’une
agriculture durable défini en 1992 à
Rio de Janeiro par les États s’accordant sur les graves
menaces d’une croissance irréversiblement destructrice de
l'écosystème terrestre. Cette conception fait intervenir un
complexe de méthodes satisfaisant les exigences à la fois
écologiques, économiques et toxicologiques, en réservant la
priorité à la mise en œuvre délibérée des éléments naturels
de limitation et en respectant les seuils de tolérance.
Ici comme ailleurs,
le poids des normes de production imposé par l’exportation
de l’agriculture maraîchère et fruitière fait fi du moindre
principe de précaution et défigure désormais toute relation
entre l’Homme et le milieu. Ces produits et
précisément la banane (production annuelle : 100.000
tonnes), bénéficient de prêts considérables subventionnés
par le Ministère de l’Agriculture. Comment en serait-il
autrement ? Les pertes sont pourtant incommensurables
puisqu’il y va de l’écosystème et de toutes ses composantes
de biodiversité. A commencer par la dégradation du sol
rendu azoïque, substrat dont plus d’une dizaine de milliers
d’années de genèse sont à l’origine de la constitution. La
seconde perte irréparable est l’épuisement des ressources
en eau. Quant à la qualité salutaire des fruits et des
légumes, son effondrement progressif est manifeste
puisqu’on recours à de hautes quantités d’engrais chimiques
afin de restituer la faible partie d’une fertilité perdue,
ainsi que de produits phytosanitaires pour lutter contre
des parasites d’espèces d’origine tropicale non adaptées au
climat méditerranéen. La banane, grande consommatrice
d’eau, est par exemple tout autant infestée de doses
pesticidaires hors normes que des vers Nématodes dévorant
ses racines. Quant à la tomate, des semences OGM en
provenance d’Israël furent à l’origine d’un désastre viral
dans la région de Tiznit.
Cette hyper production coûte que coûte comporte un risque
de caractère délétère et atteste une fois de plus que dans
nos sociétés l’enjeu économique est évalué comme au-delà de
l’intérêt conservatoire.
C’est dommage, mais l’eau est une ressource
limitée... ! Au pays soussi, le bruit assourdissant de
la motopompe a déjà remplacé le chant flûté du Bulbul...
Mais le chant du Bulbul n’est pas créateur d’emplois. Rien
que pour la zone Souss-Massa, sur les 228.000 ha agricoles,
120.000 sont des terres en cultures pluviales (bour) et
108.500 en irrigué, lesquelles absorbent 915 Mm3/an d’eau
brut. Le nombre de jours pluvieux ne dépasse que rarement
un mois et les précipitations annuelles sont donc faibles
(moyenne de 250 mm/an). Ces grandes exploitations agraires
sont d’une redoutable avidité, a fortiori durant les années
de stress hydrique.
Les ressources en eau de surface, toujours pour le
Souss-Massa, qui sont assurées par un complexe de six
barrages d’une capacité de 797 Mm3 et mobilisant un volume
régularisé de 360Mm3, sont utilisées pour l’irrigation de
35.000 ha, la recharge aléatoire de la nappe et
l’approvisionnement en eau potable d’Agadir et de Tiznit.
Plus en amont, près d’Aoulouz, l’édification d’un nouveau
barrage sur le bassin versant du Souss, destiné à
réalimenter cette nappe, n’a finalement eu aucun impact, si
ce n’est le saccage paysager, floristique et faunistique,
ainsi que le déplacement des populations de tout un
précieux secteur. Quant au stock d’eau souterraine, il est
assuré par la nappe du bassin hydrogéologique de l’Oued
Souss (estimation : 30 milliards de m3) et de quelques
autres de moindres volumes (inférieurs au milliard de m3).
Les prélèvements bruts d’eaux souterraines sont passés de
205 Mm3 en 1969 à plus de 615 Mm3 présentement. Fortement
sollicitées par le développement hydroagricole, elles
accusent un important déficit de réalimentation.
L’irrégularité des ressources superficielles (les apports
constatés au niveau des barrages ne représentent que 60 à
70 % des apports théoriques) et la surexploitation des
ressources souterraines (le prélèvement brut outrepasse le
seuil renouvelable grâce à un déstockage) créent un état de
réelle raréfaction et de crainte pour le futur.
Jusqu’aux années 60, la nappe phréatique de la vallée du
Souss n’était qu’à une profondeur de 10-20 m et donc à la
portée des racines des arbres. Dès le début des années 90,
il fallait creuser jusqu’à 100-120 m pour atteindre le
niveau. C’est maintenant jusqu’à 150-200 m qu’il faut
pomper ! Les 25.000 puits de la région
Souss-Massa-Drâa, pompant à usages domestique, industriel
et agricole, engendrent un rabattement de 1 à 2 m par an.
Dans certains cas plus fréquents que prévus, cette baisse
exponentielle induit alors l’intrusion de l’eau salée.
L’augmentation de salinité de l’eau rendra à court terme
incompatibles ces cultures capricieuses et il n’existe pas
de plantes cultivées halophiles. Imaginons les décennies à
venir et le prix de revient du kg de la banane, de la
tomate ou de l’orange qui, selon les espèces, nécessitent
entre 500 et 1000 litres d’eau. Cette réserve aquifère déjà
consommée était pré-romaine et de plus de 2000 ans
d’âge.
Ainsi, outre la destruction de tout un paysage, les devises
empochées par l’exportation d’oranges, de tomates, de
melons, de concombres ne compensent nullement la perte
irrémédiable des ressources naturelles et il s’agit donc
purement et simplement d’une exportation de l’eau, denrée
rare au Maroc. Pour donner une
idée chiffrée, l’exportation de 100.000 tonnes d’agrumes et
de tomates équivaut au départ de 50 à 100 millions de
mètres cubes d’eau !
Un autre volet
néfaste est celui de la mutation des outils d’exploitation
agricole. Originellement, l’existence des cultures
céréalières vivrières ne perturbait pas trop l’équilibre de
cette forêt claire car le travail du sol se faisant à
l’araire, il se limitait à la superficie et ne blessait pas
les racines traçantes des Arganiers. L’actuel labour
mécanique, très en profondeur, agresse gravement les arbres
sur pied. Quant à la régénération assistée,
l’ameublissement du sol à l’aide de charrues à disques est
à proscrire car destructrice de la strate arbustive. Au
contraire, les charrues à dents travaillent le sol sans en
renverser l’horizon. Le crochetage manuel à la binette ou à
la houe reste une bonne méthode en esquivant les touffes
arbustives.
Enfin, outre l’hydromorphie et la salinisation, il existe
un cortège d’impacts négatifs qui sont les corollaires
habituels de l’irrigation et de l’aménagement de barrages
et autres retenues : l’usage des biocides et
fertilisants polluant les eaux souterraines et de surface,
leurs effets néfastes sur la flore et la faune,
l’eutrophisation et un long etc.
Face à cette problématique de l’eau,
la définition d’une politique volontariste s’impose
pour
rationaliser et assurer une relative pérennité des
ressources hydriques. La promotion de l’irrigation
localisée, une meilleure maîtrise des eaux de crues
(épandage par dérivation), un développement des systèmes de
pilotage des irrigations et surtout privilégier les
cultures les moins consommatrices. Le savoir-faire d’une
société paysanne composée d’habiles irriguants sachant
depuis des lustres maintenir les traditions idoines, tout
en s’adaptant aux technologies plus récentes (goutte à
goutte, pivots, aspersion), devrait rendre possible
l’implication de ces mêmes usagers dans cette gestion.
La «
racine » du mal...
L’éradication annuelle alarmante de 600 ha d’Arganiers
n’est pas acceptable quant on sait que d’une part l’espace
est laissé à un paysage scalpé et lunaire et que d’autre
part l’arbre est l’ultime recours contre la paupérisation
des populations locales, le principal paramètre pour
endiguer aussi l’actuel phénomène exponentiel de l’exode.
Son exploitation forestière procure 800.000 journées
annuelles de travail et l’extraction oléagineuse plus de 20
millions de journées. Jusqu’à ces dernières décennies, la
tradition voulait que l’Arganier soit certes exploité, mais
sans excessive pression et jamais arraché.
« User, ne pas
abuser » est une maxime
traditionnelle de modération ! A l’égal de n’importe
quel autre être vivant, l’Homme est le produit d’un
processus évolutif dont le succès réside dans la capacité
d’adaptation au milieu, avec la différence appréciable que
l’extraordinaire augmentation de l’efficacité biologique de
l’Homme et de ses conséquences, se sont déroulées dans le
délai très court de seulement quelques milliers d’années.
C’est cette évolution si rapide qui, associée à la
nécessité de dominer intuitivement la nature sans trop
chercher à en comprendre les subtilités, a conduit
l’homo
sapiens (espèce «
intelligente ») à une situation estimée maintenant (et
peut-être un peu tard) comme fort préoccupante pour
l’avenir des générations futures.
Lors du Colloque national des forêts (Ifrane, mars 1996),
un appel solennel fut lancé par S. M. Le Roi Hassan II pour
« rechercher
des stratégies alternatives pour soulager la pression qui
s’exerce sur les massifs forestiers
»,
haute recommandation en faveur d’une prise en compte des
ressources naturelles. La Conférence des Nations-Unies sur
l’Environnement et le Développement (CNUED, Rio de Janeiro,
1992) a reconnu le rôle déterminant de la gestion des
forêts pour un développement durable et a invité les
gouvernements à « formuler des
critères de valeur scientifique éprouvée, et des directives
pour la gestion, la conservation et le développement
durable de tous les types de forêts.
»
L’appel pour la mise au point d’indicateurs a fait l’objet
de plusieurs initiatives : la Déclaration de Bandung
(1993), le Forum sur les forêts des pays en développement
(FFPD, 1993), le Processus d’Helsinki (1993), le Processus
de Montréal (1994), l’Initiative de Tarapato (1995),
l’Initiative du Fonds Mondial de la Nature (WWF, 1994),
l’Initiative de la FAO/PNUE (Le Caire, 1996), etc.
Surpompage
et surpâturage sont ainsi les deux mamelles... de la
désertification de l’arganeraie. Avec finalement une totale
insouciance de l’avenir résultant d’une évidente paresse
intellectuelle quand il s’agit de songer à pérenniser la
pluralité du paysage.
Tel est l’affligeant constat d’une exploitation hâtive et
destructrice du sol. Sauf en d’exceptionnels milieux
protégés ou en retrait, l’Arganier a désormais perdu sa
capacité de prolifération. Sa germination naturelle
n’existe plus car elle exige un sol pluristratifié et la
présence d’une strate végétale protectrice contre le
broutage des jeunes pousses. La seule régénération possible
est celle par rejets de souche qui poussent vigoureusement
en couronne, mais à la condition péremptoire qu’elle se
décline à une mise en défends respectée durant une
décennie. Ce qui est bien rarement réalisable.
Une première « sonnette d’alarme » avait été tirée par le
dahir de 1925, précisant les règles légitimes d’utilisation
de l’arganeraie, accordant de larges droits de jouissance
mais induisant quelques obligations d’entretien (qu’il
conviendrait de rendre désormais plus effectives et
contraignantes). De nombreux programmes de développement,
d’agroforesterie, d’écologie ou strictement
socio-économiques (dont la valorisation des produits dans
les domaines pharmacologique et cosmétologique) ont été
depuis engagés pour tenter de palier à cette problématique.
Plusieurs partenariats internationaux se sont mobilisés sur
le thème, notamment une coopération bilatérale
franco-marocaine inter-universitaire dont la Faculté des
Sciences d’Agadir fut le fer de lance. D’autres
coopérations allemande, belge, canadienne vinrent plus
récemment montrer leur intérêt pour la réhabilitation de
cet écosystème à caractère social. Plusieurs rencontres
scientifiques et politiques ont été aussi l’occasion de
débattre de l’arganeraie. Mais force est de constater que
la dégradation s’est poursuivie et se poursuit toujours, et
que nonobstant les bonnes intentions, de regrettables
implantations agricoles d’une intensité extrême
investissent cyniquement le paysage, notamment en amont de
Taroudannt (Haut-Souss). Un siècle est passé, un siècle qui
a vu l’arganeraie s’effondrer de la moitié de sa surface
contemporaine. A l’avènement du souci de gestion viable, un
tel gâchis est pour le moins jugé incongru et contraire à
toute légitimité. On entrevoit ainsi l’issue apocalyptique
pour ces régions et la perte incommensurable pour la
biodiversité.
Une gestion plus respectueuse est la clé pour une meilleure
préservation des 800.000 ha résiduels, probablement
accompagnée de la création de périmètres (et non plus
d’individus) en défends, une solution parmi d’autres pour
la reconstitution de la strate végétale, du sous-bois et
une réelle reconfiguration de l’arganeraie et de tout son
cortège floristique et faunistique. Les communes rurales
usufruitières et les populations riveraines directement
concernées par un droit coutumier doivent en devenir les
acteurs essentiels. Quant aux administrations de tutelle,
leur nouvelle éthique doit être la stricte application des
normes de recommandations du développement durable, face à
toute velléité d’atteinte au patrimoine légué qu’il est de
notre devoir de transmettre indemne aux générations
suivantes.
Rappelons que le souci de gestion durable se décline en
termes de décennies et de siècles.
Le tourisme, mais pas à n’importe quel prix !
« En
réalité, au Maghreb, le risque climatique est moins
important que les erreurs d'aménagement. »
Pierre Rognon
Ainsi qu’il existe tout un panel d’options agricoles, comme
celle biologique dont l’essor ne peut plus être démenti, il
existe différentes figures de tourisme dont l’écotourisme,
plus respectueux car mieux intégré. Des conservationnistes
extrémistes prétendent néanmoins que, le tourisme ayant tué
le voyage (les deux philosophies sont radicalement
divergentes), il n’existe pas de « bon »
touriste, hormis celui qui reste à cultiver son potager...
Certains voyagistes désignent l’écotourisme comme d’avenir.
Dans l’immédiat et face aux deux cent millions de touristes
grégaires qui chaque été envahissent le Bassin
méditerranéen, le touriste vert ne fait pas le poids. Mais
on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, et le
choix s’impose entre quantité et qualité. Certes
embryonnaire, le tourisme responsable ne demande qu’a se
développer mais encore faut-il lui proposer des horizons
assez indemnes et non pas ceux porteurs des stigmates
résultant d’un divorce trop prononcé entre l’Homme et la
nature. Et si l’on abusait de la formule par une
communication excessive, si l’on voulait faire du tourisme
naturel une nouvelle panacée pour exacerber jusqu’aux
écosystèmes les plus sensibles, ce serait une erreur
consistant à vouloir concilier l’inconciliable. Les
principes du tourisme durable ont été arrêtés par l'OMT dès
1988. Il s’identifie comme une façon de gérer
« toutes les
ressources permettant de satisfaire les besoins
économiques, esthétiques et sociaux, et de préserver
l'intégrité culturelle, les écosystèmes, la biodiversité et
les systèmes de soutien de la vie ». En
bref,
c’est un voyage « responsable » qui préserve les
environnements naturels et se soucie du bien être des
populations locales. Le facteur « nature » y est
omniprésent. Il suffit
d’ouvrir le premier catalogue venu pour constater la part
croissante faite par les émetteurs aux offres de tourisme
vert et formules affines, ainsi qu’à ceux dits d’aventure.
Le vocable « écotourisme » est parfois évincé
pour être censé contenir une connotation un peu mièvre,
affiliée à celle de « boy-scout » avec code de
conduite, et ne pas faire recette en manquant d’effet
d’appel. Les formules quasi synonymes de « tourisme
culturel », « tourisme durable » ou
« tourisme équitable » sont alors parfois
avancées. Le Maroc est une destination dont les accroches
habituelles sont le passé (histoire, monuments) et la
tradition (culture, artisanat, coutumes), mais aussi le
paysage et tout ce qui se conjugue à la nature et au
naturel. C’est aussi le pays spatialement le plus
accessible pour ce qui concerne l’exotisme de proximité
(n’est-ce pas « un autre monde » à 14 km de
l’Europe ?)
Le Maroc est une destination idéale pour « un autre
tourisme », mais il
demeure une grande part d’ombre dans ce que sera la
pratique d’une formule somme toute très conceptuelle, si ce
n’est suspicieuse. Question de mentalité.
Sous
la formidable pression de la dynamique récréative, il
faudrait une société ascète et se prévalant d’un utopique
ministère du Futur pour barrer la route à la ruée
dévastatrice vers les pays du soleil. Comme pour la Côte
d’Azur, la Costa del Sol, la Costa Brava et autres
Rivieras, le choix a donc été fait pour le destin balnéaire
de la Baie d’Agadir et de ses environs, région relevant
intégralement de l’arganeraie. Il serait déplacé de le
remettre en question, mais peut-être très rationnel d’en
mieux gérer l’expansion et d’en négocier le devenir en le
ramenant à une figure moins corrosive du capital culturel.
L’essor touristique, jugé désormais essentiel et imparable,
nécessite une planification réfléchie pour éviter les
erreurs des programmes trop ambitieux, à court terme et aux
conséquences parfois irréparables. Sous son aspect trop
industriel engendrant toujours l’édification littorale d’un
« mur de béton », le tourisme balnéaire de masse et son lot
d’escapades dans l’arrière-pays est une activité
dévastatrice. Trop de sites planétaires ont déjà été biffés
par les méfaits des tours-opérateurs et il n’en reste que
ruines, paysages défigurés et « poubellien
supérieur », cette nouvelle strate de nos sols. Quel
observateur, même néophyte en la matière, ne pourrait
constater que l’accroissement du flux touristique et les
aménagements agressifs qu’il induit ne sont pas partout
totalement perturbant et négatifs pour
l’environnement ? Le processus du
mitage de la côte
Atlantique tant au nord qu’au sud d’Agadir est déjà entamé,
avec de nombreuses spoliations et d’irréversibles atteintes
à la biodiversité paysagère présteppique si originale,
caractérisée par des espèces cactoïdes et crassulescentes
(le très fameux et si pittoresque cachet floristique
macaronésien), associées à des Arganiers encore prospères
dans les stations jusque là peu anthropisées. Quant au
tourisme intérieur, il demande un sérieux encadrement. Il
n’est que de voir dès les premiers beaux jours de fin
d’hiver et après le passage du public gadiri
excursionniste, l’état des berges de l’asif bordant la
route si pittoresque qui mène aux cascades
d’Imouzzèr-des-Ida-Outanane pour s’en persuader ! Une
bonne note est à délivrer aux initiateurs et gestionnaires
du tourisme d’Essaouira aux mouvances nettement plus
culturelles et respectueuses, trésor du passé
oblige.
Si l’espèce humaine porte en elle l’obligation biologique
de tirer le meilleur parti de sa domination de la planète
Terre, elle tient aussi le devoir moral de sa
non-destruction, crime parfait contre les générations à
venir.
Reboisement :
prendre le problème par la racine...
Une expertise de la FAO (1978) signalait pour l’Arganier
qu’en raison de l’insuffisance des connaissances de base
sur cette espèce, il était illusoire de vouloir mettre en
place un quelconque programme de reboisement. Bien qu’un
certain échec entre les aménageurs forestiers et les
chercheurs ait été parfois dénoncé, le Ministère chargé des
Eaux et Forêts et divers laboratoires universitaires
consacrent actuellement tous leurs efforts à la recherche
de solutions pour envisager la réintroduction de l’espèce.
Mais les mécanismes de reproduction d’Argania
spinosa ne sont
effectivement pas encore suffisamment connus pour le
repiquage sur les sites des fruits germés en laboratoire.
Plus de 80 % des jeunes pousses meurent dès la première
année et cet échec interdit tout programme à grande
échelle. Aucune action significative de reboisement de
surfaces en perdition n’a donc pu aboutir jusqu’à ce jour,
alors que les résultats de la recherche ont démontré qu’il
n’existe pas de raisons techniques s’opposant à la
transformation de ce type de reboisement. Un projet pilote
de replantation est en cours sur une surface d’une dizaine
d’hectares dans la province d’Essaouira.
Dans l’objectif de la multiplication de l’Arganier, il
existe un bilan des programmes de recherches et des
résultats acquis. Il a été démontré que la technique de
trempage des graines dans l’eau était tout à fait
satisfaisante pour obtenir une bonne germination. Compte
tenu de la grande variabilité génétique de l’espèce, il est
nécessaire de pouvoir disposer d’individus homogènes et une
technique de multiplication a été optimisée par bouturage
(à partir de rameaux prélevés) et culture
in-vitro.
Les problèmes de transplantation sont liés au système
racinaire des plantules, ainsi qu’aux
symbioses mycorhiziennes. La croissance des racines peut
être fort rapide par rapport à la partie aérienne et il est
rapporté qu’après 38 jours, le système racinaire pouvait
mesurer vingt fois la longueur de la partie aérienne.
Ainsi, la méthode des mottes compactes utilisée en
pépinière pour la production des plantules est-elle
incompatible. Les résultats disponibles ont montré qu’il
était possible de produire, par multiplication végétative,
des plants conformes au pied-mère, ce qui autorise toutes
possibilités en fonction des souhaits et des besoins des
reboiseurs. L’affinage de ces recherches est à compiler
dans la bibliographie spécialisée.
Peut-on croire en une Réserve de la Biosphère en
prime ?
L’Arganier étant un arbre à dimension sociale, le conserver
n’induit pas sa mise sous clé. Ce serait tout aussi
irrationnel que de proclamer une réserve de
l’Olivier ! C’est donc un dilemme car la surveillance
de 800.000 ha n’est pas chose facile.
Depuis décembre 1998, et sur un modèle de réserve en grappe
(zonages), l’arganeraie fait partie du réseau mondial des
Réserves de la Biosphère (programme de l’UNESCO), qui
théoriquement implique certaines contraintes.
Ce ne devrait être ni un bluff, ni un vœu pieu, encore
qu’il relève de la gageure de chercher à préserver tout en
poursuivant le développement, objectifs difficilement
compatibles sur un même espace. Mais le
processus en chaîne de déstructuration et de métamorphose
du contenu socio-culturel qui était seul susceptible de
garantir l’équilibre naturel de l’arganeraie et de ses
vestiges ne semble pas prêt à faire marche-arrière et il
est fort à penser que cette « politique de la terre brûlée
» ira jusqu’à son terme. Voici les louables dispositions
régissant cette figure de protection pour le moins
paradoxale.
«
Description : la
réserve de biosphère de l'arganeraie (RBA) est la première
réserve de biosphère crée au Maroc, pays méditerranéen dont
les richesses naturelles présentent le plus d'originalité.
Cette réserve est conçue autour d'une essence forestière
endémique du Maroc à savoir l'Arganier (Argania
spinosa). En effet,
l'Arganier a une grande valeur biogéographique, étant la
principale caractéristique du secteur macaronésien
marocain. Les formations forestières à base d'Arganiers
sont localisées dans la région du Sud-Ouest marocain. Ces
formations à base d'Arganiers sont extrêmement adaptées à
la sécheresse et latitudinalement très engagées en
constituant le dernier rempart face au Sahara. De ce fait,
la forêt d'Arganiers constitue un bouclier contre la
désertification directe. La forêt d'Arganiers assure des
fonctions et des usages multiples pour les populations dont
les activités socio-économiques sont fortement liées aux
divers produits que procurent l'arganeraie. En conséquence,
l'Arganier offre de multiples possibilités économiques à
travers les différentes filières émergentes (huile d'argan,
écotourisme, produits du terroir, etc. ) susceptibles de
contribuer efficacement au développement socio-économique
de la région du Sud-Ouest marocain, une des régions les
plus dynamiques du Maroc. » « Situation : il
s'agit d'un triangle isocèle dont la base est constitué par
le littoral atlantique avec la ville d'Agadir au milieu, et
le sommet très engagé vers l'est. Les limites extérieures
poussent des points extrêmes: - au NW = 31° 20 mn de
latitude N - au SW = 29° 15 mn de latitude N - à l'W = 10°
25 mn de longitude W - à l'E = 8° 10 mn de longitude W. »
Le verger pourrait sauver la forêt…, une solution
honorable !
Il faut entendre ici par le mot « verger » non pas
seulement la figure de l’Arganier-fruitier cultivé, mais
tout espace d’arbres fruitiers alternatifs et si possible
autochtones (Olivier, Amandier, Dattier, Abricotier,
Caroubier, etc.) acceptant les conditions écoclimatiques du
Sud-Ouest marocain et mené selon la méthode traditionnelle
non agressive, avec acceptation des « mauvaises herbes »,
tant thérophytes que pérennes, ainsi que d’ourlets
d’arbrisseaux. Car l’observation la plus significative de
l’analyse de cet inventaire est que les cultures extensives
et les espaces oasiens mitoyens de l’arganeraie sont venus
en renfort pour fortifier cet écosystème intrinsèquement
appauvri. Nombreux sont, par exemple, les Lépidoptères qui,
refoulés par la trop grande érosion des formations
d’Argania,
sont
devenus transfuges des espaces culturaux voisins ou inclus,
irrigués et ombragés, riches en halliers d’épineux
(excellents refuges), lesquels Insectes n’ont d’ailleurs
fait que suivre la ressource trophique de leurs
plantes-hôtes. S’il fallait biffer de notre rapport des
Papillons marqueurs de l’arganeraie ce type de stations
mixtes majoritairement situées dans le finage des hameaux,
le bilan serait nettement plus alarmant, voire d’une réelle
vacuité. Et parodiant un vieux dicton, le verger ne doit
pas « cacher » la forêt ! C’est donc dire que
l’arganeraie « sauvage », désormais livrée à une activité
pastorale érosive, se retrouve vidée de ses composants
faunistiques et floristiques. L’estimation de conservation
de l’arganeraie-forêt avec dynamique évolutive,
c’est-à-dire conservant encore son sous-bois et une flore
tout au moins résiduelle ou éparse, est inférieure à 10 %.
C’est du moins ce qui est exprimé par notre étude
présence/absence des rhopalocères indicateurs de cet
écosystème originellement riche et caractéristique. Nous
sommes donc déjà en dessous du défi légitime qui consiste à
protéger 10 % de la part d’un écosystème. Les milliers de
kilomètres parcourus l’ont été trop souvent sans succès de
rencontrer la moindre localité favorable à nos observations
biologiques, dans des galeries d’Arganiers tourmentés, sur
un sol squelettique.
Et quand nous faisons l’apologie du « verger » et des
jardins, voire des cultures, c’est surtout
a
contrario des méfaits du
cheptel (qui là, au moins, n’y pénètre pas) et sous-entendu
qu’il convient d’écarter toutes les formes agressantes de
la monoculture intensive s’appuyant sur les phytosanitaires
et dont l’avidité n’accepte l’Arganier ni en orée, ni en
ponctuation, mais procède par l’arrachage et le
remembrement avant exploitation. L’agrochimie est apparue
autour des années 50 et c’est depuis cette époque que
l’herbicide a remplacé le hersage. Dans ces vergers
mitoyens réside désormais l’actuel réservoir génétique de
l’arganeraie, hélas en modèle réduit et voué à une certaine
flore de fourvoiement et à la faunule (Passereaux,
Rongeurs, Amphibiens et Reptiles compris). On peut estimer
que ces sites de cultures vivrières, innocemment créés par
l’Homme il y a quelques 8000 ans, constituent le potentiel
de regain et de recolonisation de l’arganeraie
environnante. Ces
cultures-biotopes ont déjà une
longue histoire de « marchepied » pour de nombreuses
espèces. Une preuve de plus – s’il en fallait – pour
contrecarrer tout postulat de l’éventuelle zizanie entre
l’Homme et la nature, voire pour en étayer la
réconciliation. Havres de paix et modèles d’un
agro-écosystème rudéral, un plan d’encouragement de ce type
de paysage agricole à aspect parcellaire serait d’une
certaine faisabilité dans l’axe prometteur de la production
de fruits et de légumes biologiques, d’autant plus que les
terres y sont (encore) localement vierges de fertilisants
et de biocides. Certains pays n’ont pas hésité face aux
profits d’un tel programme.
Les mesures à prendre ne sont concrètement pas trop
contraignantes, encore faudra-t’il, ici et ailleurs,
pouvoir offrir aux populations pastorales pratiquant le
néfaste pacage en forêt - réelle problématique - des
palliatifs économiques et culturels à une obligatoire
réduction de têtes.
Les relations
entre l’Arganier et l’Homme accusent un
bilan négatif engendrant de
réelles préoccupations d’avenir. Telle est la perspective
et l’enjeu est primordial :
préserver la pluralité du paysage national en s’appuyant
sur des valeurs patrimoniales. Un réaménagement
concerté de la vocation usagère sylvo-pastorale de
l’arganeraie et la création d’un réseau de «
réserves rudérales » pourraient
constituer un début de mesures pratiques, avec la volonté
de juguler le développement exponentiel, matrice majeure
d’érosion sociale, culturelle et identitaire.
Pour ce qui est des « beaux restes », il est fortement
recommandé de les mettre d’urgence sous la plus sévère et
irrévocable protection.
Épilogue
Quand
le futur ne sera plus que du passé... ou l’arganeraie sur
fond de crise
« Connaître
et penser, ce n’est pas arriver à une vérité absolument
certaine,
c’est dialoguer avec l’incertitude. »
Édgar Morin
« J’ai appris
que pour être prophète, il suffisait d’être
pessimiste. »
Elsa Triolet
Ce futur ne sera plus que du passé quand les énergies
fossiles des combustibles carbonés (charbon, gaz et
pétrole) seront taries, ce qui est pour
demain à la quasi-unanimité des scientifiques et experts
non compromis, version politiquement incorrecte et
évidemment réfutée par qui de droit mais sans controverse
documentée. L’arganeraie et une liste interminable
d’écosystèmes ne doivent finalement leurs misères qu’aux
seuls hydrocarbures. Qu’en serait-il de l’agro-exportation,
de l’usage du bioterrorisme à base des fertilisants issus
de la pétrochimie, de l’industrie touristique et des
loisirs dont le dénominateur commun est la
transportabilité, sans l’or noir ? Une augmentation de
1000 % du prix du pétrole sera, en plein pic de production,
le signal annonciateur de ce spectre de l’épuisement, et
ce, d’ici la moitié de ce siècle, 2040 pouvant être retenu
comme date-hochet à agiter pour tenter d’exorciser ce que
certains papes du consumérisme et commissionnaires du «
happy end » entrevoient comme une apocalypse et qui ne sera
rien d’autre que leur propre « fin des haricots ».
Mais que de dégâts et méfaits à la sortie et à l’heure de
l’état des lieux de notre « Maison du Quaternaire
» que – locataires - nous n’avons pas héritée de nos
parents, mais empruntée à nos enfants !
Quels seront ces « restes » en 2040, voire même en 2100,
d’un écosystème majeur qui couvrait un million et demi
d’hectares aux prémices de XXe siècle, dont nous sommes
déjà coupables de la perte de la moitié et où vit
présentement 6 % de la population marocaine ? Sachant
bien qu’aucun texte législatif ne serait susceptible de
freiner
la curée d’un paysage convoité par les
filières agrumes et primeurs, secteur stratégique
participant à l’équilibre de la balance commerciale. Fruits
et légumes représentent au Maroc une production annuelle
moyenne est de 7 millions de tonnes, dont 40 % des
exportations sont produits par la région du Souss pour un
chiffre de 7 milliards de dirhams. Aucune loi, aucune
recommandation ne feront donc reculer la spéculation
internationale induite par un tel créneau, tous les congrès
du monde ne seront qu’incantatoires et le recul de
l’Arganier ne pourra qu’être consommé. Le réchauffement
planétaire en prime, on ne voit guère se profiler un type
de politique écoconsciente susceptible d’au moins
stabiliser les pertes de l’arganeraie à la moyenne actuelle
de 600 ha l’an. De cette arganeraie déjà
« fossile » par places, nos petits-enfants ne
connaîtront au mieux que quelques spécimens sauvegardés,
voire quelques lambeaux de «
forêt sans arbres », soigneusement
étiquetés « Argania
spinosa » dans quelque
réserve abiotique et policée d’une biosphère époumonée. A
la manière dont nous nous rendons déjà aujourd’hui au
chevet certains autres arbres-curiosités, remerciant le
destin de nous en voir préservé quelques échantillons «
culturels ». Le Pistachier de l’Atlas, qui ne se voit plus
qu’en périmètre maraboutique, appartient à cette catégorie.
Crise énergétique et retour aux fruits de saison
L’hypothèse du tarissement progressif des ressources
pétrolières à très court terme est étayée par l’actuelle
très ardente convoitise autour des pays détenteurs des
ultimes réserves et les guerres d’appropriations dont ils
sont victimes sous fond de pseudo conflits de civilisation.
Car il y va de l’effondrement de toute une économie
tentaculaire, aucun substitut disponible ne pouvant offrir
des avantages de coût, d’usage et de transportabilité
équivalents.
Certains avaient du pétrole, d’autres avaient des idées
(comme celle du moteur à eau), mais le drame commun est
d’avoir conservé aussi longtemps une dépendance des
hydrocarbures épuisables et polluants à hauteur de 85 % de
notre approvisionnement. Énergie la plus convoitée au
monde, la combustion du pétrole rejette 10 milliards de
tonnes de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère chaque
année (42 % des émissions globales de CO2). L’une des
conséquences directes bien connue est le réchauffement de
la planète. Tous les sites prometteurs ont maintenant été
explorés et les découvertes importantes remontent à une
trentaine d’années.
Actuellement, nous trouvons un baril pendant que nous en
consommons quatre. Il n'existe
aucun espoir de dénicher de très grosses réserves même dans
les zones les moins explorées comme dans les grandes fosses
marines ou sous les pôles. Ceci est occulté par les grandes
compagnies et les pays gros producteurs qui laissent
entendre le contraire. Nous sommes donc sur une pente
concernant la durée des réserves, d'autant que la demande a
tendance à s'accroître. L'ensemble de ce qui reste comme
réserves mondiales normalement accessibles est de 1000
milliards de barils, 1000 Gigabarils (Gb). A un rythme de
production actuel (1998) de 23,6 Gb ceci peut être
interprété comme l'idée que l'on disposera encore de
pétrole « conventionnel » abondant et bon marché pendant 43
ans environ.
Les énergies
renouvelables (hydraulique, solaire, éolien) ne peuvent se
développer que sur des sites isolés possédant les
caractéristiques requises.
Le continent africain et spécialement le Maghreb disposent
justement d’immenses potentialités en matière d’énergies
renouvelables, et qu’attend la coopération internationale
pour s’en mieux préoccuper ? Importateur de
97 % de ses besoins énergétiques, le Maroc est sous une
totale dépendance, sans aucune marge de manœuvre
pour
assurer ses besoins vitaux en cas de rupture
d'approvisionnement. Situé dans la ceinture solaire
énergétique qui, autour de la terre, procure le meilleur
rayonnement, le Maroc bénéficie d’un gisement potentiel
considérable, présentement évalué à 5,5 kWh par m2 et par
jour. Entre Atlantique et Méditerranée, le potentiel éolien
est tout aussi intéressant et l'expérience de Koudia El
Beida, parc éolien de 50 mégawatts installé en 2000 au nord
du Maroc, permet d’injecter suffisamment d'électricité dans
le réseau pour alimenter une ville comme Tanger. La
Tunisie, la Turquie, la Grèce, Chypre, la Jordanie,
d’autres pays du pourtour méditerranéen devancent le Maroc
en ce domaine essentiel pour le futur proche.
Quitte à un
consensus sociétal visant à l’acceptation d’une dangerosité
(accidents du type Tchernobyl), une relance de l’énergie
nucléaire à fission, sur le modèle du fameux « tout
nucléaire » des années 80, est éventualisée en certains
pays comme la France. Mais même en utilisant les
surgénérateurs, l'uranium sera lui aussi très bientôt
épuisé et certains thèmes comme la gestion des déchets et
le démantèlement des centrales obsolètes restent peu
transparents et sujets à caution. Quant au nucléaire à
fusion, il requiert une température supérieure à 100
millions de degrés (celle qui a lieu naturellement au cœur
du soleil et des autres étoiles), laquelle est bien trop
importante pour nos technologies actuelles. L’hydrogène
(piles à combustible), carburant totalement propre et
produit par électrolyse de l’eau, resterait l’un des
meilleurs candidats pour l’après-pétrole.
Le pétrole devenant un produit de luxe et rien pour
l’instant n’étant donc réellement pressenti pour le
remplacer, avions, bateaux et véhicules pourraient être «
en rade » d’ici quelques décennies et le retour à la
bicyclette ne laisse guère envisager une exportation aisée,
par exemple des quelques 600.000 tonnes annuels d’agrumes
qui doivent chaque année sortir du Souss-Massa. Les mêmes
transports devenus inexistants ou pour le moins fort peu
démocratiques, le tourisme redeviendra du même coup de
proximité et donc restera chez lui. Seule la moto-pompe
solaire connaîtra un bref instant de gloire, très bref
puisque la nappe phréatique de l’ex-arganeraie sera épuisée
et pourquoi tenir un quota de 15 tonnes d’oranges à
l’hectare puisque l’exportation ne sera plus
viable...
Ce ne sera pas l’apocalypse mais la décadence de l’«
American way of life » que nous tenions pour acquis mais
qui ne date que de quelques décennies, d’un progrès basé
sur la destruction et d’une économie de marché par laquelle
les valeurs humaines étaient sacrifiées et celles
naturelles profanées. Ce ne sera pas l’apocalypse mais un
retour à une certaine case départ et... aux fruits du
terroir et de saison, ainsi qu’aux lentilles. Tout un
réajustement. Pour les peuples vivant hypoénergétiquement
malgré eux, toujours sans électricité et sans eau courante
mais en rêvant grâce aux médias, ils n’auront nul besoin de
cette réadaptation et les derniers seront alors – sans nul
doute – les premiers.
Pour le Souss et
pour le Monde, c’est bel et bien un cuisant rappel au
rapport du Club de Rome de 1970 et à sa suggestion d’un
effondrement du système global pour le XXIe siècle faute
d’une croissance zéro, tardive revanche d’un malthusianisme
que ne viendront pas infirmer des millions d'Hommes à la
mer (boat people et autres clandestins) depuis la fin du
siècle passé. Malthus créa les fondements du darwinisme
social, de l'écologisme et d’une l'économie positive toute
fondée sur l'observation des faits, induisant une
contrainte morale conduisant tout Homme censé à ne pas
chercher à avoir un nombre d'enfants tel qu'il ne pourrait
plus les nourrir, et pour en revenir « à nos moutons »,
plus de Chèvres que d’Arganiers. Mais nos sociétés
altruistes et d’apparat n’ont jamais pu évacuer un fatal
malentendu faisant du darwinisme social une sorte de
nazisme théorique. En règle générale, les hommes politiques
sont d'accord pour contrôler la population des pays qui ne
sont pas les leurs. Face à la dénatalité des pays
industrialisés, on ne peut s'empêcher de penser que la race
blanche sera bientôt minoritaire dans un monde peuplé
d'Asiatiques. Ce genre de réflexe ignore complètement le
fait que tous les Hommes sont embarqués sur la même planète
et que le sauvetage de l'espèce passe avant la suprématie
d'une race ou d'une nation si tant est que ces concepts
aient encore une ombre de signification.
L'écologie peut
être définie brièvement comme l'ensemble des interactions
entre les êtres vivants et leur environnement. Cette
définition s'inscrit globalement dans le cadre de la
biosphère. L'interprétation qui en est faite aujourd'hui
par une certain diktat médiatique, avec écho fatal sur
l'opinion publique, ne prend hélas en compte qu'une
dimension très restrictive de cette écologie.
Des problèmes aussi proches que l'épuisement des ressources
pétrolières ou l'accentuation de l'effet de serre ne nous
concernent pas ou si peu car ne modifient pas directement,
immédiatement et visiblement la manière dont nous vivons au
jour le jour. La préoccupation
écologique dans le cadre d'un environnement temporellement
et géographiquement de proximité constitue le niveau 0 de
l'écologie. Les dictatures mises en place pour exploiter le
pétrole, les peuples réduits à l’esclavage pour fabriquer
nos vêtements, ne sont que quelques-unes des nombreuses
conséquences qu'implique à l'échelle du globe la boulimie
écervelée du consumérisme. Dans cet égo-concept étriqué,
notre espèce détruit de nombreux paysages écosystémiques et
spolie les ressources. Cela n’est pas nouveau : les
Grecs ou les Espagnols anéantirent déjà d’incommensurables
masses forestières pour construire leurs navires, la forêt
libanaise fut dilapidée par le roi Salomon pour
l’édification du grand temple de Jérusalem, etc. Élargir
notre champ de vision constituerait déjà le niveau 1 de
l'écologie. Cette vue peut être globale géographiquement,
mais aussi globale temporairement. D'une certaine manière,
toute vie humaine étant égale, que celle-ci se produise
dans le présent ou le futur, la différence est sans
importance. Le niveau 2 de l'écologie est le niveau que
nous devrions atteindre si nous considérions que toute vie
humaine a la même valeur sur Terre. Si l'Homme de là-bas à
la même valeur que l'Homme d'ici, si l'Homme de demain à la
même valeur que l'Homme d'aujourd'hui, alors nous ne
devrions plus réduire l'échelle de la vie humaine à notre
propre existence.
L'Homme a besoin de la Terre pour vivre et non le
contraire.
Même la définition du « développement durable » est
ambiguë : « un
développement qui satisfait les besoins de la génération
actuelle sans compromettre ceux des générations
futures ». Chaque
terrien dispose (disposait...) de 0.5 tonnes équivalent
pétrole d’énergie (sommairement niveau actuel d’un Indien).
Un Nord-Américain a t’il atteint son état de grâce quand il
utilise 7 tonnes équivalent pétrole par habitant de la
planète ? Un Français de l’an 1800 se suffisait de 20
kg de viande par an mais un autre Français de l’an 2000
parvient-il à la plénitude en en « bouffant » 100 kg par
an ? Qui chauffe sa maison à 22 °, s'éclaire avec des
ampoules de 100 W, roule seul dans un véhicule tout-terrain
de 2 tonnes à plus de 100 km/h, atteint-il son
nirvana ?
Chez l’« homo
economicus
» post-moderne, besoins individuels et nécessités
collectives sont antagonistes, et ce
« développement durable » ne nous fournit alors
pas l'ombre d'une solution consensuelle, si ce n’est
l’effet intellectuel, voire politique, d’une simple fable
éthique à laquelle il faut tout de même souscrire, ne
serait-ce que pour témoigner.
Donc...
Avec l’Anti-Atlas comme barrière contre la rigueur des
extrêmes steppiques et le Haut Atlas filtrant les excès
continentaux, profitant du courant adoucissant océanique,
assis sur une incommensurable réserve d’eau, ce Sud-Ouest
marocain avait, entre mer et montagnes, tout du Jardin des
Délices. Bien plus qu’un strict écosystème,
l’arganeraie pouvait être tenue pour une véritable
civilisation respectueusement
organisée autour d’un arbre multi-usages. Une
providence ! Une aubaine ! Il est un livre qui
raconte l’histoire d’une pomme qui nous perdit. Ce serait
donc ici et maintenant l’orange (et la tomate de contre
saison !) car l’Homme étant par nature insatiable,
voici qu’à l’image de tout Eldorado, le Pays de l’arbre
d’argan se retrouve victime de lui-même. Bénéficiant de
toutes les protections naturelles et doté d’un charme de
vie à nul autre pareil, voici un paradis terrestre au bord
du gouffre.
L’arganeraie doit affronter un écheveau d’inextricables
problématiques et il semble
déjà bien tard pour ralentir un processus qui, de
dégradations en compromissions, d’atteintes aux équilibres
en corruptions quotidiennes, d’exactions en urgences
économiques, risque de biffer de la Terre une écorégion
tout autant irremplaçable qu’elle était unique en son
genre.
L’arganeraie, patrimoine naturel et culturel, est un
écosystème endémique au Maroc. Il y jouit d’une grande
amplitude spatiale et abrite des espèces types, indigènes
et remarquables, mais la plupart fragiles car à valence
écologique limitée et donc de faible résilience.
L’arganeraie est dans un état alarmant. Démunie du
moindre principe de précaution, sa mauvaise gestion fit
table rase de la moitié de sa surface en un siècle et la
majeure partie de ce qui reste n’est plus qu’une forêt très
amplement thérophytisée. Le degré d’altération du cortège
flore-faune est inquiétant et documenté par de nombreuses
et très récentes disparitions. Compte tenu de son aspect
social, il n’est pas envisageable de mettre sous clé tout
l’écosystème ou même une partie en ayant recours à une
figure de parc-réserve classique. L’agression prééminente
identifiée est agropastorale. Limiter les effets du
parcours est donc une entreprise de concertation avec les
populations usagères. Luter contre les excès de
l’exploitation agraire intensive, qui plus est enfreint
très souvent les textes en vigueur, dépend essentiellement
du législateur et du politique.
Nous n’avons ni les réponses ni le pouvoir des remèdes mais
nous espérons avoir posé les bonnes questions.
L’approche des problématiques qui assaillent cet écosystème
majeur relève de la sempiternelle ambiguïté entre le
développement et la préservation, et démontre une fois de
plus l’erreur de considérer les nécessités économiques
comme prioritaires et d’estimer subsidiaire le devoir de
conservation.
La qualité du développement dépend de la qualité des
Hommes.
Exhortation
On recherche une
race courageuse d’homme politique (durée moyenne du
mandat : quelques années) susceptible de proposer un
concept non préjudiciable pour le futur de la collectivité,
s’appuyant sur des mesures velléitaires dont les effets ne
seront pas miracles et ne se feront ressentir que dans un
demi-siècle ou plus...
« De
tout temps, un homme d'État est celui qui réalise en lui la
raison
et l'impose au-dehors par une
croyance. ȃdouard Herriot
« Gouverner
c'est prévoir. »Émile de
Girardin
« L’élection
encourage le charlatanisme. »
Ernest Renan