« Je
suis arrivé dans un désert où l'amour
apparaît. »
Djalâl al-din Rûmî, poète persan né en 1207
Éloge
de l’oasis :
un
modèle d’écosystème humain
L’oasis
perdue du mirage saharien
« Là,
tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. »
Charles
Beaudelaire
Un mirage est le fait d'avoir l'impression de voir un objet
à tel endroit alors qu'en réalité il se trouve bien
ailleurs. Grâce à la physique, le mirage n’est plus un
mystère mais on peut toujours s’y laisser prendre,
...surtout quand on meurt de soif.
Au moment de l'entrée dans l'atmosphère, les rayons
lumineux sont légèrement déviés car ils pénètrent dans un
milieu dont l'indice est différent. Nous avons ainsi
l'impression qu'un objet se situe à une centaine de mètres
alors qu’en réalité il peut se trouver à plus de 200 km.
Ainsi naît un mirage. Au Sahara, les rayons lumineux sont
intégralement absorbés par le sol dénudé qui réchauffé,
provoque une montée de la température de l'air. Ces rayons
se réfractent et se réfléchissent systématiquement dès
qu'ils s'approchent de l'observateur, lequel voit en fait
des rayons ayant une trajectoire en ligne droite et ainsi
croit voir une image provenant du sol. Ce mirage fut de
tout temps le point magique du désert. Ajoutant sa note
toujours déroutante aux sculptures du vent, à l’écriture du
sable, à la solitude sonore de cet insaisissable pays de
l’absolu, le mirage est l’une des composantes de la nature
spirituelle et intangible du désert. Le mirage attire les
mortels qui ne pouvant y accéder finissent par périr
d'inanition. Le mirage abrite aussi la demeure des génies,
de fantastiques cités d'où personne ne revient et ces oasis
paradisiaques et perdues dans la fournaise du désert.
Depuis des heures le voyageur qui s'est aventuré dans le
Sahara roule sur la piste. Dix fois, il s’est senti
« bluffer » par la vision d’une nappe d’eau,
d’une palmeraie, voire d’un ksar attenant. Parfois
convaincu, il a même obliqué pour rejoindre le havre
d’ombre et d’eau fraîche espéré de l’oasis
« retrouvée ». Non, ce n'était qu'un
mirage ! Mais voilà que surgissent réellement du sable
blond de l’erg ou de la noire pierraille du reg les rangées
de courtes cheminées qui trahissent l’existence d'une
khettara. Cette fois, ce n'est plus une illusion optique,
mais le signe que le voyageur retrouve la civilisation.
Bien qu’encore cachée par un erg ou quelque hauteur
rocheuse, l'oasis est proche. Après l'implacable chaleur de
la journée, à l’heure où le soleil a rendez-vous avec la
lune, la fraîcheur oasienne est une caresse à nulle autre
pareille. Le charme langoureux de la palmeraie contraste
avec l’âpre rudesse de la steppe désertique. Et à l'heure
matinale de l'appel du muezzin, avant même le premier chant
du coq, quel charme incomparable que celui de s’éveiller au
pied d’un palmier et, fasciné par l’irréelle vérité, de
songer que la dune d’horizon qui n’est plus un mirage le
redeviendra bientôt, dès que l’astre de feu sera au zénith.
Comme la notion d’enfer n’existe que pour donner tout son
sens à celle de paradis, le désert relativise la récompense
de l’oasis. Sauf que désert et oasis sont, et que le
paradis reste un mirage... A moins que la vie sur cette
Terre ne soit que l’anamorphose à peine embellie de
l’enfer... Le paradis et l’enfer en miroir.
Entre chaleur et eau, entre réalité et symbole, l’espace
oasien est un lieu de félicité qui hante les esprits d’une
nostalgie vivace qui est celle du paradis perdu. Cet îlot
de Tropique sur une mer de sables et de pierres hostiles
est une invention agro-poétique de la main de l’Homme, l’un
des fragments réalisés parmi les plus magiques de son plus
vieux rêve.
L’Homme ne fait pas que des ravages en se sédentarisant.
L’eau... de vie
« Deçà,
delà, en haut, en bas, courant, jamais elle ne connaît de
quiétude,
pas plus dans sa course que dans sa nature, elle n'a rien à
soi mais s'empare de tout,
empruntant autant de natures diverses que sont divers les
endroits traversés,
comme le miroir accueille en soi autant d'images qu'il y a
d'objets passant devant lui. »
Léonard de Vinci
L’eau :
problématique-clé. D’où la nouvelle estimée décisive quand
les chercheurs européens virent sur Mars l'eau gelée « de
leurs yeux », au travers d'une caméra couplée au
spectromètre Omega et quand la preuve fut donnée que la
calotte polaire du pôle sud martien renfermait de grandes
quantités d'eau. De glace pour être précis. L'eau est, par
excellence, le principe fécondant, le germe de toute chose.
Il pleut, l'herbe pousse et l'Homme fait de l'eau un
symbole de vie et de fécondité. Et sur Terre, plus il y a
d’eau, plus riche est la végétation. Dans la steppe
désertique saharienne, la présence souterraine d'eau en
certains endroits rend possible les cultures et notamment
celle du Palmier dattier, faisant ainsi
« jaillir » l’oasis.
Les immenses étendues aréiques ne connaissent pratiquement
pas la pluie, ni les eaux de surface, et les températures
enregistrent des variations extrêmes entre le jour et la
nuit. Mais cette apparente aridité du sol et l’infime degré
de pluviosité ne se déclinent pas nécessairement avec une
réelle absence d’eau. Pratiquement inexistante en surface
et dans l’atmosphère, l’eau circule en sous-sol. Et au sein
de l’oasis, les plantes, les Hommes et les animaux tirent
profit de cette précieuse substance tellement vitale à leur
survie. C’est en les regardant vivre avec parcimonie que
l’on redonne à l’eau toute sa valeur, toute sa dimension à
l’échelle planétaire.
Les mines d’eau
« Les
conditions de l’existence, la raison des mœurs,
sont fatalement subordonnées à la loi des nécessités de la
nature. »
Henri Duveyrier
« Ce qui
embellit le désert c'est qu'il cache un puits quelque
part. »
Antoine de Saint-Exupéry
« L’eau
n’oublie pas son chemin. »
Proverbe russe
La localisation des oasis tient compte de la conjonction
possible de trois facteurs : le niveau de la nappe et
le mode de prélèvement de l’eau, la présence de terres
alluviales cultivables, la protection contre les vents et
la chaleur excessive. La combinaison des deux derniers
facteurs conduit le plus souvent au choix de dépressions
tandis que l’eau peut être pompée ou captée. Dans ce
dernier cas, l’eau est amenée gravitairement par les
conduits d’une foggara. Certaines oasis bénéficient aussi
de barrages réservoirs ou de barrages de dérivation,
d’autres profitent exploitant d’une conjoncture pouvant
réunir plusieurs ressources en eau.
Une foggara (pluriel : foguagir), plus fréquemment
nommée khettara au Maroc (qanat, ou feledj dans d’autres
pays arabes) est une galerie drainante souterraine servant
à l’adduction de l’eau d’irrigation soustraite à
l’évaporation et provenant de nappes superficielles (et
parfois de sources), vers un point habité et cultivé de
type oasien. Le réseau est ainsi accessible par les puits
échelonnés qui servirent au creusement du canal.
L’ingénieuse canalisation, courant à quelques mètres sous
la surface du sol, peut avoir un développement de 2 à 15 km
et le drain suit une pente légère (quelques millimètres de
dénivelé par mètre suffisent). La foggara proprement dite a
un diamètre suffisant (environ un mètre) pour permettre le
déplacement d’un Homme courbé, travailleur progressant
d'aval en amont au moment du percement, et ouvrier
circulant pour effectuer les travaux ultérieurs
d’entretien. En surface, tous les 12 à 15 m, émergent les
cônes de déblais (ou les ouvrages maçonnés dans les
versions contemporaines) entre la nappe et le bassin de
réception. Le débit de l’eau est soigneusement mesuré avant
qu’elle ne reparte pour une parcimonieuse redistribution
entre les jardins, moyennant le versement d’un écot par les
propriétaires. C’est ainsi qu’à la sortie du bassin de
réception, l’eau passe alors par une chebka (grille), qui
est une plaque de terre cuite ou de cuivre percée de trous,
puis par le kassis (ou kesra) (peigne), dispositif
répartiteur permettant de doser l’eau calculée en doigts ou
en demi doigts, laquelle peut alors s’en aller par des
seguias (rigoles) parcourant la palmeraie en un réseau pour
alimenter les jardins. Le canal secondaire de la seguia est
appelé masraf. Lorsque l’eau parvient dans un espace oasien
comportant des habitations, généralement en marge afin de
préserver l’intégrité des terres cultivables, la gestion de
l’eau se fait sur un mode assez immuable. A l’arrivée de la
foggara ou à l’émergence de la source, l’eau pure est
réservée à la boisson et à l’alimentation. En bassin
d’amont, elle est utilisée pour la toilette et le lavage du
linge, puis en bassin d’aval elle sert à l’abreuvage du
bétail, avant de déboucher sur un bassin de retenue au fond
damé d’argile et servant à la prise d’eau agricole pour
l’irrigation générale. Chaque vasque de retenue est munie
d’exutoires et libère l’eau dans telle ou telle seguia.
L’ingéniosité du procédé réside dans sa conception et son
adaptation aux conditions de la vie et du climat sahariens
: elle supprime les corvées d’eau, à la fois tâche
épuisante et temps perdu, et assure un approvisionnement à
débit constant, sans risque de tarir la nappe et en
limitant l’évaporation. Il ne pleut « jamais » et
depuis plus de dix siècles, à chaque heure, la moindre
foggara soutire plusieurs mètres cubes d’eau souterraine
dont le remplacement pluviométrique est manifestement
impossible. Ce système qui a prévalu en Mésopotamie serait
originaire de Perse et remonterait au Ve siècle Av. J.-C.
De nombreuses oasis, directement situées sur une nappe
phréatique accessible, ne sont pas alimentées par
l’adduction d’une foggara mais par une source ou plus
fréquemment un puits, bénéficiant d’une remontée de l’eau
de la nappe sous l’effet de la pression hydrostatique. A
travers les contrées et les temps, différents systèmes de
puits alimentent alors les canaux : noria primitive,
noria à chapelet, vieux système à poulie et bidon verseur
actionné par un âne, puits à chadouf (balancier mû par la
force humaine), motopompe, puits à éolienne, etc.
L’oasis : une île de vie
« Je
vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la
Terre. »
Nietzsche
Née du pouvoir de l’eau domestiquée par l’Homme avec une
compréhension extraordinaire de la dynamique hydraulique,
l’« île de verdure » des anciens Égyptiens, est
par définition un écosystème artificiel, une forme de
permaculture, un véritable espace insulaire de survie. Que
l’eau soit amenée par le lointain réseau d’une foggara, ou
qu’elle soit tirée sur place de puits ou d’une source, cet
îlot de providence n’existe que par la capacité des êtres
humains à tirer le meilleur parti de l’eau. Cette
agriculture non compétitive et cette séculaire gestion
respectueuse « ne datent pas de la dernière
pluie » et n’a donc aucune leçon à recevoir de
l’avènement du principe de précaution, de notre paradigme
du développement viable ou autre philosophie de pression
supputée supportable. Induite par sa dotation géographique,
l’oasis est censément et avant la lettre la meilleure
expression de cette gestion participative et durable, par
l’Homme, avec l’Homme et pour l’Homme, dans la mesure où
l’ingéniosité du mode de vie oasien intègre les principes
d’économie, d’équité et de rigueur.
Moins l’agriculture manipulera la nature et mieux elle se
portera. La saine gestion
des ressources est la clé déontologique de l’oasien et de
son oasis. Cela peut signifier que la civilité et le
respect de l’environnement ne sont pas l’apanage des
sociétés occidentales qui n’arrivèrent que très tardivement
à intégrer ce souci majeur, après avoir été à l’origine de
la rupture des équilibres à travers leurs modes de
colonisation sauvage, fortement prédateurs de ressources
non renouvelables. L’expropriation et l’appauvrissement des
populations nomades, la restriction des espaces agricoles
et, par conséquent, la pression accrue sur les écosystèmes
fragiles et l’anéantissement des chances de survie des
populations autochtones furent les meilleures formes
d’expression de cette perversité coloniale. C’est rétablir
une vérité historique que de dire que ce sont les
industries manufacturières occidentales de l’ère de la
révolution industrielle du XIXe siècle qui sont
largement à l’origine du déclenchement de la
désertification, de l’érosion et, aujourd’hui, du
réchauffement de la planète, de l’effet de serre, des trous
de la couche d’ozone et des rejets industriels qui
représentent les atteintes majeures à l’environnement.
Encore convalescent des méfaits du colonialisme, voilà que
l’oasien doit subir les tentations malignes du
consumérisme, le voici attendant impatiemment le
camping-cariste en short ou le miroir aux alouettes d’un
très quelconque Paris-Dakar, évènements propagés par la
lucarne de la télévision satellite, ambassadrice d’une
mondialisation ayant tout de l’inaccessible étoile. Alors,
le Robinson séculaire de l’oasis, jusqu’ici en parfaite
autosuffisance, commence à désirer ce qu’il n’a pas, à se
vouloir prisonnier de l’inutile, à connaître le gâchis, les
pertes et les résidus. Quand c’est fini ça recommence
! Ce contact nocif serait-il cette fois le début de la
fin de l’oasis contaminée et corrompue ? Serions-nous
donc incapables de laisser les gens
« tranquilles » ?
Prouesses
de l’autarcie, les jardins
oasiens produisent tout : céréales (Blé, Orge, avoine,
seigle, maïs), plantes fourragères (Luzerne), légumes
(tomate, poivron, aubergine, melon, pastèque, salade,
betterave rouge, oignon, etc.), épices, henné, roses, baies
et fruits (dattes, figues, figues de Barbarie, pêches,
abricots, oranges, citrons, grenades, olives, amandes,
autres espèces récemment introduites). Si l’on mentionne
les animaux domestiques (Chèvres, Moutons, Bovins, Ânes,
Chevaux, Mulets, volailles), la viande, les oeufs et les
produits laitiers, on obtient ainsi un système économique
riche et diversifié, et l’on pourrait ne se rendre au souk
que pour le sel...et la carte du téléphone mobile. La zone
oasienne marocaine est également le berceau de plusieurs
races domestiques comme la race ovine D’man, celle caprine
Dra et bovine Tidili. Le climat saharien permet des
récoltes hivernales pour les tomates et une moisson dès
mars-avril ! Mais les chaleurs estivales interdisent
souvent les cultures et la palmeraie présente alors un
aspect mort. C’est en janvier-février qu’il faut assister à
son embellie.
La Luzerne est partout au Maroc et notamment dans
l’agrosystème oasien. Cette Légumineuse fourragère pérenne,
fondatrice du fort développement de l’agriculture
européenne du XIXe siècle, offre de nombreux atouts et son
usage doit être encouragé par les partisans d’une
agriculture durable et respectueuse du milieu. Cultivée
seule ou associée à d’autres fourragères, elle peut être
exploitée durant deux ou trois ans, à raison de quatre à
cinq coupes annuelles correspondant à une moyenne de dix à
quinze tonnes de matière sèche à l’hectare. Connue depuis
dix millénaires, elle est très appréciée pour son apport en
protéines des rations animales, mais un grave repli des
surfaces fait craindre qu’à l’aube du XXIe siècle et face
au succès du maïs fourrage et des prairies temporaires,
elle ne survive pas dans le panorama agricole occidental.
Agronomiquement, elle favorise la fertilité du sol à
travers une fixation symbiotique (avec une bactérie) de
l’azote dans la biomasse, écologiquement elle régularise la
dispersion des eaux en épargnant des labours superflus et
dans les assolements elle réduit la durée de nudité du sol.
N’exigeant que très peu d’intrants, elle contribue à la
biodiversité de la flore et de la faunule par le secours
sciaphile (refuge) qu’elle procure. Elle est aussi une
source nectarifère considérable et qui a observé
l’animation entomologique au-dessus d’une planche de
Luzerne oasienne n’aura nul besoin de commentaire.
Socio-économiquement, sa productivité est ample puisqu’elle
s’utilise comme fourrage vert (à l’auge ou en pâture),
comme fourrage fané (foin) et comme concentré
(déshydratée). C’est une culture à promouvoir dans le
concept d’une réduction des impacts environnementaux et là
encore, l’agriculteur de l’oasis montre le chemin à ne pas
abandonner. Aidons-le !
On peut assimiler bien des vergers et faciès de cultures
vivrières au système oasien, dès l’instant qu’ils se
manifestent dans le concept de l’Aride, sur des sols
minéraux bruts ou peu évolués, des bioclimats semi-aride,
aride ou saharien à isohyète de 100 ou de moins de 100 mm.
La définition peut tout aussi bien convenir à des
palmeraies, à des amandaies ou à d’autres vergers de basse
montagne, voire à des formations alluviales bénéficiant de
nappes d’oueds intermittents (oasis alluviales), comme il
en existe de nombreuses figures dans les régions
sud-atlasiques du Maroc. Le Tamaris y est alors le
compagnon le plus fidèle du Palmier. Cette formation
végétale spontanée est néanmoins et surtout associée à
l’erg et à la silhouette chevelue des Palmiers dattiers.
L'erg constitue une protection naturelle et recèle sous ses
sables d'importantes quantités d’eau fossile. L’eau captée
dans les nappes d’erg coule généralement en un flot de
bonne qualité. L’humidité provoquée par la condensation
nocturne qui se dépose sur l'immensité des étendues
sableuses constitue aussi un micro flux de pluie
ascensionnelle très bénéfique à la végétation.
C’est par le Palmier dattier que l’oasis,
traditionnellement associée à l’agriculture strictement
familiale, cède la place à une monoculture fondée sur
l’augmentation de la production en dattes. Au Maroc, le
dattier contribue variablement à la formation des revenus
agricoles d’un million d’habitants à hauteur de 20 à 60 %.
Il constitue le support d’une activité commerciale
importante entre le Sud et le Nord du pays et participe à
la stabilisation des populations concernées. La production
dattière de la l’ensemble de la zone s’élève, en année
normale, a près de 90.000 tonnes constituant ainsi
l’essentiel de la production nationale.
Le Palmier dattier : le plus « humain » des
arbres
« Peut-être
Dieu a-t-il créé le désert pour que l'homme puisse se
réjouir à la vue des palmiers. »
Paul Coelho
« Les pieds
dans l’eau, la tête dans le soleil. Le palmier est traité
comme un être humain. N’a-t-il pas un sexe ? N’a-t-il
pas une tête qu’on ne peut couper sans qu’il meure ?
On l’aime de si bien répondre à ce qu’on fait pour lui. Non
seulement il nourrit ceux qui le soignent, mais il rend le
bien pour le mal : jetez-lui une pierre, il vous
envoie des dattes.. On le préserve, en certains cas, du
mauvais oeil, en suspendant à son tronc un crâne de
chameau, un tibia de mulet, une vieille marmite trouée.
Celui qui s’obstine à mal produire est menacé
symboliquement : on fait semblant de se préparer à le
couper. On ne se décide à abattre un palmier que s’il est
vraiment malade, ou cassé par le vent. Le palmier participe
à l’amour des hommes et à la louange de Dieu. Le murmure du
vent dans ses palmes est une glorification du Maître des
mondes. Certains sont sacrés, marabouts, ornés de chiffons
votifs, encensés. Quand on abat un palmier mâle, on place
sur les femelles voisines, ses épouses, quelques-unes de
ses feuilles pour atténuer leur
chagrin. »
Émile Dermenghem
« Fils ardent
de la terre et du soleil d'Afrique », le
Palmier dattier est avec le Cocotier (Cocos
nucifera), le plus
notoire car le plus cultivé par l’Homme. Lorsqu’on demande
à un enfant de dessiner un Palmier, il reproduit
instinctivement un Dattier ! Tout comme l’oasis, son
système d’irrigation et le Dromadaire (saharien ou de
trait), le Palmier dattier est originaire d’Arabie et fut
introduit au Maghreb lors de la colonisation. La seule
Palmacée autochtone et d’ailleurs commune aux deux rives
(Maghreb et péninsule Ibérique) est le Palmier nain
(doum)
qui, sur des sols assez profonds, argileux et en semi-aride
bien arrosé, se développe en matorral de plaines et de
collines, parfois en forêts claires, formant de larges
touffes peu élevées à base de multiples rejetons, mais
pouvant exceptionnellement montrer des sujets d’une dizaine
de mètres.
Connu de tous, le Palmier dattier (Phoenix
dactylifera) est un arbre
peu polymorphe, au stipe (tronc) marron-gris, grêle,
cylindrique et élancé qui ne s’épaissit pas, émettant des
rejets et dont la taille peut avoisiner une trentaine de
mètres de hauteur et 30 cm de diamètre. L’aspect écailleux,
très utile pour escalader l’arbre au moment des
cueillettes, résulte des anciens pétioles. Le système
racinaire est un bulbe coiffé d’un considérable réseau de
fines racines allant chercher l’eau dans toutes les
directions. A l’instar de l’ensemble des espèces du genre,
les feuilles sont des palmes qui, implantées en hélices
très serrées, vivent quatre ou cinq ans avant de se
dessécher. Ce feuillage de couleur bleuté se compose de
trente à cinquante feuilles pennées, de plus de 4 m de
longueur, avec des pinnules étroites, assez rigides,
irrégulièrement disposées sur le rachis. Le pétiole, de 50
cm à plus d’un mètre de longueur, est couvert d’épines
jaunes. La spathe à inflorescences est furfuracée ou
squamuleuse. Le bourgeon terminal où se forment les futures
palmes et les régimes de dattes, est garni d’une bourre
très fibreuse (le fibrilum). Les Phoenix
sont
des Palmiers dioïques, il existe donc des plantes mâles et
des plantes femelles. L’Homme intervient dans la
fécondation en rapprochant le pollen des fleurs mâles des
pistils des grappes femelles, délicate opération jouissant
de soins attentifs et de rites minutieux. Ayant pris soin
de remplir les poches de sa gandoura de rameaux de fleurs,
le fécondateur hissé sur l’arbre femelle puis installé sur
les palmes aux piquants récalcitrants, introduit une
brindille mâle dans chaque thyrse femelle qu’il a
préalablement entrouvert, puis enserre le thyrse à l’aide
d’une foliole. Et ainsi de suite jusqu’à plus de cent
régimes par jour pour un fécondateur zélé. Les
inflorescences interfoliaires émergent tous les ans au
premier printemps entre les feuilles. Elles sont courtes et
ressemblent à un balai chez les mâles, plus longues et
lourdement chargées de fruits chez les femelles
pollinisées. La datte mûre a une couleur brune (orange vif
avant maturité) et contient une graine allongée et
parcourue d’un sillon longitudinal, tout à fait typique du
genre Phoenix.
Cette baie, de forme plus ou moins oblongue mais très
variable, recouverte d’un épiderme parcheminé, possède une
chair riche en sucre et d’une grande valeur nutritive
(un kg de dattes représente une ration alimentaire
d'environ 2 000 calories). Il existe plus de cent
variétés de dattes, lesquelles se distinguent non seulement
par l’origine, mais par la couleur, la taille et la forme.
Les dattes se vendent sur branches ou en vrac et les
variétés les plus recherchées sont les muscades
(semi-molles). Elles sont consommées fraîches, fermentées,
en confiture, ainsi qu’en confiseries ou séchées. Les
graines sont parfois torréfiées comme substitut du café ou
servent de nourriture aux animaux. Les jeunes feuilles
peuvent être dégustées comme légume (Chou palmiste). On
multiplie le palmier dattier à partir des rejets mais aussi
par les graines qui germent très rapidement.
Phoenix
dactylifera est donné comme
une espèce primitive apparue il y a 100 millions d’années.
Les premiers documents confirmant sa culture remontent à
6000 ans Av. J.-C. Avec presque 5 millions de Palmiers, la
palmeraie marocaine couvre 85.000 ha. Outre les dattes, on
utilise les palmes comme brise-vent, combustible, nattes,
en vannerie et en ameublement, ainsi que les troncs morts
comme poutres et gouttières. Le Dattier est le Palmier le
plus résistant tant au froid qu’au stress hydrique. A
Bordeaux (France), le vieux sujet d’agrément du Jardin
botanique résista à des températures négatives soutenues
jusqu’a une pointe à -12° et auxquelles même
Phoenix
canariensis (endémique des
Iles Canaries) aurait succombé. Il existe plus d’une
dizaine d’autres espèces du genre Phœnix,
introduites notamment comme plantes ornementales.
Cet arbre, qui est en fait une grande herbe, possède une
résilience dont les qualités essentielles - résistance à la
chaleur et au vent de sable - furent insignes pour
constituer une formation d’accueil à un écosystème que le
Saharien a voulu « modeler » en pleine steppe
désertique. A son ombre, une agriculture diversifiée a pu
s’épanouir et un cortège de plantes et d’animaux commensaux
a proliféré. Le palmier dattier et l’eau furent les
fondateurs de l’oasis. L’oasis permit de sédentariser des
Hommes pour lesquels chaque lendemain était une inquiétude,
un recommencement sans fin. A l’exception passée du recours
à l'esclavage pour son entretien, ce système a établi des
valeurs exemplaires, a dicté de nouveaux codes, a déterminé
de fortes conventions collectives, a fondé une éthique de
l'usage de l'eau et de la terre. Mais sous l'effet d'un
schéma de développement désormais inapproprié, de lourdes
menaces pèsent sur ce modèle.
Les femmes, les enfants et l’oasis d’abord...
Parler d’un écosystème, c’est d’abord s’extasier sur les
origines de sa formation, puis attester de sa pérennité
depuis la nuit des temps, pour enfin déplorer son présent
dysfonctionnement. Cela va durer jusqu’au dernier chapitre
du livre, et pire jusqu’à la fin des temps. De notre
temps. On pourrait se positionner en sophiste pour annoncer
que ce pessimisme connoté réaliste n’est qu’une berlue
ordinaire, une vue de l’esprit formatée sur fond de
conflits ressassés, un signe illusoire des temps
médiatiques maniant le sensationnel dans un besoin de
profit. Quoi de plus évènementiel pour les faux prophètes
de l’information que l’annonce réitérée d’une proche
« fin du monde » ? Même la fin du monde peut
être rentable ! Nos analyses critiques accusant
l’Homme d’agression contre la biosphère pourraient être
démunies du moindre fondement, toutes ces disparitions
massives et ces fins de paysages ne venant que s’inscrire
dans une évolution régressive naturelle, une involution du
Tout vers un Rien. Et nous serions victimes parmi les
victimes d’un matraquage vert de quelques marchands de
désespoir passés maîtres en lavage de cerveau. Nous serions
seulement intoxiqués par l’art de communiquer, contaminés
par les prosélytes d’une écoconscience autosuggérée et
inhérente à la méthode Coué. Ce contre-pied de l’avocat du
diable ne résiste pas, hélas, au moindre examen approfondi
de la question et en leurs âmes et consciences, les
écologues, des écologistes et quelques politiques acculés à
l’heure de vérité voient juste : les espèces, les
espaces, tout fout le camp ! Et en
l’occurrence,
ils entrevoient jusqu’à l’ennoyage dunaire de la palmeraie,
le lent naufrage de l’oasis dans sa mer de sable.
Si l’érosion hydrique et ravinante est une menace majeure
pour le Rif et les Atlas, c’est l’érosion éolienne et les
risques d’ensablement qui se posent amplement dans les
provinces maritimes et continentales du Sud marocain.
L’oasis et ses douars sont évidemment les plus exposés,
d’autant que sévit une mauvaise utilisation des ressources
naturelles provoquant la dégradation du couvert végétal et
des sols supports sous la pression des besoins en bois
énergétique, du pâturage et de l’extension des cultures
itinérantes. On observe avec une acuité croissante
l’existence de zones de déflation, de corrasion et de
vannage, parallèlement à des secteurs d’accumulations
sableuses. Ces accumulations menacent non seulement les
palmeraies et leurs parcelles, mais aussi les voies de
communications et essentiellement les canaux d’irrigation.
Certaines oasis de la région de Zagora sont déjà
sérieusement affectées, avec 10.000 ha de superficies
recouvertes et plus de 25 % des canaux nécessitant un
curage régulier. Dans le Tafilalt, ce sont 6000 ha qui se
trouvent envahis. La perte agricole annuelle est
considérable. Une lutte mécanique contre cet ensablement
bénéficie d’une longue expérience acquise à travers
diverses méthodes de fixation et de stabilisation des dunes
mais la stratégie, laborieuse et parcellaire, reste limitée
à des traitements curatifs et non susceptible de s’attaquer
à des zones en amont. Dans la mesure du possible, une lutte
biologique est aussi envisagée avec l’installation d’un
couvert végétal ou arbustif adapté au milieu aréneux. Faute
de connaissances suffisantes en matière d’érosion éolienne,
aucun plan prioritaire de lutte et de réhabilitation ne
répond pour l’instant à la préoccupation.
Outre les menaces de l’ensablement susceptible de recouvrir
les sols fertiles, d’autres grandes causes documentées
engendrent un déclin potentiel et hypothèquent gravement
l’avenir de l’oasis. La liste non exhaustive
comprend :
- Le changement climatique, dont l'accentuation de la
sécheresse induit des conséquences sur les disponibilités
hydriques, elles-mêmes fondatrices de l'oasis ;
- L'inadéquation de la pression démographique et de
l'urbanisation anarchique (perte des valeurs
architecturales harmonieuses) par rapport à la capacité de
charge très limitée de l'écosystème oasien ;
- La disqualification des opérateurs oasiens dans les
échanges économiques et la main-mise des tenants de
l'import-export et des transnationales sur les circuits de
commercialisation des produits locaux ;
- Les modifications des modes de vie programmés par l’ère
de la communication, l’irruption du consumérisme et la
mondialisation annoncée, avec une demande des produits
manufacturés allochtones au détriment de ceux locaux, tant
alimentaires qu’artisanaux, avec crise identitaire et
dépréciation ;
- L'absence d'évolution du droit coutumier désormais
obsolète, tant sur le foncier que sur l'eau, les modes
d'exploitation conduisant au disensus, au morcellement et
introduisant des incohérences fortes au sein d’un système
relié à des contraintes éminentes ;
- L'absence de prise en compte sérieuse de la spécificité
oasienne par les décideurs étatiques, en particulier dans
le domaine de la recherche, de l'agriculture, de
l'éducation et de la formation continue ;
- Le vieillissement des agriculteurs actifs et la
non-relève engendrant la déprise ;
- L’introduction des produits phytosanitaires, des
herbicides, des pesticides (notamment
en lutte antiacridienne), l’abandon de
l’amendement humique au profit d’engrais (fertilisants
organominéraux) trop riches en matières azotées, leur
utilisation peu rationnelle, la pollution chimique et la
dégradation subséquentes des terres et des eaux,
au lieu et place du recours à une agriculture intégrée
parfaitement opportune en un tel milieu ;
- L'enclavement et l'éloignement géographique ;
- Le pouvoir du marché international avec des préférences
pour des dattes de grande taille, molles et sucrées, à
meilleure valeur commerciale. Pour satisfaire cette
demande, les phéniciculteurs sont en train de remplacer les
différentes variétés traditionnelles par un nombre très
réduit de variétés nouvelles offrant un meilleur attrait
commercial ;
- L’impact de la maladie du Bayoud, fusariose vasculaire
due à un Champignon dont le mycélium se développe de la
base vers le sommet de l'arbre, provoquant sa mort
lorsqu'il atteint le bourgeon terminal ;
- La salinité des sols, localement provoquée par de
mauvaises pratiques d'irrigation, diminuant
considérablement la productivité des dattiers alors
délaissés par les agriculteurs ;
- La perte des deux tiers du patrimoine phénicicole
marocain au cours du XXe siècle, notamment pour certaines
des causes susdites.
Toutes
ces évolutions négatives conduisent à l'hémorragie des
forces vives et à l’exode rural des jeunes oasiens.
Plusieurs
programmes visant à la sauvegarde de l’oasis et de ses
palmeraies ont été théoriquement lancés ces dernières
années. Il s’agit d’abord de l’octroi du label de Réserve
de la Biosphère des oasis du Sud marocain de l’UNESCO, à
l’intention de la biodiversité et de la géodiversité dont
témoignent ces espaces, mais aussi au nom de cette
civilisation millénaire de l’Aride et de son remarquable
savoir-faire en phase avec les normes dites aujourd’hui de
gestion durable. Un plan national de restructuration et de
développement de la palmeraie, adopté pour 1998-2010,
prévoit quant à lui la plantation ambitieuse de plus d’un
million de vitro-plants de variétés résistantes à la
maladie du Bayoud. D’innombrables partenaires et bailleurs
de fonds internationaux participent à des projets
directement inspirés de cet écosystème et de ses habitants.
Il existe enfin un Réseau Associatif de Développement
Durable des Oasis (RADDO), ainsi qu’un Programme d'Actions
Concertées des Oasis (PACO), qui sont en recherche de
financement pour leur mise en oeuvre.
De l’oasis à la permaculture
(Sources :
Kali De Keyser)
« Et je serai
pour vous, un enfant laboureur
Qui fait vivre sa terre, pour vous offrir ses
fleurs. »
Barbara
L'agriculture
naturelle ou synergétique, établie par le microbiologiste
et agriculteur japonais Masanobu Fukuoka a été adaptée au
climat tempéré par des recherches ultérieures et se
superpose parfaitement au concept oasien dont elle pourrait
représenter une alternative pour un futur viable dans
l’option des nouveaux marchés de produits biologiques.
C’est une option qui en tout cas vaut largement celle qui
consister à polluer chimiquement les jardins de l’oasis
pour participer à des normes sans commune mesure avec le
potentiel quantitativement dérisoire de telles
surfaces.
Toute initiative de culture biologique est à la menace
d’une mise au rendement intensif des espaces oasiens ce que
peut représenter, pour l’émancipation humaine,
l’altermondialisme face au ras de marée de la
mondialisation et de son jeu de concurrence aveugle.
La synergie, c'est ici l'action simultanée d'éléments
indépendants que sont les plantes vasculaires, les
micro-organismes, la faune, la flore du sol, l'humus,
lesquels ont ensemble un effet plus grand que la somme de
leurs parties. Dans ce système agricole clairvoyant, on
cultive les plantes dans un sol sauvage qui
s'auto-fertilise perpétuellement et se travaille de
lui-même. Il n'y a donc pas de labeur du sol, ni de labour
: c'est la faune du sol qui s’en charge, les Lombrics et
autres nobles décomposeurs. On permet aux cycles
biochimiques du sol ainsi qu'aux mycorhizes des plantes de
se produire sans être perturbés par une aération excessive
ou par un engraissage malvenu. Les apports en fumier, en
compost, et tout autre engrais même biologique sont alors
superflus puisque la cause primordiale de destruction de
l'humus et de sa faune productrice qu’est le travail
conventionnel du sol, est abandonnée. Dans la nature, le
sol est toujours couvert de végétation, vivante ou morte.
De même, en agriculture synergétique, on protège le sol
contre l'érosion par le vent, par la pluie, contre le
dessèchement par le soleil et contre l'envahissement par
les herbes indésirables, grâce à un mulch qu'il soit de
paille, de foin sans semences, de laine, de carton, de
broyat de broussailles, voire de trèfle rampant. Cette
couverture du sol va se décomposer par l'intervention des
micro et des macro-organismes qui vivent en quantités
innombrables dans un sol non perturbé et vont ainsi créer
l'humus microbien, puis l'humus stable, base de la
fertilité des sols. On parle de compostage en surface et
sur place. Pour semer et pour éclaircir, on écartera ce
mulch pour le replacer ensuite. Une grande diversité de
plantes (légumes, fleurs compagnes, plantes aromatiques,
etc.) sont cultivées en association et en rotation. Rien
n'est jamais enfoui. Les plantes se décomposent là où elles
ont vécu. Plus il y a de plantes et plus elles sont
diversifiées et mélangées, plus le sol est vivant et se
nourrit de lui-même. Le désherbage des plantes indésirables
se fait à la main par arrachage. On les ajoute à la couche
de mulch sauf quand elles sont en graines. La présence de
ces herbes diminue d'année en année car c'est le travail du
sol qui fait remonter les graines en surface là où elles
vont germer. Pour débuter un jardin en synergie, on peut
procéder de différentes manières. S’il y a une végétation
existante, on s'en débarrasse, soit par des soins du sol
les plus superficiels possibles, soit en faisant intervenir
des animaux domestiques comme des poules, soit encore en
recouvrant le sol avec des cartons ou des tapis. On peut
aussi recourir à la technique des plates-bandes surélevées.
Ces plates-bandes de la hauteur de la couche humifère (plus
elles sont hautes, plus les plantes peuvent y enfouir leurs
racines profondément) et d'une largeur telle que l'on peut
facilement en atteindre le centre (1,20 m), seront
installées une fois pour toutes. Comme on marche sur les
chemins et plus jamais sur les plates-bandes, le sol ne se
compacte pas et reste bien aéré. Par contre, dans d'autres
jardins, les cultures sont au niveau des sentiers. Pour une
grande superficie, il n'y a même plus distinction entre
plate-bande et sentier. Chacun peut adapter la méthode
selon le sol, le climat, les dimensions du terrain et ses
propres besoins.
L'agriculture synergétique s'intègre dans la conception
écologique des espaces semi-naturels et cultivés qu'est la
permaculture. Intégrée à l’écosystème oasien, elle
représente un idéal sans compétitivité.
Quand l’oasien voit grand...
Transformer un désert en terre providentielle est un vieux
fantasme. Par tradition, de petites étendues ont été
irriguées par des galeries souterraines et des puits, ce
sont les oasis. Mais ces méthodes d’irrigation n'ont que
peu d’utilité pour nourrir de grandes populations. Ceux qui
ont survolé certaines régions du Sahara et du désert
d’Arabie ont peut-être noté d’immenses champs céréaliers
étrangement circulaires. Vus du ciel, ces espaces agraires
vert brillant ressemblent à des îles au beau milieu d’une
mer mêlant le brun et le jaune pâle. Tels sont les
exploitations des fermiers modernes du désert, financés
comme en Arabie Saoudite par les revenus de la production
pétrolière et dont l’objectif est de faire pousser
suffisamment de Blé pour faire face à une population
devenue exponentielle, moyennant une irrigation à grande
échelle. En dépit du rude climat et de la dégradation
générale des sols, la majeure partie du désert reste très
fertile. Il ne manque que l’eau en surface. L'eau servant à
irriguer ces champs vient donc des entrailles de la terre
et surgit à la surface au moyen de pompes motorisées. La
forme circulaire des champs résulte du système utilisé pour
irriguer le sol. L‘eau souterraine est puisée au centre du
champ puis canalisée par l'intermédiaire d’un long bras en
métal muni d’ajutages d’arrosage. Ce bras, actionné par des
moteurs, tourne lentement en rond, distribuant
judicieusement partout l’eau par les ajutages. Ces cultures
céréalières hors du commun sont des programmes très
ambitieux mais bien des scientifiques estiment que ces
tentatives sont très peu prévoyantes car les gisements
d'eau fossile ne dureront pas éternellement. En outre, ce
type d’irrigation par ajutages gaspille énormément car
l'aspersion dans l'air brûlant du désert entraîne
l’évaporation de grandes quantités d’eau avant même qu'elle
n'imbibe le sol. Bon nombre de régions dites désertiques
sont mitoyennes de la mer, source d'eau illimitée. Hélas,
le processus de désalinisation qui transforme l'eau salée
en eau douce est extrêmement raffiné et rendu complexe à
grande échelle, nécessitant d'impressionnantes quantités
d'une coûteuse énergie. Les serres sont finalement le seul
moyen utile de créer des environnements artificiels. Dans
le désert, les serres pour plantes ont le même but que la
fermeture du terrier chez les petits Mammifères.
L’augmentation de l’humidité y ralentit le taux
d'évaporation et bien moins d’eau est consommée pour
irriguer. Ce développement de serres agricoles dans le
domaine désertique a été largement favorisé par
l’introduction des matériaux modernes.
La palmeraie marocaine
D’est en ouest, depuis la zone frontalière avec l’Algérie
jusqu’à l’Atlantique, toute la frange subsaharienne
marocaine offre un saupoudrage assez régulier d’oasis avec
leur formation permanente à Phoenix
dactylifera.
Les principales palmeraies se développent dans les secteurs
suivants :
Figuig (100.000 Dattiers et 7 ksour) ; la région de
Bouânane à Boudnib ; le Tafilalt entre le Ziz et le
Rhéris, depuis Er-Rachidia au nord jusqu’a Erfoud, Rissani
et Taouz au sud, Jorf, Goulmima et Tinejdad à l’ouest (la
« Mésopotamie » du Maghreb avec 700.000 Dattiers
et une cinquantaine de ksour) ; Skoura et la région de
Ouarzazate ; Nekob et Tazzarine au sud du Djebel
Sagrho ; la haute Vallée du Drâa depuis Agdz, Zagora
jusqu’à Mhamid (200 km d’oasis essentiellement
alluviales) ; la région de Foum-Zguid ; puis
Tissint, Akka-Irhèn, Sidi-Rezzoug, Tata,
Souk-Tleta-de-Tagmoute, Imitek, Tisgui-Ida-ou-Ballou,
Tagmoute, Souk-Khemis-d’Issafèn, Tazegzaoute, Timkyet,
Aït-Mansour, Souk-el-Had-d’Afella-Irhir, Bou-Zarif, région
de Tafraoute, Akka, Touzounine, Idgi, Tizgui, Icht,
Tamessoult, Id-Âïssa, Taghjicht, Timoulaye, Aït-Bekkou,
Tadaltetc. ; et plus à l’intérieur, au nord du Haut
Atlas, la fameuse palmeraie de Marrakech (150.000 Dattiers
estimés il y a quelques décennies, en régression pour
l’inévitable cause immobilière...), et sur le versant
atlantique du Haut Atlas, le Pays Ida-ou-Tanane et ses
petites oasis de montagne.
Démons et merveilles, ou le temple bien gardé !
« Un jour, Hui
Tseu demanda à Tchouang Tseu:
- Un homme peut-il réellement vivre sans désirs ?
- Certainement.
- Mais si un homme est sans désirs, est-il vraiment un
homme,
peut-il agir ?
- Ce que j'entends par « être sans désirs »,
c'est uniquement de ne
pas connaître attirance et répulsion qui enchaînent
l'esprit.
Observe la
nature: ces sentiments n'existent pas dans son monde,
mais dans le monde des Hommes. »
Tchouang Tseu
« Jamais
la Nature n'est si avilie
que quand l'ignorance superstitieuse est armée de
pouvoir. »
Voltaire
Détruire
ou maîtriser, cette ambiguïté originelle comme la
« tache », est l’unique option de l’Homme quand
il pense « nature ». Qu’il s’agisse
de la connaissance des simples, dont l’imagination
refoulée, l’émotivité inconsciente est chargée d’une
symbolique affabulée de « queues », de
« cornes », de « sans pattes », de
« souterrain », de « gluant », de
« morsures » et autres
« piqûres » ; ou qu’il s’agisse de l’étude
scientifique et de la conservation patrimoniale peuplée
d’étiquettes héritées de ces « professeurs
qui ont mis le désordre dans le
monde », selon
le même philosophe Tchouang Tseu, l’un des fondateurs du
taoïsme. L’histoire des jardins au cours des âges nous
enseigne admirablement l’évolution des rapports que les
diverses sociétés ont entretenus avec la nature.
Les Arabes, fils du désert, composèrent des jardins en
totale opposition avec le milieu hostile des steppes, des
ergs, des regs et des hamadas dont ils sont issus, avec la
quête évidente d’un paradis : fontaines
rafraîchissantes, végétation luxuriante, parfums des
fleurs, chants des Oiseaux, harem féminin, où tout concourt
à une volupté qui confine à un très fort degré d’érotisme.
C’est l’oasis. Les croisades et l’Espagne musulmane
importeront cette composante des Mille et Une Nuits dans
une Europe nettement moins raffinée.
Mais dans l’espace oasien, la salutaire interraction est
muselée, cette nature n’est pas plus libre que dans les
autres figures, elle y reste sous contrôle, sous
tutelle : n’y participe pas qui veut !
Au
nom du bien et du mal, le Jardin des Délices et des
voluptés rejette les indésirables sous les sempiternels
préceptes des vieux démons. Les entrées sont soumises à
l’approbation du jardinier-régisseur. Dans l’oasis comme
ailleurs, le « laisser-vivre » et le
« laisser-pousser » sont assimilés au
« laisser-aller » et représentent un
insurmontable effort sur soi-même. L’agriculture, apparue
au Proche-Orient il y a dix mille ans, n’a eu de cesse de
veiller à cette dichotomie de l’utile et du nuisible,
pensée plus moraliste et esthético-culturelle que
rationnelle. Le Crapaud n’est laid, l’Araignée n’est
effrayante que par l’intention projetée de celui qui les
regarde. Nous prêtons aux plantes et aux animaux nos
propres émotions, nous en faisons les écrans de nos
projections, les supports de nos frayeurs et de nos désirs,
de nos pseudo raisonnements.
Nous nous racontons des histoires. Au-delà des
causes économiques, politiques, culturelles, sociales, qui
rendent ardus les rapports de l’Homme avec la nature, il en
est une, beaucoup plus cachée, insaisissable et sourde qui
prévaut sur toutes les autres :
le maître économique de la planète a peur de la
nature, notamment de
sa part d'animalité. Et ce depuis la fin du
chasseur-cueilleur dont le respect était alors nettement
plus universel. Ainsi mentalisé, la tâche n’est guère aisée
pour le cultivateur de l’oasis qui n’a rien de
l’anachorète. Sa lutte s’avère constante contre les plantes
sauvages qui envahissent ses plates-bandes, les animaux
intrus qui les détruisent, les parasites qui les rongent,
les aléas climatiques qui les menacent.
La nature « sauvage » est ainsi vue comme un
empire hostile et contre lequel il faut lutter
d’arrache-pied.
Les thèmes
imbriqués de l’oasis et de l’émotionnel provoqué par
certaines formes animales permet ici d’entrevoir la
tradition comme à double tranchant. Il est présentement de
bon aloi d’encenser les traditions quelles qu’elles soient
et d’où qu’elles viennent, comme pour exorciser une
modernité incontournable. La culture oasienne et le génie
de l’irrigation qu’elle implique perpétuent un admirable
savoir-faire au service de l’autarcie et illustrent une
tradition en effet exemplaire. A l’opposé, les croyances
ancestrales véhiculées par la crainte d’animaux aussi
inofensifs qu’auxiliaires, et auxquelles adhèrent encore
fortement les oasiens est à proscrire.
Perpétrée sous le nom de tradition, la bêtise c’est aussi
de la culture !
« Qui va là ? »
L’oasis agit comme une « éponge » au cœur de
l’univers aréique, absorbant toutes les composantes
floristiques et fauniques susceptibles de bénéficier des
attraits de la capacité d’accueil de ce havre providentiel
d’ombre et de fraîcheur. Pour dissuader le cheptel,
l’entièreté ou certaines parcelles sont le plus souvent
ceintes de haies plus ou moins vives qui représentent
d’appréciables zones de refuges et des réservoirs
d’auxiliaires. Les espèces riveraines de la faune du
désert, attirées par une telle hospitalité, essaient
inlassablement d’y pénétrer mais ne s’y maintiennent que
temporairement et au prix d’une « surenchère
de l’astuce ». Lorsque l’essai est transformé à plus
long terme, parce que le « gardien du temple » a jugé
l’espèce soit insignifiante, soit utile, voire sympathique
(inoffensive et esthétique selon ses critères subjectifs et
culturels), c’est alors la victoire du commensalisme.
Cette biocénose commensale de l’Homme, propre aux jardins
sahariens et à l’oasis, peut rassembler, parfois sous la
menace permanente pour les visiteurs ou résidents estimés
nuisibles, certains petits Mammifères, notamment
Rongeurs comme quelques Mériones, Gerbilles et
Gerboises, le Porc-épic ; des Insectivores tels le
Hérisson d’Algérie (Erinaceus
algerus) et le Hérisson
du désert (Paraechinus
aethiopicus), quelques
Musaraignes ; peu de Chiroptères ; certains
Amphibiens tolérés comme le Crapaud de Maurétanie, le
Crapaud vert et le Crapaud de Brongersma, la Grenouille
verte d’Afrique (forme du Sud marocain) ; des Reptiles
qui pénètrent plus ou moins discrètement certaines niches
offertes par la palmeraie comme la Tortue grecque, l’Émyde
lépreuse, la Tarente de Böhme, le Sténodactyle de
Maurétanie, le Sténodactyle de Pétrie (en marge dans
les ergs),
le Gecko à écailles carénées de Tripolitaine, le Caméléon
commun, certains Érémias (en orées rocheuses ou dunaires)
et Acanthodactyles, l’Eumécès d’Algérie. Sauf strictement
nocturne, l’irruption même discrète d’une Couleuvre fer à
cheval, d’une Couleuvre-diadème, d’une Couleuvre vipérine,
d’une Couleuvre de Montpellier (d’un contact fréquent dans
les parties délaissées de certaines oasis), d’une Couleuvre
de Schokar, ou pire d’une Vipère à cornes
(Cerastes
cerastes) ou d’une
Vipère de l’erg (Cerastes
vipera) est rapidement
suivie d’une battue et du massacre de l’animal. Le paradis
est si bien gardé qu’il confère à l’enfer. L’entomofaune
est surtout représentée par des Odonates (vie larvaire dans
les canaux d’irrigation et les bassins), des Coléoptères
(Cicindèles, Carabiques, Buprestes du genre Julodis,
Ténébrions, Scarabéidés, etc.)
L’Homme de l’oasis est heureusement moins regardant au
niveau des « mauvaises herbes » et tant que la
pioche n’est pas passée, tant que la serpette ne s’est pas
manifestée, tant que le dictat des marchands d’herbicides
se heurtent à une judicieuse économie budgétaire, bien des
plantes adventices, bien des haies vives peuvent
« fleurir tranquille ». Le fellah qui veille sur
l’oasis sait parfaitement ce qu’il doit à cet écran de
végétaux de fourvoiement, à ce manteau de chlorophylle
sauvage qui protège ses jardins des néfastes effets du rude
climat environnant, limitant l’évapotranspiration, coupant
l’effet desséchant des vents, suscitant une ombre
bienfaisante, façonnant ce microclimat de petite jungle
domestique, d’îlot de verdure. La généreuse seguia et ses
miraculeuses perditions dispensent une eau non seulement
fondatrice des cultures vivrières mais par ailleurs
hautement favorable à l’épanouissement de toute une flore,
une faunule et un « plancton » aérien dont on ne
peut que déplorer qu’ils soient si sévèrement contrôlés par
l’Homme amphitryon.
Au Maroc, pays de traditions vivantes, l’oasis prêche en
faveur d’un mariage « presque » harmonieux entre
agriculture douce et milieu naturel. Elle démontre que
peuvent se manifester des associations viables entre les
activités humaines et une vie commensale d’espèces
rudérales.
A la question conservatoire de plus en plus posée, l’oasis
apporte une réponse plus culturelle que scientifique.
Les Papillons de la palmeraie
Quelques Papillons de jour veillent à la qualité des sites
oasiens et en dénoncent encore l’absence de chimie
perturbante. Il s’agit de certaines Piérides rudérales
comme : la Piéride des Biscutelles
(Euchloe
crameri) et la Piéride
du Sisymbre (E.
belemia),
surtout le Zébré-de-vert (Euchloe
falloui) lié à sa belle
Brassicacée des confins sahariens qu’est
Moricandia
arvensis, poussant
parfois en orée des cultures oasiennes, l’Aurore de
l’érémial (Anthocharis
belia androgyne) (strictement
dans les oasis au sud de l’Anti-Atlas occidental et jusqu’à
la palmeraie de Taghjicht sur les rives de l’Oued Seyad),
quelques Lycènes solidaires de Légumineuses tels que :
l’Azuré porte-queue (Lampides
boeticus), l’Azuré de la
Luzerne (Leptotes
pirithous), l’Azuré de la
Surelle (Zizeeria
knysna), l’Azuré de la
Bugrane (Polyommatus
icarus), l’Azuré du
Mimosa (Azanus
jesous) et l’Azuré du
Seyal (A.
ubaldus), parasites des
Acacias des haies agricoles, le Petit Monarque
(Danaus
chrysippus) quand survient
en berges des seguias sa plante-hôte ripicole
Asclepias
curassavica ou transfuge des
peuplements sahariens de Calotropis
procera, plante de la
même famille et également consommée par la chenille de ce
célèbre Papillon migrateur. Certaines années
exceptionnellement favorables, quelques Lépidoptères
propres au Sahara marocain ou à la Mauritanie ont été
signalés des oasis du Sud-Ouest marocain ou de leurs
alentours : il s’agit de présences instables des
Piérides Colotis
chrysonome meinertzhageni
(se
développant sur Maerua
crassifolia) et
Catopsilia
forella (sur des espèces
de Cassiers). Une espèce invasive comme la Belle Dame
(Cynthia
cardui) se manifeste
certaines saisons dans les jardins de la bordure saharienne
mais ses dégats sur les cultures ne sont pas effectifs.
Les années succédant aux campagnes d’épandages chimiques
contre les invasions acridiennes voient s’effondrer
l’effectif des Papillons, comme de toute la biocénose
affine au Sahara et à ses confins. La rémanence des
produits encore utilisés fait que bien des oasis sont
désormais abiotiques, la récupération de la faunule n’étant
pas toujours possible dans un milieu synthétisé par
l’empoisonnement durable choisi contre une infestation…
naturelle et spasmodique.
L’avifaune oasienne
« Les oiseaux
sont responsables de trois au moins des grandes
malédictions qui pèsent sur l’Homme. Ils lui ont donné le
désir de grimper aux arbres, celui de voler, celui de
chanter. »
Boris Vian
C'est une avifaune très diversifiée, qui trouve refuge non
seulement dans les palmeraies, mais aussi dans tous les
espaces culturaux, jardins et vergers environnants.
Une bonne quarantaine d’espèces sédentaires, plus ou moins
erratiques selon les saisons, et à régimes
alimentaires variés, essaient de profiter au mieux des
ressources de ces milieux anthropiques artificiels, comme
le Faucon crécerelle (Falco
tinnunculus), la
Chouette effraie (Tyto
alba), la Chouette
hulotte (Strix
aluco), la
Chouette chevêche (Athene
noctua), le Cochevis
huppé (Galerida cristata), le
Cratérope fauve (Turdoides
fulvus) le Traquet à
tête blanche (Oenanthe
leucopyga), le Bouvreuil
githagine (Rhodopechys
githaginea) et de nombreux
autres Fringilles. Parmi ces espèces
sédentaires, on trouve
encore,
nettement plus
localisés, le Moineau blanc (Passer
simplex) et le Corbeau
brun (Corvus
ruficollis), notamment dans
le Tafilalt, mais que l'on peut aussi rencontrer
nettement plus au sud du pays, dans le Sahara marocain.
Quant au Bruant striolé (Emberiza
striolata), il est
souvent très commun, non seulement dans le milieu oasien,
mais aussi dans toutes les zones prédésertiques et
désertiques.
Les oasis
servent également d’aires d’hivernage à une bonne vingtaine
d’espèces européennes qui les choisissent comme étapes
ultimes de leurs déplacements, en particulier le
Rouge-queue noir (Phoenicurus
ochruros), la Grive
musicienne (Turdus
philomelos) et le
Rouge-gorge familier
(Erithacus
rubecula).
Plusieurs espèces habitant les oasis sont des
visiteurs d'été, à régime insectivore, comme la Caille des
blés (Coturnix
coturnix),
la Tourterelle des bois (Streptopelia
turtur), l’Engoulevent
d’Égypte (Caprimulgus
aegyptius), le Guêpier de
Perse (Merops
persicus), l'Agrobate
roux (Cercotrichas
galactotes), le Rossignol
philomèle (Luscinia
megarhynchos) et
l'Hypolaïs pâle (Hippolais
pallida).
Mais la grande importance des oasis réside aussi dans le
fait que celles-ci servent de lieux d'escales pour de très
nombreuses espèces migratrices européennes ou
nord-africaines, traversant le Sahara au cours de leurs
voyages qui les mènent dans leurs quartiers d’hiver (de fin
août à fin octobre), ou de retour vers leurs
lieux de nidification (de fin février jusqu’en mai). Ces
espèces, souvent insectivores, s’arrêtent pour reconstituer
leurs forces aux abords des différents points
d’eau permanents ou temporaires de la région, qui hébergent
une abondance élevée de leurs proies. Parmi ces
nombreuses espèces, citons le Hibou petit-duc
(Otus
scops),
le Coucou gris (Cuculus
canorus), l'Engoulevent
d'Europe (Caprimulgus
europaeus), le Martinet
noir (Apus
apus), le Guêpier
d'Europe (Merops
apiaster), la Huppe
fasciée (Upupa
epops), le Torcol
fourmilier (Jynx
torquilla), l'Alouette
calandrelle (Calandrella
brachydactyla), l'Hirondelle
rustique (Hirundo
rustica), l'Hirondelle
rousseline (Hirundo
daurica), l'Hirondelle
de fenêtre (Delichon
urbica), l'Hirondelle
de rivage (Riparia
riparia), le Pipit des
arbres (Anthus
trivialis), la
Bergeronnette grise (Motacilla
alba), la
Bergeronnette printanière (Motacilla
flava), la
Pie-grièche à tête rousse (Lanius
senator), la
Rousserolle effarvatte (Acrocephalus
scirpaceus), le Phragmite
des joncs (Acrocephalus
schoenobaenus), l'Hypolaïs
polyglotte (Hippolais
polyglotta), la Fauvette
grisette (Sylvia
communis), la Fauvette
des jardins (Sylvia
borin), la Fauvette à
tête noire (Sylvia
atricapilla), la Fauvette
orphée (Sylvia
hortensis), la Fauvette
passerinette (Sylvia
cantillans), le Pouillot
fitis (Phylloscopus
trochilus), le Pouillot
véloce (Phylloscopus
collybita),
le Pouillot de Bonelli (Phylloscopus
bonelli), le
Gobe-mouches gris (Muscicapa
striata), le
Gobe-mouches noir (Ficedula
hypoleuca), le Tarier des
prés (Saxicola
rubetra), le Traquet
motteux (Oenanthe
oenanthe), le
Rouge-queue à front blanc (Phoenicurus
phoenicurus), la Gorgebleue
à miroir (Luscinia
svecica) et le Loriot
d'Europe (Oriolus
oriolus).
Tous ces Oiseaux et notamment les Insectivores paient un
très lourd tribu lors des épandages antiacridiens.
La poudre aux yeux
« L’erreur
fondamentale réside dans le contrôle autoritaire
qui a été accordé aux intérêts des agences agricoles.
Il y a, après tout, plusieurs autres intérêts en jeu :
il y a les problèmes de pollution des eaux, de pollution du
sol,
de protection de la faune, de santé publique.
Pourtant, le sujet est appréhendé comme si les intérêts de
l’agriculture étaient suprêmes,
ou en fait, les seuls. »
Rachel Carson.
La problématique des traitements antiacridiens a déjà été
abordée au chapitre de l’arganeraie. Mais le domaine oasien
qui s’y trouve tant exposé nécessite qu’on y revienne et
pas spécialement dans l’angle de vue strictement marocain,
mais dans le contexte global des pays du Sahel de l’Afrique
de l’Ouest. Durant les années 2003-04 et parallèlement à
l’écriture de ce livre, ces contrées furent terriblement
touchées par les invasions de Locustes de l’espèce
Schistocerca
gregaria, avec quelques
sérieuses alertes dans les parages subsahariens d’Afrique
du Nord, y compris du Maroc. Loin de tout pathos, les
questions essentielles que l’on doit se poser sont les
suivantes : Faut-il traiter ? Comment ? Et
pourquoi ?
La réponse à la première question est notamment induite par
celle de la seconde. Voilà des décennies que l’on nous
berne avec la promesse de la faisabilité de lutte
alternative (dite biologique) en la matière. Soit l’abandon
irrémédiable des pesticides chimiques (bioaccumulatifs et à
toxicité aiguë) dont nous ne reviendrons ni sur la liste
historique des produits utilisés, ni sur leurs méfaits à
long terme, tant au niveau du milieu qu’à celui de la santé
humaine, et ce, au profit de substances
« propres » dont les dernières entrées en lice
semblent avoir été certains mycopesticides. Alors qu’en
est-il sur le terrain en cette année 2004 de lutte
intensive ? On remarquera tout d’abord que pour
l’opinion publique, relayée par les médias (ou
inversement !), la notion d’intervention logistique
compte nettement davantage que les moyens et substances
utilisés. La première est évidemment plus
évènementielle : il faut éteindre le
« feu » ! Et la fin justifie les moyens.
On peut lire plus d’une centaine d’articles de presse sur
les épandages menés dans les nations où sévit cette
prolifération : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la
Libye, le Sénégal, le Mali, le Niger, le Tchad et la
Mauritanie (pays le plus touché avec 1,6 million
d'hectares), sans qu’il soit question d’éclairer sur la
nature du « pesticide ». L’omerta est totale dans
les médias d’informations non spécialisés, tout comme dans
les discours destinés aux populations victimes. Certaines
craintes sont parfois émises sur la pointe des pieds. C’est
alors qu’au cours d’un reportage pour une télévision, à
l’inquiétude émise par un cultivateur mauritanien sur le
danger du produit, un opérateur ne portant pas de masque
répondit qu’il avait aussi des enfants, que le risque était
nul et que les femmes pourront d’ici deux heures se rendre
de nouveau au puits. Mais à une demande de traiter dans le
village proche infesté de locustes, la réponse fut négative
en raison de la dangerosité du produit...
Sur le site officiel antiacridien marocain, la photothèque
nous enseigne de sinistres équipes de « guerriers
intersidéraux » en tenues de combat :
énigmatiques combinaisons du même orange
« rassurant » que celui du camp de Guantanamo,
masques, bottes et gants sur un scénario Tchernobyl, moyens
terrestres, aéronefs, on vide des milliers de tonneaux
bleus dans une atmosphère irrespirable de film catastrophe,
et tout à la guise. A l’examen d’une telle mascarade
chargée de dangerosité, si l’on en croit l’équipement
hyperbolique, peut-on espérer que les substances utilisées,
tout en étant nullement alternatives, soient
néanmoins « adéquates, efficaces et
inoffensives » tel que les décideurs et les médias
relais ont la complaisance de l’annoncer ?
Alors de quel « produit » s’agit-il ? Voici
quelques extraits de communications qui, sous forme
d’aveux, parfois nuancés par de subtils euphémismes, en
donnent une timide idée. Dans l’objectif d’une victoire un
peu illusoire sur le Criquet-ennemi, on y note soit le
recours à des pesticides « inoffensifs » (sans
plus de données), soit l’échec ou l’insuffisance des
produits respectueux de l’environnement et la contrainte du
recours aux sempiternels poisons.
« Le pire a fini par arriver. Tiznit, Taroudannt et
Guelmin sont envahies depuis le 20 octobre par des essaims
de Criquets particulièrement voraces venus de la
Mauritanie. Leur nombre très important bloque la
circulation et plonge le Sud du Maroc tout entier dans un
nuage opaque. C’est à présent l’Atlas qui est menacé par
ces Insectes ravageurs se dirigeant vers le nord.
Pour ce qui est des pesticides, le Maroc prévoit
l’acquisition de 4,2 millions de litres. Ce qui permettra
de traiter entre 3,5 et 5 millions d’hectares. Au cours de
la journée de lundi 25 octobre, a précisé le général Hosni
Benslimane, coordinateur de la campagne anti-acridienne, un
total de 224.000 hectares ont été traités avec des
pesticides inoffensifs pour les produits frais. Car la
production agricole dans la région du Souss représente 40 %
des exportations marocaines de fruits et tomates, soit un
chiffre annuel de 7 milliards de dirhams. » (Maroc
Hebdo International, 29 octobre 2004).
« En Algérie et au Maroc, les autorités doivent aussi
lutter contre le commerce des Criquets. Parce qu'ils sont
sources de protéines, ces Insectes sont souvent ramassés
par la population des douars isolés du Sud et proposés à la
vente, en dépit de l'interdiction des autorités : la
contamination par les pesticides les rend impropres à la
consommation. En Algérie, à Ouargla, 950 kg de Criquets ont
été saisis par la gendarmerie sur les marchés de la ville
ces trois dernières semaines. Les pluies ont fait bondir
leur prix, de 50 dinars le kilo (0,5 euro) à environ 350
dinars (3,5 euros) et ils sont recherchés comme des remèdes
miracles contre certaines pathologies. Au Maroc, les
autorités sont confrontées au même problème, notamment dans
la région de Tiznit, où le sac de 50 kg se négociait, ces
derniers jours, à près de 200 dirhams (20 euros environ).
Les spécialistes tentent, pour cette raison, d'utiliser des
insecticides moins toxiques : le fipronil – connu en France
sous le nom de Régent, et interdit en raison de sa toxicité
pour les Abeilles – est ainsi interdit en traitement total,
au profit d'autres produits (deltamétrine, fenitrothion,
dérégulateurs de croissance). Les spécialistes doivent
cependant arbitrer entre la toxicité et la nécessité de
traiter efficacement les essaims qui menacent l'Afrique du
Nord. » (Le Monde, 30 avril 2004).
« Des
essais sur deux biopesticides seront menés à grande échelle
en ce mois d'octobre en Mauritanie. Si les résultats
s'avèrent probants et confirment l'efficacité que ces mêmes
produits ont démontrée lors de tests à petite échelle, ils
seront utilisés dans les prochaines campagnes de lutte
antiacridienne. » (FAO, extrait du communiqué de
presse du 1 octobre 2004).
« Keith
Cresman, expert de la lutte antiacridienne auprès de la FAO
à Rome, explique que les pesticides recommandés par la FAO
se dispersent assez rapidement de manière à ne pas nuire à
l’environnement. Mais cela veut aussi dire que de tels
pesticides sont inefficaces lorsqu’une zone déjà pulvérisée
est réinfestée par des Criquets. « Nous utilisons des
pesticides qui, après 24 à 48 heures, ne sont plus
suffisamment efficaces pour tuer les Criquets, » a t-il
indiqué à IRIN. » (IRIN News.org, 6 octobre 2004).
« La FAO fournit également des conseils techniques aux
pays touchés et assure le suivi de la mise en oeuvre des
opérations de lutte. Elle encourage l'utilisation de
pesticides qui ne soient pas dangereux pour l'environnement
et la santé humaine et animale, tout en examinant
attentivement le recours à des moyens de lutte
alternatifs. » (FAO Salle de presse, 2 septembre
2004).
« Deux équipes d'épandage de pesticide ont été
dépêchées en Mauritanie et des avions de lutte
antiacridienne affrétés au Soudan. Il existe également
d'autres méthodes de lutte moins chimiques, tels les
mycopesticides (spores de Champignons pathogènes pour le
Criquet) ou les phérormones (substances chimiques
« brouillant » celles émises par les Insectes).
Mais elles n'ont jamais été utilisées à grande échelle et
ne sont pas non plus sans conséquences pour
l'environnement, souligne Michel Lecoq. Plus les épandages
de pesticides seront donc effectués tôt, moins les zones
traitées seront importantes. D'où la nécessité d'agir
vite. » (LCI Live, 6 octobre 2004).
« Pour lutter contre les invasions de Criquets, les
acridologues disposent de plusieurs insecticides chimiques.
Les organochlorés (DDT et dieldrine), interdits dans les
années 1980 à cause de leurs effets nocifs sur la
biosphère, ont été remplacés par les organophosphorés
(fenitrothion et malathion), les carbamates (bendiocarbe),
les pyrethrinoïdes (deltamethrine et lambdacyhalotrhine),
l'imidacloprid (matière active du Gaucho) et le fipronil
(matière active du Régent). Néanmoins, ces insecticides ne
sont pas anodins lorsque, en cas d'invasion, ils sont
épandus en grandes quantités sur de vastes surfaces. Ainsi,
l'Union Européenne a demandé que tout traitement soit suivi
d'une étude d'impact sur l'environnement. » (Le Monde,
31 août 2004).
« Désormais inéluctable, la lutte chimique est à
nouveau engagée contre les Criquets pèlerins en Afrique de
l’Ouest. Pourtant, après l’invasion de 1986, un
biopesticide avait été mis au point pour prévenir ce fléau.
Au Bénin, des voix s’élèvent pour dénoncer l’imprévoyance
des États africains.
Quand les Criquets s’amènent, tout le monde dit « On
ne s’y attendait pas ! » Quand ils repartent, on dit
« Ouf ! », et on les oublie jusqu’à leur
prochaine invasion!. Le Hollandais Christiaan Kooyman,
coordonnateur du Programme régional de lutte intégrée
contre les sauteriaux au Sahel, est très déçu. Dans son
bureau à l’IITA (Institut international d’agriculture
tropicale), situé à la sortie ouest de Cotonou, la
métropole béninoise, il déplore l’imprévoyance des États
africains qui auraient pu, selon lui, éviter l’invasion
acridienne et ses nombreuses conséquences. Il aurait suffi,
pour cela, qu’ils utilisent le Green Muscle, un
biopesticide préventif, obtenu par la culture du Champignon
Metarhizum anisopliae dont les spores tuent les juvéniles
au sol.
Dans un article publié au début du mois de septembre par le
quotidien cotonois La Nouvelle Tribune, Kogblévi Aziadomè,
agro-pédologue et ancien ministre béninois de
l’Environnement et de l’Urbanisme, s’est lui aussi montré
amer à l’égard des dirigeants africains qui ne savent qu’en
appeler aux bailleurs de fonds : « Apportez-nous ceci,
apportez-nous cela. Surtout n’oubliez pas ceci, n’occultez
pas cela. Nous allons mourir, nous sommes morts ». (Fernand
Nouwligbéto & Christian G. Roko, La catastrophe qu’on
aurait pu éviter, Quartier libre).
Dans la mesure où seuls des traitements chimiques
traditionnels sont estimés tendre à une efficacité
minimale, sachant que
le remède est pire que le mal, qu’il y va de
l’empoisonnement du sol, de l’anéantissement de toutes les
phytocénoses et biocénoses sur d’immenses horizons et de
risques considérables pour la santé humaine (à suivre sur
des décennies), il s’agit apparemment de mesures
parfaitement nuisibles. Faut-il ajouter que ces épandages,
même quand ils parviennent à détruire momentanément les
Criquets pèlerins ne préservent nullement les cultures,
déjà atteintes (puisque la défaillance de mesures
préliminaires est récurrente) ou qui le seront lors de
l’essaim suivant. Et de préciser que de mémoire d’Homme,
ces pullulations ne sont que le résultat de paramètres
écoclimatiques additionnels et qu’elles ne perdurent pas
au-delà de deux saisons.
Dans les « livres », le Criquet est toujours
considéré comme un fléau, à l’exemple de la bible où il
représente la septième plaie de l'Égypte. Il n’en demeure
pas moins qu’en Afrique et depuis les premiers temps, le
Criquet, dès lors qu’il se manifestait en vols massifs, a
toujours nourri les Hommes. La tête et les pattes ôtées,
bouilli à l’eau ou rôti à la braise, l’Insecte est un mets
très comparable aux crevettes grises. Et ces millions
d’Orthoptères en grappes sur les plantes, avec des femelles
gonflées de petits oeufs jaunes, constituent une manne
alimentaire traditionnellement cueillie et vendue par
quintaux. « La
sauterelle mange tout, mais tous la
mangent » est une
maxime courante chez les nomades sahariens. En Ahaggar, une
fois grillés, ces Acridiens sont même pilés au mortier et
stockés dans des sacs pour être plus tard consommés dans
des dattes broyées ou en galettes avec de la farine de Blé.
A défaut d’une consommation boulimique,
laisser passer les nuages de Criquets avec une assistance
alimentaire des populations subsahariennes aux modestes
cultures vivrières ne coûterait peut-être pas plus
cher que les budgets
intérieurs et internationaux mis au service des campagnes
chimiques et dont le résultat protecteur est quasiment nul
mais la destruction à long terme et en partie irréversible
des écosystèmes parfaitement et tristement documentée. La
dernière invasion de Criquets pèlerins en 1987-89 avait
coûté 300 millions de dollars à la communauté
internationale.
Ce n’est que pour rassurer les populations qu’on les
empoisonne ! Mais ceci est
politiquement correct et d’un humanitaire douteux si l’on
en croit les partenaires australiens venus prêter main
forte en contrepartie des promesses du gouvernement
mauritaniens quant à une réciprocité concernant les
importants gisements de pétrole récemment découverts dans
ce pays et dont l’exploitation devrait démarrer à la fin de
l’année 2005. Charité bien ordonnée... (Arte, 29 septembre
2004).
Et ne soyons pas naïfs, ce n’est pas pour protéger la
maigre céréaliculture de quelques maaders, de grarats
temporaires et des oasis que les pays concernés optent pour
une telle stratégie agressive. Au Maroc, par exemple, par
les couloirs d’infiltration des vallées des fleuves
sahariens, le fléau peut atteindre le grenier du pays et le
diktat économique et son caractère de préemption de mettre
à l’abri les richesses agricoles des grandes plaines
intérieures est là pour couper toute option alternative.
L’alerte consiste donc à barrer la route d’accès à une
production nationale qui contribue pour 15 à 20 % du P.I.B.
avec 5,4 millions d'ha de céréales (67 %) et 760.000 d'ha
d'arbres fruitiers (9 %), employant 42 % de la population
active, soit 80 % de la population active rurale. En
ce qui concerne les pâturages, certains spécialistes
rapportent que théoriquement un essaim couvrant le sol sur
25 km2 d'une densité de 100 Insectes posés au mètre carré,
est capable de consommer autant d'herbage qu'un troupeau de
Bovins de 50.000 têtes. En une journée, 1 km2 d’essaim peut
anéantir cent tonnes de matière végétale. Avec une telle
menace, il ne peut être question d’une valse hésitation et
l’on peut alors ranger la lutte biologique sur les rayons
de l’expérimental, à ne ressortir qu’une fois passé
l’alerte.
Face à l’impératif capitaliste, la santé des populations et
des écosystèmes subsaharien et saharien ne fait pas le
poids. Toute hyper production a un prix à payer. Ici,
l’agriculture intensive prend les écosystèmes et les
populations riveraines en otages, avec une promesse de
suivi médical très aléatoire pour ces dernières. Et puis
dans ces contrées, la maladie voire la mort n’y sont elles
pas encore que de simples fatalités ? La production en
agrumes de la Vallée du Souss, quant à elle, ne peut être
soumise à la moindre fatalité, même d’une manne céleste.
Soumise à une soucieuse et rigoureuse gestion (non
durable !), elle vaut mieux que l’Homme.
Les
traitements antiacridiens ne sont peut-être pas que de la
poudre aux yeux. Mais les yeux
commencent à nous irriter sérieusement. Notamment depuis
1962 et Printemps
silencieux de Rachel
Carson, célèbre océanographe américaine, qui pour la
première fois mis « la puce à l’oreille » sur
l’emploi du DDT, combat crucial qui s’acheva tout de même
par son interdiction. Avant Silent
Spring, nous ne
connaissions pas les ministères de l'environnement et en
français du moins, le mot pollution n’était utilisé que
dans sa seconde acception que lui assigne le Littré :
« émission spermatique involontaire » ! Il y
eut hélas un bémol à cette victoire : la résurgence massive
du paludisme suite à la réduction des épandages de DDT.
Depuis le temps de ce spectre d’un antimonde dystopique,
les spécialistes nous tiennent en haleine avec les
promesses d’une lutte biologique tant espérée, notamment
pour les écosystèmes arides, les plus sensibles. Mais les
« printemps stériles » ne sont pas en reste et
pour l’instant, les produits respectueux de l’environnement
le sont pour les plates-bandes de nos jardins de banlieue,
d’où toute naturalité a disparu depuis des lustres. Même
l’incitation au régime végétarien est suspicieuse sans une
disponibilité démocratique de produits biologiques
présentement confinés dans le créneau élitaire : les
fruits et légumes dont nous nous nourrissons, pour la
plupart issus de régions pestiférées vouées au maraîchage
intensif et bioterroriste (figure de proue pour
l’Europe : la mer de plastiques et d’engrais chimiques
d’Almeria, Espagne) sont gorgés de biocides. Aucun des
quotas réglementaires n’est respecté. Le taux moyen de
cancers est de 35 % supérieur à celui de 1978 et l’origine
principale est notre alimentation. Pauvres enfants que ceux
que l’on a régalé avec ces superbes tomates et poivrons
conditionnés et sans la moindre « piqûre »
d’Insecte ! Toujours cette phobie de la nature et
cette confiance aveugle pour le génie humain. Alors, avec
un tel dédain pour le consommateur « informé » de
nos dites démocraties, comment peut-on espérer des
compagnies mafieuses de produits phytosanitaires,
véritables empoisonneurs publics coupables du lent écocide
de la biosphère, une attitude lucide et respectueuse quand
il s’agit de traiter les nuages de Schistocerca
gregaria en certains pays
où l’ignorance fait triompher la corruption !
« Rio + 10,
Stockholm + 30, Johannesburg 2002. On m’invite à miser sur
ces conférences.
D’un point de vue éducatif, j’ai perdu confiance en ces
forums.
Je ne gage plus sur ces rencontres entre les chefs des
nations, où règne une langue de bois.
Non, où règne plutôt une langue morte, une langue de béton.
Ils sont trop inféodés à une vision comptable et marchande
du monde
où la croissance économique est devenue le principal
impératif. »
Tom Berryman (Printemps
silencieux + 40).